Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

20/10/2013

EMPOIGNADE (Hommage à Dubout)

 

Je n'aimais pas du tout la tournure que prenait la conversation, pas du tout, il me semblait qu'il y avait des limites à ne pas franchir et certains avaient l'air de ne pas vouloir en tenir compte. Il y avait un tel barouf, un si réactif boucan, une immense cacacophonie, un brouhaha ah ah immense, un furieux tintamarre, on n'arrivait plus à s'entendre, ni à s'écouter parler, un comble ! De temps en en temps, quelqu'un hurlait plus fort STOP et après un millième de seconde cela repartait de plus belle. Un petit chétif se leva et se fit rasseoir illico bouge pas mon gars, un grand balèze se mit debout et se replia sur lui-même bouge pas mon gars, un troisième du genre fluet éternua et se fit moucher ta gueule mon gars, un autre péta plus haut que son cul ferme-la mon gars, la grosse Simone dit zut, le gringalet grogna crotte et patati et patata et pataquès vociféra le reste de l'assemblée. Comment cela avait-il commencé, personne n'aurait pu le dire : peut-être par Quentin en tant que tel, par Guillaume qui ramène sa pomme sans arrêt, par Clément le maraudeur des mots, par Léon le roi de la frite verbale, par Cyril et son alphabet bizarre, Maurice et ses rimes riches, Jérôme le vrai môme, Charles qui parle pour ne rien dire, tous prêts pour un vrai ramdam avant pendant ou après le ramadan, apôtres du chambardement, hurluberlus du chahut cru et du tohu-bohu velu, houspilleurs de hourvari, tous d'accord-raccord pour dégainer plus vite que la parole, à sortir le couteau des mots et des maux, à lever l'étendard de la parlote et du verbe haut... Et cette fois, quel avait été le sujet de ce débordement à la Guy Debord à bâbord et tribord, on aurait mis chacun dans l'embarras car tous les sujets possibles avaient été abordés par-dessus bord et personne pour mettre le holà ou faire la ola de rigueur. Il y a eu une brève seconde de silence quand, à la télé restée allumée, le spiqueur annonça la victoire de l'équipe locale de foot par 4 à 0 OUAIS, c'était pour repartir de plus belle, de plus en plus fort de plus en plus plus en plus, jusqu'au bruit inhabituel dans ces circonstances : une gifle, signal du démarrage avec rage d'une giflitude collective prenant de l'ampleur dans l'amplitude et l'ampliatif... C'est alors que l'accorte et forte Simone qui s'était discrètement repliée avec la forte détermination qui la caractérise en roulant les épaules qu'elle avait débordantes, revint de la cuisine avec un plateau chargé de chopes de bière à la munikoise et beugla d'une voix de stentor et avec emphase :

QU'ON SE LE DISE, BORDEL, MAIS YEN AURA PAS POUR TOUT L'MONDE...

Excusez-moi, je vous laisse deviner la suite.... agitée.


© Jacques Chesnel

14:35 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (2)

16/10/2013

DEUX FENÊTRES

 

Il y a des fenêtres qu’on regarde sans les voir. Il y en a tant, pourquoi celles-là ?, ces deux là ?

JOUR

Chaque fois que mes yeux se posent sur cette fenêtre, volontairement ou par mégarde en regardant ailleurs, je perçois comme un frémissement derrière le rideau qui bouge insensiblement, comme un déplacement furtif de quelqu'un qui, derrière, subrepticement, ne veut pas se faire voir me regardant, moi... ou bien est-ce une illusion, un mirage. Carrée d'un 60 x 60 standard avec châssis en aluminium, cette ouverture est située au dernier niveau de cet immeuble typique de l'architecture des années 70 ou l'architecte dessinait d'abord les façades quitte à négliger une distribution des pièces intérieures abracadabrantes. Derrière le verre, un voile léger, discrètement opaque, quelquefois une légère aura de lumière même en plein jour. Ce léger tremblement de rideau était-il le fait d'une personne ne voulant pas se montrer ou bien quelque mouvement volontaire ou non, d'un enfant pour un jeu, d'un animal, chat malicieux ou queue agitée d'un grand chien ou...  Je ne cessais de me poser ces questions, ma curiosité étant à son comble parce que cette légère vibration, ce minuscule remous semblait se manifester à chaque fois que mon regard se dirigeait vers ce carreau singulier... ou bien était-ce, une illusion, un mirage. Je connaissais de vue la plupart des occupants de cet immeuble, croisés sur le parking ou rencontrés lors de la fête des voisins. Personne ne me semblait être celui ou celle qui jouait à cache-cache avec mon indiscrétion secrète. Mais...

 

NUIT

Il y a longtemps que j'avais découvert cette petite rue, plutôt ruelle, dans le vieux quartier de ma ville, celui épargné par les bombardements de la guerre. J'aimais m'y promener de temps en temps pour retrouver sans nostalgie mais avec un petit pincement au cœur les moments de mon adolescence au cours de laquelle j'avais connu mes premiers émois amoureux avec de chastes ou parfois fièvreux baisers des fiancées d'un jour ou d'une semaine. J'avais repéré cette vieille maison de grosses pierres mal jointes avec seulement une porte et une petite fenêtre carrée, son châssis en bois avec ses persiennes peintes d'un bleu délavé. Chaque fois que mes pas se dirigeaient instinctivement vers la bâtisse, le rideau de dentelles ou de macramé marquait comme une oscillation, un frissonnement faisant se mouvoir les motifs décoratifs de la tenture à l'ancienne. J'étais resté quelque fois en observation mais personne ne s'était manifesté... était-ce une illusion, un mirage ou une chimère?. Je suis revenu récemment  dans ce quartier, la masure avait disparue avec d'autres, faisant place à cet immeuble typique de l'architecture d'aujourd'hui où l'on se préoccupe autant du confort de l'habitant que de l'esthétique extérieure. Je revins dépité, sans véritable amertume mais avec le regret des baisers volés aux fiancées oubliées ou encore présentes dans ma mémoire. Rentré chez moi, je me dirigeai vers ma fenêtre pour voir celle d'en face où je constatai pendant de longues minutes que rien ne bougeait en ce moment, pendant de longs moments.

Et si derrière le voile se tenait cachée une mes anciennes petites amoureuses de cette petite rue, ruelle plutôt, elle, discrète, me sachant revenu de ce voyage évoquant une jeunesse lointaine. Et si...


