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03/05/2013

CHET BAKER SUR UNE AIRE D’AUTOROUTE

 

Le temps était superbe, soleil voilé, une petite brise par la glace légèrement baissée en plus de la clim’. Jérôme était parti de bonne heure ce matin-là pour rejoindre Muriel en séjour chez sa tante Ginette (de la branche Branlon) à Biarritz (la branche Lagarde se trouvant à Menton avec tonton Georges). Pas trop de monde, pas trop de cinglés à fond les manettes se prenant pour Senna, pas de doublettes en queues de poisson, quelques gros trucks vrombissant avec des inscriptions fluo sur le pare-brise « Juan », « Miguel », « Maurice », lesquels en débardeur dans la cabine et matant des pornos tout en conduisant. Jérôme, on le sait, n’était pas spécialement fou de bagnole, mais cette petite dernière décapotable et décapotée lui plaisait beaucoup, il n’en était pas peu fier. Bon, cela faisait trois heures maintenant que Jérôme roulait sur cette autoroute, il était temps de faire une pause ; ce fut d’abord un arrêt-pipi et bière sans alcool à l’aire dite L’Estalot avant la traversée de Bordeaux qu’il savait compliquée à cause du trafic. Reparti, il fouilla dans la boite à gants à la recherche d’un CD et trouva son préféré celui dans lequel Chet Baker chante Every time we say goodbye I die a little qu’il fredonna de concert, roulant décontracté et souriant au souvenir de sa dernière nuit plutôt hot avec Muriel qu’il allait bientôt revoir et zou ; il appuie sur la touche « repeat »…

Chet chante toujours tandis que Jérôme décide de faire un nouveau break pour se détendre et entre sur une aire de la N 10 où est stationnée une seule voiture immatriculée GB. Une dame sort des toilettes en se tenant le ventre et en riant, dit quelques mots à son compagnon qui  s’esclaffe quand elle lui raconte sa mésaventure que Jérôme entend discrètement : en se baissant sur le WC à la turque, elle a craqué l’élastique de sa culotte qu’elle est en train de perdre. Il leur adresse un sourire gêné, ils lui répondent par un geste complice quand, soudain, une voiture vint se garer à côté de celle de Jérôme, un décapotable décapotée conduite par une ravissante jeune femme semblant s’échapper comme par miracle d’une nouvelle de Francis Scott Fiztgerald et qui écoutait Chet Baker chanter When I fall il love it will be forever, les deux chants se superposant ainsi. La coïncidence est troublante et fait penser à une séquence insolite, surprenante qui pourrait se trouver dans un film de Pedro Almodovar ou un mélo hollywoodien de Douglas Sirk, d’autant que la voiture est de la même marque que la sienne, une Austin mais d’un modèle plus ancien avec le volant à droite. Pendant que le british couple s’éloigne en leur faisant un signe d’adieu, les deux portières se frôlent lorsque Jérôme et la conductrice sortent conjointement de leurs autos ; ils se sourient puis éclatent de rire, se présentent Jérôme, Marjorie, et vous allez où comme cela ? à Biarritz retrouver ma compagne, et vous ? à Dax rejoindre mon mari médecin à un congrès de thalasso, pendant que Chet, infatigable, continue de chanter ses tristes histoires d’amour entremêlées, Every time we say goodbye I fall in love and I die a little forever…

Et pendant tout le temps que Jérôme et Marjorie devisèrent gaiement tout en flirtant sur leurs voyages respectifs, s’élevèrent enfin dans les airs la sonorité délicate et fragile de la trompette de Chet Baker ainsi que ses somptueuses envolées lyriques sur cette aire d’autoroute presque déserte.

© Jacques Chesnel, enchanté

12:04 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (3)

Commentaires

Dès que Chet Baker est évoqué quelque part (et ici, dans le cadre qui lui sied tout à fait), je pense - en superposition vis-à-vis de sa musique caressante - à son autobiographie si émouvante : "Comme si j'avais des ailes" (10 x 18,N ° 3358, septembre 2001).

Écrit par : Dominique Hasselmann | 08/05/2013

tout a été dit - et bien dit - dans les deux premiers commentaires, et je m'en vais de ce pas écouter... fichtre, diantre, je ne retrouve plus mon cd de Chet... j'ai du le prêter... tant pis, je glisse celui de Roy Haynes...

Écrit par : paniss | 11/05/2013

il y a longtemps, cher paniss, que je ne prête plus mes CD, surtout ceux de Chet et de Roy

Écrit par : Jacques Chesnel | 12/05/2013

Les commentaires sont fermés.