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18/11/2014

RÉVEILS

. Jean

Muriel se réveille en sursaut, regarde l'heure et dit putain c'est pas vrai 5 heures 10. Elle a pourtant bien dormi, paisiblement, sans rêve et sans cauchemar notamment celui récurrent où elle cherche désespérément sa voiture dans ce coin perdu où elle s'était fourvoyée  pour trouver une paire de chaussures vues sur le net. A ses côtés, Jérôme a le sommeil agité, il se retourne fréquemment, ce doit être cela qui l'a réveillée, il dort toujours sur le ventre malgré ses conseils quand ce n'est pas en chien de fusil, il marmonne, bave un peu, un sourire énigmatique et dit non Jean, pas du tout, non. Jean ? se demande Muriel, quel Jean, personne de nos amis ou connaissances ne porte ce prénom. Elle essaie de se calmer, de se rendormir, Jérôme gigote toujours un peu, elle le touche pour le calmer et il réveille avec un sourire. Bonjour mon chéri, ben dis donc tu étais bien nerveux cette nuit que s'est-il passé et Jérôme de répondre, rien, si, Jean !. Mais quel Jean, dit-elle agacée, Jérôme surpris de la question : Cocteau.

La veille au soir, ils avaient regardé sur une chaîne du câble L'éternel retour, film de Jean Delannoy tourné en 1943 sur un scénario de Jean Cocteau avec Jean Marais et Madeleine Sologne dans les rôles principaux et avaient été touchés par l'histoire et les acteurs avec une mention pour Yvonne de Bray (grande comédienne qu'il avait vue au théâtre) et le nain Piéral. Et alors ?. Alors, dit, Jérôme, on a discuté toute la nuit, il m'a dit qu'il aurait aimé réaliser le film lui-même, lui donner un côté plus poétique, plus incarné, par contre il ne tarissait pas d'éloges sur les interprètes, Marais bien sûr, mais surtout sur les femmes et Piéral qu'il avait découvert dans Les visiteurs du soir, il riait de ses blagues, de ses hâbleries disait-il, de sa complicité avec le chien Moulouk, de son air halluciné lorsqu'il verse le philtre d'amour, il admirait également le travail du décorateur Georges Wakhevitch, il me parla aussi de sa rencontre avec Radiguet, des commérages sur leur prétendue liaison, de l'opium, puis de ses projets, de sa passion pour le dessin, de son intérêt pour le mythe d'Orphée, il m'éblouissait en parlant avec ses mains, ses poignées de chemise retroussées sur les manches de son veston et son constant sourire illuminé, enfin bref, maintenant qu'on se connaît on doit se revoir tard dans la nuit...

. Madeleine

Quand le film repassa en multiples diffusions, elle décida de l'enregistrer car elle était fascinée par l'actrice principale, Madeleine Sologne. Elle appuyait souvent sur pause pour regarder attentivement son visage, sa démarche et surtout sa chevelure si naturellement blonde, comment tu la trouves, Jérôme ?.

Ce dimanche matin, c'est grasse matinée. Jean se réveille le premier, se frotte vigoureusement les yeux, regarde tendrement Muriel encore endormie, bon dieu qu'elle est mignonne toute chiffonnée de sommeil, il se lève, jette un œil à la fenêtre, merde il pleut encore et Muriel sourit énigmatiquement dans son sommeil avant de murmurer doucement comme pour s'excuser mais non Madeleine je crois que… et elle s'éveille en regardant son compagnon comme si elle voyait un fantôme qu'est-ce que ?… Jérôme heu, chéri eh bien…

- Tu as rêvé de Madeleine Sologne, c'est ça, demande-t-il

Elle se prélasse puis l'étreint, l'embrasse amoureusement, oui, qu'est-ce qu'on a pu se raconter, tu sais son nom d'actrice Sologne c'est parce qu'elle était née dans un petit village près de Romorantin, ses débuts de comédienne dans des rôles de gitanes parce qu'elle était brune naturellement, elle s'est teinte en blonde pour le rôle de Nathalie à la demande de Cocteau, on a parlé de la mode l'époque, de son goût pour les fringues, elle qui aurait aimé jouer le rôle principal dans le Falbalas de Jacques Becker, elle a beaucoup soutenu Jean Marais débutant souvent maladroit, elle n'aimait pas beaucoup Piéral qui lui n'aimait pas du tout les femmes, elle adorait Yvonne de Bray qu'elle avait vue au théâtre, Madeleine savait que les jeunes filles copiaient sa chevelure cette mèche tombante comme celle de Veronica Lake, elle avait conscience qu'elle était comme l'un des symboles d'une génération de filles sous l'occupation, puis après quelques rôles au cinéma elle entreprend une carrière au théâtre, on a peu picolé et on a joué avec Moulouk adorable qui la suivait partout, elle m'a embrassée quand elle est partie car le metteur en scène l'a appelée Madame Sologne... on se revoit quand tu veux Muriel, hein ? Oui, à bientôt Madeleine...

. Piéral

Il dort profondément, la bouche ouverte comme d'habitude et ronfle fort parfois à faire trembler les murs de sa chambre dans son appartement à Pigalle. Il a des rêves intermittents, des souvenirs de ses nombreux tournages sous la direction de grands cinéastes comme Marcel Carné ou Jean Cocteau dont il fut l'ami. Il revoit aussi tous ses moments qu'on dit de débauche et qu'il nomme de plaisirs variés, toutes ces partouzes à n'en plus finir, qui le laissait épuisé, vidé, les cuites au Claquesin lui qui avait été élevé à la confite hure de laid ; parfois revient un souvenir qui le fait rire encore comme ce jeu de demander à des âmes charitables de l'emmener faire pipi en se faisant passer pour un gamin à cause de son mètre vingt-trois mais avec un engin démesuré toujours vaillant, des bonnes sœurs horrifiées qui s'en vont en se signant, des gens qui le traitaient de pédale et lui qui leur courait après en hurlant connaaaards, hier soir encore... mais il aime bien cet instant touchant, cette rencontre entre Muriel et Jérôme si mignons hier à la sortie du cinéma en leur souhaitant un bon retour éternel tout en espérant bien les revoir dans un autre rêve.

 

Jacques Chesnel

01:35 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (2)

13/09/2014

MONSIEUR LE DIRECTEUR

 

Comme d'habitude à cette heure-là, après les consultations et les soins, aux alentours de 18 heures, Monsieur le Directeur se dirige de son pas chaloupé vers la salle de conférences dite salledeconf' pour le briefing de fin de journée. Grand, portant beau malgré les prémices d'une soixantaine bien assumée, impeccablement vêtu sous la blouse immaculée, Monsieur le Directeur, toujours souriant et affable, salue les membres du personnel qu'il croise dans le couloir et s'arrête volontiers pour dire un mot toujours aimable aux patients qui déambulent, alors Madame Beaulieu la sieste a été profitable et vous Monsieur Lamarche quelle mine splendide, excusez-moi Monsieur Aristide mais on se voit demain plus longuement aux sujet des chauve-souris chauves hein ?... docteur pressez-vous s'il vous plaît la réunion est commencée. A son entrée, le personnel se lève, applaudit, Monsieur le Directeur sourit quel est l'ordre du jour Mademoiselle Virot, tout le monde est là ?, bon… 

La réputation de la clinique venait principalement de la grande liberté laissée aux malades alors que se pratiquaient encore par ailleurs des normes et règles trop strictes contraires à l'évolution de la psychiatrie actuelle ; néanmoins on ne manquait pas de critiquer ces nouvelles méthodes notamment en ce qui concerne les thérapies comportementales et cognitives face aux affections organiques comme les syndromes confusionnels ou démentiels, les modifications du caractère et/ou du comportement, les manifestations délirantes ou hallucinatoires.

La personnalité du Professeur M. O., le directeur, était bien celle qui avait réussi à hisser cet établissement au sommet dans le relevé que publiait annuellement le ministère de la santé. En raison de cette autonomie laissée aux malades, le bouche-à-oreille avait fait que maintenant la liste en admission était d'une longueur impressionnante, on refusait du monde. Aussi pouvait-on croiser dans tous les couloirs des trois étages des cinq bâtiments situés dans un vaste parc bien entretenu une foultitude de personnages dont certains en costumes d'époque ce qui faisait dire à quelques malveillants de visiteurs que décidément cette maison de fous était tenue par des dingues, une belle bande de sinoques et de mabouls en tous genres. 

Ainsi une Agrippine la Jeune (43 ans) était toujours flanquée de son Néron de fils (8 ans) avec une lyre dans une main et un briquet dans l'autre, une Jane Birkin aux seins à la Lolo Ferrari chantait du Franck Michael à tue-tête sans poser de problèmes à un Alain Finkelkraut plus vrai que le vrai, Charlotte Corday et Marat s'ébattaient avec passion derrière des buissons très ardents, un Flaubert tirait des plans sur la comète avec une madame Bovary aussi belle que Juliette Binoche, Maurice Thorez et Marcel Déat jouaient aux échecs sans savoir y jouer, une princesse de Clèves minaudait avec un petit gars trépignant et continuellement agité des épaules, un Gérard Dipardiou maigre comme un clou sautait comme un cabri et lançait des petits papiers sur lesquelles étaient écrit ah! Marguerite ahah hein hein !, Socrate, Henri III et André Gide lutinaient les infirmières, Minou Drouet jouait avec un petit chat en peluche et Henti IV avec un cheval en bois noir, tous les prêtres avaient quittés la soutane pour le kilt gaélique, un Jacques Chirac prenait douche sur douche toutes les cinq minutes, la mère Denis en string s'essoufflait dans les sentiers sur les traces du père Dupanloup en tenue de golfeur, Roberto Begnini était devenu muet et Bill Clinton fumait la pipe, une Mireille Mathieu devenue blonde était aphone et le cardinal de Richelieu adipeux et apostat, Pierre Laval portait l'étoile jaune et Mao-Tsé-Tung un col italien, un Richard Virenque lisait la bible et bénissait la foule à vélo, un boxeur thaï de 40 ans cherchait désespérément un partenaire et Louis XVI une guillotine en bon état de marche, un Xavier Darcos comptait sur ses doigts en faisant la règle de trois de ses deux mains et un Roland Dumas marchait nu-pieds, une Thérèse de Lisieux gambadait en nuisette sous l'œil réprobateur du divin marquis…bref, tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes à la clinique "La joie pour tous", impasse du Désir Vibrant à Charenton sur le Lardon.