© Jacques Chesnel

18:10 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (3)

02/10/2013

LES CHÉQUES & MAT

 

 

Nous informons notre aimable clientèle que n’acceptons plus les chèques

NOUS N’ACCEPTONS PLUS LES CHÉQUES !

C’est en faisant le plein de carburant à la station-service près de chez lui que Jérôme lut avec surprise cette information et qu’il pensa aussitôt que lui par contre n’acceptait pas l’échec suite au licenciement qui venait de ruiner ses espoirs de s’en sortir après tant d’années de galère dans cette banque de merde et qu’il n’allait pas l’afficher partout à la vue de tout le monde. Il se remémorait plusieurs affaires identiques, ce qui était insuffisant  pour le consoler. Il n’était pas allé mettre une note du même genre sur la porte du bureau de son chef de service avec un nous n’acceptons plus les mises à la porte pauv’con, non, il avait seulement pensé à balancer une magistrale paire de baffe dans sa gueule de raie pas nette (la raipanette), il avait mimé le geste peu aimable, vous auriez vu la bobine du gus avec son bras levé pour se protéger malgré tout ne me fra fra frappez  hein ? tiens paf paf deux fois dugland alors tu gueules pas nous n’acceptons plus les paires de gifles… et puis tant qu’on y est est-ce qu’on ne va pas aller placarder nous n’acceptons plus vos augmentations du prix des carburants injustifiés sur les murs de la société GLOBAL avec son pdg tête-à-claques et sa moustache en balai-brosse à la con (encore un paf paf). Au moment où un peu partout souffle dans le monde un vent de rébellion souhaitable et souhaité, Jérôme pensait que ce serait bien de se trimballer avec des pancartes NOUS N’ACCEPTONS PLUS L’ÉCHEC, il s’imaginait la tronche de politiques, la bouille des p’tits vieux, la trogne des syndicalistes que Jérôme aimait bien pourtant mais qu’il trouvait vraiment tous couilles momolles raplapla planplan. Imagine, disait-il à une Muriel médusée comme un radeau, des centaines, des milliers de panneaux, pancartes, écriteaux, banderoles et bannières, prospectus, tracts, réclames de tous formats les plus grands de toutes les couleurs, les enfants avec des T-shirts et des p’tits shorts, les ados avec blousons ou minijupes, les bourges en loden vert et jupe plissée, les bonnes sœurs extasiées, les curés emballés, les footballeurs déniaisés, les commerçants souriants (denrée rare), tout un monde en liesse et en verve brandissant, arborant, agitant, exhibant, déployant, hissant haut les pavillons de la révolte NOUS N’ACCEPTONS PLUS L’ÉCHEC… putain, c’est le grand soir, enfin, la délivrance, la fin de l’esclavage, le monde nouveau est devant nous, allons zenfants, il est revenu le temps du muguet, le soleil se lève au beau fixe… et Jérôme se réveille avec un grand sourire, celui qui fait craquer sa Mumu qui alors prend délicatement son cher et beau zizi encore assoupi dans sa menotte droite si délicate et experte et qui lui murmure à l’oreille d’un ton néanmoins impératif:

JÉRÔME CHÉRIIIII, NOUS N’ACCEPTONS PLUS L’ÉCHEC !


©  Jacques Chesnel

18:48 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (3)

27/09/2013

LA TENTATION DE DENISE

 

Depuis le temps qu’elle le savait.

Elle n’avait jamais su résister aux tentations et même à LA tentation chère à Oscar Wilde, et ce depuis son enfance, pour le meilleur quelquefois, pour le pire plus souvent, mais on ne se refait pas et on laisse les choses se faire et se défaire de façons rédhibitoires. Elle nous racontait toutes ses aventures (mes aventures aventureuses disait-elle) sans vergogne, sans pudeur, sans sans quoi. Tout ou presque y était passé, avec les hommes, les femmes, les amis, les ennemis, les connus ou inconnus, dans toutes les circonstances comme avec Constance (son plus bel exemple qu’elle gardait secret tout en le racontant à tout le monde car elle n’y voyait aucun mal à ses yeux qu’elle avait rieurs). La phrase qui avait tout provoqué remontait à sa période catéchisme quand elle avait entendu par le curé qui était beau comme un dieu qui n’était pas le sien : « ne pas succomber à la tentation et délivrez-nous du mal » tu parles pour le mâle avec tous ses copains qui faisaient à la sortie de la sacristie, déjà pour les qualités de ses manipulations savantes à la Irina Palm. Plus tard, ce fut la bouffe, la grande et la petite, surtout la grande, tout compris, d’abord le salé, le pré-salé, le tout-salé, le sur-salé, le laisser-salé, puis le sucré tout le sucré sauf les fraises que natures, casser du sucre, faire sa sucrée, ensuite les fringues, les fripes, les nippes, les affutiaux et  autres souquenilles, tout le saint-frusquin, que des frusques et des frasques, rien que de la belle sape de classe … Les tentations sont devenues de plus en plus fortes avec force tentatives restées infructueuses, se faire toujours alpaguer par des charmes trompeurs qu’on appelle blandices, irrésistibles à un tel point qu’il lui fallut consulter un spécialiste en spécialités tentaculaires autrement dit un charlatan qui ne résista pas à la tentation de lui proposer cinq séances inutiles à deux cents euros chacune, elle ne résista pas à l’attrait de lui balancer une bonne beigne dans la tronche agrémentée d’un sévère coup de pied rapide au cul qu’il avait opulent avant et au pus lent après.  Bien sûr, il y a eu d’autres tentations, des désirs avoués, des appels inavoués, quelques aiguillons désavoués dont on ne va pas ici faire la liste. Non. Par contre, dire le bouleversement de Denise lorsqu’elle prit connaissance dans une librairie d’un livre intitulé « La tentation de Venise » écrit par un homme politique, un ancien sinistre au crâne d’œuf et à la suffisance hautaine reconnue. Elle crut d’abord que c’était une faute de frappe que l’éditeur n’avait pas vue, pour elle la tentation était la sienne, celle de Denise, connard, de personne d’autre, compris ?. Curieuse, elle se renseigna et apprit que cette expression avait une signification particulière : « la tentation de se consacrer à autre chose, de changer de vie », tu parles !. Denise connaissait les autres tentations célèbres à commencer par celle de Saint-Antoine racontée par Flaubert, celle de Faust par Goethe, mais tout ça n’expliquait pas pourquoi Venise et pas Tombouctou ou Champ-du-bout, why not Fenise ou même Menise et Penise pendant qu’on y était et puis toutes ces tentations-là à Venise ou ailleurs étaient de la roupie de sansonite, du pipi de matou, du bluff, du bidon, de la frime à côté de celles de Denise qui s’exclama un jour, furieuse et enjouée tout à la fois : « ça ne m’empêchera pas d’aller y faire un tour en gondole à cette Venise, histoire de se gondoler, ah mais ».


