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24/06/2013

LE NUAGE ROUGE

 

-       Sept heures vingt-neuf, le temps

Le radio-réveil vient de s’allumer sur France-Inter et c’est la voix de Patrick Cohen qui prononce ces mots en ce jour de premier mai 2023. Chouette, Joël Collado annonce du beau temps sur tout l’hexagone et, en général, ce météorologue ne se trompe pas. Tant mieux parce qu’aujourd’hui une balade est prévue de bon matin pour se dégourdir un peu les gambettes. Vite, une douche, on se fringue rapido, le petit dèj’ à donf et hop c’est parti. Dans l’ascenseur le bonjour aux voisins qui font la gueule comme dab’, sourires crispés crispant et enfin libre. Collado a raison, le ciel est d’un bleu… à part ce gros nuage rouge tout seul dans l’azur, tiens ce n’était pas prévu mais personne ne semble le remarquer, personne la tête en l’air, personne le doigt levé vers le ciel, personne non plus pour regarder le doigt, tout le monde vaque ou va vaquer à ces occupations et moi courir bien que du coup je reste sur place, que se passe-t-il ?. Personne autour de moi n’a l’air affolé surtout pas ma petite voisine qui court tout le temps même quand elle n’est pas pressée et qui me dit un bonjour déjà essoufflé, je lui montre le nuage, elle hausse les épaules et s’enfuit en riant. Je mets une main devant mes yeux en alternance, est-ce une illusion d’optique, le début d’une maladie, un mirage, un reflet, un phénomène météorologique que Collado n’aurait pas prévu et vu de moi seul, un signe, une prémonition, un avertissement, ce n’est pas Jacques Kessler qui m’aurait fait ce coup-là. Hier soir, je suis allé sur la chaîne météo par précaution, le petit bonhomme perpétuellement agité n’a rien envisagé de tel, il a fait tous ses gestes convenus, repoussé les vents, évacué les tempêtes, attiré le soleil, annoncé les températures qui seront clémentes pour la saison, alors j’ai foncé chez Louis Bodin avec son sourire chauve qui a fait des pronostics identiques, alors ? Je fonce au centre de soins le plus proche, demande à voir le médecin de garde qui me raccompagne rassurant et moi pas rassuré car en sortant le nuage est toujours là, seule la forme informe n’est pas changée et le rouge toujours aussi rouge flamboyant, je cours, je cours toujours de plus en plus vite à perdre haleine et la laine, je fonce dans le tas et le vide, j’essaie d’échapper à ce gros nuage qui me court après, je décide de changer de parcours et entreprend de rentrer chez moi à toute blinde en changeant d’allure, épuisé mais curieusement de moins en moins inquiet car je viens de prendre une décision, oui, nuage ou pas, rouge ou pas, je m’en fous royalement, il n’y a pas d’explication, bon, de toutes façons je me suis toujours foutu de toute explication et merde je hais les explications, j'ai toujours préféré les mystères et c’est pas demain la veille que… et s’il était encore là, demain ?

 

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16/06/2013

LE SURSAUT D’UNE SURSITAIRE

 

Muriel pensait à tort ou à raison que cette brouille n’était pas une broutille et qu’il n’y avait pas que de l’herbe à brouter.

Jérôme, quant à lui, pensait à raison ou à tort que cela ressemblait à une déroute et se demandait vers quelles routes on allait se diriger, l’autoroute étant saturée.

Pris dans une sorte de piège, Muriel et Jérôme ne savent plus comment s’en sortir, comment quitter ce marasme dont ils ont marre, ils ne savent plus où et comment se tourner, se retourner ou se détourner. Pas question de compter sur les parents ou la famille, l’incompréhension est totale, le rejet de tout compromis définitif, aucune échappatoire possible « on n’a jamais vu cela dans une famille comme la nôtrepas de ça chez nous… ils n’ont qu’a faire des enfants… cela se règle sur l’oreiller». Même des amis proches comme le couple Julien / Myriam qui avait connu pareille mésaventure ne savent quoi dire ou quoi faire, les recours semblaient inutiles, les secours impossibles (médecin, psy, religion), seul, bien seul, Jérôme restait impassible alors que lentement Muriel dérivait vers des contrées inconnues d’elle-même et de tous.

Et puis tout à coup, rapidement, tout a basculé, du mauvais côté : Muriel  a refusé d’abord de manger, elle a perdu en un mois plus de vingt kilos, elle a tondu ses cheveux qu’elle avait d’abord colorés de toutes les couleurs absentes de l’arc-en-ciel, les changements de fringue continus, ensuite elle ne voulait plus voir personne ni sortir de la chambre dont elle avait chassé Jérôme, puis du jour au lendemain elle se mit à dévorer tout ce qu’elle pouvait trouver, elle reprit son poids initial qu’elle augmenta de vingt kilos, d’anorexique elle devint boulimique, de Muriel elle passa à Twiggy puis de Twiggy à Gossip en quelques semaines, puis ce fut la parole ininterrompue, le flot, la déclamation, les proclamations, les cris, les hurlements, les vociférations interminables éructées au cours de déambulations sans fin, et brusquement changement d’attitude et de cap, Muriel sort et ne rentre pas, reste plusieurs jours introuvable, fugue, escapade, disparition, mauvaises rencontres, toutes ces hypothèses font frémir d’inquiétude un Jérôme aux abois…

…quand un matin Muriel rentre, l’air abattu, le regard vide, et sans un mot se jette sur son lit… Jérôme reprend alors espoir, follement, est-ce un sursaut ?... peut-on attendre un nouveau départ ?, comme les autres fois ?