 Au cours de la séance, sous la présidence de Monsieur le Directeur, on évoquait maintenant les problèmes habituels de petite intendance, ceux de la cuisine dont le chef ne donnait pas entière satisfaction auprès du personnel et des patients, la suppression de certains médicaments remis en cause par les nouveaux traitements et les déremboursements, bref le train-train habituel. Pas de discussion particulière, alors au moment de conclure, Monsieur le Directeur se leva et dit sur un ton docte: Mesdames, Messieurs, je vous remercie tous pour votre attention et conclurai donc cette réunion par ces mots (il commence à s'énerver): je sais que pour une femme, il est difficile de rendre un homme heureux (il s'agite) mais si ce travail vous paraît trop dur toute seule (il s'emballe) mettez-vous à plusieurs car vous savez n'est-ce pas qui  n'avance pas recule… (il hurle)  et si vous voulez que je vous encule…(il vocifère) alors je dis merde à Freud et à Lacan et à tous ces psys avec  leurs théories à la con et…

Rémus et Romulus, les deux doux infirmiers jumeaux préférés des patients avec les plantureuses Thelma et Louise, qui attendaient sagement derrière la porte se précipitèrent dans la salledeconf' et empoignant avec précaution le Directeur redevenu soudain calme et docile allez Monsieur Michel, la fête est finie, on y va  maintenant c'est l'heure de la séance de soins intensifs qui vous font tellement de bien allez on y va Monsieur Michel là  doucement.... là… non… doucement.

 

 Jacques Chesnel

09:28 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (4)

10/09/2014

JUSQUE - LÀ…

 

 

Jusque-là, rien à dire, tout allait bien, on faisait avec, tout marchait comme sur des roulettes, on avait numéroté nos abattis, Gros-jean comme devant, nos arrières et nos derrières assurés, roule ma poule à l'aise sur l'arrière-train de la bergère qu'avait répondu dard dard au berger, on était beaux comme des camions qui ne valaient pas triplette, on s'armait d'impatience quand le temps était au beau fixe et qu'on avait tout le temps devant nous sans autre forme de procès, bon, ça faisait un peu l'usine à gaz sans se donner de l'urticaire ou de l'antiquaire, on restait parfois les bras ballants mais prompts comme l'éclair à dégainer et à en découdre sans se faire houspiller outre mesure bien qu'il en restât toujours sous la pédale et qu'un cochon n'y pouvait retrouver ses petits avant que la moutarde ne nous monte aux nez et qu'on reparte comme en quatorze alors qu'on en n'était pas encore revenu mais bon fallait s'y faire ne surtout pas rester les bras croisés et ne rien faire de nos dix doigts sans se les mettre dans la prise, y en avait toujours un qui voulait filer à l'anglaise avant qu'on le rattrape comme un mouton de panurge qu'aurait pris les jambes à son cou sans prévenir ou effet d'annonce avec tous les honneurs dus à son rang pour les horreurs de la guerre un jour de la semaine des quatre jeudis sans tambour ni trompette à en avaler sa salive dans le dernier salon où l'on cause et parler pour dire pas grand-chose, on ne tombait pas souvent dans le panneau en se faisant dorer la pilule plus que de coutume et en gardant une poire pour la soif les jours d'abstinence où certains brillaient par leur absence sans un mot d'excuse avec la politesse qui se perd quand on joue à qui perd gagne à ne pas faire d'omelette sans casser des œufs, on les voyait venir avec leurs gros sabots prendre l'air du temps avec l'air de ne pas y toucher ce qui nous mettait dans l'embarras du choix ou de péter dans la soie avant des les lâcher avec un élastique sans voir venir la sœur Anne montée sur ses grands chevaux borgnes pour les troquer avec des aveugles et cesser le combat faute de combattants fiers comme Artaban sans vergogne et ventre à terre on connaissait la chanson avec de la chance comme à la télévision qui marchait à côtés de ses pompes quand elles n'étaient pas funèbres, fallait pas nous prendre pour des vessies des lanternes ou des pigeons on avait de la ressource sans avoir maille à partir avec quelqu'un ce qui nous donnait du pain sur la planche sans la brûler en mettant les choses au pis avec un coup de pied en vache et tirer la couverture à soi jusqu'à la saint-glinglin et même encore plus loin sans horizon précis hop en voiture Simone mais avec toujours du grain à moudre à portée de la main toujours leste pour marquer le coup et ne pas rester marron ou pâlichon et partir en brioche sans se faire remarquer ce qui par les temps qui courent à tous les échos est pareil que jeter son string par-dessus les moulins ou à la tête du juge qui n'en revient avant de partir sans laisser d'adresse incognito et maintenant les éoliennes qui ne tournent pas rond comme une queue de pelle une grosse pierre dans son jardin quitte à se faire une belle jambe et tirer l'affaire au clerc la fin justifiant les moyens quand on est au pied du mur par monts et par vaux à la vitesse du son et se déchirer à belle dents de gaieté de cœur pour solde de tout compte se faire du mouron avant de monter au pinacle ou de se faire avaler par les petits cochons de payants qui sommeillent et vous attendent à tous les coins de rue puis au coin du bois dont on ne fait plus les pipes à part les péripatéticiennes sur le périphériques pour soulager la misère du pauvre monde qui se prend pour le nombril quand il n'est pas au balcon avant d'étrangler le borgne ou se tenir à carreau à se damer le pion sans se faire de crosses ou pisser dans un violon ce qui demande du doigté quand on est un manchot  ressemblant à un pingouin tirant des plans sur la comète franco de port et d'emballage déballage pédalage dégonflage dégazage débroussaillage et anti-âge exigeant son reste et le zeste des six troncs puis retourner le couteau dans la plaie pour de l'argent comptant boire le calice jusqu'à la lie et l'hallali les choses étant ce caleçon, on a encore senti le vent du boulet avant de se polir le chinois en sucrant des fraises ce qui améliore d'Aquitaine à l'emporte-pièce et aux vagues sans âme qui vive du premier jet sans entrer dans le vif du sujet avant de remettre le couvert ou tirer la couverture à soie ou sur tout ce qui bouge… non, mais où va-t-on ? à la va comme j'te pousse ou de guingois, de traviole ou par quatre chemins voire plus…hein ?…je vous le demande ?...

…JUSQUE-LÀ, rien à dire… allez, on reprend avec moi tous en chœur depuis le début : oui tout allait bien, on faisait avec, tout marchait comme sur des roulettes, on

…JUSQUE-ICI.

 

 Jacques Chesnel 

19:45 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (0)

20/08/2014

UN PROBABLE OU IMPROBABLE SCÉNARIO

 

Il y a des nuits comme ça.

On n'arrive pas à trouver le sommeil, on se tourne dans son lit, on se retourne, on change de position, dos ventre ou chien de fusil, rien n'y fait. Muriel regarde l'heure et Jérôme n'est toujours pas rentré, ce n'est pas la première fois mais là il est vraiment tard, 2 heures 20. Elle essaie de se concentrer sur la respiration abdominale comme le lui a conseillé Rodolphe, le grand type prof de yoga et puis elle s'endort enfin.

Il y a des nuits comme ça.

Elle rêve, ils sont partis faire de la photo depuis que Jérôme s'est entiché de son nouveau Reflex. Il veut photographier les filles en imperméable, une lubie, tiens celle-là avec son imper jaune fluo clic clic clic. En rentrant, il trouve dans la boite à lettres une photo de la fille avec son nom, Rose Patillon. Le lendemain, à la radio, on annonce le meurtre d'une jeune fille vêtue d'un imperméable jaune, on recherche un photographe dénoncé par des badauds, Jérôme est arrêté, clame son innocence mais condamné à mort et elle se réveille, trempée de sueur.

Il y a des nuits comme ça.

Et Jérôme n'est toujours pas là. Muriel se lève, s'habille et sort. Le premier endroit où aller, le bistrot ouvert toute la nuit, là où Jérôme rencontre ses potes après le boulot. Le rade est fermé. Elle a très froid maintenant, désemparée elle court sous la pluie qui commence à tomber drue. Réfugiée sous un porche, elle voit arriver une haute silhouette avec un étui sous le bras, putain quel temps de merde dit la silhouette, vous êtes Dominique Pifarély dit Muriel on vous entendu hier New Morning, on a aimé surtout Jérôme qui apprécie votre jeu au violon.

Il y a des nuits comme ça.

Ce doit être dans les cinq heures maintenant le jour s'est levé et Paris s'éveille, Pifarély regarde sa montre et dit le quart, vous attendez quelqu'un alors elle lui explique le rêve et pourquoi elle est sortie. Vous avez une cigarette ? Désolé non je ne fume pas mais peut-être que le bar-tabac est ouvert maintenant vu l'heure. Ils partent en courant sous la flotte qui redouble d'intensité comme exprès. La lumière est allumée, ils rentrent en se secouant et en riant.

Il y a des nuits comme ça.