©  Jacques Chesnel

 

13:10 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (2)

20/09/2013

CHRONIQUE CD

 

GREGORY PRIVAT / TALES OF CYPARIS

GREGORY PRIVAT (comp, arr, p, Fender Rhodes, Wurlitzer), MANU CODJIA (g), JIRI SLAVIK (b), ARNAUD DOLMEN (ka), SONNY TROUPÉ (dm, ka), ADRIANO TENORIO (DD perc)… invités GUSTAV KARLSTRÖM (voc), JOBY BERNABÉ (voc), QUATUOR A CORDES.

1/ Four Chords  2/ Ritournelle  3/ Phinéas  4/ Barnum Circus  5/ Cyparis intro  6/  Cyparis  7/ Lari-A  8/ Precious Song  9/ Wake Up  10/ Ti Sonson 11/ Carbetian Rhapsody  12/ Far From SD  13/ An Bel Lanmen  14 /Four Chords

Enregistré en juin 2013   Plus Loin Music PL4561 (abeille musique)

Ii était une fois une légende , une belle histoire, celle de Cyparis « un nègre de la plus pure espèce, le grand brûlé miraculé Cyparis transfuge de l’enfer rescapé de laves et de cendres unique survivant d’un déluge volcanique dans une île coloniale appelée Martinique » (paroles de (et exprimées) par le poète Joby Bernabé dans 3/ Phinéas). Il était une fois un pianiste et compositeur originaire de la même île, Gregory Privat, pour proposer une illustration musicale et poétique de cette histoire. 

Nous avions déjà salué le talent de ce pianiste pour son premier album Ki Koté dans lequel il perpétuait tout en la renouvelant la biguine jazz mêlée à d’autres influences dont la musique cubaine et le jazz post-bop. Nous avions apprécié, et goûtons encore plus ici, un toucher pianistique d’une grand sensibilité, un phrasé aérien, une aisance et une générosité qui sans avoir recours à la démonstration sont les caractéristiques d’un pianiste d’un incontestable talent. Le déroulement de l’histoire se fait en plusieurs moments de grâce (violence et tendresse alternées) allant du trio au quartet avec guitare (et quel guitariste, Manu Codjia) en passant par l’adjonction d’un quatuor à cordes de conception classique et les voix graves et éloquentes de Gustav Karltröm et Joby Bernabé. Il réussit, à partir d’une histoire d’une poignante tristesse à faire une homélie d’un rare pouvoir émotionnel.

Incontestablement, l’une des plus belles surprises de cette rentrée discographique.

Jacques Chesnel

 

17:14 Publié dans Musique | Lien permanent | Commentaires (0)

18/09/2013

LES CLENCHEURS

 

On en apprend tous les jours, air connu. Ainsi, il y aurait une nouvelle forme de cambriolage avec une nouvelle race de malfaiteurs appelés les « clencheurs ». Ces cambrioleurs d’un genre différent opèrent ainsi : en zone rurale à chaque pavillon individuel ou en zone urbaine après s’être introduit dans un immeuble, ils vont à toutes les portes, frappent doucement d’abord, appuient sur la poignée de la porte d’un logement et si celle-ci n’est pas verrouillée commettent leurs larcins, vols opportunistes donc sans effraction, souvent quand les occupants sont en train de regarder la télé ou bien tondre la pelouse ou autre joyeuseté. C’est ce que racontait Jérôme à Muriel avant d’aller se coucher et de vérifier si tout était dans l’ordre comme d’habitude. T’as bien fé-mé le vé-ou, brailla Muriel tout en se colgatisant furieusement les dents ; voui répondit Jérôme en se grattant le derrière d’un air rassuré. On en avait parlé dans tous les journaux et un grand vent d’inquiétude s’était abattu sur les esprits, notamment les personnes âgées comme les parents de Muriel complètement paniqués. Cela avait déclenché des réactions diverses allant jusqu’à envisager de ressortit les fusils ou de constituer des milices ou brigades de surveillance.

Le lendemain matin au réveil, Jérôme lança un je vais acheter le journal pour voir et s’aperçut que contrairement à ce qu’il croyait le verrou n’était pas mis, bordel de merde on avait dormi dans l’insécurité totale et aucun clencheur, ah les cons, n’en avait profité. Il ne dit rien à Muriel car cela aurait déclenché une belle dispute de trop car en ce moment… Au bureau, c’était la conversation principale autour de la machine à cacafé, on allait voir ce qu’on allait voir on a n’allait se faire marcher sur les arpions impunément, c’était la révolte, pire une rébellion, une mutinerie, non sire une révolution, aux armes citoyens. Dans les propos entendus, Jérôme fut plus que choqué lorsque le mot tzigane revint le plus souvent, tous ces roms, ces étrangers voleurs de poules dont les hordes envahissent par milliers notre belle France. Il pensa aussitôt à Django Reinhardt dont il venait de se payer l’intégrale en CD suite à l’histoire de sa vie racontée par Charles Delaunay ; il se demandait si ces excités n’auraient pas foutu le feu à sa roulotte une deuxième fois ?. Révulsé, il enclencha la surmultipliée, leur fit un doigt d’honneur et d’horreur gros comme la statue de la Liberté ce qui lui valut des réponses avec force majeurs frappés sur leurs têtes de nœud toc toc toc. En rentrant, Jérôme dut sonner plusieurs fois car la Mumu avait bien enclenché au triple tour d’écrou le gros verrou, il se remit pour la cent millième fois la séance de Django à la guitare électrique en compagnie de Martial Solal en 1952 et décida sur le champ que dorénavant, pour narguer tous ces trous du cul, il ne mettrait par ce putain de verrou, on verra bien. Aux dernières nouvelles, les clencheurs ne sont toujours pas venus rendre une petite visite à nos amis.

Jérôme est sûr que quelque part Django veille sur eux. « T’es sûr » lui demande souvent Muriel.

