Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

09/09/2015

UN CERTAIN REGARD

 

Cette façon de fixer Muriel n’augurait rien de bon tellement ce regard semblait inexpressif, on aurait pu dire vide. Ce n’était pas la première fois mais cela se répétait souvent depuis ce qu’on appelle faute de mieux un certain temps. Il y avait comme un mystère dans cette façon de ne pas voir ou de regarder ailleurs tout en vous dévisageant. Alors elle partit d’un grand éclat de rire et demanda un peu hypocritement ya quelque chose qui ne va pas ou quoi ? dis-moi Jérôme, si tu as besoin de vider ton sac, ne te gênes pas je t’écoute, oh ! elle connaissait déjà la réponse mais il n’y a rien chérie, rien, que vas-tu chercher, je suis un peu fatigué un peu anxieux aussi sans vraiment savoir pourquoi, pourtant je me demande quand même si…

La sonnerie du téléphone fut comme une délivrance, un entre-acte dans cette amorce de discussion ou de semblant de dialogue, c’était qui ? rien, Alicia qui annule notre rendez-vous de demain elle a la grippe, bon on reprend Jérôme, please, je vais commencer à culpabiliser c’est moi ? c’est toi ?, c’est nous ? merde à la fin… si c’est un problème de couple dis-le, une difficulté passagère ou profonde dis-le, mes parents t’agacent tu ne les supportes plus moi non plus alors ? on fait moins l’amour ces temps-ci bon hé bien allons baiser tout de suite hop je suis prête (elle se retrousse et retire sa culotte), tu as des problèmes de santé on a un bon médecin, au bureau tu as eu une promotion et une augmentation, ya des dépenses imprévues ? tu as encore perdu au poker ? la bagnole est encore en panne ? re-merde Jérôme de grâce on ne peut pas rester comme cela… ah ! ta presbytie ne s’arrange pas change va voir Alain, ton PSA de prostate a augmenté va consulter Marco, ma nouvelle robe ne te plaît pas ok voilà ce que j’en fais (elle l’ôte et la déchire violemment), tu n’apprécies pas la nouvelle femme de ménage bon Emma vous êtes virée… Muriel s’affala en soutif sur le canapé et se prit la tête entre les mains se retenant de pleurer en allumant une cigarette qu’elle jeta au bout de deux bouffées snif, Jérôme restait accoudé à la cheminée, trop près car tout à coup il sentit la chaleur sur son pantalon zut… Elle reprend avec un sourire qu’il connaît bien mi-amusé mi-inquiétant, tu as fait de mauvais rêves, tu as eu de sinistres présages, la peur de la mort qui revient tous les ans à la même époque, tu n’as pas aimé le film d’hier soir le dernier Fincher, tu as lu en douce le dernier Angot, le nouveau Ouelbeck hein ? dis !

Je reviens dit-il en quittant la pièce promptement. Par la porte-fenêtre elle le vit faisant les cent pas dans le jardin, haussant les épaules ou faisant des grands gestes désordonnés, elle poussa un soupir et se dirigea vers la salle de bains où elle s’enferma comme d’habitude dans des moments pareils. On entendit claquer la porte d’entrée et l’eau couler dans la baignoire, elle se mit à chantonner cet air entendu par Nina Simone Where can I go without you en pensant quel ballot quand même au bout de tant de temps.

Un peu plus tard, environ une demi-heure, un peu plus, il rentra dans la maison tandis qu’elle sortait de la salle de bains dans son grand peignoir bleu. Il avait un immense bouquet de roses dans les bras et lui dit dans un souffle car lui essoufflé et elle soufflée : demain, cela fera cinq ans qu’on est ensemble, tu te rends compte !

Jacques Chesnel

16:36 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (2)

Commentaires

Chut(e) dans les fleurs...

Écrit par : Dominique Hasselmann | 15/09/2015

ouf !!!
j'ai eu peur qu'elle le retrouve pendu haut et court dans le jardin !!!
j'ai aimé : le rythme, les jeux de mots, le côté légèrement "écriture surréaliste", l'exagération volontaire lorsqu'elle passe en revue les raisons de son anxiété, la chute...
j'ai moins aimé : rien
si peut-être la légèreté de la femme qui va prendre un bain alors que son mec est manifestement un mâle en mal
et je n'aime pas les mâles torturés (mais ça, c'est moi), peut-être la partie descriptive des raisons du mal-être de Monsieur est-elle un peu longue par rapport à la chute mais cela amène bien la soudaineté de la fin justement
ça nous tient en haleine, c'est une délicieuse leçon de vie
ça m'a plu
c'est bien écrit
bravo

Écrit par : Valérie Vatteblé | 15/09/2015

Les commentaires sont fermés.