Muriel pousse en petit cri en voyant Jérôme discuter avec un grand type qui a posé un étui sur le comptoir à côté de son caoua. Tiens Pif te voilà toi aussi dit le gars et Muriel se met à hoqueter nerveusement tu m'a fait une de ces frayeurs à cause de la fille dit-elle, tu sais Rose Patillon et son imper jaune, alors Jérôme la prend dans ses bras allons allons, oh je savais bien que c'était pas toi j'ai eu peur au procès pasque une erreur judiciaire est si vite arrivée et puis la peine de mort. Tu as loupé Rose, elle vient de partir ya pas cinq minutes, elle était pressée, son mec l'a appelée au téléphone. Les deux musiciens se regardent en souriant, bon c'est pas tout ça en fin de compte dit Jérôme. Pom pom pom le téléphone de Muriel sonne, c'est Rose.

Jérôme demande l'addition. C'est payé, assura le taulier.

Il y a des nuits comme ça… et des jours aussi.

 

Jacques Chesnel

 

00:23 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (3)

19/08/2014

SCÉNARIO IMPROBABLE

 

Il y a des jours comme ça.

Combien de fois Jérôme avait entendu ou lu cette phrase qui aujourd'hui lui revient comme un boomerang tandis qu'il se pose des tas de questions sans réponse, des questions sur tout et sur rien, surtout sur tout alors qu'il s'efforce de penser surtout à rien donc de ne pas penser, exercice difficile pour lui qui s'est toujours pris pour un grand penseur.

Il y a des jours comme ça.

Alors il rentre dans un bar pour se saouler la gueule comme il a vu dans des films américains, s'approcher du comptoir, demander un puis deux puis trois ouiskis et regarder la fille d'à côté qui fait pareil, Jérôme hoquette-t-il, Jérôme Ricard comme le pastis, Rose lui répond-elle en le saluant militairement de la main, Rose Patillon avec un t au lieu d'un p et sans ailes, ricane-t-elle, ils éclatent de rire, on a l'air malin, garçon s'il vous plaît, remettez-nous ça, merci.

Il y a des jours comme ça.

On ne voit pas le temps passer mais on entend le bruit des chaises que les garçons rangent en leur jetant des regards significatifs et que la lumière baisse et que le patron compte les billets et que Jérôme dit encore que d'après lui et que Rose approuve en se dévissant la tête bien que remarquez on est pas sûr à cent pour cent, pardon dit en garçon avec son balai à sciure, on dirait qu'ils veulent qu'on se tire dit Rose en ouvrant son sac à main et Jérôme en fermant son briquet, vous croyez.

Il a y des jours comme ça.

Dehors la nuit noire, l'éclairage public en veilleuse, il doit être tard dit Rose en fermant son sac à main à Jérôme rouvrant son briquet merde je n'ai plis de clope, je connais un rade encore ouvert dit Rose chancelante c'est tout près, vous êtes comme moi vous vous posez toujours les mêmes questions et attendez toujours les mêmes réponses non ?, pas exactement parce que je ne veux plus penser aux mêmes réponses que les questions répond Jérôme l'air soudain sentencieux, juste ciel alors là vous m'épatez parce que j'avais une réplique pareille quoique différente dans la forme si vous voyez ce que je veux dire, nan on y voit pas grand-chose ça doit être l'heure, vous ne seriez pas un peu pessimiste constata Rose, merde ces cons ont fermé la boutique je croyais qu'ils ouvraient encore tard et ensuite ils vont se plaindre que les affaires.

Il y a des jours comme ça.

J'ai un peu mal au cœur moi qui d'habitude, pareil pour moi bien que je n'ai pas d'accoutumance, au fait je ne vous ai pas demandé vous habitez loin parce que pour rentrer les taxis arrêtent de bonne heure comme ce putain de bar-tabac, nan juste à proximité, d'ailleurs il faut que je rentre Muriel doit m'attendre bien que, oh j'aurais cru qu'on allait poursuivre pleurnicha Rose parce que vous commenciez à me plaire un peu plus que les autres. On entendait des pas derrière eux sur le trottoir, une silhouette apparut, on aurait dit le grand type mais celui-ci avait un étui sous le bras et Rodolphe ne joue pas de trompette, alors vous êtes Médéric Collignon, demanda Jérôme, oui exact je cherche un taxi depuis une heure ou un bistrot d'ouvert, comme nous dit Rose.

Il y a des jours comme ça.

Ce doit être dans les cinq heures maintenant Paris s'éveille argumenta le trompettiste en relevant le col de son manteau, vous n'auriez pas une cigarette ?, Rose connaît un troquet peut-être qu'il a rouvert maintenant. Ils se dirigèrent vers l'endroit où un type ensommeillé relevait le rideau de fer justement enfin . C'est pas tout ça dit Jérôme encore une fois, faut vraiment que je rentre, pas question avant d'avoir bu un p'tit jus argua Médéric en tirant sur sa première clope. Rose sortait son téléphone qui jouait ya d'la rumba dans l'air et dit en reniflant t'inquiètes je suis là dans cinq minutes tout de suite. Médéric demanda l'addition et Jérôme redit une dernière fois c'est pas tout ça en fin de compte. On est bien d'accord là-dessus, le rassura Collignon qui avait posé son étui sur le comptoir.

Il y a des jours comme ça… et des nuits aussi.

 

Jacques Chesnel

22:54 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (0)

22/07/2014

VOYAGE(S)

 

 

On dit qu’il faut savoir poser ses valises j’ai longtemps essayé jamais pu y arriver et voilà qu’avec l’âge je m’affole même pour une petite course. C’est pas la peine d’être allé partout ou presque sur la planète et avoir les jambes qui flageolent en prévoyance d’aller chercher le pain à côté on dirait que c’est comme pour une expédition et ça ne s ‘arrange pas avec l’amour de ma vie qui me tanne avec le cache-nez ou le parapluie hé oh je ne vais pas en Sibérie et la mousson est passée. A chaque fois que je prends l’ascenseur je me dis que cette fois la panne en plein milieu je ne vais pas y échapper  ah la porte s’ouvre je me suis encore trompé je suis au deuxième sous-sol avec la fumée d’un vieux diesel dans les narines, sacrées bagnoles. Bon ça continue le boulanger est fermé pour cause de mariage le prochain est où commence une sorte de trouille suivie d’un bref spasme intestinal quelle expédition pour une baguette un vélo qui roule sur le trottoir ohé vous ça va pas ta gueule vieux con je me retourne c’est pour moi je n’ai pas pris mon portable elle doit être encore chez la voisine du septième ciel et son chihuahua teigneux on m’appelle houhou la voilà à la fenêtre me faisant des grands signes fais-bien-at-ten-tion oui oui ça va je me débrouille un léger vertige frissons il fait de plus en plus chaud cela devient étouffant j’ai comme l’impression que et un nouveau paysage nous sommes en route pour Tabato petit village de Guinée-Bissau dans une vieille 404 avec notre chauffeur Ali qui cherche désespérément à éviter les fondrières de la route depuis Bissau en passant par Bafata un  jour de grand marché on avait remarqué un cochon braillard sur la galerie d’un vieux bus plein à craquer ce qu’on avait ri et les jeunes qui m’appelaient papa et l’amour de ma vie de plus en plus belle sous ce soleil de plomb nous allions retrouver les musiciens français de jazz qui avaient joué la veille une rencontre avait été organisée avec les hommes du village qui construisent dit-on les meilleurs balafons de tout l’ouest de l’Afrique il est six heures le village est désert aucun bruit hormis pépiements d’oiseaux et bêlement de chèvre quelques minutes un léger coup de klaxon un vieil homme apparaît dans une longue robe violette la tête coiffée d’une calotte le chef de village discussion des artistes français venus rencontrer des artistes guinéens il avait été prévenu mais ne se rappelait pas du jour exact il frappe dans ses mains et tout le monde sort des cases hommes femmes enfants explications fin exceptionnelle du ramadan allez mettre vos habits de fête et sortez les instruments pour honorer nos visiteurs je halète un peu je suis trempé de sueur j’ai dû me tromper de chemin pour cette foutue boulangerie quel con suis-je il faudrait les hommes apportent deux balafons et des instruments de percussion les femmes arrivent une à une avec les robes multicolores les enfants nous entourent sourient et font des grimaces aux appareils photo et au caméscope l’amour de ma vie n’en croit pas ses yeux moi non plus un concert improvisé commence les femmes chantent et se mettent à danser à tournoyer  un adolescent noir casquette et jean troué me demande ça va monsieur dites ça va oui mais où est la rue à tournoyer et nous battons des mains et tapons des pieds la tête d’un enfant surgit entre les balafons les rythmes changent l’amour de ma vie me regarde de son si beau sourire les femmes me regardent elle regarde les hommes les petits qui se trémoussent aussi le temps est comme suspendu dans le soleil déclinant entre les arbres et les cases nous sommes heureux dans cet autre monde nouveau pour nous on les remercie on s’étreint un tout petit gamin vient vers l’amour de ma vie et lui tend les bras elle a des larmes de bonheur plein les yeux je crois que je suis dans la bonne rue maintenant tout près de cette foutue boulangerie dans l’auto nous rions en nous tenant par la main comme depuis toujours  Ali pouvez-vous arrêter nous voulons boire tenez Ali merci je ne bois pas c’est le ramadan il faut que j’attende encore oh Ali excusez-nous ya pas de mal et j’aperçois l’enseigne baguépi rétrodor machin là tout près bonsoir je voudrais une baguette tradition bien cuite désolé monsieur il ne nous reste plus de pain  avec ces vacances et notre collègue qui est fermé pour le soir à l’hôtel dans notre chambre climatisée qui ronronne nous regardons le film de cette journée et alors l’ascenseur la voisine du septième son chihuahua la rue la boulangerie le pain et le reste qu’est-ce qu’on s’en fout mais alors là totalement.