©  Jacques Chesnel

20:52 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (0)

10/09/2013

DÉRÈGLEMENT MOMENTANÉ

 

Après plusieurs rencontres avec le grand type, on en était toujours au même point. J’avais donc appris que ce personnage, Rodolphe, était le professeur de yoga et de tai chi de ma Muriel, mais étant de nature fouinard, j’aurais aimé en savoir davantage en avantages. Nous avions pris rendez-vous avec lui un soir dans un restaurant bio que nous fréquentions plus ou moins assidûment. Dès son entrée, son comportement apparut étrange à nos yeux et à ceux de l’assistance. Il pénétra dans le lieu, jeta un coup d’œil circulaire rempli d’inquiétude et ressortit aussitôt pour rentrer de nouveau précipitamment. Il nous vît ou sembla nous voir car il alla s’asseoir à une table vide non loin de la nôtre, puis se leva et vint à notre encontre un grand sourire pitoyable aux lèvres. Il ôta son chapeau avec un geste cérémonieux et baisa la main de Muriel plutôt stupéfaite et dit : « je suis en retard mais en avance sur le temps, n’est-ce pas ». Nous ricanâmes de concert et il s’assit en remettant son galurin à larges bords de traviole, on était bien avancé. « Je suis venu hier comme convenu mais vous n’étiez pas là alors j’en ai conclu à fortiori que voilà» affirma-t-il avec sérieux mais avec un pétillement dans ses yeux que Muriel trouva plus globuleux qu’à l’habitude pendant ses cours du soir. Il avait une voix de cibiche bien qu’il ne fumât point ou une voie de garage bien qu’il ne possédât pas de tire, me confia Muriel dans un souffle. On se demandait si c’était du lard de l’art ou du cochon alors qu’on en était au tofou à la basquaise et lui qui n’avait rien commandé de sérieux. Et pour Monsieur ce sera interrogea la petite serveuse bretonne si mignonne avec sa queue de cheval qui s’appelait Rose et qu’on appelait Bonbon. Rodolphe la regarda comme s’il voyait un extra-terrestre et répondit qu’il avait déjà mangé alors vous voyez mais que cela lui coupait l’appétit bien qu’il eût faim à cette heure tardive. Nos regards stupéfaits se croisèrent de nouveau avec une pointe d’anxiété, Muriel me balançant un coup de pied dans le tibia qui me fit hurler en silence avec fracas devant son air coucourroucé. L’assistance contemplait en faisant de grands signes impuissants comme ceux du télégraphe d’antan. Rodolphe se leva et entama la Madelon pendant qu’on apportait le vin recommandé par l’hôte, le pépé âgé d’à côté dit c’est une honte et s’évanouit aussitôt le nez dans le potage froid encore fumant. Le grand type déclara que cela lui rappelait la bataille de la Marne qu’il n’avait pas faite s’étant fait réformer à cause de son asthme guéri par les plaintes.

Quand arriva le gâteau qu’il avait désiré il dit, en le regardant bizarrement : « ce dessert là je suis en train de le manger demain » (*). Durant ce repas qui nous parut plus longuet que d’habitude, nous nous regardions toujours Muriel et moi avec un étonnement visible et néanmoins secret, Rodolphe avait l’air ailleurs, en d’autres sept lieux que celles des bottes, pour tout dire il y avait comme un malaise qui nous mettait mal à l’aise d’autant que le grand type était de plus en plus absent en face de nous, comme retiré de ce monde. On pensait même qu’il allait nous sortir un revolver et se mettre à tirer dans le tas là tout de suite ? faire surgir un couteau et suriner méchamment le populo présent ?… Cela aurait pu durer encore incertain temps quand il se leva brutalement en faisant tomber sa chaise et dit c’est vraiment insupportable je crois bien que et il sortit en saluant chaque personne avec grandiloquence. Les gens nous regardaient toujours avec insistance, leurs yeux nous traitant de monstres responsables de cette comédie.

Nous avons eu l’explication de cette histoire quelques jours plus tard quand nous apprîmes que le grand type avait pris connaissance de la disparition d’un être aimé et que depuis il était complètement désemparé, totalement déréglé, anéanti. Ce sont des choses qui arrivent à tout le monde, n’est-ce pas, chers éléphants roses.

Muriel et Jérôme n’en sont pas encore revenus.

Et si c’était moi le type momentanément (ou complètement) déréglé ? J’en arrive parfois à me demander si…

(*) NDLA : référence/révérence à Julio Cortázar dans « L’homme à l’affût » (Les armes secrètes)

© Jacques Chesnel


12:26 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (1)

02/09/2013

CHRONIQUE CD

 

PING MACHINE / ENCORE Live au Petit Faucheux

L’orchestre : Bastien Ballaz (tb), Stephan Caracci (vib, perc), Guillaume Christophel (bs & bcl), Andrew Crocker (tp), Jean-Michel Couchet (ss,as), Fabien Bellefontaine (as,cl, fl),Florent Dupuit (ts, fl afl, piccolo), Quentin Ghomari (tp, fgl), Didier Havet (btb, tu), Paul Lay (fender rhodes & minimoog), Rafael Koerner (dm), Frédéric Maurin (g, minimoog, comp, dir), Fabien Norbert (tp, piccolo tp, fgl), Raphael Schwab (b), Julien Soro (ts & cl)

Les titres : ENCORE (4 parties, 32’), GRRR (13’), TRONA (3 parties, 25’)

Enregistrement live les 22 & 23/03/2013 au Petit Faucheux à Tours

CD Neuklang NCD4072 (distr. Codaex)

. Avant-propos :

Je me souviens toujours de cette réplique de Robert Le Vigan, jouant Michel Krauss le peintre halluciné dans « Le Quai des Brumes » film de Marcel Carné : « je peins malgré moi les choses derrière les choses ». Cette phrase m’est revenue en écoutant la musique de PING MACHINE (Des Trucs Pareils et Encore) et je la transpose ainsi : « Cet orchestre traduit la musique derrière la musique… dedans et au-delà ».

