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01/04/2016

PAULINE, ça commence à bien faire

 

Elle s'appelait Colette. Elle avait choisi de changer son prénom de baptème après le premier baiser d'amour reçu à dix-huit ans et qui l'avait tourneboulée à jamais. Il se prénommait Paulin, elle n'avait pas pu l'oublier, alors le prénom….

Pauline est maintenant une vieille dame indigne de quatre-vingt sept ans et ressemble vraiment physiquement à Sylvie, l'actrice dans le rôle de Madame Bertini du film de René Allio qu'elle avait vu à sa sortie, s'était reconnue et avait dit oui c'est tout à fait moi. Depuis la mort de Georges, son mari, elle vivait seule dans la petite maison achetée près de la rivière où il aimait pêcher, elle ne voyait plus personne à part un couple de jeunes voisins qui eux non plus ne voyaient plus grand monde ; ils avaient sympathisé et la considéraient comme leur grand-mère alors qu'ils n'en avaient aucune et elle pas d'enfants ni de famille. Dans la maison Pauline vaquait aux ocuppations ménagères et le reste du temps radio le matin télé l'après-midi coucher tous les soirs après le journal de 20 heures parce qu'après y avait plus rien pour elle et que ça commence à bien faire.

Elle aimait la radio, toujours la même depuis tant d'années, Radio-Luxembourg ; elle appréciait la télé, toujours la même TF1 parce que c'était automatique quand on allumait le poste dans la cuisine qui faisait office de pièce de séjour. Elle avait prit l'habitude de parler souvent toute seule pour meubler le silence et commenter abondamment et ironiquement soit les réclames, soit les propos des présentateurs, chanteurs, vedettes, surtout ceux de dans le temps, avant les yéyés et leur musique de maigres, mais peu les politicards. Une légère perte auditive l'obligeait à se rapprocher du poste devant lequel Pauline pouvait rester des heures en tricotant pour le pétiot à venir chez ses gentils voisins. Jean-Paul lui reprochait souvent Madame Pauline pourquoi répétez vous tout le temps "ça commence à bien faire"… ah ben vous savez je ne m'en rends pas compte à mon âge et puis de toutes façons je vais vous dire ça commence à bien faire voilà. Elle comprenait rien à tous ces débats à la radio, à tous ces commentaires. Elle aimait bien Jacques Pradel qu'elle perdait pas de vue bien que la sienne baissait, n'entravait que couic à Alain du quelque chose qu'elle trouvait si énervé et énervant et ça commence à bien faire, elle dégustait Jean-Pierre Pernaud même s'il annonçait parfois de mauvaises nouvelles entre deux fabrications de fromages de chèvre alors là ça commence à bien faire ou les émissions de Nicolas Mulot, celles avec des animaux avec Boudegrain du bourg, regrettait les feux de l'amour surtout ceux de Dallas oh l'air couillon du gars avec son chapeau de cobaye et se perdait quelquefois avec l'inspecteur neuneu Derrick en changeant de chaîne même que ça commençait à bien faire avec tous ces cadavres tout partout. Pauline se demandant pourquoi on avait supprimé Fernand Raynaud avec son 22 à Asnières, Raymond Souplex et Jeanne Sourza, les cinq dernières minutes, Marcel Amont, Daniel Guichard et Isabelle Aubret parce qu'avec Sheila ça commence à bien faire. Pas du tout intéressée par la politique, Georges lui avait dit tous à mettre dans le même panier de cranes après son adhésion et sa démission du parti communisse, Pauline zappatait aussitôt, elle écoutait pourtant les déclarations du Président de la République par patriotisse et habitude à part ceux d'un grand hobereau prétentiard avec un nom à rallonge parce que là ça commençait à bien faire avec le camion de lait rue de Clichy et les bonsoir Badame au reboir, elle avait pleuré à la mort de la princesse la Ladydi qu'elle trouvait si gentille et tout ça à cause des papas rassis et leurs photos de la bagnole dans le tunnel ça commence à bien faire et les chapeaux de la Couine aussi mais toutes les fleurs à l'enterrement ça lui plaisait.

Maintenant elle bouge de moins en moins à cause des douleurs, alors Nadine la femme de Jean-Louis vient lui apporter de la soupe deux fois par semaine avec le pétiot qu'a maintenant onze ans, ellles causent un brin de tout et de rien et ça commence à bien faire n'est-ce pas. Pauline regrettait le temps des vrais films à la télé, ceux avec Bourvil et le petit qui bougeait tout le temps vous savez le Louis de quèquechose un peu corniaud ou Arsène Lupin et Robert Lamoureux avec son histoire de canard, maintenant il y avait toujours de la violence quotidiennement avec le gros Maigret, les inspecteurs Barnabête et Navarin, surtout ces feuilletontons américains qu'elle ne voulait plus regarder ou bien alors ces comiques pas drôles qui la faisaient pas rire en tapant sur les p'tits vieux ou les handicapés que ça commençait à bien faire avant que ça leur retombe sur la cafetière sans attendre et voilà.

Un soir, elle avait invité les gentils voisins à partager le repas du soir, on regardait la télé en mangeant quand on a vu et entendu un p'tit gars agité des épaules de partout dire comme ça tout d'un coup, l'environnement ça commence à bien faire, alors on a ri mais qu'est-ce qu'on a ri quand Jean-Louis a rajouté on dirait qu'il vous a entendu le monsieur ou bien qu'il copie sur vous, Madame Pauline.

Cette nuit, dans l'ambulance qui l'emmène à l'hôpital, Pauline dit dans un souffle pour la dernière fois à l'infirmier qui lui tient la main "cette fois je crois que ça commence à bien faire".

 

13:46 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (1)

Commentaires

Belle chute (si l'on peut dire)... En fait, il est difficile de se remettre du départ de Claire Chazal et bientôt de celui de Michel Drucker : les dimanches de la vie ne sont plus ce qu'ils étaient !

Écrit par : Dominique Hasselmann | 02/04/2016

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