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03/12/2015

UNE ANNONCE



« On va avoir de la visite ».
C'est en pensant à cette phrase lue dans Orfeo, le roman de Richard Powers qu'elle avait beaucoup aimé, que Muriel annonça à Jérôme qu'elle était enceinte.
Bon, on peut remonter au début de leur histoire d'amour, de leur union, de leur mise en ménage, de leur désir d'enfant, de leurs interrogations et de leurs craintes. Ils avaient tout envisager, un ou plusieurs espacés dans le temps mais les incidences sur leur vie de couple et aussi sur leurs parcours professionnels avaient mis le problème en suspens jusqu'au moment où les couples amis se mirent à enfanter plus rapidement que prévu sur leurs propres plannings. Les copines aux ventres rebondis, les copains anxieux et rigolards à la fois devinrent des êtres scrutés dans leurs comportements lors de réunions et/ou repas au cours desquels Muriel et Jérôme faisaient une sorte d'apprentissage préventif. Sans parler des discussions avec les parents et grands-parents respectif, voire les fameux et incontournables «de notre temps », « si vous voulez notre avis », « croyez en notre expérience »,  « nous ce qu'on en dit vous savez »… les réunions familiales devinrent pénibles et donc s'espacèrent ; il avait aussi les collègues de travail côté Muriel, de jeunes femmes nouvelles mamans aux expériences diverses parfois curieuses sur les nouvelles techniques, sur l'allaitement, les soins, les livres aussi, les conseils dans les journaux et revues sans oublier les visites chez le médecin de famille référent, l'obstétricien, l'accouchement chez soi ou en clinique, le choix du pédiatre…
Mais on en n'était pas encore là, pas de signe visible de grossesse, par contre le doute, la crainte, la joie, l'espoir, tout cela mélangé façon cocktail… Plusieurs questions : le sexe de l'enfant à venir, la certitude ou la surprise, vaste débat, le mode d'accouchement conseillé par les copines aux avis différents, et ah ! on y arrive : le choix des prénoms, vaste programme, une conviction partagée : pas de ces nouvelles appellations à la con ni retour aux plus anciens genre Arthur, Émile, Simone ou Arlette, pas d'originalité à tout prix, pas de clins d'yeux aux ancêtres non plus, alors ??? on avait le temps d'y penser ; la seule assurance prise : pas baptême et tant pis pour les rares calotins et grenouilles de bénitier dans nos familles, ça couinerait un peu mais tant pis… Tout cela avait fait disparaître l'idée que nous avions eue au tout début de notre histoire, à savoir adopter plutôt qu'enfanter mais Muriel avait manifester rapidement l'envie sinon le besoin d'être maman, alors !
- Tu sais, je le sens déjà, il commence à remuer, tiens touche...

Et c'est alors qu'on sonna à la porte d'entrée ; « aurait-on déjà de la visite ? », s'écria Jérôme en éclatant de rire
- Bonjour, c'est le facteur, j'ai un colis pour vous, un gros.

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27/11/2015

TOUT BI OR NOTE

                           

.Tout bi

Quand on nous a dit qu’Hervé dit le verbeux était bi, on en a été vert de surprise aussi a-t-on pris notre air effarouché certains y allant même de leurs grands airs ce qui était facile pour d’autres vu qu’ils n’en manquent pas.  Hervé nous étonnait toujours avec ses chemises en bichromie et ses chaussures bicolores, par sa façon de tenir sa fourchette pour attaquer son bifteck aussi bien de la main gauche que de la droite comme pour prendre son verre et boire sa bibine il était donc ambidextre ce qui faisait dire à Simon en bis « il a des bis partout sur lui » alors qu’on ne savait encore rien sur sa bisexualité, si ce n’est qu’il avait parfois des regards binoculaires sur l’une ou l‘un qui en disait long, une manière de nous toiser de biais quand on était tous réunis dans sa bicoque biscornue du bord de mer pour nos réunions bimensuelles les soirs de grande bise au cours de cette année bissextile. Qu’il soit bigame ne nous aurait pas choqués mais ce bidouillage sexuel nous créait bisbilles d’autant qu’il était bigot, bigre, ça alors !, sa bibliothèque étant remplie de bibles anciennes et de livres récents sur les bienfaits de la religion. Les plaisanteries fusaient quand il prenait sa bicyclette de femme avec un guidon de course pour homme et un bidon pour biberonner son bicarbonate « ne perd pas les pédales mon gars Hervé » alors il haussait les épaules sans bisquer et repartait sur le bitume lisse comme un billard en roulant des biceps rejoindre le parcours de bicross sans couler de bielle puis se taper une bière à l’arrivée. Le soir quand on dansait la biguine ou sur d’autres rythmes de big-bands binaires il faisait une drôle de binette devenue bicéphale et ballotait sa bidoche de bidasse tantôt biquet tantôt bidet en faisant tinter ses bijoux de famille comme on lui disait en le chambrant lors de nos bitures au bitter. Bizarre dans sa bivalence il aimait bivouaquer nu du côté de Biscarosse se nourrissant de biscottes et biscuits devenant bistre sous le soleil préservant sa biroute « ma bistouquéquette chérie » par un pagne en forme de bigorneau ou de bigoudène biodégradables.

 

. Or note

Sa vie bifurqua lorsqu’il rencontra dans notre bistro favori Le Bidule la championne canadienne de bitoniau Couriraperdre Alaine et comme lui bi ; ce fut pour lui l’équivalent d’un coup de bistouri en biseau. On ne compta pas les bisous racontés par son biographe sur leur biorythme assuré, leur bioénergie et leur biotique conjuguées. Il n’était plus question pour lui et pour elle de bipolarité dans leur propre biosphère. Du bi ancien il ne restait que la consommation effrénée de bifidus, il ne biglait plus que sur sa belle en bigoudis sous son bibi ou en bikini, il ne se faisait plus de bile et jugeait maintenant positif son bilan ainsi qu’elle.

Il était devenu Hervé le vertueux tout comme son Alaine (à couper le souffle) et nous tous si contents de leur union si bien bipartie (mon kiki). Tous les deux se demandent si leurs enfants à venir seront bimômes. On s’en fout, nous leur souhaitons simplement tout le bonheur du monde, bigrement.
                                                                    