Après la forte secousse émotionnelle ressentie à l’écoute du précédent enregistrement Des trucs pareils (saisissement/ravissement), nous attendions la suite avec quelque impatience et curiosité, comment le grand sorcier des sons, Fred Maurin, et sa joyeuse bande d’allumés allaient-ils se renouveler avec cette impudence, cette témérité, voire ce toupet qui nous avait comblé ? ; réponse : le changement dans la continuité, la persistance dans l’évolution. Il y a dans cette organisation des sons une magie qui opère différemment dans chaque morceau tout en demeurant dans un ensemble tout à fait cohérent, homogène. En plus des influences avouées et affichées ( patchwork de Stravinski à Zappa en passant par Messiaen et Gil Evans) on note une forme opératique proche du Richard Strauss de Salomé et de Elektra, comme, notamment, dans la suite ENCORE : cette impression que la musique se cherche, que les sons furètent en longs cheminements avant de s’organiser et avant que n’arrive le premier embrasement suivi d’un solo furioso de Julien Soro au saxophone-ténor dans la première partie, la seconde étant plus méditative ponctuée de quelques hachures et de la vibrante et passionnante intervention du trompettiste Quentin Ghomari sous les coups de cravache de ce batteur qui porte et transporte l’orchestre, Rafael Koerner ; troisième partie dans laquelle tourbillons et cataclysme  s’opposent  (contrastes) au calme aérien et gracile du vibraphone avant que, au final, l’apothéose se manifeste dans un maelstrom de sonorités et figures rythmiques et subtilités harmoniques d’une grande richesse et qui s’achève en chuintements et bruissements raffinés.

Le petit miracle se poursuit (miracle, oui, car il y a dans cette musique une sorte de « merveille » au sens de : qui suscite l’admiration) comme l’a bien ressentie l’auditoire présent avec une courte pièce GRRR, sorte de mini-concerto pour un saxophone baryton (soliste : Guillaume Christophel) parfois grondant, souvent vociférant, toujours virulent environné des volutes rythmiques décalées, désarticulées, zébrées de l’orchestre.

TRONA : la musique d’un « apocalypse now » par un Bernard Herrmann d’aujourd’hui avec un solo de guitare de Fred Maurin à la fois sidérale et sidérant provoquant sidération, la sarabande tourmentée se poursuivant avec l’intervention de Jean-Michel Couchet au saxophone soprano avant que ne s’achève cet épisode méphistophélique dans un climat apaisé, une sérénité retrouvée grâce au solo de flûte dû à Florent Dupuit.

Conclusion :

PING MACHINE est ce qu’il y a de plus novateur, d’intrigant, d’emballant, de bandant par son écriture subtilement agencée ainsi que son éclatante créativité/fécondité dans le domaine du grand orchestre aujourd’hui… et on ne peut que s’en réjouir, grandement, en attendant la suite.


©  Jacques Chesnel  

17:37 Publié dans Musique | Lien permanent | Commentaires (1)

27/08/2013

L’OUVERTURE

  

Jérôme avait une santé qu’on dit de fer. Souvent mal fichu, disait-il mais jamais vraiment malade assurait-il. Aussi quand, à ce que rapporte Muriel, il sentit un petit chatouillement insolite dans le bas du ventre côté droit, la trouille s’empara de lui aussitôt et il galopa presto chez son médecin de famille qu’il n’avait pas consulté depuis ses oreillons à quinze ans alors qu’il en avait trente de plus bien sonnés maintenant. Le docteur Mancel prit son air le plus débonnaire et lui annonça après consultation : « bon, eh bien mon garçon, il faut ouvrir ». On évoque souvent le ciel qui vous tombe sur la tête, mais là, présentement, c’était bien le ciel et surtout l’enfer qui se répandaient brutalement sur la tronche de notre héros. Quoi, répondit Jérôme, ouvrir, taillader et fouailler dans la bidoche pour un simple chatouillis du genre guili-guili qui me fait marrer. Il n’en est pas question, ce n’est pas prévu au programme et d’ailleurs… Docteur Mancel : « Et en plus c’est urgent, je te prends rendez-vous avec mon confrère chirurgien, un as dans son genre, un spécialiste de première classe… hé, tu vas pas nous faire un malaise oh, mon gars ! ». Revenu à lui après quelques minutes de panique, Jérôme demanda des explications au praticien qui d’un ton patenôtre lui déclara que ce pouvait être les prémices d’une simple appendicite ou les signes avant-coureur d’une enfin heu peut-être enfin éventuellement heu une tumeur pas très maligne, enfin faut vérifier, donc, je pense : une seule solution, il faut ouvrir.

Il était trois heures du matin, Jérôme s’éveilla aux côtés de Muriel qui dormait à ses côtés avec ce léger ronflement avec bulles qu’il trouvait délicieux et si énervant. Après radios, scanner, IRM et tout le tintouin qui n’avaient rien montré de particulier, l’opération avait été une réussite, rien qu’une banale appendicite même pas mal au sortir de la rachis anesthésie pratiquée par un mec au sourire satisfait,  hospitalisation courte, infirmières sexy et rigolotes « on vous a quand même mis un drain par précaution mais rien de grave, c’est pour éviter les complications, vous n’avez pas trop de fièvre, la tension est correcte, vous nous appelez pour votre petit pipi, la sonnette est là à côté du gougoute-à-goutte », le chirurgien était passé après l’opé : « pansement tous les jours jusqu’à cicatrisation », Jérôme avait hurlé quoi six catrisations pour ce p’tit bobo, le chirurgien et son assistante avaient bien ri hihihi ainsi que le petit vieux sur l’autre lit qui en fait une quinte de toux hurk hurk hurk et qui s’étouffe touffe touffe. Quoi qu’il en soit, avouez que le bon docteur Mancel avait pris la bonne décision et maintenant c’était reparti mon quiqui pour un tour.

Instinctivement, il passa sa main droite sur le pansement rien que pour s’assurer et se rassurer, surprise : que dalle, aucune trace par contre un léger chatouillis ou gratouillis, voire même le début d’une douleur qui oui semble s’intensifier à qui se fier eh oh là ça commence à faire vraiment mal manquerait plus que ça saigne… « Faudrait voir à ne pas abuser du raki et fumer trop de pétards à la colombienne le soir, mon gars, disait le docteur Mancel, cela peut provoquer de mauvais rêves ».

Jérôme se tourne et retourne dans son lit, il a du mal à se rendormir, ce serait peut-être urgent d’aller consulter quand même, on ne sait jamais et Muriel qui marmonne dans son sommeil… ouvrir ouvrir ouvriiii… c’est ouvert… vers vers....