©  Jacques Chesnel

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05/06/2013

NEVER LET ME GO

 

Tout le monde le sait, enfin presque, j’adore les ballades, ces chansons tirées des comédies musicales américaines des années 20/30 à Broadway et interprétées par les plus grands musiciens de jazz le plus souvent avec bonheur ; je connais les mélodies ainsi que les paroles, je les sifflote souvent, les chantent faux sous la douche et prends mon pied à chaque fois. Muriel ricane dans son coin, elle m’appelle alors son petit Tony car elle adore Antony Dominick Benedetto autrement dit Tony Bennett et ça me flatte même si c’est une vanne et s’en est une. Je connais également quelques interprètes (principalement féminines) de ces chansons avec la bouche en cul de poule ou en fesse de canard ou en forme de trou du cul- qui-pète autrement dit troufignon dénaturant ainsi autant la mélodie que les lyrics qu’elles rendent comiques à cause de l’excès, du surpoids de guimauve. Quelques hommes également qui en rajoutent dans la déclamation ou la pleurnicherie, les moins ridicules n’étant pas les crooners Bing Crosby, Dean Martin, Perry Como ou le plus légendaire d’entre eux : Frederick Austerlitz plus connu sous le nom de Fred Astaire.

Jérôme pensait à tout cela, se remémorant également cette ballade Never Let Me Go, superbe ballade de Ray Evans & Jay Livingstone souvent interprétée et dont il connaissait plusieurs versions, notamment celle du trio de Keith Jarrett et de Bill Evans en piano solo qu’il préférait nettement. Lui revenaient aussi les diverses déclarations entendues suite à son dernier accrochage, la dernière escarmouche avec Muriel :

-       Ça aurait pu être pire

-       Je ne le vous fais pas dire

-       On dirait qu’ils se complaisent à se faire mal

-       Et comment tout cela va se terminer pasque hein

Tout cela venant de membres de la famille autant que d’amis proches ou plutôt de ce qu’il en restait suite à la débandade. Il se souvenait également qu’après la dispute, les trépignements et les pleurs, Muriel l’avait longuement regardé, questionné, fouillé, scruté, exploré, cherchant une réponse dans ses yeux et lui avait alors murmuré : ne me laisse pas partir, never let me go, retiens-moi, Jérôme, j’ai l’impression de couler, ne me lâche pas, je t’en prie, never let me go… tandis que Bill Evans égrenait les dernières notes de cette mélodie qu’il avait su si bien sublimer… comme dans le disque où le pianiste dialogue avec le chanteur Antony Dominick Benedetto plus connu sous le nom de Tony Bennett que Muriel aime tant.

 

© Jacques Chesnel

 

11:52 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (3)

24/05/2013

FAUT QU’ON PARLE

 

Il se fait tard

Dans leur salon, Muriel et Jérôme écoutent en boucle I want to talk about you par John Coltrane dans la version « Live at Birdland ». Muriel se lève et arrête l’audition du disque juste avant le solo de McCoy Tyner :

-  Faut qu’on parle

C’était bien la petite phrase que Jérôme redoutait le plus d’entendre et il fallait que Muriel la dise aujourd’hui alors que tout semblait aller, semblait oui, seulement voilà faut qu’on parle. La journée avait plutôt bien commencé, elle semblait être dans de bonnes dispositions avec ce sourire au réveil qui le faisait craquer pendant toute la journée faut qu’on parle. Jérôme craignait le pire, une nouvelle fois comme les autres, s’étourdir de mots réels, s’estourbir de maux imaginés, avait-elle choisi ce disque intentionnellement, cette question avec ce faut qu’on parle qui commençait déjà à le gonfler sérieusement, qu’on parle de quoi de qui de tout de rien, nouvelle parlote, bavardage verbeux, verbiage incessant, baratin insipide, logorrhée interminable, bagout fadasse…

Cette fois, Muriel est surprenante, calme, enfoncée/lovée dans son fauteuil favori, elle commence, pas un mot plus haut que l’autre, la voix posée, un débit fluide et contrôlé, la prononciation parfaite, le discours structuré contrairement à son habitude, elle regarde Jérôme comme si c’était la première fois ou bien la dernière ou entre les deux, il s’attend au pire car cela a l’air d’être très sérieux ce qui lui met le moral et le mot râle plus bas que les chaussettes… et tout cela, au bout du conte, pour s’entendre dire… qu’on n’avait plus rien à se dire…

Tu parles !

Hé, vous n’allez tout de même pas la contredire… tiens, et si on remettait le Coltrane au début I want to talk…

© Jacques Chesnel

20:05 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (7)

20/05/2013

MARIE LÀ-HAUT

 

Cela fait déjà un moment qu’elle est là, que je l’aperçois dès le lever du store de ma chambre, jusqu’au dernier coup d’œil avant de le rabaisser au moment du coucher. Je la vois aussi subséquemment au cours de la journée quand je mate dehors pour voir le mauvais temps qu’il fait. Tiens, le temps justement ne lui fait pas peur qu’il vente, qu’il pleuve ou qu’il fasse beau, seule sa position change un peu, on dirait qu’elle tourne un peu sur elle-même avant de reprendre une position qu’on dirait normale. Au début, j’étais intrigué par toute cette ferraille, cet emprisonnement dans ces tubes de fer de treillis et de longerons dans cette longue flèche en porte-à-faux reliée par un câble à la tour où son nom apparaissait, resplendissant : MARIE  dans un petit panneau avec les lettres majuscules peintes d’un beau bleu à quelques mètres de hauteur, l’équivalent de 12 étages d’immeuble à vue de nez à une distance d’environ 30 mètres au pif face à l’immeuble érigé devant le mien. Elle avait dû arriver quand je n’étais pas là, elle avait dû apparaitre en quelques jours sans prévenir mais combien de temps allait-elle rester perchée là-haut… Réponse : le temps des travaux de construction de ces nouveaux logements car vous avez compris que MARIE est une grue de chantier. Grande fut ma déconfiture lorsque j’appris par les ouvriers que la grue n’avait pas de prénom pas CE prénom, c’était seulement le nom de l’entrepreneur pour se faire de la pub, marquer son territoire, Monsieur Marie, patron de la « Société de Construction Roméo Marie et Fils », que j’ai rencontré sur le tas tard, je lui pose alors la question sur le quiproquo, ç’aurait pu être le prénom de votre femme, non ?, non, ricana-t-il, elle se prénomme Juliette.