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19/11/2015

APRÈS LE FILM



FIN

Le mot apparut sur l’écran pendant quelques secondes jusqu’au moment où Jérôme appuya sur le stop de la télécommande du téléviseur. Alors qu’en penses-tu ?, demanda-t-il à Muriel encore sous le choc, ben attends que je reprenne mes esprits pasque là… d’où l’étonnement de Jérôme qui connaissait sa promptitude à réagir vite habituellement. Elle se rétrécit dans son fauteuil, alluma une cigarette qu’elle éteignit aussitôt, éternua (ce qui était mauvais signe) et dit je crois que je vais aller me coucher, bonsoir. Un peu hébété, Jérôme la rejoignit après quelques minutes d’hésitation.
Le lendemain matin
. Muriel : Je n’ai pas dormi de la nuit ou si peu tellement j’étais et suis toujours tourneboulée, cela ne m’arrive pas souvent surtout pour un film mais alors celui-là, comment en suis-je arrivée là, il n’y a rien pourtant, pas ou peu d’histoire, les acteurs sont heu énervants surtout lui toujours le même, ce n’est pas du Godard dieu merci, ni du Bergman qui lui m’emballe toujours, ni du Resnais qui parfois oui parfois non sauf « L’année dernière » mais bon ici je n’ai rien compris/ressenti au montage, ses ralentis, ses accélérés, ses pauses, ses trucs, ses chichis, ses…
. Jérôme : Oui, mais je pense que…
. Muriel : Attends, pour l’instant c’est moi qui pense et je voulais dire, te dire que je ne me reconnais plus, que je ne me sens plus la même, on n’a pas fait l’amour cette nuit alors que j’en avais envie pressante, cela m’a manqué, est-ce pour cela que je suis si différente ce matin, que je ne vois pas ou plus ce film comme je l’ai vu hier soir, le film n’a pas changé mais moi si en ce moment, qu’en sera-t-il ce soir ou demain, pourrais-je le revoir en me posant les mêmes questions que je ne sais comment m’exprimer pour l’instant, Jérôme, et ne me regarde pas de cette façon, s’il te plaît, je suis assez choquée comme ça et (Jérôme hoquette puis rit nerveusement) j’aimerais qu’on se calme un peu…
. Jérôme se lève péniblement du canapé, s’étire, prend un cigarette qu’il allume et repose avec un geste nerveux dans un cendrier, regarde Muriel qui semble ne pas le voir et dit : A-t-on vu le même film, il me semble que c’est la première fois que cela nous arrive ; ce qui m’a le plus étonné est le jeu des acteurs hormis les cabotinages bien connus de certains, cela me rappelle les films muets où les expressions devaient compenser l’absence de son de voix, de dialogue ; je pense que c’est voulu par ce metteur en scène que nous suivons toujours avec la même plaisir parce qu’il aime faire des expériences, Muriel, mais là est-il allé trop loin ?, quant au cabotinage, j’y reviens, on trouve toujours cabotin un acteur qu’on n’aime pas ou qu’on adule, prenons le cas de Fernandel, Raimu, Pierre Brasseur ou Pierre Arditi, Marguerite Moreno, Edwige Feuillère ou Fanny Ardant
. Muriel s’égosille : Ah non, pas Fanny Ardant, pas elle, please
. Jérôme : Bon, d’accord, pas Ardant mais n’empêche… et ceux qui en font trop et d’autres pas assez, souviens-toi de Saturnin Fabre (trop) et d’Alain Cuny (pas assez) et puis on aime le cabotinage des acteurs qu’on aime et pas celui de ceux qu’on n’apprécie pas, c’est cela ?... euh et les dialogues, hein, les dialogues de Prévert, d’Henri Jeanson, de Michel Audiard ou Woody Allen ?... très écrits ou faussement improvisés et pourquoi suit-on l’œuvre d’un cinéaste plutôt qu’un autre racontant toujours la même histoire mais de façon différente, la touche personnelle, se rencontrer sur la même longueur d’ondes, transmission d’émotions similaires, tout cela c’est le pied, non ?… et les critiques, Muriel, ceux qu’on écoute religieusement, ceux dont on se moque, tiens je pense à Pierre Murat de Télérama dans Le Masque et la plume, à Sophie Avon avec qui nous sommes toujours d’accord…
. Muriel : Presque souvent en ce qui me concerne, presque
. Jérôme : Bon, c’est pas tout ça, chérie, mais si on se faisait une toile ce soir, au Majestic à côté, on joue le dernier Kore-Eda Hirokazu « Notre petite sœur », hein ?, l’ami Gilberto a beaucoup aimé.
. Muriel : Bon alors, là on peut y aller.

FIN

 

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13/11/2015

BLANC

                                                                               

Parfois ça me prend tout d’un coup sans crier gare ça me chatouille d’abord et après faut que je fonce illico et sans préavis ; par contre quand ça veut pas rien n’y fait, j’ai beau rester deux heures devant l’écran de l’ordi à contempler les touches du clavier qui ont l’air de me narguer, rien nada nothing at all bernique oualou des nèfles peau de balle et balai de crin le vide je vous dis dans la tête dans les doigts tout partout. Quand je pense qu’il y en a quelques-uns qui se mettent au boulot pour écrire tous les jours tous les matins à l’aurore moi c’est l’horreur, il y en a même qui le font encore à la main certains au crayon peut-être pour mieux effacer et recommencer mais avec l’ordi les mecs c’est pareil tu tapes sur la flèche de retour et hop c’est tout blanc faut attendre que ça revienne bon moi ça me prend d’un coup sans crier gare et alors là rien ne peut m’arrêter ni le téléphone ni le facteur ou Maria avec l’aspirateur qui fait un des ces boucans faudrait changer le sac à poussière ou quoi ou qu’est-ce...

Aujourd’hui après ce que je viens d’écrire je vais... euh...

Vous voyez toujours rien tiens je vais mettre Ahmad Jamal live at The Alhambra de Chicago en juin 1961 pourquoi Jamal et pourquoi la plage 6 Broadway ce vieux machin de Woode-McRae-Bird que le trio va magnifier putain ce que c’est bien avec Vernell Fournier ça devrait venir vite fait hein je le remets encore une fois je chante avec je braille avec je le connais par cœur j’anticipe je suis le quatrième homme du trio les applaudissement sont aussi pour moi je salue thank you thank you et Ahmad me fait un clin d’œil all right man et quand le disque s’arrête j’ai l’air d’un con devant la blancheur de l’écran toujours rien nada nichts que dalle c’est pas mon jour je suis comme ce cher Scott Fitzgerald j’ai ma fêlure à moi aussi moins la bibine je suis vide à plat rincé néant plouf attendez je sens que non et si j’essaie avec le Pershing ou le Spotlite avec It Could Happen To You et justement ça n’arrive pas ou plutôt si merde alors avec What’s New et rien non plus Gone With The Wind tu parles en rade le Jacquot en panne sèche du calme faut pas s’énerver et Maria où sont les sacs à poussière y manquait plus que ça mais je m’en fous Maria et arrêtez ce barouf avec l’aspiro je me lève je me sens des fourmis dans les mains dans les jambes dans la tête faut que j’aille faire un tour non et je me rassois et

vous voyez du blanc encore du blanc toujours du blanc la semaine est pourtant terminée et alors je pense oui ça m’arrive et si je changeais de pianiste hein et même si je changeais d’instrument tiens le saxo par exemple un petit Brecker son dernier disque ou bien revenir au grand Faucon pourquoi pas et si je changeais l’aspirateur   

- j’ai retrouvé les sacs y z’étaient pas à leur place

- merci Maria merci me-rci MERCIIII

- faut pas vous énerver comme ça pour ça.

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06/11/2015

CARTE DE VISITE

 

Il faisait le signe d'avancer avec la main stop reculez braquez un peu non de l'autre côté stop maintenant avancez vers moi stop là c'est bon. La voiture une Mercedes classe A flambant neuve mais un peu  cabossée était maintenant bien rangée le long du trottoir et elle sortit souriante merci c'est sympa j'ai toujours un peu de mal à me garer correctement. Elle devait avoir une cinquantaine bien sonnée elle en paraissait dix de moins au moins. Julien la trouva très belle. 

Monique était partie, elle l'avait quitté du jour au lendemain sans crier gare ou autre chose, partie acheter de la laine pour tricoter un pull destiné à la petite-fille d'une amie ; Julien l'aimait toujours l'attendait encore depuis maintenant plus de deux ans et se demandait quelquefois si. La solitude était devenue supportable grâce au travail à l'agence de voyages qui lui convenait bien, deux ou trois visites par mois chez une personne compréhensive étaient bonnes pour la libido pour le reste bof fallait faire avec.

 Ils se retrouvèrent à l'horodateur, il l'aida parce qu'elle n'y comprenait rien elle lui serra la main chaleureusement en lui disant je suis en retard je vais à un concert au conservatoire où une nièce est prof merci encore au revoir monsieur. Julien allait lui dire heu elle partit en courant. Après son rendez-vous qui lui parut horriblement long Julien revint en courant, la Mercé était toujours là. Il prit une carte de visite et y écrivit je suis seul si vous aussi… soulignant son numéro de phone et la coinça sous l'un des essuie-glaces sur le pare-brise et trouva qu'il était culotté mais bon.

Trois jours après il reçut un coup de fil il ne reconnut pas la voix qui lui donnait rendez-vous pour le samedi suivant à un banc public situé sous un frêne juste après le pont du chemin de fer à seize heures trois jours où le cœur de Julien recommençait vraiment à battre un peu plus fort. Comme il détestait être en retard il fut sur le banc une heure avant l'heure en se rongeant les ongles chose qu'il n'avait jamais faite auparavant. Une jeune femme élégante se dirigea vivement vers lui mais enfin pour qui vous prenez-vous monsieur à asticoter ma mère de cette façon à votre âge c'est répugnant je vous conseille de vous tenir tranquille sans cela elle avait dit cela non pas ça et repartait aussi sec alors qu'il commençait à pleuvoir attendez mademoiselle attendez je Julien resta coi dépité penaud mouillé et but toute la nuit en hurlant merde toutes les dix minutes en se demandant pourquoi il avait quel godiche.