© Jacques Chesnel

19:14 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (2)

20/08/2013

UN CHANGEMENT

 

 

Le grand type avait changé, incontestablement, et pourtant il semblait toujours le même, il ME semblait toujours pareil, comme la première fois que je l’avais vu dans ce jardin d’enfant où il retournait souvent, où cette fois il n’y avait pas encore d’enfants, pas de cris, personne. Il marchait d’un pas irrégulier, à l’amble comme certains chevaux, il déambulait seul dans sa bulle sans but précis apparemment, à l’aveugle. Je l’ai suivi un moment avant qu’il se dirige subitement vers un des nombreux arbres de ce lieu et qu’il s’arrête devant un gros chêne dont il prit le tronc à bras le corps dans un geste théâtral, qu’il étreignit soudain comme le corps d’une femme, avec vigueur mais aussi précaution, posant sa tête sur l’écorce dans une attitude de soumission à son contact. Jérôme avait entendu à la radio le jardinier en chef du château de Versailles dire qu’il fallait parler aux plantes et aux arbres et là il était vraiment surpris de voir le grand type le faire devant lui. Il n’osait s’approcher, il voyait de loin ses lèvres remuer, il en était sûr, il parlait à l’arbre ; que pouvait-il, que voulait-il lui dire ?.

 On s’était moqué du Prince de Galles, le Charles Windsor aux grands oreilles quand il avait déclaré à la presse qu’il entretenait des relations particulières avec ses plantes en devisant souvent avec elles, qu’il attendait et entendait leurs réponses ; c’était aussi la théorie du psychologue expérimental allemand Gustav Theodor Fechner et de quelques autres personnes qu’on trouvait, comment dit-on, un peu bizarres, fêlées du ciboulot, non ?

Mais la question que se posait Jérôme de plus en plus curieux était ce changement qu’il ne savait expliquer. Le grand type lui semblait toujours identique à celui qu’il avait connu penché dans ce même jardin, en position oblique et pourtant… J’ai eu l’impression un moment que le chêne répondait aux embrassements du grand type, comme un frémissement/frissonnement dans les feuilles ou était-ce simplement un léger coup de vent, que le tronc s’épanouissait grâce à son enlacement, que se dégageait quelque chose d’indéfinissable dans cet accouplement insolite. Y avait-il un rapport avec le yoga dont il était professeur, un lien ésotérique entre cette pratique issue de la philosophie indienne, cette méditation/médiation entre le corps et l’esprit, ici entre l’humain et le végétal, était-ce cela ce changement que percevait intuitivement Jérôme ou n’était-ce qu’une simple illusion, une vue de l’esprit comme on dit trop rapidement, trop simplement.

Cela dura quelques minutes. Le grand type se détacha comme à regret du tronc, m’aperçut, vint lentement vers moi, me regarda longuement et sans un mot me prit dans ses bras me transmettant ainsi directement une énergie tellurique venant de la grande nuit des temps que l’arbre lui avait insufflé.

C’est au moment où les enfants entrèrent dans ce jardin en criant que soudain Jérôme se mit à pleurer… tandis que le grand type s’éloignait rapidement.


© Jacques Chesnel

 

11:15 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (2)

14/08/2013

JOUR D’ENNUI

 

 

Il y a des jours comme celui-là où je m’ennuie à mourir et je me demande si la mort ce n’est pas le maximum de l’ennui sauf qu’aujourd’hui je serais plutôt du côté des allez au pif soixante pour cent voire un chouia plus, ya encore de la marge, n’empêche. Et le pire, il me semble qu’il n’y a aucune raison apparente, d’ailleurs c’est toujours apparent voilà le problème, tout baigne donc, Muriel est revenue plus belle que jamais à croire que ses escapades lointaines mais bon, pas de factures, aucune dette, les parents vont bien, seul le cousin Charles, mon infortuné parrain fortuné, a des problèmes avec sa vésicule biliaire ou autre chose de plus grave dont personne ne parle mais lui fait comme si et je trouve qu’il a raison, la Volvo ronronne aussi fort que notre matou  qui va moins vite et le soleil fait comme dans la chanson d’hier, il brille brille brille, ce qui fait que je ne m’ennuie pas, je m’emmerde, j’ai beau essayer tous les trucs connus ou inconnus, j’ai coupé du bois déjà coupé , repeins la porte du garage qui n’en avait pas besoin, j’ai lu un tas de bouquins dont L’ennui de Moravia qui n’est pas si ennuyeux que ça, je me suis promené avec Anna Karina en criant comme elle que je ne savais pas quoi faire moyennant quoi je me suis engueulé avec Bébel, j’ai pissé dans un violon, regardé mon pouce plutôt que la lune, baillé à m’en décrocher les corneilles, branlé trois fois de suite dans les chiottes sans prendre aucun plaisir, trituré des plans sur la commère, paradé devant le taureau du voisin espérant que mais rien, pensé à la mort de Louis 16 qu’est clamsé couic le jour de mon anniversaire ce con, crié Jérôme 120 fois de suite à m’égosiller l’égo, j’ai traversé la rame sans la Manche, prié tous les saints seins dessins et  desseins à travers et à tort Totor, j’ai écouté tous mes CD (15) de signé Furax (là j’ai ri, faut quand même pas pousser), imaginé que je devenais transsexuelle, que je lisais Le Figaro (là j’ai pris un coup de sang) et La Croix (je roulais une pelle à François une fois seulement car), j’ai pété plus haut que la sous-ventrière de location, rameuté et affolé le village en criant Vive Poutou, Besancenot au poteau, Branlon-Lagarde à Matignon, sauté à pieds joints dans la fosse nasale à purin du fermier voisin qui vote FN, fait la course avec une tortue qu’est arrivée avant moi, monté au clocher pour me faire une sueur froide, taillé la haie qui n’existe plus depuis toujours, relu le blog de Popol Eden pour m’exciter un peu avec les annotations oh ! merci Popol, démoli le caisson de décompression, sauté de la marche avec entrain, rembobiné toutes les bobines débobinées et débibonées (sacré boulot), attaqué l’Everest sur la couverture endommagée de Géo, arrosé les plantes arrosées la veille (Jérôôôôme !!!), battu tous les sentiers du conformisme des cons (énorme boulot), refait l’histoire en sens inverse, essayé de sortir de mes gonds avec des gants, fait un bouclier de mon cor sans corps à corps,  pouffé sur tous le poufs de la maison …

… et quand j’en ai eu bien marre, je me suis mis à lire les Nouvelles de Julio Cortázar. Je peux vous assurer que là j’avais trouvé le bon remède à mon ennui subitement totalement disparu.

-       Jérôme, tu savais que Julio aurait eu cent ans l’année prochaine.

Muriel est au courant de tout, comme dans la famille Branlon-Lagarde. Comme quoi.