-  Vous aussi, hein, vous avez fantasmé sur Marie, comme tout le monde dans l’coin, me dit, goguenard, le gros rubicond très con qui en réalité se prénomme Edmond, si vous saviez, même mes ouvriers, alors je les laisse dire

Ce matin, on est en train de démonter Marie ; je commençais à m’y habituer… malgré Juliette… comme les autres dans le quartier, sans doute.


© Jacques Chesnel, déçu

11:06 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (4)

16/05/2013

IL SUFIT PARFOIS D’UN RIEN

 

Dans la rue, un matin

.Jérôme et Muriel se croisent, ils échangent un regard, quelques pas et Jérôme se retourne, Muriel ne se retourne pas

. Muriel et Jérôme se croisent, ils échangent un regard, quelques pas et Muriel se retourne, Jérôme ne se retourne pas

. Jérôme et Muriel se croisent, quelques pas, ils ne se retournent pas et continuent leur chemin

. Muriel et Jérôme se croisent, ils ne se regardent pas, font quelques pas et ils se retournent tous les deux en même temps puis courent l'un vers l'autre : leur histoire d’amour vient de commencer

Comme quoi il suffit parfois d’un rien.


© Jacques Chesnel, retourné

21:15 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (2)

13/05/2013

LES ACCOUTUMANCES DISPARATES

 

Muriel avait un peu appréhendé, le séjour chez une personne âgée ne serait-ce que sa tante Ginette avec ses 77 balais de printemps pouvait lui poser problèmes, conflit de générations dit-on, même provisoire même pour quinze jours. Elle avait accepté son invitation car elle avait gardé une bonne impression lorsqu’elle l’avait rencontrée la dernière fois lors d’un enterrement d’une cousine, elles avaient bien rigolé pendant les remerciements t’as vu la bonne femme là-bas avec son galurin de traviole, cette grenouille qui trempe son cul dans le bénitier et s‘envoie notre curé et celui-là avec son air bonasse qui mate les enfants de chœur en aube, si tu savais ma pauv’ petite tout ce monde de pervers et de faux-culs tu sais la Yolande qu’est dans l’trou c’était une sacrée rapide pour faire la fête et maintenant c’est râpé ici mais elle va leur en faire voir là-haut hihihi, un vrai souk pire que celui de Marrak-lèche elle avait une de ces pêches la tata Ginou… voilà des signes qui ne trompaient pas, mais toute une semaine…

Tenez voilà par exemple le déroulement d’une journée à la mode 24 heures du Mans dans le petit appart’ de la tantina biarrote : elle, lever à sept heures, moi onze, elle déjà pimpante, moi la tête dans l’cul, elle petit dèj’ copieux avec céréales, moi un caoua pas plus, elle les courses à fond la caisse chez les petits commerçants du quartier moi suivre en maugréant, elle déjeuner à midi alors que moi pas faim, elle bouffe bio régime crétois moi McDo merdo, elle sieste obligatoire moi désœuvrée à part la télé, elle reçoit ses copines pour bavarder et jouer à la canasta moi cherche bouquins rien que des études et essais philosophiques peu de romans, elle cinq heures rituel du thé vert sans sucre moi un Coca-cola, elle oh quelle horreur comment tu peux boire ça, elle les infos sur FR3 moi sur M6 dans ma piaule, elle à sept heures elle hurle à table moi j’ai pas fini de digérer, elle bon on se fait un film moi je préfère les variétoches débiles, elle ah Danielle Darrieux moi oh Jean Dujardin, elle déjà 10 heures hop au lit moi je sors à peine des limbes et du reste je vous fais grâce de la suite…

Quelquefois, Ginette se mettait à marmonner du genre : bon, c’est pas tout ça, on ne panique pas et on ne nique pas non plus car question bagatelle et autres cabrioles ben calme plat depuis la mort de ton oncle Albert, médecin de son vivant, malgré les réminiscences qui me chatouillent encore parfois et parfois je me retiens de enfin comme dit mon copain de lycée Jean-Pierre Marielle que j’adore, ya pas intérêt à m’faire chier ; d’autre fois, Suzanne veut que j’écrive un blog mais tu me vois raconter toutes mes conneries à des inconnus ou bien Yvette m’a dit que le petit Sarko veut refaire surface comme si il en avait pas assez avec sa chanteuse à texte et à phone ou encore ce matin ya le commis boucher qui m’a fait du gringue il doit être myope ou pervers ce jeune con, il faut que j’écrive à la météo parce que là ce n’est plus possib’ oh tu baisses le son de cette radio déjà que je supporte pas le rapt en anglais mais tante Ginette c’est Orelsan c'est en presque français j’men tape Albert aimait beaucoup André Verchuren un as de l’accordéon ainsi que la chanteuse Georgette Plana qu’est morte moi j’me pâmais à Georges Guétary qui chantait la main sur le cœur et la main leste et puis c’est pas maintenant qu’on va me faire changer mes accoutumances disparates pas à mon âge quand même, c’est quoi tata ton jargon toutes ces coutmances, ah je préfère ça aux habitudes différentes cela me démarque des copines bêcheuses le p’tit doigt en l’air, dis, on n’a pas sonné à la grille du portillon ?, tu jettes un œil…

  • Jérôme ! te voilà enfin, c’est pas trop tôt enfin, t’as fait bonne route ? t’as une petite mine, j’ai préparé du bouillon…

© Jacques Chesnel, arrivé



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03/05/2013

CHET BAKER SUR UNE AIRE D’AUTOROUTE

 