Trois jours après tiens trois jours décidément nouveau coup de téléphone nouvelle voix à la même heure et rendez-vous pareil hésitation j'y vais - j'y vais pas j'y vais rebelote et là se pointe la mère que Julien trouve encore plus belle que la fois précédente alors voilà bon c'est pour ma fille faut l'excuser mais elle veut absolument vous revoir j'ai eu beau évoquer invoquer la différence d'âge rien n'y fait mon mari est furieux elle dit ne penser qu'à vous sans arrêt depuis qu'elle vous a vu voilà bref elle est amoureuse on a beau la raisonner, elle en a parlé à sa meilleure amie qui lui a dit pour moi c'est pareil ma vieille maintenant l'âge tu sais on s'en tape j'ai vécu avec un connard plus jeune tu vois alors vous comprenez monsieur vous laissez ma fille tranquille sans ça elle n'avait pas dit cela et elle repart laissant Julien piteux pitoyable pis encore attendez je vous et voulut boire toute la nuit mais cette fois les bouteilles étaient vides.

Les deux jours suivants Julien attendit fébrilement le troisième et la sonnerie du téléphone même heure voix différente une sœur peut-être nouveau rendez-vous fixé pareil Julien se dit cette fois basta je n'y vais pas dans quel merdier me suis-je fourré et puis tant pis on verra bien j'y vais. 

De loin, il reconnut la silhouette, la démarche.

Celle de "l'amie".

Monique.

Depuis ce jour, Julien n'aide plus les dames à se garer et ne distribue plus de cartes de visite.

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29/10/2015

UN APPRENTISSAGE

 

-       Ceci est la suite de« Nous avant » et « J’attends quelqu’un »

 

Nous ne voyions plus beaucoup Elvire depuis qu'elle avait décidé de s'occuper de Django considéré comme le fils qu'elle n'a pas eu.

 A la demande du jeune garçon analphabète et inculte, elle avait accepté de tout lui apprendre, de faire son éducation française, quel travail, disait-elle, car il était impatient et boulimique, il voulait tout savoir et tout de suite, elle ne savait comment le calmer, cela lui plaisait mais aussi la fatiguait à cause de l’énergie qu’il fallait développer. Elle se demandait souvent si tout cela n’était pas un coup de folie de leur part à tous les deux, non Elviraaa, disait-il avec son sourire auquel elle ne pouvait et ne voulait résister, elle le nommait « mon petit dévoreur affamé» ou « mon cannibale favori », bon les maths pas trop son truc osait-elle dire, juste savoir compter suffisamment, par contre les sciences et la littérature alors là chapeau, il était devenu incollable sur les grands classiques principalement Racine, il connaissait maintenant « Phèdre » par cœur qu’il déclamait comme un vieil acteur de la Comédie-Française jouant les deux personnages…

Hippolyte :

-       Madame, parrrdonnez. J’avoue en rrrrougissant,

Que j’accusai à tort un discourrrrs innocent.
Ma honte ne peut plus soutenir votre vue,

Et je vais…

Phèdre :

-       Ah ! cruel, tu m’as trop attendue,

Je t’en ai dit assez pour te tirrrrer d’errreurrrr,

Et bien ! connais donc Phèdrrrre et toute sa furrreurrr…

Puis ce fut la découverte des poètes, il devint fou de Rimbaud et de Baudelaire, il fallut lui expliquer Les fleurs du mal qu’il s’obstinait à prononcer mââââle d’où les fous rires et gloussements d’Elvire et de René le perroquet malicieux . Les surréalistes, Desnos, Soupault et le mouvement Dada le faisaient littéralement bondir et s’exclamer ou s’esclaffer, Dali pour la peinture bien qu’il ne soit pas attiré par cet art au grand regret de son initiatrice qui le traînait dans les musées et les expos en galerie sans résultat. Elle se posait des questions continuellement, celle surtout concernant sa pratique du français alors qu’il semblait ne pas connaître la langue de sa communauté, il semblait avoir fait table rase de son passé volontairement ou non ; pourtant une nuit, elle l’entendit pleurer dans sa chambre et quand elle entra il gémissait et cria deux fois  Levna Levna, un prénom féminin trouva-t-elle sur internet. Parfois, elle lui disait Maman ?, Papa ?, il la regardait de ses grands yeux sombres étonnés mais elle ne voulait pas lui poser trop de questions, réveiller une ancienne blessure ? faire resurgir quelques démons ? ce n’était pas dans ses intentions. Elvire refusait les invitations pour éviter qu’on le prenne pour un phénomène de foire, une exhibition, un sujet de moquerie, voire de scandale un petit rom vous vous rendez compte ma chère quand on connaît ces gens-là

Par contre, lorsqu’il découvrit la musique que sa bienfaitrice écoutait  et adorait et lui proposait il restait comme dans l’expectative, dans une sorte d’interrogation devant un univers que manifestement il ignorait ou dans lequel il ne pouvait pas entrer. Puis un jour, à la radio, peu de temps avant d’aller se coucher il entendit de la guitare, éberlué il regarda Elvire et lui dit dans un grand éclat de rire qu’il ne pouvait arrêter voilà c’est MA Musique Elviraaa c’est Ma Musique… c’était Django Reinhardt le guitariste de génie, il riait, il pleurait, il dansait, il hurlait, il bondissait, il semblait vraiment heureux, il s’écroula dans les bras de sa protectrice en disant  Levna Levna ma petite sœurrrr, c’était ma petite sœurrrr…

On ne connaîtra pas la suite car cela relève trop du domaine de l’intime, on sait seulement qu’il est vraiment heureux. Quant à Elvire, ses amis disent qu’elle donne l’impression d’une renaissance, d’un renouveau qu’elle attendait et qui est enfin arrivé .

 

Jacques Chesnel

 

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22/10/2015

LE PRÉNOM

 

 (à Bernard Lubat)

 

Cela me revient quelquefois principalement quand je prends un solo comme maintenant pourquoi mon père m’avait-il doté de ce prénom quand on connaît notre nom de famille je vous le demande un peu quand je dis mon père parce que lui seul décidait des prénoms des garçons Maman celui de mes sœurs oh pour les autres y avait rien à redire bien banal Pierre Paul et Robert mais vraiment pour moi Justin bien plus tard Maman me disait avoir demandé à Papa dis Victor pourquoi t’aurais dû m’en parler je ne peux encore m’y habituer sans compter ce que diront les gens à l’école au service dans son métier…

Maintenant quand je la revois avec ses cheveux qui grisonnent j’aperçois dans son beau regard qui m’enveloppe que ça lui fait encore un p’tit quèque chose. A l’école justement vous pensez bien que les plus vicelards ont pigé illico mais la plupart comme moi et toutes les filles sauf Mariette qu’était la plus futée on n’y comprenait que couic. Quand Mariette me regardait ce n’était pas avec les yeux toujours étonnés de Maman j’y devinais autre chose sans trop savoir quoi jusqu’au jour de notre première communion quand après la quête que nous avions faite tous les deux en tant que premiers du catéchisme elle me demanda de l’embrasser dans la sacristie comme au cinéma du genre t’as de beaux yeux tu sais embrasse moi oh Justin tu me serres trop fort oui oui tout à l’heure je te ferai voir mes bas de femme et comment ça tient lâche-moi non pas la main là Justin c’est marrant ton nom tu sais oui je t’esspliquerais…

C’est à Champ-du-Bout que tout a commencé je crois cet été de premières vacances à la campagne juste avant la guerre chez le cousin qu’avait une moustache en guidon de course et qui disait toujours crénom ; notre principale distraction à Pierre et moi après les glissades dans les meules de foin était de jouer à la messe au curé et au sacristain lui le curé parce qu’il était le plus vieux et le plus sage mais parents disaient raisonnable moi je pensais sans arrêt à la Mariette et surtout à ce que j’avais vu après la sacristie tu sais ça s’appelle un porte-jarretelles c’est çui de ma grande sœur qu’est coiffeuse à Paris pendant que Pierre braille que je ne fais pas attention aux burettes que c’est pas du jeu quand même j’en ai marre.