 

©  Jacques Chesnel 

21:29 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (1)

15/07/2014

CARAVANES

 

 (à René Urtreger)

 

Apparemment tout le monde est d’accord : c’est le plus grand festival de jazz en Europe ; les revues, les journaux, le public, tout le monde est d’accord… unanimité, pour une fois. Le lieu, sublime ; la période, beaux jours et nuits somptueuses ; le temps, parfait ; l’organisation, irréprochable ; la programmation, top niveau, rien que du très bon, parfois du génial, jamais ou presque jamais du mauvais, le top, je vous dis et depuis toujours.

Il y a quelques chose qui m’avait choqué quand même la première fois que j’y vins il y a longtemps : les caravanes, plutôt des espèces de baraques, de baraquements d’après-guerre pour accueillir les musicos y compris les vedettes et à côté les toilettes du même tonneau j’oserais dire… bon, on n’avait pas lésiné sur les plantes vertes, sur le tapis rouge à l’entrée de chacune pour faire comme à Cannes, sur l’éclairage multicolore, mais bon c’était des caravanes, des baraques pas des loges et ça en faisait office et les musiciens devaient s’en contenter car alors à l’intérieur alors là le confort suprême voire le luxe pour les vedettes. Des fauteuils, un canapé, une table basse garnie de boissons et de fruits frais, des bouteilles et un frigo, dans chaque, la classe quoi.

 Cette année là j’avais eu un badge par un copain du coin qu’avait des accointances avec marqué dessus backstage, j’avais le droit de me trimbaler dans cette sorte de village derrière la grande scène et je vous dirai que j’en profitais un max… le nombre de musiciens de vedettes oulah j’en avais les yeux qui rodaient tout partout et j’en perdais pas une miette je vous ferai dire… un jour que j’avais sympathisé avec un guitariste de renom dont je ne me rappelle plus le nom mais bon, il m’invita à entrer dans la loge réservée à son groupe ; il en défilait du monde avec des rires énormes des tapes dans le dos des embrassades amicales et je fis des connaissances je baragouinais un peu on se comprenait on se marrait tout le temps même quand on comprenait pas…

Le dernier jour il y avait du monde rien que des grosses vedettes dis donc des pointures comme on dit ; avec mon guitariste on est entré dans la plus grande putain quelle ambiance tout le monde parlait en même temps et c’était des souvenirs des histoires hé mec tu te souviens de Ron Jefferson à Antibes vous êtes swing ?, de Grappelli racontant ses aventures avec des matelots à Amsterdam, du tromboniste qu’on a balancé tout habillé dans une piscine attends attends François Guin oui c’est lui tu te souviens et de Cat Anderson faisant le bœuf avec Keith Jarrett et Christian Escoudé avec Bill Evans, non ?, si j’te dis à Cimiez en 78 et Jacques Thollot à Nîmes avant Weather Report hein et Nina Simone chantant au clair de la lulune qu’on l’a sifflée et et et…

Dans un coin un homme en costume noir avec chemisette blanche, un sourire jusqu’aux oreilles, un air d’éternelle jeunesse…quelqu’un s’approche de lui, et toi qui a joué avec Miles et Lester qu’est-ce que tu nous racontes, René ?...

 

©  Jacques Chesnel  (jazz divagations)

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07/07/2014

ERNEST

  J'ai rencontré Ernest en juillet 1957 à la Feria de Pamplona pour les fêtes de la San Fermin ; nous nous sommes trouvés par hasard côte à côte dans la rue principale du lâcher de taureaux à l'aube au moment des premiers cohetes ces pétards qui annoncent l'événement ; je fus d'abord impressionné par sa stature que je trouvais plus imposante que sur les photos et cette trogne ; il avait alors 58 ans une belle barbe blanche une bonne bedaine et déjà une bouteille à la main je ne me souviens pas de quoi. Les gens lui tapaient dans le dos hola Ernesto certains le hélant ho hombre ou l'appelant Roberto prénom du héros de son roman Pour qui sonne le glas sur la guerre d'Espagne. Au moment où tous ceux qui couraient devant les taureaux apparurent suivis par les animaux encadrés des cabestros Ernest s'agita et voulut grimper difficilement sur la barrière de protection, je le retins juste à temps avant qu'il saute me décochant une bourrade que je crus amicale.

 Elle l'était car l'après-midi sur la plaza pricinpale de Pamplona noire de monde à la terrasse des cafés il m'aperçut et me fit de grands signes de venir le rejoindre alors qu'il était en discussion avec des matadors célèbres à cette époque le grand Antonio Ordóñez les jeunes frères Gijón César et Curro ainsi que Antonio Barrero Morano plus connu sous le nom de Chamaco qui avait passé l'alternative l'année d'avant. Je n'étais pas peu fier de me trouver au milieu de ces vedettes qui me congratulaient comme l'ami du grand écrivain et qui me donnaient du Santiago à profusion en veux-tu en voilà hombre. Non loin de moi se trouvait également une jeune femme qui ressemblait fort à Maria l'héroïne du roman d'Ernest plus tard interprétée par Ingrid Bergman dans le film personnage dont j'étais tombé amoureux à la première lecture du livre puis de l'actrice dans le film.

Nous n'arrêtions pas de nous regarder l'air un peu génés dans ce tumulte de conversations multiples de musique de toutes les bandas des cris de la foule qui se dirigeait vers les arènes il était seize heures et nous nous regardions toujours jusqu'au moment de nous lever tous pour le début des corridas.

Je me souviens des taureaux de l'élevage de Victorino Martín de Chamaco le téméraire qui fut sensationnel, du triomphe d'Ordóñez deux oreilles et la queue j'étais une vedette dans la tribune d'honneur avec Ernest et les yeux de l'inconnue que la vie était belle… Je ne me souviens pas du tout de ma nuit suite à la corrida sinon le goût du vin qui coula abondament des pimientos qui brûlèrent délicieusement ma gorge de ma vaine recherche de la belle et…

Le lendemain, je retournais à l'encierro où un jeune anglais se fit prendre heureusement entre les cornes d'un mastodonte et qui s'effondra dans mes bras en me pissant dessus et dont je n'arrivais pas à me séparer Jack mon sauveur disait-il Jack Jack puis je retournais sur la plaza où Ernest toujours entouré semblait m'attendre hi Santiago como va camarada je te présente Luis Miguel Dominguin que tal ? la jeune femme arrivait et s'asseyait à une table proche j'oubliais Ernest Luis Chamaco tous les autres Pamplona je ne voyais que ses yeux qui semblaient me regarder me pénétrer me transpercer profondément je me représentais son corps ses seins ses cuisses et le triangle de soie blonde entre elles je me tortillais sur mon siège pour cacher mon érection je n'entendais plus rien je sentis un liquide chaud couler sur mon ventre entre mes jambes je ne savais plus où j'étais je crois bien que j'ai… oui… Au moment de partir vers les arènes, elle se leva vint vers moi et me dit à l'oreille ces mots dans un soupir : Thankyoufor makinglove with me… ah your dick… that was great !. A ce moment je ne sus quoi lui répondre, j'aurais dû lui dire que moi aussi je…

Les jours suivants elle n'était plus là, je ne la revis jamais. 

Quand je relis un livre d'Hemingway ce qui m'arrive souvent, je pense toujours à ce Santiago qui revoit encore cette belle inconnue et je me souviens de ses yeux de son regard de notre orgasme commun à distance… à Pamplona cette année-là avec les taureaux de Victorino Martín les faenas de Chamaco l'élégance de Luis Miguel… en compagnie d'Ernest de Roberto de Maria d'Ingrid de cette belle inconnue… qui ne m'ont jamais quitté depuis si longtemps. 

© Jacques Chesnel

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DANS LE SILENCE

 

  Depuis quelque jours, Jérôme se sentait bizarre, on peut dire ça comme ça, bizarre égal pas bien, pas trop mal mais pas trop bien. Il n'avait vu personne de la journée à part la boulangère qui faisait la gueule comme tous les jours, pas qu'à lui non à tout le monde tout le temps. Dans l'après-midi, il décida de regarder un match de foot à la télé ; déjà le foot, pourquoi ?, voir des égos boursouflés en maillots tartignolles courir après la baballe et s'étreindre comme des tarlouses pendant des heures après avoir péniblement marqué un but et expliquer ensuite que voilà et puis heu voilà on a fait le maximum voilà le coche est content et puis voilà, cela le faisait gerber mais bon allez savoir pourquoi, il y avait bien autre chose d'aussi nul à la téloche ce dimanche après-midi là mais bon… quand arriva la plus grande peur de sa vie ; il avait coupé le son pour ne pas entendre les hurlements de trente mille abrutis et dans l'immense silence de son petit salon, une voix sépulcrale qu'il ne connaissait pas retentit "ceconaencoreloupésapasse" c'était la sienne bordel la sienne qui avait dit ce con a encore loupé sa passe, putain cela faisait un bail qu'il n'avait entendu SA VOIX sa VRAIE voix.