Le temps était superbe, soleil voilé, une petite brise par la glace légèrement baissée en plus de la clim’. Jérôme était parti de bonne heure ce matin-là pour rejoindre Muriel en séjour chez sa tante Ginette (de la branche Branlon) à Biarritz (la branche Lagarde se trouvant à Menton avec tonton Georges). Pas trop de monde, pas trop de cinglés à fond les manettes se prenant pour Senna, pas de doublettes en queues de poisson, quelques gros trucks vrombissant avec des inscriptions fluo sur le pare-brise « Juan », « Miguel », « Maurice », lesquels en débardeur dans la cabine et matant des pornos tout en conduisant. Jérôme, on le sait, n’était pas spécialement fou de bagnole, mais cette petite dernière décapotable et décapotée lui plaisait beaucoup, il n’en était pas peu fier. Bon, cela faisait trois heures maintenant que Jérôme roulait sur cette autoroute, il était temps de faire une pause ; ce fut d’abord un arrêt-pipi et bière sans alcool à l’aire dite L’Estalot avant la traversée de Bordeaux qu’il savait compliquée à cause du trafic. Reparti, il fouilla dans la boite à gants à la recherche d’un CD et trouva son préféré celui dans lequel Chet Baker chante Every time we say goodbye I die a little qu’il fredonna de concert, roulant décontracté et souriant au souvenir de sa dernière nuit plutôt hot avec Muriel qu’il allait bientôt revoir et zou ; il appuie sur la touche « repeat »…

Chet chante toujours tandis que Jérôme décide de faire un nouveau break pour se détendre et entre sur une aire de la N 10 où est stationnée une seule voiture immatriculée GB. Une dame sort des toilettes en se tenant le ventre et en riant, dit quelques mots à son compagnon qui  s’esclaffe quand elle lui raconte sa mésaventure que Jérôme entend discrètement : en se baissant sur le WC à la turque, elle a craqué l’élastique de sa culotte qu’elle est en train de perdre. Il leur adresse un sourire gêné, ils lui répondent par un geste complice quand, soudain, une voiture vint se garer à côté de celle de Jérôme, un décapotable décapotée conduite par une ravissante jeune femme semblant s’échapper comme par miracle d’une nouvelle de Francis Scott Fiztgerald et qui écoutait Chet Baker chanter When I fall il love it will be forever, les deux chants se superposant ainsi. La coïncidence est troublante et fait penser à une séquence insolite, surprenante qui pourrait se trouver dans un film de Pedro Almodovar ou un mélo hollywoodien de Douglas Sirk, d’autant que la voiture est de la même marque que la sienne, une Austin mais d’un modèle plus ancien avec le volant à droite. Pendant que le british couple s’éloigne en leur faisant un signe d’adieu, les deux portières se frôlent lorsque Jérôme et la conductrice sortent conjointement de leurs autos ; ils se sourient puis éclatent de rire, se présentent Jérôme, Marjorie, et vous allez où comme cela ? à Biarritz retrouver ma compagne, et vous ? à Dax rejoindre mon mari médecin à un congrès de thalasso, pendant que Chet, infatigable, continue de chanter ses tristes histoires d’amour entremêlées, Every time we say goodbye I fall in love and I die a little forever…

Et pendant tout le temps que Jérôme et Marjorie devisèrent gaiement tout en flirtant sur leurs voyages respectifs, s’élevèrent enfin dans les airs la sonorité délicate et fragile de la trompette de Chet Baker ainsi que ses somptueuses envolées lyriques sur cette aire d’autoroute presque déserte.

© Jacques Chesnel, enchanté

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27/04/2013

NICÉPHORE RUTABAGA, Grand Couturier

 

Lorsque Jérôme prit connaissance du nom du grand couturier par l’intermédiaire des copines de Muriel, il voulut en savoir un peu plus…

Né à Buenos-Aires, fils unique de Luis-Miguel Ortega de Castro y Rutabaga et Iciar Martinez, il eut une enfance d’abord studieuse, puis se dispersa à son adolescence lorsqu’il découvrit le cinéma, le tango, le jazz et surtout la littérature grâce à son père diplomate et ami de Julio Cortazar, Jorge-Luis Borges et d’Adolfo Bioy Casares. Il se mit à tout lire, tout écouter de Carlos Gardel au free jazz surtout Archie Shepp, tout voir de Buñuel et Welles à Godard et Bergman, ah ! Harriett Henderson. Quand sa famille s’exila à Paris, il continua sa « dissipation » comme disait Luis-Miguel sous le tendre regard d'Iciar qui se mit alors à fréquenter les défilés des collections des grands couturiers de l’époque avec une préférence pour Balenciaga, le catalan génial. C’est à ce moment que Nicéphore (prénom attribué en hommage à Niepce dont son père admirateur avait honoré la mémoire à l’ambassade de France à B-A) fut surtout littéralement emballé quand il vit à la cinémathèque le film de Jacques Becker « Falbalas » avec Raymond Rouleau et la craquante Micheline Presles, choc absolu : décision irrémédiable, il allait être créateur de mode ; à cette annonce, sa mère s’évanouit et remercia le seigneur d’avoir exaucé un vœu secret, le papa haussant les épaules il ne manquait plus que cela coño de mierda, (l’équivalent en français de bordel de merde) d’ici qu’il nous tourne inverti.