La maison à côté de la ferme du cousin était mal fréquentée tout le village disait que ça faisait du tort au vrai bistrot de la place tenu par un gars qu’on appelait Poupoute qu’était le vrai sacristain qui ne buvait que du vin de messe qu’on y rencontrait des étrangers et des femmes de mauvaise vie dont beaucoup ne parlait pas le français ou si peu ou si mal le gars qui l’habitait s’appelait Juan quèque chose qu’on prononçait Rouanne on disait qu’il était réfugié politique qui venait d’Espagne ou de par là-bas le dimanche des types arrivaient avec des drapeaux rouges et chantaient l’Internationale que les gens du village disaient c’est-y pas une honte chez nous tous ces types des arabes ou pareil… Le jour du 14 juillet après le défilé de la clique et le discours du cousin premier adjoint au maire après le déjeuner sous la tonnelle après une messe que Pierre avait vraiment bâclée on a entendu la musique du bal de chez les rouges comme disait Poupoute qui répétait ce que disait le curé Pierre et moi on s’est sauvés malgré le cousin crénom de crénom j’arrivais le premier poussait les danseurs pour me planter devant l’accordéon mais bien vite mon oreille et mon attention furent attirées par un drôle d’instrument sur lequel un gars tapait en souriant Rouanne nous faisant un signe comme s’il nous connaissait nous offrit un petit drapeau rouge en disant viva francia sé lé plou bô your dé mi vida nignosse le cousin nous avait rattrapé et acceptait en grognant crénom oune basso de vino rouge que le rouge lui offrait je ne quittais pas des yeux le gars qui tapait toujours en souriant

- y joue drôlement bien du djâz le bougre dit le cousin dont la moustache s’ornait d’une trace de vino

- c’est quoi cousin

- un djâz c’est mieux qu’un tambour la même chose en plus compliqué

- un jour j’en jouerais dis-je en souriant moi aussi au gars qui souriait

- pas étonnant dit le cousin t’as un nom pour

Les robes des filles voletaient pendant la danse maladroite avec Mariette le visage inondé de soleil et le djâz c’est marrant ton nom et le cousin t’as un nom pour…

Le lendemain jour de marché vers midi alors que Pierre levait haut le verre qui lui servait de ciboire et que je sonnais sans conviction la petite clochette les premiers roulements parvinrent à notre écoute t’entends on a tout laissé tomber pêle-mêle sur le banc véritable autel improvisé la vieille combinaison en dentelles de la cousine qu’était morte l’hiver dernier en donnant à manger aux lapins la couverture mitée que je mettais pour l’office et Pierre arriva pour une fois avant moi aux roulement de tambour du vieil Alphonse le cantonnier qui graillonnait avisse à la populâââtion et je voyais ses baguettes pourquoi qu’il ne joue pas du djâz le dimanche avec les rouges pourtant Rouanne était sympa et le gars tapait en souriant aussi alors que l’Alphonse roulait des yeux sérieux comme un pape et moi je revoyais les robes des filles Mariette à la sacristie comment ça s’attache arrête Julien t’es gentil et ton nom…

Le Noël suivant j’eus mon premier djâz et le vendeur dit à Papa qu’on disait batterie et que djâz s’écrivait jazz et c’était les américains parce qu’ils sont les plus forts les nègres surtout qu’il avait entendu à la radio. A cause du bruit et des voisins je n’avais pas le droit d’en jouer encore et ça a duré plus d’un an avant qu’on déménage et que je me mette à en jouer dans le grenier ; les vacances étaient loin la maison des rouges et Rouanne et le bal du 14 juillet je les revoyais tous les jours et Mariette qui sortait me dit-on avec un grand blond que ça ne me plaisait pas…

Quelques deux ans plus tard un après-midi je jouais en souriant comme le rouge dans le grenier on sonna c’était Mariette qui avait trouvé notre adresse elle avait les yeux brillants mais ce que je remarquai en premier ce sont les bas et les chaussures à hauts talons

- alors il paraît que tu commences à être musicien c’est formidable tu sais, dit elle, elle n’avait pas perdu l’habitude de dire tu sais et je la retrouvais bien là ; elle toucha la caisse claire et se mit à danser en chantonnant lalala lalalère accompagne-moi Justin une valse s’il te plaît un paso non un fox tu sais ces nouvelles danses tu es toujours aussi mignon Justin tu te souviens de notre baiser de première communion tu me disais que je ressemblais à Ginette Leclerc la vedette de ciné tu sais je pris les baguettes et elle tourna comme les filles du bal à Champ-du-Bout et sa robe montait et descendait et ses jambes là où le bas devient plus foncé oh Julien j’ai bu avant de venir je suis un peu pompette Julien tu sais viens viens… 

Mon solo va bientôt prendre fin déjà René se retourne vers moi au moment où Mariette arrête sa danse solitaire vient vers moi en soulevant lentement sa robe alors que je redouble de coups secs sur la caisse claire que je perds une baguette comme maintenant et René sourit car il sait que souvent pendant un solo

Mariette me tend les bras et le grenier devenu silencieux devient le témoin de mes premiers ébats amoureux doucement Justin oui oui comme ça oh Justin… des pas dans l’escalier et Maman Justin tu es là ? Mariette qui se rajuste vilain tu as filé mon bas j’arrive et moi une baguette à la main euh bonjour Madame bonjour Mariette qu’as-tu Justin mais rien Maman je t’assure Maman tu reviendras Mariette dis qui ne revint jamais oh et ce grand blond…

Au service je fus affecté à la musique malgré les affirmations de Papa qui disait bon tu es musicien on te mettra à la cordonnerie ah ah les cons mais comme la place était déjà prise on me colla une clarinette démerde-toi t’es pas content je préfère la grosse caisse et les gars de se poiler il est pas croyable ce mec silence de dieu ou je vous fous au trou de dieu pendant les perms et soir de cavale je sacrifiais au rite du bordel et toutes les putes s’appelaient Mariette sois pas triste tu te débrouilles pas si mal mon p’tit griveton tu travailles de tes mains dis un vrai travailleur manuel moi c’est Odette pas Mariette qui c’est cette-là…

- Justin, gueula le caporal, le lieutenant te d’mande ta perm pour dimanche il a dit aussi que ton prénom et ton nom ça le fait rigoler surtout pour un gars qui trafique dans la musique c’est quoi au juste ton instrument ?... j’ai appris que la Mariette est mariée avec le blondasse non mais Justin tu me vois avec un nom pareil lui y s’appelle Jean Merle c’est pas mieux tu sais et pis pour les enfants…

A la fin des bals quand les filles viennent voir le musicos certaines pouffaient en me demandant comme tu t’appelles je savais depuis longtemps ça me faisait des fois rire d’autres fois pas surtout quand l’une ou l’autre me disait on remet ça Mandrake avec ta baguette magique un vrai prestidigi-tâteur quant y en a plus y en a encore Justin quel santé vieux filou hé là tu m’fais mal…

René attaquait son chorus sur Oléo et maintenant voilà Justin dans son numéro de baguettes en folie pour gambettes en furie et voilà le roi de la caisse claire le seigneur de la charleston l’empereur de la grosse caisse le dieu du chabada et du frotti-frotta réunis oh il y avait bien eu un finaud pour me décerner la médaille de la grande braguette que toute l’assistance était écroulée et qu’après il avait pris mon poing sur sa gueule…

Mariette je l’ai revue à un concert cet été sur la côte pendant que je saluais le public elle semblait toute excitée me faisait des grands signes à côté d’elle le blondasson tout mollasson me biglait de ses yeux ronds elle avait pris du sein et de la hanche la mâtine et en plein cagna elle portait encore ses bas sous sa robe informe tâchée sous les bras

- Justin tu me reconnais , Mariette tu sais notre première communion c’est que tu es devenue une vedette tu sais voilà mon mari il est représentant en aliments pour chat on a fait construire une maison et on a tous tes disques tu sais j’ai dit aux copines du supermarché je suis caissière que je te connaissais enfin tu sais elles étaient bluffées tu n’as pas changé Justin tu sais un p’tit peu seulement moi si on a trois enfants maintenant le premier te ressemble tellement et le quatrième est en route le mari faisait la gueule et matait deux anglaises qui léchaient des esquimaux en gloussant moi je voyais Mariette l’autre la vraie dans la sacristie dans le grenier tout en m’efforçant d’être aimable avec une grosse dame qui minaudait devant moi

- il faut que je démonte ma batterie, m’excusai-je pour me libérer de cette Mariette j’avais envie de taper dessus pour l’effacer de ma mémoire une bonne fois pour toute à bientôt Justin tu sais… j’ai croisé un jeune homme qui voulait absolument entrer dans mon orchestre une grande formation que je voulais créer pour pouvoir taper comme un fou en souriant et j’ai pensé à l’éclat de rire que provoquera l’annonce de la nouvelle : et maintenant voici le big band de…

Ah ! j’ai oublié de me présenter, je m’appelle JUSTIN PETITCOUP.

