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15/06/2014

HUGUETTE, WILLIAM et CESARE

 

 Cela avait été très rapide. En quelques heures, les trois quarts de la ville avaient disparu sous les bombes, plus rien ou presque, si peu. La plupart des commerçants s'étaient donc expatriés dans la partie restée presque intacte ou dans des baraquements de fortune si l'on peut dire.

 J'avais pu trouver rapidement un petit boulot  dans le reclassement des archives de la mairie détruite en attendant de reprendre mes études quand la fac rouvrirait on ne savait quand. Parmi les magasins de la rue principale non démolie, il y avait  une grande vitrine de verre rafistolée par endroits avec du chatterton de récupération, quelques livres étaient présentés sur une table en devanture: une librairie. Un soir en rentrant du travail, je m'arrête devant les bouquins et aperçois la silhouette d'une jeune fille qui me regardait, je lui souris, elle détourna son regard ; le manège continua plusieurs fois, elle me rendit enfin son sourire, gagné !. Il me fallut attendre quelques jours pour surmonter ma timidité de gamin de dix-sept ans, alors j'entre dans la boutique bonjour et regarde les livres dans les rayons et la jeune fille qui ne souriait plus. Le libraire ressemblait comme deux gouttes d'eau à Henry Miller dont j'avais vu une photo dans la revue Arts, Henry Miller qui me regarde en souriant. Je pris l'habitude d'entrer régulièrement dans cette librairie pendant toute une semaine quand Henry Miller me demanda enfin avec un air malicieux vous cherchez quelque chose jeune homme oui la jeune fille faillit sourire de nouveau je bafouillais heu non enfin oui un livre mais je bon laissez moi vous conseiller quels sont vous goûts littéraires ben heu enfin j'ai bien aimé Jean-Paul Sartre j'ai lu Le Mur c'était bien mais. H.M. se leva et alla prendre un bouquin tenez cela devrait vous plaire, j'ai pu le sauver du bombardement… c'était Sanctuaire de William Faulkner, la jeune fille souriait de plus en plus.

Elle s'appelait Huguette, elle devint une amie, le libraire une relation indispensable qui me fit connaître d'abord tous les grands noms de la littérature des USA dont le grand Bill reste mon favori pour toujours.

 Dans la librairie nouvellement reconstruite j'avais retrouvé Huguette et le libraire qui ressemblait de plus en plus à Henry Miller avec sa tête de vieux moine bouddhiste malicieux bonjour Henry (il s'appelait Jean) ah tiens ! bonjour vous revoilà j'ai quelque chose pour vous qui devrait vous plaire, il me mit dans les mains Le métier de vivre de Cesare Pavese, livre dans lequel je relevai cette phrase : on ne se souvient pas des jours ; on se souvient des instants ; Huguette ne souriait plus, elle venait d'apprendre qu'une maladie  allait vite l'emporter.

Quelques années plus tard, avec l'amour de ma vie, nous avions envisagé d'aller visiter la ville de Jefferson et de retouver les traces du grand William, cela n'a pu se réaliser, nous nous sommes contentés d'entrer de nouveau par les livres dans son comté imaginaire. Par contre, en parcourant l'Italie, après un arrêt devant l'hôtel face à la gare de Turin où Pavese se suicida, nous sommes allés à Santo Stefano Belbo, son village natal. Nous avons cherché et trouvé sa maison sur laquelle nous avons posé nos mains : c'était comme si Huguette souriait toujours aux côtés du libriaire qui était devenu vraiment Henry Miller. La fête foraine battait son plein dans ce bourg non loin des collines que Cesare aimait tellement et sur lesquelles il écrvit. On a beaucoup ri dans un tour de manège à l'ancienne, puis on s'est bousculé un peu dans les auto-tamponneuses. Nous étions heureux.

 

 ©  Jacques Chesnel

23:16 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (3)

Commentaires

toujours autant de plaisir à vous lire... bravo Jacques

Écrit par : paniss | 16/06/2014

Si la vendeuse s'était appelée Anïs, le tableau aurait été géant.

Écrit par : Dominique Hasselmann | 20/06/2014

lire : "Anaïs", bien entendu !

Écrit par : Dominique Hasselmann | 20/06/2014

Les commentaires sont fermés.