Depuis le départ de Muriel partie rejoindre un footballeur de renom après trente années de brouilles et réconciliations, de rabibochages et de bisbilles, de câlineries et d'insultes, se supporter, se chamailler, puis franchement se détester, il vivait seul supportant mal parfois cette solitude recherchée, pas de rapport avec ses cons de voisins, les amis partis avec ceux de Muriel, le petit chat mort le canari aussi. Donc, boulot, pas de métro, dodo, branlette hebdo et abdos pour l'hygiène et le fun, les courses le samedi matin puis la télé avec Heineken tout le ouikainde devant l'écran noir de ses nuits blanches et le cinoche une fois par mois les films de karaté et de cul. Sur le conseil d'un pote lointain qui l'avait conseillé sur sa santé au moment de l'approche de la cinquantaine, il avait passé un chèque-hold-up complet à l'hosto chéro pas remboursé alors que les affaires et les contrats se faisaient de plus en plus rares avec la crise qui n'en finissait pas surtout pour lui ; résultat des courses : non, rien, rien de rien, monsieur le patient impatient, vous avez tout bon, le cœur, les poumons, les reins, le foie, les yeux, les oreilles, le nez, la quéquette, TOUT BON, super cline, reparti pour un tour sur les chapeaux de roues, et ce con a encore loupé sa passe. Le foot c'était mieux avant, du temps de Kopa, Fontaine, Platini, Giresse et Laurent Blanc ses favoris, non seulement ils réussissaient toujours leurs passes mais ils savaient parler après les matchs pas pour dire des conneries heu hé ben voilà et puis le coche c'était quand même un entraîneur ah ! Michel Hidalgo et les équipes, Reims et St-Etienne. Quand on sonna à la porte, il ne bougea pas comme d'habitude, le téléphone c'est pas fait pour les chiens mais pour prévenir ; quand on frappa fort il pensa à un erreur, quand on tapa plus doucement il se leva pour regarder par le judas optique, il ne vit rien mais entendit qu'on grattait timidement. Il ouvrit, c'était Muriel presque à genoux et toute en pleurs avec sa petite mallette.

- Que veux-tu après tout ce temps, demanda-t-il

- Laisse-moi entrer tu veux, hoqueta-t-elle

- Si c'est pour s'engueuler, alors non

- Je t'espliquerai

Elle entra, il était perplexe.

- Voilà, j'ai quitté Robert

- Que veux-tu que ça me foute

- Je me suis aperçue que c'est un vrai connard

- Si tu le dis… moi, je le savais rien qu'à le regarder jouer

Elle s'assit devant la télé en tentant de sécher ces larmes que Jérôme trouva de crocodile.

- Tu regardes le foot toi maintenant, je croyais que

- Pas vraiment, principalement quand ya Robert

- Il ne joue plus à l'Inter de Milan, ils l'ont viré

- Je sais, c'était à prévoir vu ses résultats

- Et puis…

Jérôme s'assoit à côté d'elle sur le canapé, elle ne pleure presque plus, ils regardent un match tous les deux, la deuxième mi-temps, il remet le son, fort, dans le stade tout le monde est debout et hurle après un joueur, le brocarde, le conspue, le vilipende, le dénigre… Robert

- Ce con, il a encore loupé sa passe, dit alors une voix sépulcrale qui n'était pas la sienne.

 

© Jacques Chesnel

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30/06/2014

LES RETOURS IMPOSSIBLES

 

Oui parlons-en de Benidorm ou plutôt ne m’en parlez plus à moi à l’amour de ma vie quand on a connu le Benidorm des années 60 et ce qu’on voit maintenant sur Google Earth parce que pas question d’y retourner déjà la dernière fois en 1972 on ne reconnaissait plus grand chose car le général rondouillard et miséricordieux qui envoyait au garrot les salopards de rouges avec sa bénédiction avait commencé la distribution des permis de construire n’importe où n’importe comment à ses copains de la phalange et aux affairistes alors vous pensez aujourd’hui tiens regardez donc édifiant non ?...

 On était fauché on était en camping avec une petite tente et un peu de matériel de cuisine on a débarqué un beau chaud matin de juillet au camping Los Olivos parce que l’amour de ma vie aimait bien les oliviers. On a choisi un coin isolé qui restait et on a ouvert la tente face à la clôture pour être tranquille… on l’est pas resté tranquille, à peine installé un gamin de cinq ans avec un short deux fois trop grand et une casquette à l’envers comme les rappeurs d’aujourd’hui se planta devant nous et nous regardait qu’est-ce que tu veux riengg dit-il bon alors reste mon gars et on entend sur la gauche une voix Martingg viensgg ici laisseu le monsieur et la dameu tranquilleu Martin ne bouge pas allez va ta maman t’appelle elle se couche votre maman dit-il voyant l’amour de ma vie disposer les matelas pneumatiques Martingg tu viensgg et Martin part en courant flottant dans son short… le lendemain au réveil rebelote bonjour Martin et une jolie jeune femme arrive et nous dit il vous embête pas au moinss non il est gentil il ne dit rien parce que s’il vous embête oh d’où vous venez on a regardé votre numéro d’immatriculationgg c’est dans le Nord non ? oui boudu et vous venez jusqu’ici nous on habite Toulouse c’est moins loinsgg… on avait bien vu en arrivant une grande tente avec devant un poteau et un panier de basket des sportifs alors que moi plutôt genre Churchill mais l’amour de ma vie avait pratiqué le sport alors hé bé si vous voulez venir prendre l’apéritif ce soir on vous attend allez viens Martingg… on était venu pour trois ou quatre jours on est resté quinze… nous qui étions venus pour nous isoler un peu on est devenus copains avec toute la rangée français espagnols de partout anglais hollandais allemands tous des potes alors l’apéro je vous dis pas et les soirées à parler de tout baragouiner rigoler bouffer picoler sans excès sans dispute sans embrouille et Martin qui venait tous les jours et les parents et les autres… la veille du 14 juillet nous nous étions réunis les quatre couples de français et avions décidé d’organiser une fête les femmes avaient également décidé que ce jour là elles faisaient grève de vaisselle au bac collectif ou alors grève de l’amour comme Lysistrata nous dit le prof et tête de l’opulente hollandaise quand nous la vîmes passer non no nein pas lavage aujourd’hui pas vous mari faire et mari rappliquer rigolard et désemparé hahaha… nous partîmes de bon matin à la recherche de cohetes ces petits pétards-fusées de tradition mexicaine pour faire une maxi-fête avec animations tout les français étaient d’accord spectacle total les jeunes les vieux les enfants les autres et à minuit grand feu d’artifice comme chez nous les grands soirs alors on a eu droit à des blagues sketches histoire imitations chansons tout les français avaient joué le jeu et presque tous les gens du camping en redemandaient jusqu’à l’apothéose notre feu d’artifice final avec les cris habituels d’admiration car notre copain de Toulouse avait fort bien combiné le spectacle totalement emballant dans le ciel espagnol… jusqu’à l’arrivée en trombe de quatre oui quatre voitures de l’armée avec un bonne vingtaine de soldats armés oui armés un peu de panique et les responsables c’est nous l’autorisation écrite on en a pas alors arrestations et embarquement attendez attendez et les espagnols du camping de prendre notre défense c’est la fête de la république en Francia ici ce n’est pas une république en España et il faut une autorisation pour toute manifestation bon après palabres interminables avec un gradé bombant le torse papiers des trois responsables dont moi passeports confisqués convocations demain matin à la police et à la mairie sinon… ça avait jeté un sacré froid… le matin on arrive penauds attente interminable chef local de l’armée chef de la police municipale puis direction mairie explications avec toujours le même refrain toute manifestation est interdite sans autorisation préalable menaces discours sur l’ordre et le désordre glorification du père de la nation le sauveur du pays le croisé antibolchévique lui le petit bedonnant pas bidonnant le copain d’Hitler et de Mussolini le confit en dévotion tout y passa devant nous confondus piteux et inquiets et… donc nos excuses mille fois répétées on ne pouvait pas savoir chez nous chez vous c’est comme vous voulez chez nous comme on veut et on ne discute pas c’était mal barré à midi on était toujours dans une petite salle puante merde pisse sueur peur vomi fumée cafards mouches en attente des autorités locales départementales régionales nationales peut-être pontificales pour violation et manquements graves à l’ordre régnant sur la grande Espagne pour tout dire on n’en menait pas large ça oui bon on a fait nos recherches examiné vos cas personnels vous êtes libres mais sous surveillance et à la prochaine incartade claro… retour à pied quatre kilomètres sous chaleur accablante accueil à la fois chaleureux et modeste l’assistance soulagée gueule de bois et tête à l’envers j’avais retrouvé l’amour de ma vie les copains de Toulouse tous les autres on avait remonté la tente l’ouverture sur l’allée quelques jours encore trop calmes après la fiesta et au moment du départ on promis de se revoir l’année prochaine sans feu d’artifice et… sans personne car on ne retourna jamais à Benidorm.... avec ce qu’on voit maintenant sur Google Earth…

Six ans plus tard nous nous retrouvions avec nos toulousains à Ametlla de Mar petit port de pêche peu touristique en 1967 ; nous étions venus avec une caravane comme nos amis avec nos enfants comme nos amis Martingg avait eu un petit frère on parlait de Benidorm avec émotion les souvenirs les péripéties le fameux feu d’artifice nous avions un peu vieilli l’amitié était intacte. Nous avions installés les caravanes près des oliviers que l’amour de ma vie aimait tant et nos trop courtes vacances se déroulaient comme des vacances heureuses apéro-sieste-pétanque-apéro et tendresses câlineries et plus si tous les soirs… on avait retrouvé une ancienne connaissance qui nous faisait tordre de rire avec ses histoires idiotes nos baignades nos jeux le matin à cinq heures on entendait le doug-doug-doug des bateaux de pèche qui partaient puis leur retour vers onze heures on allait aider les pêcheurs à débarquer le poisson les mollusques ah les percebes oh les civelles et la sangria se buvait mieux que du petit lait… vers midi préparant le déjeuner j’entendis un cri dans notre caravane l’amour de ma vie m’appelait elle venait d’entendre à la radio la nouvelle qui nous crucifia : on annonçait la mort de John Coltrane c’était le 17 juillet 1967.