Dans une chambre de bonne, Nicéphore commença à dessiner comme un fou puis se mit à assembler tous les morceaux de tissu qu’il pouvait trouver/glaner, et les disposant/assemblant sur d’imposants croquis, il devenait comme fou de travail cependant encouragé par Iciar littéralement bluffée ; elle se mit à en parler à des amies dont l’une lui trouva un stage chez le jeune Hubert de Givenchy, une autre chez Pierre Cardin où là il sut qu’il pourrait devenir quelqu’un dans le milieu jusqu’à sa rencontre avec le basque génial Cristobal Balenciaga deux ans avant que le  Maître se retire, fatigué. Cristobal fut impressionné par les combinaisons de formes et couleurs proposées par ce Nico, il ne pouvait pas prononcer son prénom, Nico, c’est bien, Nico c’est mieux, Nico guapo Nico tonto, disait-il affectueusement tou vas être oune grande si tou continoues comme ça hombre !. Nico décide alors de créer sa propre maison, ce qui lui fut facilité par les « connaissances » influentes de ses parents ; il s’installe rue St-Honoré, recrute et au bout de deux ans le succès est foudroyant, créant des jalousies dans ce petit monde fermé. Il n’en a cure car, comme on dit, Paris est maintenant à ses pieds et il chausse du 47.

Jérôme, de plus en plus curieux, apprit que Nicéphore était un grand séducteur amateur de femmes contrairement à beaucoup de ses confrères, ses conquêtes parmi les petites mains du cousu main  et clientes huppées pépées connues du grand monde furent innombrables alors que, sur le tard, Luis-Miguel, devenu coquin, découvrait de plus en plus de charmes aux assistants qu’il trouvait si mignons, provoquant quelques petits scandales vite étouffés mais n’échappant pas aux ragots qui faillirent nuire à la réputation désormais internationale de la maison. C’est en allant récupérer le papa Luis-Miguel en compagnie de travelos brésiliens dans une boite gay mal famée que Nicéphore rencontra deux ravissantes fliquettes, les fameuses Ava et Eva dont il tomba immédiatement raide dingue et qui devinrent par la suite ses modèles préférés, des mannequins vedettes connues mondialement, devenues des copines à Jérôme entre temps, comme quoi…

Si cette histoire vous semble un peu tirée par les cheveux sur  la soupe, demandez donc à Muriel Branlon-Lagarde, rien que pour voir… ou bien allez au prochain défilé du Nico mon coco, on en parle déjà comme le grand événement de cette année, pensez à réserver vos places, il y aura du monde,  rien que pour voir... ou être vu.

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22/04/2013

AVA et EVA

 

Avec Jérôme, on n’était sûr de rien, un jour des sœurs disait-il, et jumelles en plus, une autre fois seulement des copines affirmait-il, avec ça allez savoir !, en tout cas ces deux créatures étaient uniques tout simplement, on voyait ça au premier coup d’œil et on ne s’en privait pas. Et contrairement à ce qu’on écrit d’habitude, l’une n’était pas brune et l’autre blonde (vieux cliché), elles étaient rousses toutes les deux, d’un roux flamboyant et rutilant, enfin bref elles étaient magnifiques et encore plus si possible, des physiques qu’on dit de stars genre Rita Hayworth ou Monica Vitti qui ne l’était pas mais presque, vous voyez, d’autant que leurs yeux étaient de braise bordée de velours et quelque fois l’inverse. Jérôme était fier de se trimballer avec elles en bombant le cul, pétant plus haut que son torse et roulant des mécaniques en même temps,  sans se rendre compte qu’il était ridicule mais nous on en bavait des ronds de chapeaux en faisant des serviettes à nos nœuds et quelques ronds de jambe cul par-dessus tête en surplus, ce qui est assez délicat autant que périlleux, il faut bien en convenir. Nous en étions à nous demander où Jérôme avait bien pu dégotter de telles pépites qui n’avaient pas du tout l’aire de pétasses, toujours fringuées comme des princesses mais sans ostentation, créant ainsi des tentations néanmoins ostentatoires, avec une préférence marquée pour les marques comme celles du grand couturier Nicéphore Rutabaga, élève du mythique créateur basque Cristóbal Balenciaga, alors là, on était scotchés littéralement. Toujours avidement curieux, on se questionnait sur ses rapports avec la Muriel avec qui il s’était fiancé depuis peu, car ça faisait un peu concurrence, comment allait-il se dépatouiller de tout cela ?. Pas de problème nous rassurait-il, cela se passe très bien elles ont copines comme cochonnes par les nippes de dessus et dessous, les parfums et les escarpins. Romain, le copain cinéphile pensait bien sûr à Ava Gardner et à Jeanne Moreau dans le Eva de Joseph Losey tandis que Guillaume le calotin se référait à Eve notre mère à tous disait-il en pouffant ; on fantasmait et flippait tous comme des malades bien portants. Ce qui nous intriguait le plus : les voir seulement de jour et disparaître la nuit, alors on supputait grave : des belles de nuit, des filles de bar topless, des hôtesses particulières, pourquoi pas des poules de luxe, des gourgandines à la madame Claude ?. Il a fallu que notre ami Alain le fêtard se retrouve au commissariat suite à une bagarre à la sortie d’une boîte de nuit pour que le mystère soit élucidé : il se retrouva en compagnie des demoiselles qui étaient des fliquettes : oui, les gars, bimbos le jour, fliquettes la nuit, Jérôme avait vraiment de drôles relations. Quelques-uns de la bande se mirent à rêver et à chercher comment se faire alpaguer afin de se retrouver enfin en si charmante compagnie. Essayez donc pour voir…

 ALORS, AVA ET EVA, EVA ET AVA ou AVA ou EVA ?