©  Jacques Chesnel

19:32 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (2)

10/08/2013

OBLIQUES

 

Le grand type restait penché, en avant, bizarrement, sans bouger, comme ces automates dans les jardins publics pour attirer les enfants et les curieux. Je l’observais, le vent faisait trembler un peu le bas du manteau de cette silhouette immobile, je m’approchais doucement et lui demandais si ça allait, s’il y avait un problème, il me regarda en souriant et me répondit : « je penche donc je suis ». Nous partîmes tous le deux d’un franc éclat de rire, libérateur pour moi qui avait eu un court instant une pincée d’inquiétude, un peu goguenard en ce qui le concerne. C’est un truc qui me réussit quand je me pose des questions, me dit-il, je n’ai rien trouvé de mieux, de plus rassurant en ce qui me concerne, j’évacue, je me libère dans cette position, la seule qui jusque-là me réussit. Je pense comme je fuis également, ajouta-t-il, pour me débarrasser rapidement de mes soucis, de mes problèmes de mes emmerdes. Je n’osais lui en demander plus quand il me dit essayez, vous verrez peut-être qu’à vous aussi. Il devait avoir dans les trente trente-cinq ans et ressemblait à Romain Duris dans L’écume des jours, le film de Michel Gondry que je venais de voir il y a peu, coïncidence, sa barbe était seulement un peu plus fournie, son sourire toutefois aussi ironique, ses yeux également malicieux. Il restait toujours penché pendant ce début de conversation et me répondait d’une voix grave détonant avec ce sourire ou ce rictus, je ne savais plus quoi en penser. Allez faites un effort penchez-vous là encore un peu voilà. J’avais le sentiment de devenir un peu idiot en obéissant à son injonction mais je me suis tout de même penché comme lui en regardant autour de moi pour voir si… Ce mec se fout de moi et comme un con voilà que j’obéis, Jérôme que t’arrive-t-il ?. Je dois vous dire, continua-t-il, que si les grands philosophes avaient pensé à se mettre plus souvent dans cette position au cours de leurs recherches et réflexions, je suis certain que la face du monde aurait changée ; et je m’imaginais alors Socrate, Aristote, Spinoza, Descartes, Bergson et Derrida (tiens pourquoi ceux-là, vous les voyez, vous ?) dans cette posture, cette attitude plutôt étrange en ce lieu, ce petit jardin public rempli des jeux et des cris de ces enfants qui semblaient ne rien voir de ces deux messieurs penchés, un peu ballots, pénétrés de l’esprit de tous ces grands penseurs à l’allure niaise et vraiment bizarre dans leurs penchants. Bon je sens que la plaisanterie ne va pas encore durer longtemps mais je ne me redressai toujours pas, lui non plus, quand Muriel à qui j’avais donné rendez-vous là s’approcha de nous et nous aborda en ces termes : « Eh bien les garçons qu’est-ce qui vous arrive ?, vous vous prenez pour la tour de Pise en double ? ». Chut, argumenta Romain Duris ne nous troublez pas, je vous prie, c’est en train de venir, n’est-ce pas Jérôme. Imaginez ma surprise, ainsi Muriel connaissait ce quidam qu’elle retrouvait en ma compagnie. « Je te présente Rodolphe, mon génial prof de yoga et de tai chi dont je t’avais parlé, dit-elle avec son sourire craquant, je constate avec étonnement que vous avez fait connaissance sans moi ». Nous quittâmes alors notre position oblique et une fois redressés, Rodolphe révéla comme une évidence : « Le principal, lors de cet exercice, est bien de ne pas tomber du côté où l’on se penche et où on se pense, n’est-ce pas Jérôme ». Autour de nous, les enfants criaient de plus en plus fort.

© Jacques Chesnel

12:10 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (2)

29/07/2013

LETTRES PROMISES

 

Quand Jérôme annonça à Muriel qu’il se mettait à écrire, elle lui répondit en souriant : super, comme ça tu vas pouvoir m’adresser les lettres que tu m’as promises il y a si longtemps. Depuis son licenciement récent, il s’était trouvé une sorte de passion pour son vieil ordinateur et son traitement de texte qu’il appelait souvent sa thérapeutique de sexe en compensation des fois. Il avait aussi farfouillé sur le net et découvert l’existence des blogs, ce qui l’avait littéralement scotché. Il y en avait vraiment de toutes sortes et pour tous les goûts à ne savoir quoi en penser en tant que pensums avec ces délires, affabulations, démonstrations, exaltations, excitations, confusions, aberrations, fureurs, parti pris et prises de partis, pamphlets, fanatisme, intolérances, satires… à vous donner le tournis… et Muriel qui intervient : « arrête Jérôme, tu vas encore te faire du mal avec toutes ces conneries ! , tu vas t’énerver pour rien comme d’habitude». Et puis, la découverte qui le laissa ébahi, éberlué et plus encore : les blogs littéraires, quelques-uns plus littéraires que les autres ou à connotations idoines dont il fit un jour l’énumération sans doute partielle mais en fonction de ses choix à une Muriel sidérée et si prompte à s’emballer rapido : le clavier cannibale, l’autofictif, le tourne-à-gauche avec les superbes photos de Dominique Hasselmann, les confidences de la délicieuse Clopine Trouillefou, La République des Livres de Pierre Assouline (ses textes et les centaines de commentaires sur ou hors sujet), Terre de Femmes, Blandine Longre (pour la poésie), celui de Jean-Pierre Longre (Notes et Chroniques), les panissières ou une autre façon de conter l’histoire, papiers d’arpèges et helenablue… le plus comique étant celui d’un ancien chroniqueur du mensuel La Virgule signant Pierre-Yves Jarrette dit PYJ ou Quislapète, blog consacré presque exclusivement aux écrivains d’un autre temps, d’une autre époque avec ressassement évident de vieux clichés, affichant son dédain et son mépris de/pour la littérature d’aujourd’hui (il n’est de bon écrivain que mort), engoncé/pétrifié dans ses certitudes, délivrant quelquefois avec condescendance ses appréciations et surtout ses rejets et bannissements, soutenu par une douzaine de commentateurs dont un fidèle Christian, constant et ponctuel, avec toujours une opinion dans le sens du poil de PYG, ses commentaires (comment taire ?) dit thyrambiques d’une écriture qui se regarde écrire, parfois pathos grand et diloquant, prêchi-prêcha, bla bla bla… Jérôme était intervenu plusieurs fois et s’était fait rabrouer tout autant et avait donc abandonné la lecture épisodique de ce magasin d’antiquités sentant fortement le formol et la vieille dentelle aux odeurs de moisi.