Pourquoi revenir encore une fois à Ametlla de Mar ?… on avait trop peur d’apprendre une mauvaise nouvelle de plus…

 

©  Jacques Chesnel

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24/06/2014

ENCORE LE GRAND TYPE

  

Nous n'avions pas eu de nouvelles du grand type depuis un bout de temps, quand un soir au téléphone il demanda à parler à Muriel qui me fit non de la main mais qui finalement prit le bigorneau et me dit après avoir raccroché : «cette fois, il a vraiment merdé ».

Plusieurs fois, en revenant du yoga, Muriel avait raconté avoir eu connaissance de drôles comportements de son prof, étranges, bizarres, inexplicables, voire intrigants ou inquiétants, elle ne voulait pas en dire plus mais Jérôme voyait bien qu'elle était choquée, elle pour qui il en fallait beaucoup pour… Elle avait même avoué qu'elle se demandait si elle allait continuer à suivre ses cours… Jérôme, curieux de nature, restait étonnamment muet pour ne pas en rajouter, il avait su par une copine qu'il y avait eu des retards, des annulations, des absences injustifiées, des escapades avec la directrice du gymnase (ce qui avait fait jaser quand on connaissait la bougresse du genre éléphante woumane pour les nuls), des remarques libidineuses sur des jeunes stagiaires étranges et étrangères un peu surexcitées façon « girls » des séries télé américaines aux tenues extravagantes trop fluo et shorts trop courts, rien de bien méchant mais de quoi faire jaser quand même. Rodolphe s'était accroché avec deux garçons qui, disait-il, foutaient la pagaille en faisant les guignols que personne trouvait drôles à part certaines ricaneuses, à part celui qui l'imitait derrière son dos et qui faisait pouffer l'assistance par ses mimiques exagérées mais bien copiées, rien de bien méchant ; il s'était fait surprendre à fumer des joints dans les toilettes avec la technicienne de surface que tout le monde détestait sans savoir vraiment pourquoi ah ! si elle sentait fort des pieds et crachait de gros glaviots noirs dans un gobelet en carton pendant à son cou décharné au bout d'une ficelle, il avait embouti plusieurs bagnoles en voulant se garer complètement bourré et proférer des menaces incompréhensibles bon, on arrête là la liste de reproches et jérémiades.

On ne savait pratiquement rien de sa vie privée sinon qu'il avait été marié et divorcé depuis longtemps avant son arrivée au gymnase, on ne lui connaissait pas de liaison réelle ou imaginée mais on avait constaté un sérieux changement de comportement dernièrement, il était devenu aigri, renfermé ou au contraire trop exubérant, ce qui faisait dire au dirlo qu'il virait bipolaire, coléreux aussi pour des riens, des petites fautes des élèves. Et là, Muriel dit un soir à Jérôme : « bon cette fois il a vraiment merdé ».

Cela faisait trois semaines qu'on était sans nouvelles, il avait pratiquement disparu sans crier gare, mais ce qui était le plus inquiétant c'était également l'absence de Laura à ses cours, une gamine de quatorze ans inscrite depuis le début de l'année. La coïncidence était évidente, deux disparitions simultanées et si… jusqu'à cette photo de la gamine parue dans la presse à la demande de sa mère qui vivait dans la région de Colmar et qui, inquiète, avait prévenu la police , laquelle avait lancé un avis de recherche. Au bout d'une dizaine de jours, on avait reçu des autorités espagnoles une annonce que le couple avait été signalé et localisé à Ibiza. Jusqu'ici, une banale affaire comme on en voit souvent, un séducteur qui s'éprend d'une jeunesse qui s'embéguine pour son séduisant professeur et qui décide de partir avec pour vivre une folle aventure… sauf que, on le découvrit à l'enquête, Laura était sa propre fille née peu après son divorce et dont son ex-épouse lui avait caché la naissance.

- Putain, c'est pas vrai ce que me racontes-tu là, Muriel, on dirait le scénario du prochain film de Pedro Almodovar  ou quoi?, demanda Jérôme, abasourdi.

- Si tu crois que t'es le seul à penser au cinéma.

 

© Jacques Chesnel

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15/06/2014

HUGUETTE, WILLIAM et CESARE

 

 Cela avait été très rapide. En quelques heures, les trois quarts de la ville avaient disparu sous les bombes, plus rien ou presque, si peu. La plupart des commerçants s'étaient donc expatriés dans la partie restée presque intacte ou dans des baraquements de fortune si l'on peut dire.

 J'avais pu trouver rapidement un petit boulot  dans le reclassement des archives de la mairie détruite en attendant de reprendre mes études quand la fac rouvrirait on ne savait quand. Parmi les magasins de la rue principale non démolie, il y avait  une grande vitrine de verre rafistolée par endroits avec du chatterton de récupération, quelques livres étaient présentés sur une table en devanture: une librairie. Un soir en rentrant du travail, je m'arrête devant les bouquins et aperçois la silhouette d'une jeune fille qui me regardait, je lui souris, elle détourna son regard ; le manège continua plusieurs fois, elle me rendit enfin son sourire, gagné !. Il me fallut attendre quelques jours pour surmonter ma timidité de gamin de dix-sept ans, alors j'entre dans la boutique bonjour et regarde les livres dans les rayons et la jeune fille qui ne souriait plus. Le libraire ressemblait comme deux gouttes d'eau à Henry Miller dont j'avais vu une photo dans la revue Arts, Henry Miller qui me regarde en souriant. Je pris l'habitude d'entrer régulièrement dans cette librairie pendant toute une semaine quand Henry Miller me demanda enfin avec un air malicieux vous cherchez quelque chose jeune homme oui la jeune fille faillit sourire de nouveau je bafouillais heu non enfin oui un livre mais je bon laissez moi vous conseiller quels sont vous goûts littéraires ben heu enfin j'ai bien aimé Jean-Paul Sartre j'ai lu Le Mur c'était bien mais. H.M. se leva et alla prendre un bouquin tenez cela devrait vous plaire, j'ai pu le sauver du bombardement… c'était Sanctuaire de William Faulkner, la jeune fille souriait de plus en plus.

Elle s'appelait Huguette, elle devint une amie, le libraire une relation indispensable qui me fit connaître d'abord tous les grands noms de la littérature des USA dont le grand Bill reste mon favori pour toujours.

 Dans la librairie nouvellement reconstruite j'avais retrouvé Huguette et le libraire qui ressemblait de plus en plus à Henry Miller avec sa tête de vieux moine bouddhiste malicieux bonjour Henry (il s'appelait Jean) ah tiens ! bonjour vous revoilà j'ai quelque chose pour vous qui devrait vous plaire, il me mit dans les mains Le métier de vivre de Cesare Pavese, livre dans lequel je relevai cette phrase : on ne se souvient pas des jours ; on se souvient des instants ; Huguette ne souriait plus, elle venait d'apprendre qu'une maladie  allait vite l'emporter.

Quelques années plus tard, avec l'amour de ma vie, nous avions envisagé d'aller visiter la ville de Jefferson et de retouver les traces du grand William, cela n'a pu se réaliser, nous nous sommes contentés d'entrer de nouveau par les livres dans son comté imaginaire. Par contre, en parcourant l'Italie, après un arrêt devant l'hôtel face à la gare de Turin où Pavese se suicida, nous sommes allés à Santo Stefano Belbo, son village natal. Nous avons cherché et trouvé sa maison sur laquelle nous avons posé nos mains : c'était comme si Huguette souriait toujours aux côtés du libriaire qui était devenu vraiment Henry Miller. La fête foraine battait son plein dans ce bourg non loin des collines que Cesare aimait tellement et sur lesquelles il écrvit. On a beaucoup ri dans un tour de manège à l'ancienne, puis on s'est bousculé un peu dans les auto-tamponneuses. Nous étions heureux.

 

 ©  Jacques Chesnel

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10/06/2014

LOGIQUE

                                                                            

Quand le patron l’a appelé dans son bureau, c’était pour lui dire qu’il était engagé en CDI

Quand le patron l’a rencontré dans l’atelier, c’était pour lui dire qu’il était content de son travail

 Quand le patron l’a appelé de nouveau dans son bureau, c’était pour lui dire qu’il avait une augmentation de salaire

 Quand il a croisé le patron dans la cour, c’était pour s’entendre dire que les temps devenaient de plus en plus durs

Quand il a rencontré le patron à la cantine, c’était pour lui affirmer que les charges patronales étaient vraiment  insupportables

Quand il a vu le patron dans son nouveau gros 4 x 4, il a pensé à faire la révision aux 200.000 kilomètres de sa voiture d’occasion

Quand le patron l’a encore appelé dans son bureau, c’était pour lui dire qu’il allait réduire les salaires de 15 %

Quand il a entendu que le syndicat se réunissait en catastrophe, il a compris qu’il y allait avoir de gros problèmes

Quand il demandé pourquoi on ne voyait plus le patron, on lui a répondu qu’il était en vacances aux Seychelles pour deux mois

Quand il a revu le patron tout bronzé, il a pensé à ses gosses qui n’avaient pas pu aller voir les grands-parents parce que c’était trop cher vu la distance

Quand il a vu la photo de son patron souriant dans Le Figaro, il s’est dit qu’il aimerait avoir la sienne dans Libération

Quand il a entendu le patron gueuler contre le syndicat, il a pensé que ça ne sentait pas bon

Quand il a rencontré le patron sur le parking, il a remarqué que celui-ci ne le saluait pas comme d’habitude

Quand le patron lui a encore une fois demandé de venir dans son bureau, c’était pour dire désolé mais je suis obligé de vous licencier comme tous vos camarades 

Quand il a vu le patron une dernière fois, c’était pour lui foutre une bonne paire de claques dans la gueule

Quand il est sorti de l’usine, il s’est demandé pourquoi il pleurait  parce que c’était pas son genre

Quand il est rentré chez lui, il a embrassé une dernière fois sa femme et ses enfants et s’est tiré une balle dans la tête

Quand il est arrivé au paradis (auquel il ne croyait pas), on lui a dit que son patron était déjà en enfer… il pensa alors qu’il y avait une justice.