(lisez-le titre d’une traite, c’est marrant, allez on recommence cette fois sans la ponctuation, d’un seul souffle, c’est encore plus rigolo)

©  Jacques Chesnel

 

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15/04/2013

MES HABITS, ÇA SERT D’AUTO

                 

Jérôme savait bien qu’il risquait de s’attirer quelques foudres chez les soit-disant bien-pensants mais il ne pouvait s’empêcher de trouver ce nouveau Pape, le François, bien plus inquiétant que le précédent, le petit Benoit avec son air compassé, tout ratatiné et son sourire un peu niais. En effet, sous couvert de chamboulement apparent dans le comportement avec la foule des croyants, les positions rétrogrades sont les mêmes mais présentées avec plus d’hypocrisie. Quelques coups de pattes de velours et coups de menton volontaristes, rien sur son passé douteux pendant la dictature argentine, aucune visite par exemple aux mères et grand-mères de la place de Mai, son opposition farouche au mariage pour tous promulgué par la présidente argentine, sans parler de l’avortement ou de la contraception. Pas un mot pour désavouer les prises de position et les diatribes des évêques français, notamment celle du cardinal Barbarin (je ne peux l’appeler monseigneur, disait-il) « le mariage pour tous ouvrait la porte à la polygamie et à l’inceste » phrase franchement surréaliste dans la bouche d’un homme d’église. Et maintenant l’appel à « l’église des pauvres, pour les pauvres » slogan complètement bidon quand on sait que la charité se réduit le plus souvent à l’aumône, bonne conscience de la bourgeoisie, tenez mon brave mais surtout n’allez pas boire, hein ! (« les plaisirs de la charité ne sont que les jouissances de l’orgueil », Sade).

Mais ce qui exaspérait le plus Jérôme toujours partant pour s’emballer à la vitesse grand V, c’était toutes les cérémonies grandioses et fastueuses, ces célébrations et processions à n’en plus finir avec tous ces apparats chics (apparatchiks), cortèges en chapelet et chapelets en ribambelle avec litanies au programme, ces habits aux garnitures d’or avec ornements, passementeries, galons et liserés portés par des prélats bedonnants avec un air toujours compassé, une componction permanente, coiffés de ces ridicules chapeaux pointus turlututu appelés mitres qu’il trouvait trop en forme de suppositoire pour… habits donc, il se souvenait de cette phrase de son copain Claude, fils d’un garagiste, qui lui avait dit en sortant d’une séance de catéchisme : « moi, mon vieux, mes habits ça sert d’auto ».

©  Jacques Chesnel

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06/04/2013

LE FARFOUILLEUR

 

Quand Jérôme parlait de son père avec Muriel, il était intarissable, avec tellement de sujets, d’histoires, de souvenirs réels ou rêvés. Voilà un de ces songes d’une nuit d’été particulière sans rapport avec la réalité :

 Antoine Branlon-Lagarde avait d’abord la particularité d’être né le 14 juin 1940, le jour de l’entrée dans Paris des troupes allemandes, il était fier que son premier cri soit considéré comme un signe de révolte contre cette infamie : il avait déjà décidé de sa future carrière de général dans l’infanterie pour repousser cette horde de barbares, c’’était clair et net. A ce propos, il prononçait (volontairement ou non, on ne l’a jamais su ni oser lui demander) cette expression de la façon suivante : « c’est clarinette », donc ne soyez pas surpris si cela revient assez souvent. Rien ne semblait le destiner à cette vocation urgente, rien dans la famille Branlon, qui s’était associée à la famille Lagarde depuis le milieu du XIXième siècle, ne le laissait prévoir, si ce n’est un fort sentiment patriotique exprimé si tôt, c’est clarinette. En 1963, il avait épousé Vera, la fille d’un amiral russe, Fédor Krapouchik, né le lendemain même de sa propre arrivée dans ce monde, ils étaient connus à un bal à Saint-Pétersbourg (il disait en blaguant : le saint pète et s’bourre), ils avaient eu trois enfants, deux filles et Jérôme le petit dernier, fruit d’un retour de flamme et d’un oubli de pilule contraceptive. Ils formaient un couple heureux et sans problèmes. Et la vie commune s’était déroulée sans histoire jusqu’à sa retraite en 2010 car il avait rempilé un peu. .Et c’est là que tout a basculé, c’est clarinette.

 Complètement désœuvré et assurément paumé devant l’inactivité subite et totale, il se catapulta  à corps perdu dans l’informatique qu’il avait eu l’occasion d’aborder lors de la seconde partie de son métier de militaire. Alors que Vera  se lançait de son côté et de plus en plus dans la tricoterie laineuse et cotonneuse pour les habits  destinés aux petits-enfants issus de ses deux filles (car du côté de Jérôme il semblait y avoir du retard à l’allumage pour faire sauter la capsule), Antoine se procura tout le matériel le plus avancé et le plus performant pour sa nouvelle lubie et s’y attela derechef et séquence tenante, se découvrant une passion soudaine pour les réseaux sociaux et les blogs en particulier, ça c’est clarinette. Fallait le voir dès poltron minette, penché sur son clavier l’œil dérivé sur son écran, ses menottes fébriles parcourant toutes les touches à toute blinde et poussant parfois de petits cris d’orfèvre quand il tombait sur quelque chose qui lui bottait hihihihi han. Il avait instauré une sorte de rituel grâce au marque-pages de son moteur de recherche favori en démarrant par les favoris, journaux et revues d’abord, tous et toutes sauf « Le Figaro » (il ne pardonnait pas au canard la publication relatant une supposée faute grave, une « aventure » au cours de sa carrière) et « L’express » à cause du rédac’chef  à l’écharpe rouge qu’il trouvait braillard et prétentieux, ça c’est clarinette. Et puis après, place à la farfouille directement dans le tas tout azimut et vogue la galère. Sa frénésie ne connaissait pas de bornes, il sautait allègrement de l’un  ou l’une à l’autre avec gourmandise, étonnement ou dégouts (les révisionnistes, le déviationnistes, les intégristes, les pisse-froid, les pisse-copies et autres touche-pipi, les fétichistes et les bidouilleurs, les fous du roi et autres rois des fous, les cumulards et les canulars, les p’tits branleurs et les mal baisées, les empafés du paf, quelques anciennes vedettes siliconées, les machos bidon, les sportifs mégalos), il riait des hallucinations, démonstrations, affirmations ou négations, contradictions, persécutions, il pouffait face aux délires de jeunes fous ignorants ou de vieilles mémés émoustillées ou coincées mais sûres d’elles-mêmes et de leurs prétendus savoirs, aux coups de menton de certaines ganaches qu’il reconnaissait. Il commençait tôt le matin et finissait tard le soir, était réticent et renâclant quand Vera hurlait à table, quelquefois il repartait sur sa machine avant le dessert, il n’y avait plus de ouikainde, plus de ballades, de sorties ou de voyages et loupait volontairement les réunions d’anciens militaires, le bon temps c’était maintenant et c’était clarinette. Il devenait totalement accro et même un peu dingue.

