08/10/2015
RENCONTRE
RENCONTRE
(en hommage à Cesare Pavese et Bianca Garufi)
- Entrez, dit-elle Il entendit : « Entrez »
Elle semblait irritée, sans raison Le ton lui déplut
La porte s’ouvrit, lentement Il ouvrit la porte, sûr de lui
- Jean, toi, ici, dit Marthe - Bonjour Marthe, dit Jean
Il avait un drôle d’air comme déprimé Elle paraissait lasse, enlaidie
Elle était étendue sur le sofa Affalée sur les coussins du divan
Marthe se redressa, mollement Immobile, figée
-Regarde-moi Regard inexpressif, comme vide
Ses yeux étaient ailleurs - Regarde-moi, dans les yeux
Elle le trouva bouffi Ses paupières lourdes, gonflées
Mou. Gêné, peut-être Son teint jaune, fané
Marthe leva la main droite Jean remua son bras, gauche
- Toi, enfin, pourquoi ? - Moi, toujours, pourquoi ?
Un bruit dehors, loin Un meuble craqua, tout près
Un sursaut ; elle inquiète, nerveuse Elle d’habitude si calme
- Tu vas bien, demanda Marthe - Oui, dit-il. Et toi ?
- Moi aussi, bien, merci, dit-elle - Bien merci. Elle mentait
Elle mentait, bien sûr Cela se lisait sur son visage
Pouvait-il deviner… Les soucis, évidemment
- Et… Jacqueline, hésita-t-elle Lui parler de Robert ?
Il ne me regarde toujours pas - Elle est chez sa mère, à Tours
- Robert est dans le sud, dans le Lot Il s’en foutait de ce type
Il a un travail fou Un playboy, et sportif
Il s’en fichait pas mal - Ah !, bon
Ils se regardèrent enfin, quelques secondes
Ils rougirent en même temps, tout d’un coup
Elle se senti ridicule Elle a dû s’en rendre compte
Il a rougi, il ne change pas Tiens, cette rougeur
Si, il perd ses cheveux Ce teint l’inquiétait
Le même teint de capitaine Depuis longtemps depuis toujours
- Quel temps, remarqua Marthe On entendait la pluie, forte
Elle n’aimait pas cela - Oui, un vrai temps de saison
C’est tout ce qu’il disait Parlera-t-elle ?, maintenant
- Eh bien voilà, dirent-ils d’une même voix
Ensemble, ils éclatèrent de rire, tout d’un coup
L’odeur l’incommodait Il sentit son parfum
Infinity ? Cardin ? Je n’aime pas, du tout
Robert lui avait offert pour… Un parfum, quelle idée !
Marthe avait comme un sourire Il fit un pas vers le divan
- Assied-toi, dit-elle - Merci Marthe, dit-il, soulagé
Elle se redressa sur les coussins S’asseoir un peu ; ouf !
Il croise toujours ses jambes Sur le bord, comme cela
C’est une manie Son geste de la main, un tic
Ils se toisèrent, ils sourirent
Il va me demander si je suis… - Que dit le, ton médecin ?
- Tu sais comment ils sont Elle lui cachait quelque chose
Ce médecin lui avait dit, tout Tous pareils, enfin presque tous
- Tu veux boire quelque chose ? Il n’avait pas soif, pas tellement
- Un jus de raisin ?, un coca ? - Je veux bien, merci, dit-il
Elle sonna, une fois Il se leva. – J’y vais
-Non, Adèle va venir ne te… Il sortit, pour se détendre, un peu
La bonne et Jean se rencontrèrent dans le couloir
Il connaissait le chemin, il revint avec le plateau
Elle regardait la porte Il poussa la porte, du pied
- Pose-le là, sur la petite table Le plateau plus grand que la table
Ils burent longuement, en se regardant
- C’est frais - Oui, c’est bon
- Tu te souviens ? - De quoi ?
- L’hôtel des Dunes, Pâques 78 - La Bonne Auberge, été 82
- Quatre jours de calme, la mer - 7 jours de folie, la montagne
- Le maître d’hôtel joli garçon - La petite serveuse, allumeuse
- Oui
Elle grimaça ; trop froid Il but tout, d’un trait
Quelques gouttes sur le tissu Jean la vit se crisper
La douleur revenait, oooooh - Tu n’as besoin de rien
Il devrait partir, il le faut Il se sentait bien maintenant
Qu’il ne me voie pas C’était comme avant, presque
- Non merci, tu es gentil Marthe lui parût plus pâle
- Qu’il parte, mais qu’il parte Il s’approcha, troublé
- Jean… non, n’approche pas - Marthe, qu’as-tu, dis-moi
Leurs gestes étaient comme suspendus
Le temps s’arrêta, pour un temps
Marthe avait un malaise Jean avait compris
Quelque chose comme… Elle avait un malaise
Une douleur qui venait de… Il devait faire quelque chose
Elle sonna, plusieurs fois Appeler, sonner, quoi faire ?
Fébrilement, vite, vite Il sortit, rapidement
Une infirmière et Jean se rencontrèrent dans le couloir
- Pardon, Monsieur, Madame appelle
Il restait là, planté ; l’infirmière courait
Jean allait revenir, il le fallait Quand il revint, il la vit
Robert était loin Lointaine, ailleurs
La douleur bougea en elle La pluie tombait toujours
- Viens, dit-elle faiblement - Viens, entendit-il, à peine
Il s’avançait Elle lui souriait
- Ce n’est rien, tu sais - Bien sûr, je sais
- Je dois… garder la chambre - Ne bouge pas, Marthe
- Je crois que je vais dormir Elle fermait les yeux
- Tu … tu reviendras, Jean, dis ? - Oui je vais revenir
- Au revoir, Jean - Adieu, Marthe
Le temps s’arrêta encore
Quelque temps…
Il sortit comme un somnambule, quitta le trottoir, la moto fonçait sur lui.
Il l'aperçut, trop tard
Le choc fut terrible.
Marthe, sur le sofa, souriait, le sommeil venait lentement
- Jean, dit-elle, dans un souffle - Marthe, expira-t-il, Ma
21:12 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (1)
Commentaires
là, c'est vraiment superbe, du grand art
Écrit par : Evelyne Dupré | 12/10/2015
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