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08/10/2015

RENCONTRE

 

                                                   RENCONTRE

            (en hommage à Cesare Pavese et Bianca Garufi)

 

 - Entrez, dit-elle                                                   Il entendit : « Entrez »                                             

 Elle semblait irritée, sans raison                          Le ton lui déplut

 La porte s’ouvrit, lentement                                 Il ouvrit la porte, sûr de lui

 - Jean, toi, ici, dit Marthe                                     - Bonjour Marthe, dit Jean

 Il avait un drôle d’air comme déprimé                 Elle paraissait lasse, enlaidie

 Elle était étendue sur le sofa                               Affalée sur les coussins du divan

 Marthe se redressa, mollement                           Immobile, figée

 -Regarde-moi                                               Regard inexpressif, comme vide                                                                           

 Ses yeux étaient ailleurs                                  - Regarde-moi, dans les yeux                                                                       

 Elle le trouva bouffi                                              Ses paupières lourdes, gonflées                                            

 Mou. Gêné, peut-être                                           Son teint jaune, fané

 Marthe leva la main droite                                   Jean remua son bras, gauche

 - Toi, enfin, pourquoi ?                                         - Moi, toujours, pourquoi ?

 Un bruit dehors, loin                                             Un meuble craqua, tout près

 Un sursaut ; elle inquiète, nerveuse                     Elle d’habitude si calme

 - Tu vas bien, demanda Marthe                            - Oui, dit-il. Et toi ?

 - Moi aussi, bien, merci, dit-elle                            - Bien merci. Elle mentait

 Elle mentait, bien sûr                                           Cela se lisait sur son visage

 Pouvait-il deviner…                                              Les soucis, évidemment

 - Et… Jacqueline, hésita-t-elle                             Lui parler de Robert ?

 Il ne me regarde toujours pas                              - Elle est chez sa mère, à Tours

 - Robert est dans le sud, dans le Lot                   Il s’en foutait de ce type

 Il a un travail fou                                                  Un playboy, et sportif

 Il s’en fichait pas mal                                           - Ah !, bon

 

                                 Ils se regardèrent enfin, quelques secondes

                                 Ils rougirent en même temps, tout d’un coup

 

Elle se senti ridicule                                              Elle a dû s’en rendre compte

 Il a rougi, il ne change pas                                   Tiens, cette rougeur

 Si, il perd ses cheveux                                         Ce teint l’inquiétait

 Le même teint de capitaine                                  Depuis longtemps depuis toujours

 - Quel temps, remarqua Marthe                           On entendait la pluie, forte

 Elle n’aimait pas cela                                           - Oui, un vrai temps de saison

 C’est tout ce qu’il disait                                        Parlera-t-elle ?, maintenant

 

                                 - Eh bien voilà, dirent-ils d’une même voix

                                 Ensemble, ils éclatèrent de rire, tout d’un coup

 

L’odeur l’incommodait                                          Il sentit son parfum

Infinity ? Cardin ?                                                 Je n’aime pas, du tout

Robert lui avait offert pour…                                Un parfum, quelle idée !

Marthe avait comme un sourire                            Il fit un pas vers le divan

 - Assied-toi, dit-elle                                               - Merci Marthe, dit-il, soulagé

 Elle se redressa sur les coussins                         S’asseoir un peu ; ouf !

 Il croise toujours ses jambes                                Sur le bord, comme cela

 C’est une manie                                                   Son geste de la main, un tic

 

                                      Ils se toisèrent, ils sourirent

 

  Il va me demander si je suis…                             -  Que dit le, ton médecin ?

 - Tu sais comment ils sont                                    Elle lui cachait quelque chose

 Ce médecin lui avait dit, tout                                Tous pareils, enfin presque tous

 - Tu veux boire quelque chose ?                          Il n’avait pas soif, pas tellement

 - Un jus de raisin ?, un coca ?                              - Je veux bien, merci, dit-il

 Elle sonna, une fois                                              Il se leva. – J’y vais

 -Non, Adèle va venir ne te…                                Il sortit, pour se détendre, un peu

 

                                 La bonne et Jean se rencontrèrent dans le couloir

                                 Il connaissait le chemin, il revint avec le plateau

 

Elle regardait la porte                                           Il poussa la porte, du pied

 - Pose-le là, sur la petite table                              Le plateau plus grand que la table

 

                                         Ils burent longuement, en se regardant

 

 - C’est frais                                                           - Oui, c’est bon

 - Tu te souviens ?                                                 - De quoi ?

 - L’hôtel des Dunes, Pâques 78                           - La Bonne Auberge, été 82

 - Quatre jours de calme, la mer                            - 7 jours de folie, la montagne

 - Le maître d’hôtel joli garçon                               - La petite serveuse, allumeuse

 

                                                            - Oui

 

Elle grimaça ; trop froid                                        Il but tout, d’un trait

Quelques gouttes sur le tissu                               Jean la vit se crisper

 La douleur revenait, oooooh                                - Tu n’as besoin de rien

 Il devrait partir, il le faut                                        Il se sentait bien maintenant

 Qu’il ne me voie pas                                             C’était comme avant, presque

 - Non merci, tu es gentil                                        Marthe lui parût plus pâle

 - Qu’il parte, mais qu’il parte                                 Il s’approcha, troublé

 - Jean… non, n’approche pas                             - Marthe, qu’as-tu, dis-moi

 

                                     Leurs gestes étaient comme suspendus

                                         Le temps s’arrêta, pour un temps 

 

Marthe avait un malaise                                        Jean avait compris

Quelque chose comme…                                      Elle avait un malaise

 Une douleur qui venait de…                                  Il devait faire quelque chose

 Elle sonna, plusieurs fois                                       Appeler, sonner, quoi faire ?

 Fébrilement, vite, vite                                             Il sortit, rapidement

 

                     Une infirmière et Jean se rencontrèrent dans le couloir

                                  - Pardon, Monsieur, Madame appelle

                                  Il restait là, planté ; l’infirmière courait

 

Jean allait revenir, il le fallait                                  Quand il revint, il la vit

 Robert était loin                                                      Lointaine, ailleurs

 La douleur bougea en elle                                       La pluie tombait toujours

 - Viens, dit-elle faiblement                                       - Viens, entendit-il, à peine

 Il s’avançait                                                              Elle lui souriait

 - Ce n’est rien, tu sais                                              - Bien sûr, je sais

 - Je dois… garder la chambre                                 - Ne bouge pas, Marthe

 - Je crois que je vais dormir                                     Elle fermait les yeux

 - Tu … tu reviendras, Jean, dis ?                              - Oui je vais revenir

 - Au revoir, Jean                                                      - Adieu, Marthe

 

                                              Le temps s’arrêta encore

                                              Quelque temps…

 

        Il sortit comme un somnambule, quitta le trottoir, la moto fonçait sur lui.

                                                Il l'aperçut, trop tard

                                                 Le choc fut terrible.

