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13/09/2014

MONSIEUR LE DIRECTEUR

 

Comme d'habitude à cette heure-là, après les consultations et les soins, aux alentours de 18 heures, Monsieur le Directeur se dirige de son pas chaloupé vers la salle de conférences dite salledeconf' pour le briefing de fin de journée. Grand, portant beau malgré les prémices d'une soixantaine bien assumée, impeccablement vêtu sous la blouse immaculée, Monsieur le Directeur, toujours souriant et affable, salue les membres du personnel qu'il croise dans le couloir et s'arrête volontiers pour dire un mot toujours aimable aux patients qui déambulent, alors Madame Beaulieu la sieste a été profitable et vous Monsieur Lamarche quelle mine splendide, excusez-moi Monsieur Aristide mais on se voit demain plus longuement aux sujet des chauve-souris chauves hein ?... docteur pressez-vous s'il vous plaît la réunion est commencée. A son entrée, le personnel se lève, applaudit, Monsieur le Directeur sourit quel est l'ordre du jour Mademoiselle Virot, tout le monde est là ?, bon… 

La réputation de la clinique venait principalement de la grande liberté laissée aux malades alors que se pratiquaient encore par ailleurs des normes et règles trop strictes contraires à l'évolution de la psychiatrie actuelle ; néanmoins on ne manquait pas de critiquer ces nouvelles méthodes notamment en ce qui concerne les thérapies comportementales et cognitives face aux affections organiques comme les syndromes confusionnels ou démentiels, les modifications du caractère et/ou du comportement, les manifestations délirantes ou hallucinatoires.

La personnalité du Professeur M. O., le directeur, était bien celle qui avait réussi à hisser cet établissement au sommet dans le relevé que publiait annuellement le ministère de la santé. En raison de cette autonomie laissée aux malades, le bouche-à-oreille avait fait que maintenant la liste en admission était d'une longueur impressionnante, on refusait du monde. Aussi pouvait-on croiser dans tous les couloirs des trois étages des cinq bâtiments situés dans un vaste parc bien entretenu une foultitude de personnages dont certains en costumes d'époque ce qui faisait dire à quelques malveillants de visiteurs que décidément cette maison de fous était tenue par des dingues, une belle bande de sinoques et de mabouls en tous genres. 

Ainsi une Agrippine la Jeune (43 ans) était toujours flanquée de son Néron de fils (8 ans) avec une lyre dans une main et un briquet dans l'autre, une Jane Birkin aux seins à la Lolo Ferrari chantait du Franck Michael à tue-tête sans poser de problèmes à un Alain Finkelkraut plus vrai que le vrai, Charlotte Corday et Marat s'ébattaient avec passion derrière des buissons très ardents, un Flaubert tirait des plans sur la comète avec une madame Bovary aussi belle que Juliette Binoche, Maurice Thorez et Marcel Déat jouaient aux échecs sans savoir y jouer, une princesse de Clèves minaudait avec un petit gars trépignant et continuellement agité des épaules, un Gérard Dipardiou maigre comme un clou sautait comme un cabri et lançait des petits papiers sur lesquelles étaient écrit ah! Marguerite ahah hein hein !, Socrate, Henri III et André Gide lutinaient les infirmières, Minou Drouet jouait avec un petit chat en peluche et Henti IV avec un cheval en bois noir, tous les prêtres avaient quittés la soutane pour le kilt gaélique, un Jacques Chirac prenait douche sur douche toutes les cinq minutes, la mère Denis en string s'essoufflait dans les sentiers sur les traces du père Dupanloup en tenue de golfeur, Roberto Begnini était devenu muet et Bill Clinton fumait la pipe, une Mireille Mathieu devenue blonde était aphone et le cardinal de Richelieu adipeux et apostat, Pierre Laval portait l'étoile jaune et Mao-Tsé-Tung un col italien, un Richard Virenque lisait la bible et bénissait la foule à vélo, un boxeur thaï de 40 ans cherchait désespérément un partenaire et Louis XVI une guillotine en bon état de marche, un Xavier Darcos comptait sur ses doigts en faisant la règle de trois de ses deux mains et un Roland Dumas marchait nu-pieds, une Thérèse de Lisieux gambadait en nuisette sous l'œil réprobateur du divin marquis…bref, tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes à la clinique "La joie pour tous", impasse du Désir Vibrant à Charenton sur le Lardon.

 Au cours de la séance, sous la présidence de Monsieur le Directeur, on évoquait maintenant les problèmes habituels de petite intendance, ceux de la cuisine dont le chef ne donnait pas entière satisfaction auprès du personnel et des patients, la suppression de certains médicaments remis en cause par les nouveaux traitements et les déremboursements, bref le train-train habituel. Pas de discussion particulière, alors au moment de conclure, Monsieur le Directeur se leva et dit sur un ton docte: Mesdames, Messieurs, je vous remercie tous pour votre attention et conclurai donc cette réunion par ces mots (il commence à s'énerver): je sais que pour une femme, il est difficile de rendre un homme heureux (il s'agite) mais si ce travail vous paraît trop dur toute seule (il s'emballe) mettez-vous à plusieurs car vous savez n'est-ce pas qui  n'avance pas recule… (il hurle)  et si vous voulez que je vous encule…(il vocifère) alors je dis merde à Freud et à Lacan et à tous ces psys avec  leurs théories à la con et…

Rémus et Romulus, les deux doux infirmiers jumeaux préférés des patients avec les plantureuses Thelma et Louise, qui attendaient sagement derrière la porte se précipitèrent dans la salledeconf' et empoignant avec précaution le Directeur redevenu soudain calme et docile allez Monsieur Michel, la fête est finie, on y va  maintenant c'est l'heure de la séance de soins intensifs qui vous font tellement de bien allez on y va Monsieur Michel là  doucement.... là… non… doucement.

 

 Jacques Chesnel

09:28 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (4)

Commentaires

J'aime bien cette histoires de fous.

Écrit par : Nadine Etis | 14/09/2014

Excellent : la description des patients est tout à fait dialectique (ou neuroleptique), et la chute directe !

Écrit par : Dominique Hasselmann | 16/09/2014

Même commentaire que Dominique, la chute est savoureuse!

Écrit par : Nicole Giroud | 03/10/2014

et dire que jusqu'à la chute finale, j'ai cru qu'il existait vraiment de nouvelles thérapies psychiatriques888 Serais-je un peu fada?

Écrit par : paniss | 22/10/2014

Les commentaires sont fermés.