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25/09/2016

LES MOTS DU MATIN

 

 

On se demande toujours comment et pourquoi cela arrive surtout quand on ne l’attend pas et on a beau chercher des explications, on est souvent bredouille et donc furieux. Ainsi, ce matin Jérôme se réveille à l’heure habituelle, regarde Muriel qui dort encore, alors il baille, beaucoup, et pète, un peu et prononce doucement : anaphore. Point d’interrogation, perplexité, incompréhension, késako ? : un nom (Anna Fort, vu/lu sa présence sur un blog littéraire) ?, une locution : âne à fort ? un mot compliqué peu employé sinon par des savants ?, une faute d’orthographe, une déformation involontaire de amphore, un a en moins, un m en trop ? ; un objet, une machine ???... bon c’est pas tout comme il aimait à le rappeler, on va voir sur le vieux dico ou sur internet dès que possible, parce que « anaphore » : inconnu au bataillon de la mémoire de Jérôme, principalement au réveil. Cela ne le quitte pas sous la douche, ni pendant le petit dèj’ avalé vite fait, qu’est-ce que tu as, tu fais la gueule, lui demande Muriel qui arrive toute ébouriffée et grognon plus que d’habitude et quand il lui dit anaphore elle lui répond arrête avec les nouvelles injures que t’inventes tous les jours t’es pas marrant enfin…

Bon, comme Monsieur Jourdain en son temps faisait de la prose sans le savoir, Jérôme pratiquait l’anaphore sans le savoir aussi et plusieurs fois par jour, c’était sa marotte involontaire ; il en usait et même en abusait un peu partout et souvent on s’en moquait gentiment surtout au bureau quand il prenait son air important. Il pensait maintenant qu’il aurait pu trouver un autre mot à ce réveil, des mots comme anableps ou anacoluthe ou anaglyphe mais encore anamnèse ou pire comme anaplasie ou encore hanéfite (quoique), il l’avait échappé belle. Il avait des collègues au bureau qui raffolait de ces jeux de mots, de ces exercices littéraires, certains pratiquant avec un peu de condescendance des mots d’esprit tels que l’épiphore ou le symploque, ma chère… Lui se souvenait à présent de Corneille et de son Rome, du Marcher de Victor Hugo, des vingt et trois du poème d’Aragon et aussi bien sûr du Général de Gaulle et son fameux Paris, Paris, Paris…

Alors il inventait des histoires, concoctait quelques calembours ringardos, composait des personnages pleins de ces tics plus ou moins littéraires mais surtout bien vaseux qui ne faisaient rire que lui, c’est déjà ça disait-il. Et puis, un autre matin, c’est Muriel qui prit le relais, sans prévenir : « mon chéri je vais te dire une bonne chose, mon chéri j’espère que tu ne m’en voudras pas, mon chéri si tu continues à me gonfler avec tes conneries, mon chéri je prendrais une décision, mon chéri j’irais me pieuter sur le divan du salon, mon chéri je te laisserais seul avec ton anaphore ou anasanfort, mon chéri pasque tu me les casses sérieusement, mon chéri alors te voilà prévenu, mon chéri prends garde sinon je me tire du pageot définitivement… mon chéri… et là Jérôme se dit que la prochaine fois faudra faire attention à fermer ma gueule… putain d’anaphore !!!.

 

 

 

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12/09/2016

ET UN PEU DE FUMÉE S’ÉLÈVE

 

Elle n’est pas encore apparue, et pourtant c’est l’heure habituelle… ou bien c’est moi qui suis en avance ou bien c’est elle qui est en retard. Tous les matins entre huit heures et huit heures quinze environ, je l’attends pendant que je prends mon petit déjeuner en jetant un œil par ma fenêtre sur son balcon de l’autre côté de la rue. C’est devenu un rite plus qu’une accoutumance et on dirait qu’elle est complice involontaire de ce qui pour moi se définit aussi comme un jeu. Il n’y a pas longtemps qu’ils habitent cet appart’ dans cette résidence plutôt luxueuse, ce sont deux nouveaux arrivants, des étrangers chuchotent mes voisins avec un air de savoir, un jeune couple à ce que j’en peux juger. Je regrette parfois de ne pas avoir une paire de jumelles mais je répugne à être un voyeur et donc j’en suis réduit à une supposition partielle sur son physique : elle n’est pas très grande, elle est brune aux cheveux mi-longs et toujours bien habillée, surtout avec sa longue robe rouge moulante ou la mini-jupe blanche avec un t-shirt noir et une ceinture dorée qui scintille. A l’heure où elle se décide enfin à sortir sur son balcon pour fumer sa première cigarette, il y a d’abord le reflet du ciel dans la vitre de la porte-fenêtre (de ce que je suppose être le séjour) qui s’ouvre et un peu de fumée s’élève aussitôt dans la fraîcheur du matin. Elle se penche quelques secondes sur la rambarde pour regarder la rue puis elle va s’assoir sur une chaise de jardin en fer forgé à l’ancienne devant une petite table sur laquelle se trouve un cendrier qu’elle alimente régulièrement d’un beau geste élégant du bras, de la main et du doigt, la jambe droite croisée sur la gauche, toujours. Elle fume lentement avec une sorte d’application sereine. Quelque fois, son compagnon la rejoint, alors il reste debout, adossé au mur, allume lui aussi une cigarette ou une pipe et ils restent ainsi sans apparemment se parler ou alors peu.

