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06/04/2013

LE FARFOUILLEUR

 

Quand Jérôme parlait de son père avec Muriel, il était intarissable, avec tellement de sujets, d’histoires, de souvenirs réels ou rêvés. Voilà un de ces songes d’une nuit d’été particulière sans rapport avec la réalité :

 Antoine Branlon-Lagarde avait d’abord la particularité d’être né le 14 juin 1940, le jour de l’entrée dans Paris des troupes allemandes, il était fier que son premier cri soit considéré comme un signe de révolte contre cette infamie : il avait déjà décidé de sa future carrière de général dans l’infanterie pour repousser cette horde de barbares, c’’était clair et net. A ce propos, il prononçait (volontairement ou non, on ne l’a jamais su ni oser lui demander) cette expression de la façon suivante : « c’est clarinette », donc ne soyez pas surpris si cela revient assez souvent. Rien ne semblait le destiner à cette vocation urgente, rien dans la famille Branlon, qui s’était associée à la famille Lagarde depuis le milieu du XIXième siècle, ne le laissait prévoir, si ce n’est un fort sentiment patriotique exprimé si tôt, c’est clarinette. En 1963, il avait épousé Vera, la fille d’un amiral russe, Fédor Krapouchik, né le lendemain même de sa propre arrivée dans ce monde, ils étaient connus à un bal à Saint-Pétersbourg (il disait en blaguant : le saint pète et s’bourre), ils avaient eu trois enfants, deux filles et Jérôme le petit dernier, fruit d’un retour de flamme et d’un oubli de pilule contraceptive. Ils formaient un couple heureux et sans problèmes. Et la vie commune s’était déroulée sans histoire jusqu’à sa retraite en 2010 car il avait rempilé un peu. .Et c’est là que tout a basculé, c’est clarinette.

 Complètement désœuvré et assurément paumé devant l’inactivité subite et totale, il se catapulta  à corps perdu dans l’informatique qu’il avait eu l’occasion d’aborder lors de la seconde partie de son métier de militaire. Alors que Vera  se lançait de son côté et de plus en plus dans la tricoterie laineuse et cotonneuse pour les habits  destinés aux petits-enfants issus de ses deux filles (car du côté de Jérôme il semblait y avoir du retard à l’allumage pour faire sauter la capsule), Antoine se procura tout le matériel le plus avancé et le plus performant pour sa nouvelle lubie et s’y attela derechef et séquence tenante, se découvrant une passion soudaine pour les réseaux sociaux et les blogs en particulier, ça c’est clarinette. Fallait le voir dès poltron minette, penché sur son clavier l’œil dérivé sur son écran, ses menottes fébriles parcourant toutes les touches à toute blinde et poussant parfois de petits cris d’orfèvre quand il tombait sur quelque chose qui lui bottait hihihihi han. Il avait instauré une sorte de rituel grâce au marque-pages de son moteur de recherche favori en démarrant par les favoris, journaux et revues d’abord, tous et toutes sauf « Le Figaro » (il ne pardonnait pas au canard la publication relatant une supposée faute grave, une « aventure » au cours de sa carrière) et « L’express » à cause du rédac’chef  à l’écharpe rouge qu’il trouvait braillard et prétentieux, ça c’est clarinette. Et puis après, place à la farfouille directement dans le tas tout azimut et vogue la galère. Sa frénésie ne connaissait pas de bornes, il sautait allègrement de l’un  ou l’une à l’autre avec gourmandise, étonnement ou dégouts (les révisionnistes, le déviationnistes, les intégristes, les pisse-froid, les pisse-copies et autres touche-pipi, les fétichistes et les bidouilleurs, les fous du roi et autres rois des fous, les cumulards et les canulars, les p’tits branleurs et les mal baisées, les empafés du paf, quelques anciennes vedettes siliconées, les machos bidon, les sportifs mégalos), il riait des hallucinations, démonstrations, affirmations ou négations, contradictions, persécutions, il pouffait face aux délires de jeunes fous ignorants ou de vieilles mémés émoustillées ou coincées mais sûres d’elles-mêmes et de leurs prétendus savoirs, aux coups de menton de certaines ganaches qu’il reconnaissait. Il commençait tôt le matin et finissait tard le soir, était réticent et renâclant quand Vera hurlait à table, quelquefois il repartait sur sa machine avant le dessert, il n’y avait plus de ouikainde, plus de ballades, de sorties ou de voyages et loupait volontairement les réunions d’anciens militaires, le bon temps c’était maintenant et c’était clarinette. Il devenait totalement accro et même un peu dingue.

Deux fois par mois, il consultait un site porno pour se prouver qu’il pouvait encore se mettre au garde-à-vous et présenter les armes rompez, pasque avec la Vera le temps n’était plus au beau fixe question ouinette, niet, cul tourné et porte close trop souvent pour un gros démarcheur de son acabit et de son gros mandrin. Il s’amusait des commentaires farfelus ou des assertions machiavéliques, des théories les plus absconses ou carrément débiles ? Antoine convenait qu’il lui était difficile de résister à la tentation (bien qu’il ne fut pas saint, hihihi) de se promener et de farfouiller dans le labyrinthe de la toile, il avait une conscience aigüe de son péché qu’il trouvait trop mignon et restait sourd aux critiques et injonctions ou sermons de son épouse, de ses enfants, de ses amis. Il avait découvert tout un monde nouveau pour lui à son âge et rien ni personne ne pouvait l’en distraire, c’était clarinette…

Et pour vous aussi, c’est clarinette ???

©  Jacques Chesnel, clarinettiste

13:25 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (2)

Commentaires

C'est bien agréable de... farfouiller sur votre blog !

Écrit par : Dominique Hasselmann | 08/04/2013

... de se balader sur le vôtre également... @ +

Écrit par : Jacques Chesnel | 09/04/2013

Les commentaires sont fermés.