Deux fois par mois, il consultait un site porno pour se prouver qu’il pouvait encore se mettre au garde-à-vous et présenter les armes rompez, pasque avec la Vera le temps n’était plus au beau fixe question ouinette, niet, cul tourné et porte close trop souvent pour un gros démarcheur de son acabit et de son gros mandrin. Il s’amusait des commentaires farfelus ou des assertions machiavéliques, des théories les plus absconses ou carrément débiles ? Antoine convenait qu’il lui était difficile de résister à la tentation (bien qu’il ne fut pas saint, hihihi) de se promener et de farfouiller dans le labyrinthe de la toile, il avait une conscience aigüe de son péché qu’il trouvait trop mignon et restait sourd aux critiques et injonctions ou sermons de son épouse, de ses enfants, de ses amis. Il avait découvert tout un monde nouveau pour lui à son âge et rien ni personne ne pouvait l’en distraire, c’était clarinette…

Et pour vous aussi, c’est clarinette ???

©  Jacques Chesnel, clarinettiste

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30/03/2013

L’ATTIRANCE

 

 Pendant qu’elle dormait paisiblement à côté de lui avec un léger ronflement qu’il trouvait plutôt amusant, Jérôme se demandait ce qu’il avait pu trouver à cette Muriel, sa compagne depuis maintenant cinq ans. Il se posait la question de l’attirance, cette force qui l’avait conduit à jeter son dévolu sur cette fille qu’il trouvait jolie sans plus, pas très maligne sans plus, un peu maniérée sans plus mais avec tellement de, comment dire, charme, oui un charme fou à ses yeux, à ses oreilles (quelle voix !), à son cœur qui cognait comme un fou. Il avait donc ressenti un irrésistible attrait pour cette grande gigue un peu trop dégingandée, qui lui souriait gentiment pendant qu’il lui faisait des yeux qu’elle repéra si doux, ça commençait bien. Maintenant, elle se retournait brusquement en lui donnant un léger coup de pied dans ce lit étroit pour personne seule. Il eut subitement envie de lui embrasser ce peton dont il avait déjà fait plusieurs fois le tour avec jubilation (fétichisme du pied ?, tiens !). Pendant longtemps Jérôme avait fonctionné sur le physique uniquement et avait obtenu de bons résultats autant que de cinglants échecs lorsqu’il était passé à la vitesse supérieure : les goûts et le couleurs, les affinités exposées ou secrètes une fois la séduction évacuée. Il repensait à la liste assez impressionnante de ses aventures sans lendemains pas plus loin que la semaine en cours, sur tant de désirs assouvis ou refoulés. Et puis Muriel s’était pointée sans prévenir, par surprise, par effraction, avec le choc qui s’ensuivit, boum. Il croyait pourtant être blasé, aguerri et suffisant du genre on ne me le refera plus, j’ai déjà payé et basta. Tenez, prenons le cas de Claire que certains d‘entre vous ont bien connue, elle était bien plus jolie que Muriel, bien plus intelligente, bien plus drôle, bien plus que cela et pourtant… Jérôme avait tout entendu, tout lu sur l’art de la séduction et de la stratégie des grands séducteurs, sur la signification du baiser, le rituel érotique, l’embrasement et l’embrassement amoureux, sur les phéromones, la passion son labyrinthe ou ses méandres, tout, mais il ne comprenait toujours pas cette fascination subite qu’il avait eue pour la personne qui ronflait doucement à ses côtés, il avait ressenti comme un appel, un signe, un déclic, un flash immédiat, une attirance foudroyante et non contrôlable. Ses parents lui avaient raconté leur première rencontre semblable à la sienne, il admirait la durée de leur amour, cinquante ans de mariage, il s’étonnait de les voir s’embrasser souvent, c’était, disaient-ils, un des clés de leur bonheur perdurant, s’embrasser pour un oui pour un non pour rien pour tout, n’importe où n’importe quand n’importe. Il avait essayé avec Muriel, attention on nous regarde, oh ça va pas non, c’est pas le moment, arrêteueu, mais têtu il s’était entêté et maintenant elle en redemandait, alors il ne rechignait pas, il y allait de bon cœur, à cœur joie, la cœur à l’ouvrage, à vot’ bon cœur m’sieur dame, elle répondait la diablesse comme maintenant tandis qu’elle dormait ou somnolait, elle lui donna une petite tape de remerciement, elle se réfugia et se lova dans ses bras murmurant d’une voix ensommeillée encore encore Jérôme embrasse-moi encore, il est quelle heure déjà c’est pas vrai…

-       Chéri, j’ai rêvé ou tu étais en train de m’embrasser ?