Ce matin, je termine mon repas, j’éteins la radio des mauvaises nouvelles et me prépare à quitter la table quand le reflet dans la vitre surgit comme un éclair sans qu’une fumée apparaisse et c’est lui qui sort de l’appartement, lentement. Il va s’asseoir à la place qu’elle occupe habituellement et là reste comme prostré. Je vais ouvrir ma fenêtre, pas un bruit dans la rue, au lointain le ronron d’un avion, il commence à pleuvoir dans la douceur matinale. Et…

Dénouement :

. Heureux : Elle sort enfin, calmement, dans ce qui semble être une longue chemise de nuit rose, une cigarette à la bouche, elle s’accoude à la rambarde du balcon, regarde fixement son compagnon un long moment, puis s‘approche de lui et là elle ôte lentement son léger vêtement, elle est maintenant nue et lui montre son ventre avec un immense sourire, alors il se lève, l’enlace et ils se mettent à crier en dansant comme des fous sur le balcon… tandis qu’un peu de fumée s’élève de la cigarette qu’elle avait jetée sur le trottoir.


. Tragique : Elle sort enfin, en trombe, dans ce qui semble être une nuisette bleue, une cigarette dans la main, elle s’approche de la rambarde du balcon, elle l’enjambe, ne prononce aucun mot ni aucun cri et saute dans le vide comme un oiseau blessé devant son compagnon qui n’a pas bougé. Tombé du troisième étage, le corps de la très jeune femme est maintenant recroquevillé/disloqué sur le trottoir, elle doit être morte sur le coup . A ses côtés, une cigarette se consume lentement… et un peu de fumée s’élève…

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02/09/2016

UN GROS POISSON

 

Cette nuit-là, les deux hommes pénétrèrent calmement dans le bureau du sénateur Plumier-Dalbret, allumèrent la lumière et se dirigèrent vers le tableau de Modigliani (un faux) derrière lequel se trouve le coffre-fort qu’ils ouvrirent connaissant la combinaison et, parmi plusieurs dossiers, retirèrent celui portant l’inscription « XBC31-15 ». Ils étaient manifestement bien renseignés, le boulot donc facile. Les deux hommes repartirent aussitôt en oubliant d’éteindre la lumière, une faute.

Albéric Plumier-Dalbret était sénateur depuis une trentaine d’années (comme le furent tous les hommes de sa famille nombreuse qui croyaient que c’était une profession autant qu’un honneur). Âgé maintenant de 64 ans, il cumulait avec satisfaction bien des postes plus ou moins honorifiques qui suffisaient à la haute opinion qu’il avait de lui-même : Président de ceci, Membre honorifique de cela…, bienfaiteur de… ; physiquement, il ressemblait à un de ces sénateurs de la 3ième République ventripotents dont on rit quand les voit dans les vieux films. Il enrageait de ne pas avoir été nommé ministre et vouait pour cela une haine profonde à Raymond Barre. Dans son département agricole, il défendait la culture intensive et était donc combattu par les écologistes. Louvoyant plus ou moins habilement, il avait fait parler de lui pendant la COP 21 sur laquelle il ricanait, se contredisait, finassait, son gros cul entre deux positions inconfortables qui agaçaient les plus virulents tenants d’une agriculture raisonnée et principalement bio. C’est alors que les avertissements, les sous-entendus, les menaces firent leurs apparitions dans la presse et sur la place public, les lettres personnelles de dénonciation commencèrent à arriver chez lui. Plus il en arrivait, plus il fanfaronnait, signe visible qu’il commençait à être soucieux sinon inquiet. Il se vantait d’avoir beaucoup d’amis mais ceux-ci étaient moins nombreux que ses ennemis dont il ne disait mot, il n’osait en connaître la quantité et les qualités. Son ménage (de circonstance avec Constance de) battait de l’aile depuis longtemps, plus de trente ans, il était cocu jusqu’à l’os, alors il se contentait de poulettes à deux balles vite-fait mal-fait quand « se vider les burnes », disait-il, devenait une nécessité, deux à trois fois par mois, quatre les années « bisextiles » dans un petit pied-à-terre où il prenait péniblement son panard peu vaillant.

 


Les prises de positions, les postures et impostures de M. le Sénateur commencèrent à en agacer plus d’un et cela s’envenima plus rapidement que prévu. Les lobbies accentuèrent leurs pressions, les détracteurs décidèrent de déclarer une sorte de guerre sans merci dans laquelle tous les moyens seraient bons à employer. Une vraie cabale anti Plumier-Dalbret vit ainsi le jour et les complots, commissions, factions et exactions commencèrent leur œuvre de destruction massive. C’est ainsi que plusieurs comités et associations envoyèrent les deux hommes sûrs de leur coup faire razzia, dans le bureau qu’ils connaissaient, sur les documents compromettants et qu’ils dérobèrent le fameux dossier au titre énigmatique « XBC31-15 ». Fiers de leur exploit et de leur butin, ils ouvrirent le dossier au cours d’une réunion mémorable : au lieu de ce qu’il recherchait, c’est-à-dire les connivences avec certaines organisations nocives, ils furent surpris de ne trouver… que des photos de pédopornographie, images ignobles et dégradantes en quantité suffisante pour le compromettre sur un sujet auquel ils ne s’attendaient pas (quoique…). Le gros poisson était tombé dans une autre sorte de filet… un mauvais coup de filet, pour un gros poison.

 

 

 

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