 

©  Jacques Chesnel

16:57 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (1)

31/05/2014

MON ÉTÉ 44

 

J. Chesnel 1944.jpg

 

L'année de mes 16 ans, juillet, le premier mois de liberté enfin retrouvée.

Je portais des lunettes, souvent des pantalons de golf, je terminais ma période zazou, je n'avais pas de moustache (car je n'avais pas encore rencontré le pilote de la RAF et son superbe attribut qui me servira de modèle jusqu'à aujourd'hui) j'étais maigre comme un clou, encore puceau, enfin presque, et je jouais de la clarinette en autodidacte ; la veille on avait répété de nouveaux morceaux pendant le bombardement du centre-ville, on avait l'habitude depuis le 6 juin au matin, on prenait depuis notre mal en patience et on attendait d'être libérés.

Les bombes qui tombaient sur le centre-ville étaient notre principale terreur ; j'allais chez un copain sur le toit-terrasse de sa maison et nous regardions les destructions à la longue vue, c'est ainsi que j'ai vu tomber le clocher de l'église Saint-Pierre, la mairie voler en éclats et des quartiers entiers disparaître en quelques secondes, boum !. Ce dont nous avions le plus peur ma famille et moi c'était des obus, ceux venant de nos libérateurs vers les forces d'occupation, du nord au sud, puis après la libération l'inverse, celles des repaires, planques et tanières de la wehrmacht vers les forces alliées et plus précisément des canadiennes basées près de chez nous, une pluie d'obus, puis des tirs soutenus ou sporadiques… 

Ce matin là du 9 juillet, dans notre quartier de Venoix, nous étions encore dans la cave parce que ça les bombes tombaient toujours quand, pendant une accalmie, un voisin nous appela, ils sont là, c'est moi le premier qui les ai vus, ils sont là ; nous sortîmes et au coin de la rue il y avait une chenillette avec trois soldats dedans qui nous font signe d'approcher et demande à mon père : « vous avez pas vu des allemands par là » avec un drôle d'accent (v'savez point vu d'allemins par lô) vous êtes qui ? demanda mon père, « des canadiens français, on est en patrouille », mon père fit le salut militaire, ma mère se mit à pleurer et mon frère et moi à rire bêtement, on ne comprenait rien. Lorsqu'ils sont repartis, mon père à dit ya plus qu'attendre la suite, c'est à dire cinq longs jours où toute une compagnie arriva et s'installa dans notre quartier, une partie devant chez nous… et c'est là que commence l'histoire de l'Indien 

 

Notre indien

D'abord, était-il Iroquois ou bien appartenait-il à la tribu de Mohawks ou des Hurons, nous ne le sûmes jamais, nous ne lui avons jamais demandé, c'était notre Indien à nous, pas besoin de savoir ; par contre, ça coiffure en « crête » ou « coupe mohawk », cheveux rasés sur les côtés nous intriguait ainsi que les quelques amulettes accrochées au ceinturon mais on n'a jamais voulu le questionner, cela faisait partie du mystère alors que je venais juste de terminer « Le dernier des Mohicans ».

Donc, notre Iroquois, incorporé dans une unité de l'armée canadienne avait débarqué mi-juin; nous le reçurent en héros dans notre famille ainsi que quelques autres soldats de la Belle Province, cousins très bavards avec leur accent typique alors que lui parlait rarement, quelques mots seulement avec le Capitaine Grégoire. Ma maman, fille de militaire (notre grand-père ancien aide de camp d'un Maréchal de la Grande Guerre) avait trouvé l'occasion de réaliser son rêve : être la cantinière du régiment, elle qui regrettait tant de n'avoir pu le faire en 14/18 car trop jeune. Nous faisions ripaille avec les boites de singe et autres rations du contingent, avec les légumes de notre jardin qui disparurent à une vitesse phénoménale ainsi que le beurre lait et camemberts que nous allions chercher mon frère et moi parfois sous la mitraille chez des fermiers voisins, nous dégustions aussi les tartes que la cantinière fabriquait en chantant comme on ne l'avait jamais entendu depuis ces années d'occupation. Les tablées étaient animées, joyeuses, les soirées interminables, tant d'événements à raconter, tant de choses à se dire avec parfois des moments de nostalgies quand les soldats nous montraient les photos des femmes, enfants, fiancées, parents 

Mais nous n'étions pas encore sortis des bombardements. En effet, un groupe de soldats allemands replié à quelques kilomètres dans une carrière avait installé une ou deux roquette(s) qui nous distribuaient généreusement et régulièrement quelques salves qui passaient en sifflant au-dessus du quartier avec une régularité inquiétante en espérant pouvoir échapper à l'une d'elles. Le Capitaine Grégoire estima qu'il fallait en finir et demanda un volontaire en regardant fixement notre Iroquois qui avait compris et se déclara prêt. Il dit quelques mots au capitaine qui demanda à mon père s'il pouvait avoir un peu de cette eau de feu qu'il appréciait tant qu'il but près de la moitié de la bouteille sous nos yeux ébahis. Il partit tout de suite, aux environs de 17 heures.

Pendant deux jours, ces fumiers de boches continuaient à nous asperger et on redoutait la prochaine bordée de leurs saloperies qui serait pour nous… dans la nuit du deuxième jour, le silence nous inquiéta d'abord, et si c'était pour mieux repartir et cette fois de plus en plus fort, à moins que… au matin du troisième jour, toujours ce silence mais le capitaine regarda mes parents avec un sourire qui en disait long ; au moment de se mettre à table à midi, il y eut comme un raffut parmi les soldats et notre Indien arriva toujours aussi digne mais paraissant plus décharné que jamais dans son uniforme poussiéreux et déchiré, regarda mon père qui comprit immédiatement et ressortit la fameuse bouteille dont notre héros vida le reste d'un coup. D'un signe éloquent, le Capitaine Grégoire sollicita une explication et notre Iroquois fit le chiffre 3 avec sa main droite avec laquelle il fit semblant de se trancher la gorge. Il partit se coucher discrètement au milieu des cris des hourras et des larmes. Plus tard, nous apprenions par ses camarades qu'il avait repéré les engins grâce au tracé des obus, localisé l'endroit dans cette carrière de pierres, rampé pour y arriver en attendant la nuit, aperçu les trois soldats qu'il avait égorgé un à un après avoir pratiqué des feintes autrement dit des ruses de Sioux bien qu'il fut Iroquois comme on le croyait. 

Quelques jours après, le bataillon devait partir pour suivre l'évolution du front. Après des adieux que l'on dit à juste titre déchirants tant d'amitiés s'étant affirmées, la troupe nous quitta avec force embrassades et promesses de s'écrire après la fin de la guerre et peur-être se revoir là-bas chez Sasseville ou Lêvèque nos meilleurs copains… À l'heure du dîner, ma mère appela mon frère plusieurs fois dans la maison sans résultat, je partis à sa recherche dans nos aires de jeux habituelles aux glissades notamment, pas de frère, personne ne l'avait vu depuis le départ de la troupe ; à la tombée de la nuit, une chenillette nous rapporta mon frère qui s'était caché dans un camion et voulait continuer la bataille avec eux. Je revois encore le visage énigmatique de notre Iroquois et enfin son franc sourire lorsqu'il embrassa Maman en lui remettant en mains propres son petit guerrier furieux de revenir. 

 

La douche écossaise

Il y a quelques jours, je suis tombé, façon de parler, sur un article dans un journal au sujet de la douche écossaise que prend tous les jours un ministre du gouvernement, alors je me suis précipité, façon de parler, sur mon Robert des expressions et locutions, j'y ai trouvé ceci : traitement fortement contrasté, où l'on est alternativement bien ou mal traité… la douche écossaise étant donc une hydrothérapie par jets d'eau alternativement chauds et froids, l'expression datant de la fin du XIXième siècle, fin de citation. Je m'étais toujours demandé pourquoi le fait de prendre une douche me faisait immanquablement penser au sifflement des bombes ou des obus, il devait bien y avoir une explication logique ou pas… était-ce pour cela que je ne prends que des bains depuis si longtemps… pour ne pas entendre le sifflement de ces satanés explosifs ?. Je passe vite sur les gros problèmes dudit ministre pour vous conter ce qu'est pour moi une véritable douche écossaise, telle que je l'ai vécue quelques jours après le débarquement de juin 44.