 

                 Marthe, sur le sofa, souriait, le sommeil venait lentement

- Jean, dit-elle, dans un souffle                               - Marthe, expira-t-il, Ma

 

    

 

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30/09/2015

ALTERNATIVE EN CONJUGAISON

               

Je sors avec le candidat sortant

Tu entres avec le président entrant

Il émerge d’un pays émergent

Nous accourons à une chasse à cour

Vous vous endormez  au bois dormant

Ils flippent au flipper

Je fais la grève sur la grève puis sur le tas

Tu avoues l’inavouable à l’avoué

Il bulle en faisant des bulles avec des boules

Nous adorons les dorures érodées

Vous rôdez de rodéos en ronéo

Ils errent sur l’aire de l’Eire avec un drôle d’air

Je subis un choc las pour le chocolat

Tu picoles dans la rigole, c’est rigolo

Il éternue sur mes terres nues, éther nu

Nous faisons la course avec mes courses

Vous pétez la forme en pétant tout en pétaradant à la parade

Ils sautent en marche et sursautent sur Mars

Je pratique le sur-place sur la surface

Tu esquives sur la rive dans le total qui-vive

Il dit ah ! mon cochon qui vivra verrat

Nous n’y avons vu que du feu en nous brûlant

Vous avez donné l’absolution en solution sans ration

Ils ont aimé Zorro le héros puissance zéro

Je les ai tous vaincu, j’en suis convaincu, même les cons

Tu as mangé deux pommes avec une pom pom girl

Il a fondu sous leurs regards de braise

Nous avons bu un whisky pur malt à Malte, c’est autre chose

Vous avez connu la suprématie debout et vu les Suprêmes assis 

Ils n’osent pas appeler William mon chat qui expire

Je ris quand Ruth rote en lisant Philip Roth

Tu répugnes à nommer Corneille un auteur qui prend Racine

Il a tout retardé pour être en avance, ça marche

Nous étions démontés comme la pendule d’un pendu

Vous avez retrouvé tous vos sens grâce à un sens unique

Ils n’ont rien vu venir, encore moins retenir, ni su revenir,

sinon repartir, encore une fois comme d’habitude

mais moi

Je n’ai pas entendu le train qui n’a sifflé que deux fois

Je suis raide comme une passe lassée

Je prends le large dans la marge de la barge

J’expie dans l’extase, un exploit, c’est plus explicite.

 

©  Jacques Chesnel

 

 

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23/09/2015

VA-ET-VIENT

 

Le mois de septembre est le mois des déménagements et emménagements. Rien que dans l’immeuble quatre, beaucoup d’étudiants le plus souvent en coloc. Cela met a peu d’animation et rehausse la moyenne d’âge. À notre étage, un couple fille/garçon, un autre garçon/garçon et un solitaire mâle. Hier soir en rentrant Muriel l’a croisé dans le hall et m’a dit affolée : c’est Marlon Brando, non ai-je dit si m’a-t-elle répondu bordel c’est pas vrai, non mais il lui ressemble tellement que c’est son sosie tout craché, il habite l’appart’ à côté du nôtre, le 213, mais il est mort, chérie, je sais mais je trouve ça génial : sa réplique vivante de nos jours, non ?. Nous nous sommes vus et salués ce matin ça m’a fait tout drôle, il avait un bon sourire. Bon autant le dire tout de suite ce Brando ressemble à celui de ses débuts, celui du Tramway et pas au Don Corleone du Parrain. Moi, je le trouve aussi beau, me répliqua Muriel, il le même regard perdu, les filles de l’immeuble vont toutes craquer… comme Eve Marie-Saint dans Sur les quais.. et effectivement le défilé a commencé. Un soir, on frappe à la porte : MARLON (Muriel défaille) : pouvez-vous me prêter un tire-bouchon, je ne retrouve pas le mien, Muriel se précipite à la cuisine et revient triomphante comme une reine, la fête dura plein pot jusqu’au petit matin, Muriel se plaignit de sa migraine, elle se retourna vingt fois dans le lit, Jérôme ronfla plus que normalement…

Ce n’était qu’un début, car un autre matin, il y eut un nouveau départ, un des garçon/garçon avec cris et bagarre dans le hall puis deux jours après un nouvel arrivage en vue. Jérôme pense si ça se trouve on va encore avoir droit à un nouveau jumeau ou quelqu’un d’approchant gagné !, comme deux gouttes d’eau sublimes la nouvelle arrivée avait la même silhouette, vêtements, démarche, visage, chevelure, sourire, qu’Ingrid Bergman dans Casablanca, manquait plus que Bogart et la chanson As time goes by… Elle s’installa au 215 et une autre cavalcade commença, aussi délirante, un vrai tourbillon de jeunes et moins jeunes hommes frétillants, de vieilles gouines pâmées, de gamins en attente exigeante de selfies, la révolution à l’étage et dans le bâtiment, Jérôme ne tenait plus en place espérant qu’un soir elle aurait besoin d’un tire-bouchon ou de n’importe quoi surtout de n’importe quoi… Dis-moi qu’on rêve, Jérôme,  demandait Muriel de plus en plus dans les nuages, crois-tu qu’on hallucine, répliquait-il l’air songeur. Ils souriaient constamment comme au début de leur propre histoire.

On pourrait s’attendre, et je présume que c’est votre cas, à une explication logique, par exemple le tournage d’un film rétro à proximité racontant les amours impossibles de deux héros ou de deux comédiens n’ayant jamais tourné ensemble, délire d’un producteur fétichiste amoureux de ces vedettes d’où le logement provisoire de leurs sosies… ou bien un pure fantaisie, un scénario inespéré pensé, écrit et vécu par ce couple d’amoureux du septième art toujours prêts à s’emballer pour un nouveau film, une nouvelle aventure par l’imagination, allez savoir, Muriel et Jérôme ont-ils seulement la réponse ?. Je leur pose la question et je vous rappelle. OK ?.

A moins que vous n’ayez déjà la solution ou apportiez votre dénouement, pourquoi pas… Quant à moi, j’en suis encore à me demander si…

Jacques Chesnel

15:22 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (1)

16/09/2015

ENCORE LES HISTOIRES

 

 On ne savait toujours pas « comment » cela avait commencé. Alors c’était les questions et chacun avait sa petite idée, on n’allait pas encore en faire toute une histoire comme d’habitude et pourtant à la réflexion… la question était plutôt de savoir « qui » avait commencé car souvent on ne se rappelait même pas du sujet ni de celui qui l’avait exprimé, c’est ce qui plaisait à certains les autres étant déroutés ou perdus ou bien rigolards. Et puis, se demandait-on, était-il nécessaire d’avoir un sujet, trouvait-on encore un sens à ce mot, si oui lequel ?, bonne question… Jérôme avait bien sa petite idée approuvée par Muriel mais souvent il ne savait pas la présenter, il redoutait, parce que les autres l’attendaient au tournant trop souvent ne sachant quoi avancer comme arguments valables. Cela plombait un peu les réunions mensuelles surtout au début, la présomption et la tension étaient parfois insupportables en attendant le premier « heu » ou le claironnant « bon » ou le pétillant « voilà » ou le probable  « c’est pas tout ça mais » ou plus vulgairement « rien » ce qui n’était déjà pas si mal. Quelquefois, cela tournait court, la séance était terminée bien avant qu’elle ne commence alors chacun repartait dans son coin avec sa petite histoire en bandoulière, son sujet favori dans la besace.

Tenez, la semaine dernière, il y eut plus d’histoires que de personnes pour les raconter, des fois c’était l’inverse et là on était bien embêté car on n’était pas vraiment venu pour ça. Tout le monde reconnaissait que Jérôme était celui qui faisait le plus d’efforts, on a encore l’exemple de son histoire sur l’attente de Godot (qu’est-ce qu’on a ri quand quelqu’un un a demandé pour la tante) ou sur les gnossiennes de Satie (surtout la quatrième, tiens ! pourquoi ?) ou sur les fameux et cronopes de Cortázar (on était perplexe enfin pas tous) ou sur les blagues de Desproges (qui arrivaient toujours quand on ne les attendait plus ou moins). Le pire était les jeux de mots vasouillards quand on n’avait plus rien à présenter, Muriel avait la parade elle levait le pouce de sa main droite et l’abaissait de manière significative c’était suffisant, Rodolphe l’appelait la garde-barrières et on riait certaines pouffaient. Des fois, ça partait sur les morts, alors la source était intarissable ou bien tarie on n’était pas sûr à l’avance malgré les spécialités de qui on savait, de qui on attendait, fallait faire attention aux bornes à ne pas dépasser, les pédés, les pédophiles, les putes, les flics, les agents immobiliers… parce que là…

Les séances devinrent irrégulières, l’assistance fluctuante, parfois on était trop d’autres pas assez, il n’y avait pas de moyenne. Cela pouvait partir sur la politique mais on est tous tombé rapidement d’accord : pas de ici entre nous et on respectait la clause n’en déplaise à certains pervers vite rentrés dans le rang. En d’autres occasions, les plus fréquentes, on évitait les faits-divers, les accidents du quotidien et la météo trop relativement changeante pour être prise au sérieux. Jérôme était choisi et devenu le type parfait du lanceur d’idées et d’alertes (à la mode) mais des fois le comité le reprenait car on le jugeait trop intellectuel (les frivoles), d’autres trop désinvolte (les intellos) mais n’allez pas croire, il était respecté hein !. Oh ! il y eut quelques frottements, des piques, des sous-entendus, des grognements, des ricanements aussi mais jamais de dispute, même quand ou même si oui…

Bon, demain c’est le grand jour, l’assemblée générale annuelle de l’ABA (Académie des Bavards Anonymes exceptionnellement présidée par une vedette de l’Acacadémie Française pour l’occasion), tout le monde sera présent (pointage oblige pas flicage ) si c’est comme l’année dernière on peut encore (se) poser des questions et si il y en a autant alors là je vous dis pas parce que les sujets ne manquent pas, les histoires abondent… reste à savoir lesquels.