Et que croyez-vous qu’il fît, que croyez-vous qu’ils firent, que croyez-vous qu’ils font,

 là, tout de suite,  maintenant…


© Jacques Chesnel

11:03 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (0)

25/03/2013

UN PROBABLE DUO

 

A voir la façon dont elle regardait avidement le piano, puis ensuite quand elle pausa ses mains sur le couvercle pour l’ouvrir précautionneusement avec une sorte de gourmandise affichée dans ses yeux une fois assise sur le tabouret qu’elle avait rehaussé fermement, cette façon aussi de se jeter sur les touches d’un seul coup pour produire un unique accord somptueux qui fit pétiller ses yeux et frémir d’un léger spasme  son corps si gracile et tellement impatient, tout cela étonna et enthousiasma celui qui avait choisi un autre instrument moins encombrant, plus transportable, se promettant de lui faire une cour assidue pour former un duo original et qui émit brusquement un hoquet de surprise difficile à réprimer devant tant de grâce et d’énergie conjuguées. Il ne savait comment lui faire cette proposition car leurs univers musicaux étaient si dissemblables ainsi que les œuvres se rattachant à leur instrument respectif. Elle le regarda et lui demanda avec un sourire en coin si il aimait les pièces pour piano de Gabriel Fauré, vous connaissez ses Préludes… et les « voicings » de Bill Evans ?.

Il n’était pas peu fier de son biniou, pensez donc, un Buffet-Crampon acheté aux puces de Saint-Ouen, un basson peut-être des années 50 mais sans date précise de fabrication, état excellent, prix à débattre, il avait débattu et était reparti avec son trésor sous le bras. Commencée par la clarinette à cause de son admiration pour Sidney Bechet et Benny Goodman, sa carrière s’était poursuivie par l’étude du basson après avoir entendu Pascal Gallois interpréter les « Sequenza XII » de Luciano Berio et le jazzman Illinois Jacquet au Ronnie Scott’s Club de Londres. Sa réputation s’était affirmée après son adhésion à l’association « Les fous de basson » et sa performance remarquée au festival d’Angoulême. Aujourd’hui, devant cette charmante jeune femme, il se demandait si une collaboration, une association pourrait être envisagée, il y avait un répertoire, limité certes, mais on pouvait certainement proposer quelques chose de particulier, d’inédit, voire de sensationnel, notamment des compositions de leur cru, à elle, à lui, à…. Et vous, vous connaissez Sarabande et cortège de l’immense Henri Dutilleux ?

Les voilà donc tous les deux réunis par des amis communs dans ce vaste salon où trône un rutilant et piaffant grand Steinway et où il sort son basson de sa housse avec une extrême précaution. Ils se mirent d’accord sur la première pièce à interpréter, la merveilleuse Sonate pour basson et piano en sol majeur, op.168 de Camille Saint-Saens, continuèrent avec les Trois Pièces de Charles Koechlin. Ils se regardèrent en souriant, paraissant plutôt satisfaits du résultat étant données les difficultés surmontées et, suite à un regard complice, enchainèrent immédiatement une improvisation un peu dingue à partir d’un medley comprenant Les feuilles mortes et The Man I Love pendant une dizaine de minutes. A la fin, tous les deux partirent d’un énorme éclat de rire à la stupéfaction ou la perplexité des rares amis présents qui tous se posèrent cette question pour la suite : un probable duo ou improbable duetto ?

©  Jacques Chesnel

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17/03/2013

LA TROISIÈME FOIS

 

La première fois, j’ai rencontré mon espagnole Boulevard des Italiens, on s’est baladés dans Paris grâce à un taxi conduit par un chinois et sous une pluie battante nous sommes arrivés rue Serpente dans un restaurant grec. Toutes les tables étaient occupées par des personnes seules lisant le même journal dont nous n’avons pu voir le titre, il y avait cependant un brouhaha continuel, des conversations intérieures, les hommes plutôt débraillés étaient les plus nombreux, les femmes rajustaient constamment leurs robes avec prudence, quelques toux discrètes insolentes et isolées, la chaleur étouffante, les odeurs de cuisine en ballade, les pas endormis des serveurs sur un parquet mal ciré, il est treize heures vingt-huit à la pendule murale de guingois, deux éternuements saccadés, quelqu’un se mouche de traviole, un journal s’échoue lentement tandis que son lecteur ricane et que sa compagne renâcle fortement, un quidam entre rageusement, on ne sert plus à cette heure désolé, une petite fille dissimulée réclame les toilettes manman pipi t’as qu’à te retenir elle pleure, cette fois un client sort précipitamment, on le rappelle monsieur votre parapluie ah oui merci, maintenant on m’apporte l’addition que je n’ai pas demandée, heu vous prenez la carte bleue ?.

La deuxième fois, j’aurais aimé rencontrer mon italienne Boulevard des Espagnols ou dans la rue Goya sous un soleil éclatant mais ce fut rue Serpente en sortant d’un restaurant chinois quasiment vide à part les quelques serveurs âgés lisant des journaux aux titres différents, le silence était glacial, les mouches pouvaient voler malgré le souffle pénétrant de la climatisation ébouriffant les rares cheveux de la compagnie, on sentait un désodorisant permanent fort désagréable comme pour effacer la malpropreté invisible, quelques chuchotements de casseroles venus de la coquerie, un rire hennissant lointain vite réprimé, il n’est que douze heure vingt-huit signalées par un veille horloge branlante dans un coin, le service s’impatiente fébrilement car c’est bientôt l’heure de la fermeture et on ne paie pas les heures supplémentaires alors on s’affaire, la porte des toilettes claque trop fort, un petit garçon sort hébété et fait un pied de nez à la caissière plongée dans ses additions, le patron dit quel garnement et le papa hausse courageusement les épaules. Nous sommes sortis, maintenant il fait beau.

La troisième fois, il y a longtemps, j’ai rencontré une femme sur le Boulevard du Crime, c’était Garance dans Les Enfants du Paradis ; il y a toujours une troisième fois et c’est tant mieux car maintenant il n’y a plus pour moi  que le cinéma et peu de films comme celui-là,  un véritable chef-d’œuvre comme on n’en fait plus. Depuis Garance et moi, on ne s’est jamais quittés malgré les Baptiste, Frédéric, le comte de Montray, Lacenaire et autre Jéricho… comme quoi les rencontres, restaurant grec ou pas !.

©  Jacques Chesnel

12:33 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (3)