Je ne peux maintenant préciser le jour exact mais l'heure, oui, vers dix heures ce matin-là. Nous avions passé toute la nuit dans la cave de notre maison récemment construite avec des planchers en béton armé ce qui nous rassurait un peu, quoique, il y avait eu quelques tirs mais au matin cela recommença de plus belle (façon de parler) et cela sifflait fort au-dessus de nos oreilles, (il y avait des poches de résistance de l'armée allemande)… quand nous avons entendu une musique qui semblait se rapprocher, ce n'était donc pas la radio qu'on aurait oublié d'éteindre ; surmontant notre peur, nous montâmes à l'étage pour voir arriver un groupe de soldats (une vingtaine) marchant en rangs, en kilt et calot à rubans, serviette de bains sur l'épaule, avec à leur tête un joueur de cornemuse qui jouait : des soldats écossais allant prendre leur douche à l'établissement de bains tout proche, indifférents au tintamarre et au danger tandis que les obus allemands passaient au-dessus d'eux sous une pluie d'orage étouffante et battante… Je ne me souviens plus de les avoir entendu repasser ; par contre, j'ai encore et toujours dans la tête la musique du cornemuseux, la vision de ces hommes imperturbables sous les rafales, puis plus tard le bruit énorme d'un obus tombant sur la maison d'en face, pas la nôtre, comme quoi le béton armé…

Depuis ce temps fort lointain, je sais vraiment ce qu'on entend par « douche écossaise », moi qui ne prend que des bains pour éviter d'entendre le sifflement des obus…

 

Un soldat allemand, un blondinet

J'ai aussi un autre souvenir que je vais conter sous la forme d'un témoignage où se mêlent réalité (ce qui m'est arrivé) et la fiction (le récit imaginé de ce soldat bien réel) :

J'avais 18 ans et l'armée m'avait envoyé sur le front de Normandie quelques jours après le débarquement des alliés ; Hitler affolé menait à l'abattoir les vieux, les jeunes, tous ceux qui pouvaient défendre sa fureur guerrière à l'agonie. Mon arrière-grand-père était mort pendant la guerre de 70, mon grand-père trois jours après l'armistice de 1914 car la nouvelle n'était pas parvenue dans certaines tranchées éloignées, mon père avait été tué au début de ce conflit, foudroyé le deuxième jour, mon frère se trouvait maintenant sur le front russe et moi j'arrivais exténué dans les environs de Caen, à l'aéroport de Carpiquet ou où l'armée en déroute avait enterré et camouflé les tanks pour les dissimuler face à l'aviation britannique qui pilonnait sans cesse, avec comme mission impossible de repousser la prise de la ville en attendant des soutiens qu'on n'espérait plus. Les forces ennemies, britanniques et canadiennes se trouvaient déjà dans les villages environnants, nous avions du mal à les cerner sous la pluie continuelle de bombes, je n'avais pas mangé depuis trois jours, pas dormi d'autant… je frappais à de nombreuses portes de maisons vidées de leurs occupants, je mâchonnais quelques racines dans les jardins à l'abandon, des fraises sous des colonies de fourmis… je flottais dans mon uniforme et mes armes, fusil et grenades me semblaient peser des tonnes, une sorte de fièvre me donnait des hallucinations, j'entendais gémir les mourants, je voyais des morts partout… je ne croisais personne dans les rues ou sur les routes, parfois une chenillette roulant à toute allure, les nuits sentaient la poussière, la poudre, la mort… en pillant une cave je trouvais une bouteille cachée derrière un tas de fagots, de l'alcool que je bus en deux heures avec ensuite des moments interminables de vomissements et brûlures… j'étais comme un cauchemar à l'intérieur d'un cauchemar, j'errais à la recherche de mes compagnons, à la recherche de je ne savais plus quoi… aux portes de Caen, un soir au coucher de soleil de juin, je frappais à coups de crosse au hasard des portes, alors que je ne me faisais plus d'illusions, quand une porte s'entrouvrit… un jeune garçons, blondinet de 15 ou 16 ans se trouvait devant moi, il essaya de refermer la porte que je repoussais le plus vigoureusement, « Papa, Papa, appela-t-il, il y a un bo… un soldat allemand »… le père furieux arriva d'une pièce où cela sentait la cuisine et où on entendait la radio, « à manger tout de suite ou bien je fais sauter la maison» dis-je avec mon épouvantable accent français en lui montrant une grenade, une femme inquiète vint ensuite en disant nous n'avons rien non, rien, je répétais « manger maintenant ou... »… le jeune garçon dit  « attendez », alla dans la cuisine et revint avec un œuf dur et un morceau de pain, « c'est tout ce que j'ai à vous donner, c'est mon repas »… je suis parti comme un voleur sans rien dire… vers mon destin… avant que je me rende ou que... 

Oui, ce blondinet, c'était moi, quelques heures avant que n'arrive la fameuse chenillette de nos premiers libérateurs.

 

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© Jacques Chesnel

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26/05/2014

DERRIÈRE LA PORTE



. Il referma la porte aussitôt, brutalement, avant qu’un pied ne vienne s’interposer. Il avait eu le temps de voir le visage. Celui qu’il ne voulait plus voir ; celui qu’il n’avait pas du tout envie de revoir…

. Jérôme regarda par la fenêtre la pluie qui commençait à tomber, drue. 

. Il avait eu le temps de s’apercevoir que, derrière le visage, il pleuvait, que le vent faisait trembler les grands saules du jardin.

. Jérôme remarqua qu’il n’y avait pas beaucoup de voitures sur le parking à cause du ouiquainde. 

. Il entendait un vague bruit de moteur, le visage était donc venu en auto.

. Jérôme, qui frissonna, se demanda dans quel genre de récit il s’était embarqué, sans plan précis. 

. Il sursauta aux trois coups secs qui résonnèrent derrière la porte « ouvre, ne fais pas l’idiot » dit le visage d’une voix étouffée.

. Jérôme pensa que l’automne arrivait vraiment trop vite. 

. Il tressaillit car maintenant ce sont des coups plus forts, certainement de pieds, trois également, « ouvre, imbécile ».

. Jérôme regarda le clavier de son ordinateur qu’il trouva soudain hostile et poussiéreux. 

. Il se tranquillisa quand les coups cessèrent, les pas semblaient s’éloigner.

. Jérôme pensa à prendre une tasse du thé vert qu’il avait acheté hier et qui l’apaisait si rapidement. 

. Il se dit qu’heureusement les volets étaient fermés parce que avec ce type on ne savait jamais.

. Jérôme, revenu de la cuisine après avoir bu lentement le breuvage, reprend le récit 

. Il pense que ce n’est pas dans ses habitudes de fuir.

. Jérôme pensa que c’est mal barré, faudrait mieux que j’arrête. 

. Il entend sonner le téléphone dans la chambre, ce doit être Muriel, à moins que.

. Jérôme regarde sa montre, vingt heures vingt. 

. Il entend la voix du visage « ne raccroche pas, écoute-moi, mais écoute-moi, nom de dieu ».

. Jérôme trouve bizarre que Muriel n’ait pas encore appelé.

. Il écoute cette voix qu’il reconnaît malgré le son déformé, il doit téléphoner de sa voiture, de son portable.

. Jérôme protège son peu de texte sur l’ordi et se lève. 

. Il trouve le débit plus posé, la voix plus claire « il faut absolument qu’on se voit, on ne peut pas régler cela par téléphone, ouvre-moi, je t’en prie, il le faut ».

. Jérôme compose un numéro, entend le timbre, c’est le répondeur « laissez votre message après le bip sonore » dit une voix féminine anonyme. 

. Il trouve la fin de phrase suppliante, comme plus conciliante, il a dit « je t’en prie, il le faut… »

. Jérôme n’a plus tellement envie de continuer, il devient nécessaire de remettre la suite à plus tard, stop. 

. Il écoute avec plus d’attention, la voix dit « je n’ai pas d’intentions agressives, Jean-Paul, arrête ta parano, nous devons parler d’homme à homme, il n’y a pas d’autre solution, crois-moi ».

. Jérôme trouve étonnant le silence de Muriel, elle devait appeler tous les soirs avait-elle dit. 

. Il fait un effort pour répondre « je ne suis pas parano, je te connais trop, tu n’as pas changé et ».

. Jérôme décide d’aller se coucher, le sommeil le gagne, ça ira mieux demain. 

. Il perçoit de l’agacement dans le ton « tu ne veux pas te rendre compte de la situation, cela ne peut plus durer, arrêtons cette hypocrisie ».

. Jérôme se déshabille lentement en regardant intensément la photo de Muriel avant de se mettre au lit. 

. Il entend comme un hoquet ou un pleur qui ne vient pas de la voix du visage.

. Jérôme a malgré tout du mal à s’endormir, le silence de sa femme l’inquiète, ce n’est pas dans ses habitudes. 

. Il y a quelqu’un à côté de lui dans l’automobile, il en est certain, ce sanglot ou ce hoquet.

. Jérôme se souvient du départ de Muriel, son regard gêné, fuyant, son embarras, « j’ai besoin de réfléchir, Jérôme, j’ai envie d’être seule quelque temps ». 

. Il croit vaguement entendre une conversation en sourdine comme si on avait éloigné le téléphone.

. Jérôme se retourne dans son lit, ne trouve pas le sommeil. 

. Il dit bêtement « allô allô je ».

. Jérôme dort maintenant, il rêve, revoit les jours heureux de son union, leur rencontre, le premier baiser, la première étreinte, le voyage à Biarritz, Muriel dans son maillot de bain, l’escapade à Zumaya et le regard admiratif des espagnols et… 

. Il écoute le silence ou sont-ce des bruits sourds dans l‘auto.

. Jérôme entend une sonnerie de téléphone, c’est dans mon rêve pense-t-il, il s’en amuse, il sourit. 

. Il perçoit comme un déplacement furtif, un frôlement de vêtements, puis une voix : Muriel « Jean-Paul, c’est moi, je suis avec lui, dé-fi-ni-ti-ve-ment, tu n’as pas voulu comprendre, on aurait pu s’expliquer de vive voix mais », il raccroche vivement, l’appareil tombe.

. Jérôme n’en peut plus de ce boucan, il se réveille, va vers le bigophone qui n’en finit pas avec tous ces drrrring « allô, Jérôme, c’est moi, Muriel, je voulais te dire, je suis avec Lucie, oui, pour-tou-jours, on aurait pu en débattre, mais tu… », il n’a pas la force de raccrocher… on frappe à la porte, fort. 

 

© Jacques Chesnel

 

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