Jérôme a quand même sa petite idée, Muriel croit savoir mais avec lui on n’est jamais sûr, alors...

Jacques Chesnel

14:15 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (2)

09/09/2015

UN CERTAIN REGARD

 

Cette façon de fixer Muriel n’augurait rien de bon tellement ce regard semblait inexpressif, on aurait pu dire vide. Ce n’était pas la première fois mais cela se répétait souvent depuis ce qu’on appelle faute de mieux un certain temps. Il y avait comme un mystère dans cette façon de ne pas voir ou de regarder ailleurs tout en vous dévisageant. Alors elle partit d’un grand éclat de rire et demanda un peu hypocritement ya quelque chose qui ne va pas ou quoi ? dis-moi Jérôme, si tu as besoin de vider ton sac, ne te gênes pas je t’écoute, oh ! elle connaissait déjà la réponse mais il n’y a rien chérie, rien, que vas-tu chercher, je suis un peu fatigué un peu anxieux aussi sans vraiment savoir pourquoi, pourtant je me demande quand même si…

La sonnerie du téléphone fut comme une délivrance, un entre-acte dans cette amorce de discussion ou de semblant de dialogue, c’était qui ? rien, Alicia qui annule notre rendez-vous de demain elle a la grippe, bon on reprend Jérôme, please, je vais commencer à culpabiliser c’est moi ? c’est toi ?, c’est nous ? merde à la fin… si c’est un problème de couple dis-le, une difficulté passagère ou profonde dis-le, mes parents t’agacent tu ne les supportes plus moi non plus alors ? on fait moins l’amour ces temps-ci bon hé bien allons baiser tout de suite hop je suis prête (elle se retrousse et retire sa culotte), tu as des problèmes de santé on a un bon médecin, au bureau tu as eu une promotion et une augmentation, ya des dépenses imprévues ? tu as encore perdu au poker ? la bagnole est encore en panne ? re-merde Jérôme de grâce on ne peut pas rester comme cela… ah ! ta presbytie ne s’arrange pas change va voir Alain, ton PSA de prostate a augmenté va consulter Marco, ma nouvelle robe ne te plaît pas ok voilà ce que j’en fais (elle l’ôte et la déchire violemment), tu n’apprécies pas la nouvelle femme de ménage bon Emma vous êtes virée… Muriel s’affala en soutif sur le canapé et se prit la tête entre les mains se retenant de pleurer en allumant une cigarette qu’elle jeta au bout de deux bouffées snif, Jérôme restait accoudé à la cheminée, trop près car tout à coup il sentit la chaleur sur son pantalon zut… Elle reprend avec un sourire qu’il connaît bien mi-amusé mi-inquiétant, tu as fait de mauvais rêves, tu as eu de sinistres présages, la peur de la mort qui revient tous les ans à la même époque, tu n’as pas aimé le film d’hier soir le dernier Fincher, tu as lu en douce le dernier Angot, le nouveau Ouelbeck hein ? dis !

Je reviens dit-il en quittant la pièce promptement. Par la porte-fenêtre elle le vit faisant les cent pas dans le jardin, haussant les épaules ou faisant des grands gestes désordonnés, elle poussa un soupir et se dirigea vers la salle de bains où elle s’enferma comme d’habitude dans des moments pareils. On entendit claquer la porte d’entrée et l’eau couler dans la baignoire, elle se mit à chantonner cet air entendu par Nina Simone Where can I go without you en pensant quel ballot quand même au bout de tant de temps.

Un peu plus tard, environ une demi-heure, un peu plus, il rentra dans la maison tandis qu’elle sortait de la salle de bains dans son grand peignoir bleu. Il avait un immense bouquet de roses dans les bras et lui dit dans un souffle car lui essoufflé et elle soufflée : demain, cela fera cinq ans qu’on est ensemble, tu te rends compte !

Jacques Chesnel

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03/09/2015

VISITE À DALI (Souvenirs de l’été 1961)


 

Cette année-là, l’amour de ma vie et moi avions choisi l’Espagne, la Costa Brava et Cadaquès pour quelques jours de vacances que l’on dit bien méritées ; le livre de Henri-François Rey Les pianos mécaniques n’y était pour rien parce que « le St-Tropez espagnol » bien avant Ibiza, très peu pour nous. Non, j’avais une autre idée : celle de rencontrer Salvador Dali que j’admirais et admire toujours malgré certaines positions politiques du personnage ; et puis, lors de ma première expo parisienne à la galerie Le soleil dans la tête, un copain m’avait dit que si je l’abordais bien, il n’y aurait pas de problème, alors !; bien aborder ?, comment ?.

Nous avions installé notre petite tente orange dans la baie de Port-Lligat, installation sauvage, quelques campeurs qui dès le premier jour nous alertèrent sur le cinglé d’en face qui donnait à manger à ses cygnes le matin et l’après-midi tirait des coups de feu, d’où notre étonnement sur ces derniers. Le lendemain matin, je guette et aperçois Dali qui alimente ses bestioles et m’approche un peu intimidé et après un bonjour lui déclare que des cygnes dans l’eau de mer c’est plutôt contraire à la légende qui voudrait que… et notre relation s’établit avec sa réponse sur les imbéciles qui prétendent que… nous nous quittons, les campeurs qui avaient tout vu me demandent et alors le fada ? vous avez de la chance nous on s’est fait jeter... et je reviens le lendemain à la même heure et là tout de go je lui exprime mon admiration et avoue que j’étais venu pour le rencontrer et… il m’invite à entrer dans sa maison ou plutôt ses trois maisons de pêcheur aménagées, nous bavardons sur la peinture, surtout sur l’abstraction lyrique qu’il détestait, sur Georges Mathieu que j’admirais également et que Dali taquinait en lui affirmant qu’il peignait des grues sans arrêt, sur son travail en cours, son idée et projet de musée, sur…ces crrrétins de campeurs de l’autre côté de la baie dont les tentes bleues ou oranges (dont la nôtre !, je n’allais tout de même pas lui dire que je fais partie de ces…) mutilent le paysage, tout cela sans colère, très calmement, chaleureusement, à l’opposé de toutes ses attitudes savament orchestrées par les médias gourmands de ses frasques.. . et je lui pose alors la question sur les coups de feu, ah ! revenez demain après-midi et voilà Gala sa femme qui entre dans la pièce en faisant la gueule (on m’avait prévenu) sans un regard pour moi signifant par là que l’entretien est terminé… de retour chez les crrrétins je reste muet devant leurs interrogations vous y retournez demain ? pour les coups de feu ? et confie mes impressions à l’amour de ma vie, pantoise… 