Maintenant, il était tenaillé par l’écriture, par le fort désir de s’exprimer et pour commencer se demandait s’il n’allait pas se mettre à rédiger toues les lettres promises à Muriel et qu’elle attend impatiemment depuis si longtemps…

Ma chérie,

Aujourd’hui, je t’adresse cette première lettre sur mon nouveau blog pour te dire  que…

© Jacques Chesnel

22:36 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (1)

09/07/2013

JE NE MANQUE PAS D’AIRS

 

A vrai dire, je ne sais pas tellement où j’en suis question musiques et ce depuis le début de l’année, peut-être parce que je n’ai pas rencontré de grands emballements à part le premier CD de PING MACHINE Des trucs pareils et le dernier JARRETT/PEACOCK /DeJOHNETTE Somewhere. J’ai envie de revenir aux fondamentaux, oh entendons-nous bien, pas de retour vers les débuts du Jazz, le blues, le gospel, le New, le Swing, les grands orchestres, ces styles que je respecte infiniment mais qui sont d’un passé révolu dont je garde néanmoins un souvenir ému… non, plutôt vers ce qui a déclenché véritablement mon engouement et mon adhésion totale à la sortie de l’adolescence, le bebop, le cool, le Jazz West Coast, le hard-bop, la bossa-nova, Django, les quintettes de Miles, les débuts du jazz-rock, Wayne Shorter… Je ne sais plus tellement où j’en suis avec ces nouvelles musiques improvisées proches ou éloignées du Jazz que j’écoute avec intérêt certes mais qui n’arrivent pas à me contenter totalement.

Par contre, ce dont je suis absolument certain, c’est mon gout de plus en plus prononcé pour la mélodie, le chant et, pour employer un terme emprunté à la musique classique, un AIR, mot que mon dictionnaire définit ainsi : suite de sons musicaux formant une mélodie et donne comme exemple : « je me souviens des paroles de cette chanson, mais j’ai oublié l’air ». Eh bien, moi, tous ces airs sont profondément ancrés dans ma mémoire à un tel niveau qu’il n’est plus besoin de mettre les disques ou alors rarement pour pallier un manque, une faute d’attention.

Longtemps, nous nous sommes endormis Muriel et moi ‘Round Midnight puis réveillés le dimanche matin avec My foolish heart que je chantais  fortissimo ce qui nous redonnait des forces pour recommencer nos galipettes, le nombre de fois où j’ai fredonné ces Nuages envahissants, murmuré The shadow of your smile en contemplant le visage adoré,  je psalmodiais Birdland en compagnie de Jaco Pastorius, je vocalisais Fly me to the moon aux côtés de Frankie Sinatra accompagnés par l’orchestre de Count Basie, je braillais et pétais en même temps que Screamin’ Jay Hawkins un Constipation blues bienfaisant, j’ai épuisé toute ma réserve personnelle de larmes avec Sarah Vaughan et Misty, Slim Gaillard et Slam Stewart et bibi fricoteur avons fait le cot-cot-cot de Chicken rhythm, je me suis surpris à bredouiller The creator has a master plan avec Pharoah Sanders et jodler en duo avec l’ébouriffant Leon Thomas connu à Montreux ainsi que le cornemuseux Rufus Harley, son Bagpipe blues et The cutting edge du grand Sonny qui m’avait littéralement sonné, avoir ressenti de grands frissons à l’écoute de Mimi Perrin (A ballad) que j’essayais d’assister en vain, susurrer I love in vain à Dame Anita O’Day… oui j’ai tout cela et tant tant d’autres (oui, par centaines) enracinés dans un grand coin de ma mémoire… ce qui fait dire parfois à Muriel « tu sais, Jérôme, je vais finir par croire que tu as un drôle d’air avec tous ces airs sans en avoir l’air, j’espère bien que tu ne vas pas me le pomper, à la fin, hein ?».


©  Jacques Chesnel

 

18:29 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (2)

02/07/2013

INATTENDU ENTENDU

 

On s’est tous fait insulter ou injurier un jour ou l’autre du moins je suppose, moi le premier et je me souviens comme si c’était hier ou demain de mon premier imbécile, c’était le soir du bac après une méga teuf on est parti dans les champs et les fourrés à côté du lycée, on s’est jeté dans les meules de foin, on entendait d’abord des rires, puis des soupirs, puis une grand claque que j’ai pris en pleine poire avec imbécile en prime parce que j’avais entrepris de soulever la robe de ma conquête trop tôt à son gout ou à son attente ou en raison de mon impatience, de ma fébrilité, de mon désir d’attirer à mes fins sans passer par la case préliminaires, ce que beaucoup d’entre nous ignoraient à cette époque en l’absence d’éducation sexuelle. Auparavant j’avais eu ma dose de toutes ces petites injures sympathiques comme andouille, taré, trouduc, plouc, pédé, raclure, abruti, débile, minable, pignouf, crétin, duconnot et autres gracieusetés dont je vous fais grâce. J’ai eu droit à mon premier salaud de la part d’un pote à qui j’avais chipé sa copine qui m’avait dragué et à laquelle je n’avais pas pu et su résister, je me souviens comme si c’était il y a un instant de mon premier connard venant de la part d’une grosse Mercedes qui n’acceptait pas d’avoir été doublée par ma petite MG décapotée dans laquelle trônait une Muriel resplendissante qui se vengea par un bras d’honneur vigoureusement bien dressé tu l’as vu celui-là ?, j’ai encore en mémoire la prononciation de ce « connard » suprême, la façon d’appuyer et de faire durer la seconde partie du mot, un p’tit con bref suivi d’un naaaard traineux et méprisant de la part d’un type rougeaud gonflé d’orgueil et puant de bêtise. J’ai souvenance aussi d’insultes à  caractère sexuel, petite bite, casse-couilles, trépané des burettes, grosse conasse, augmentés de vieille merde ou jeune fiente et autres délicatesses qui firent florès au fil du temps mais quand un soir j’évoquais ces mots doux devant mon grand-père en visite, il s’exclama ah ! de mon temps j’ai moi-même pratiqué faquin, malotru, polisson, gredin ou fripon ça avait une autre allure, non ?.

Le lendemain en sortant dans la rue j’ai failli renverser un cycliste en traversant la rue, il s’écria alors : tu peux pas faire attention espèce de « sacripant »… J’ai eu l’impression de prendre soudainement un coup de vieux.

©  Jacques Chesnel

22:55 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (2)