Ce fameux lendemain, Dali m’attendait et m’emmène dans le jardin derrière le batiment où se trouve Arturo son valet très digne tenant un fusil appuyé sur une fourche en bois en guise de béquille et visant un arbre sur lequel est accroché une plaque de cuivre, Arturo remplit l’engin d’une cartouche remplie de clous, Dali assis dans un fauteuil crie « fuego » Arturo impassible tire et la cartouche explose sur la plaque de cuivre… Dali m’explique alors qu’il travaille sur un livre qui sera le plus cherrrr du monde L’Apocalypse selon Saint-Jean en collaboration avec notamment Jean Cocteau et Bernard Buffet, il réalise une série de gravures, utilisant les empreintes des clous dans la plaque de cuivre sur laquelle il travaille ensuite… je lui demande également pourquoi l’ongle du majeur de sa main droite est exagérément long ? ah ! c’est pour réaliser un portrait du pape Jean 23 et prenant une feuille de papier et un petit flacon d’encre de Chine, il pose une tache et avec son ongle donne des sortes de pichenettes dans tous les sens en tournant la feuille et me montre une ébauche… j’allais lui dire au revoir quand il me demande si je voulais visiter son atelier quelle question ! Il me montre alors un de ses derniers grands tableaux intitulé La découverte de l’Amérique par Christophe Colomb sur lequel figure Gala en sainte auréolée sur un grand étendard, œuvre qui attendait de partir pour un musée… au moment de partir il m’annonça que le lendemain il assisterait à une grande fête à Cadaquès donnée en son honneur… nous nous mîmes sur notre 31 l’amour de ma vie et moi c’est-à-dire un pantalon long et un coup de peigne pour moi une robe et peu de maquillage pour elle en lieu et place des sempiternels shorts ; que de monde sur la plage de Cadaquès où l’on avait construit une estrade sur laquelle jouait un orchestre et où évoluaient les danseurs de sardane en attendant le Maître… qui à minuit presque pile arriva dans un petit bateau doug doug doug piloté par le fidèle Arturo, derrière Dali un paravent rouge et devant lui une sorte de projecteur qui éclairait son visage marmoréen ; applaudissements, hourras, Dali descend majestueux traverse la foule et m’aperçois il vient vers moi me prend dans ses bras pour une accolade démonstrative, l’amour de ma vie mitraillant la scène avec notre appareil photo… dans lequel j’avais oublié de mettre une bobine !!!... j’entends encore et toujours les déclics, merde.

 

Jacques Chesnel

15:50 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (1)

28/08/2015

QUELQUES INTERROGATIONS LINGUISTIQUES

                          

. mollusque gastéropode qui prend le bateau : est-ce cargo ?

. danse ancienne pour aviateurs aguerris : est-ce quadrille ?

. suite de degrés à monter ou descendre : est-ce cas liés ?

. mouchard devenu surveillant : est-ce pion ?

. ibère parlant avec l'accent marseillais : est-ce Pagnol ?

. venu du grand froid s'exprimant délicatement : est-ce qui mots ?

. en rapport au beau piqué par un acarien : est-ce tes tiques ?

. chaussure de toile portée par un bon vivant : est-ce pas drille ?

. forte croyance pour un fruit : est-ce poire ?

. poisson téléostéen dans un jacuzzy : est-ce spa donc ?

. ibère habillé d'un vêtement très court : est-ce pagne ?

. mort par maniement du fleuret : est-ce crime ?

. organe auditif d'une personne un peu idiote : est-ce gourde ?

. petit tapis pour personne servile : est-ce carpette ?

. personnage biblique ayant pied au sol : est-ce terre ?

. coup porté avec engouement : est-ce tocade ?

. opinion favorable d'un moment en anglais : est-ce time ?

. armoise et personnage attendant Godot : est-ce tragon ?

. perdre l'usage d'un membre de marche : est-ce trop pied ?

. personnage aimant l’art et suce encore au sein : est-ce tête ?

. montée mécanique difficile sans raison : est-ce cale à tort ?

. petites marches pour comédien prétentieux : est-ce cabot ?

. tube digestif et souteneur : est-ce trop mac ?

. petit café populaire et mammifère domestique : est-ce tas miné ?

. elle aime le balancement des voyages en autobus : est-ce car

  Paulette ?

. termes délectables à sucer : exquis mots ?

. faire des petits larcins gourmands : est-ce croquerie ?

. considération pour un magazine : est-ce time ?

. dieu de la médecine plutôt vicieux : est-ce cul lape ?

. double uvule et logogramme : est-ce paire luette ?

 

Jacques Chesnel

17:22 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (5)

21/07/2015

LA FORÊT SANS MARIE

 

C’est dans une forêt oubliée que Damien rencontra Marie ; c’est dans une autre forêt retrouvée qu’il la perdit, définitivement. Depuis, il ne va plus dans les bois, il a horreur des arbres, surtout quand il y en a beaucoup. 

Déjà, tout petit, il questionnait ses parents sur pourquoi les arbres, pourquoi les feuilles elles tombent, pourquoi elles poussent, tant de pourquoi. Au lieu de vouloir être pompier ou docteur comme tous ses copains, Damien enfant voulait être arbreur ou foresteur au retour de sa première forêt. A l’école, il questionnait sans arrêt la maîtresse, Mademoiselle Lafleur, qui lui conseilla de constituer un herbier d’arbre pour les feuilles, fruits et écorces des 450 sortes qu’on trouve en France et en Europe. Il se mit au travail, devint « détective des arbres » selon son expression ; plus tard il s’intéressa à la botanique et après son bac +5, entra à l’ENGREF, autrement dit l’Ecole Nationale du Génie Rural des Eaux et des Forêts dont il sortit Ingénieur avec la mention bien. Son mariage avec une collègue sombra dans la monotonie jusqu’au jour où il entendit à la radio Le chant de la terre par une cantatrice canadienne ; il fut, comme tout le monde, bouleversé et acheta tous ses enregistrements et documents la concernant. 

Marie, était née Mary Tremblay-Jonhson à Montréal d’une mère canadienne obstétricienne, d’un père bucheron originaire du Montana. Passionnée très jeune par le chant, elle entra à quinze ans au Conservatoire de Musique et d’Art dramatique du Québec, se fit remarquer rapidement en tant que contralto vouant une passion qu’on jugeait excessive et dévorante à Kathleen Ferrier dont elle chanta le répertoire avec une préférence pour les œuvres de Gustav Mahler. Personne ne pouvait résister à son interprétation du Chant de la terre.  Vénérée par un vaste public et ayant à ses pieds les plus grands chefs d’orchestre du monde entier, Mary devenue Marie débuta une carrière internationale, elle alla de triomphe en triomphe ayant à ses pieds les plus grands chefs d’orchestre. A Paris ce fut l’apothéose, son apogée aussi. Après une semaine épuisante, promo, concerts, entretiens radio et télé, elle décida de prendre quelques jours de repos près d’un forêt en souvenir des longues promenades lors de trop courtes visites chez son père. Elle partait tous les matins à l’aube s’enfonçant de plus en plus loin pour trouver le silence parfait disait-elle ; elle se mettait quelquefois à faire des vocalises ou bien interprétait un des Ruckert Lieder ce qui l’épuisait par l’émotion qu’elle ressentait. 

Ce jour là dans cette forêt dont elle avait oublié le nom, elle rencontra deux hommes dont l’un la reconnut immédiatement, c’était Damien. Elle avait brusquement interrompu son chant, lui était comme pétrifié, rencontrer son idole de cette façon au cours d’une tournée d’inspection arboricole était une vraie bénédiction, un événement inattendu. Il l’aborda, intimidé, elle accepta la conversation, amusée autant qu’étonnée d’une telle conjoncture, un admirateur en ce lieu. Ils parlèrent longuement oubliant l’heure et l’endroit, se promettant de se revoir. Lorsqu’elle lui annonça son prochain concert à l’autre bout de la France, il décida aussitôt qu’il y assisterait. A la fin du nouveau succès, elle le reçut dans sa loge et ils s’étreignèrent longuement tandis qu’on frappait avec insistance à la porte, puis se retrouvèrent pour dîner. Après un nuit d’amour qui leur parût à la fois courte et interminable, ils décidèrent d’aller dans la forêt la plus proche, afin de revivre et ressentir une nouvelle fois leurs premières émotions dans un lieu identique. Là, il lui raconta les arbres, elle lui chanta les premières strophes de Der Abschied (L’adieu) du Chant de la terre ; arrivée à « Je sens le souffle d’un vent léger derrière les pins sombres »… elle s’écroula subitement, victime d’un arrêt cardiaque. Il ne put la ranimer. Damien courut comme un fou pour chercher de l’aide en vain et se perdit au milieu de tous ces arbres reconnus mais aux allées inconnues. 

C’est dans une forêt oubliée que Damien rencontra Marie ; c’est dans une autre forêt qu’il la perdit, définitivement.

Depuis il ne va plus dans les bois, il a maintenant horreur des arbres, surtout quand il y en a trop.

 

Jacques Chesnel

22:45 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (2)