Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

29/01/2011

LE GROS NAVION

 

L’ avion a décollé et prend de la hauteur

- ça va, Maurice ?

 - attends un peu, je suis serré avec la ceinture que je

l’hôtesse :

- ne décrochez pas encore votre ceinture, Monsieur, attendez le signal sonore

 - j’trouve que ça fait un boucan pas possible moi

- mais faut qu’on soye dans la teumosfère pour que ça se calme, on voit bien que c’est la première fois que tu prends l’avion

- si j’aurais su on aurait du prendre un navion moins gros, la taille en dessous, un 379 par exemple au lieu de çui-là, on n’est pas à un numéro près

- Ginette, on a choisit la destination, pas l’avion qui va avec, pas encore


clic- clong


- oooh !, qu’est-ce que c’est que ce bruit, une alarme ?, ya un problème ?, un incident…  j’ai peur

- non non, regarde le signal devant là, c’est indiqué en haut : tu peux te détacher maintenant, voilà

- j’ai mal au cœur, Maurice, j’ai pourtant pris un truc pour les jambes du docteur à cause de mes veines

 - p’tête que t’as l’estomac dans les talons, le plateau-repas va arriver sous peu, respire un bon coup, là, doucement, pense à aut’chose, au soleil, aux palmiers

 - j’crois que c’est quand j’ai vu l’hôtesse qu’a présenté les gilets de sauvetage, ça m’a fait un drôle de truc comme un nœud dedans

 - ça fait toujours ça la première fois

 - j’ai envie de faire pipi, où sont les toilettes dans c’navion que j’aime pas trop ?

 - à l’arrière comme toujours, mais ya la queue comme toujours, c’est fou c’que l’avion fait pisser, c’est l’altitude ou les chocottes, ou les deux… au fait, t’as entendu le commandant d’bord, on va traverser une zone de trubulences

 - j’ai un pressentiment, Maurice, et maintenant ça presse pour le pipi, j’ai pas envie de

 - vas-y, ça a l’air d’être libre

 - mais si ya une trubulence quand j’suis d’dans en train d’faire ?

 - tant qu’l’avion fait pas de loopings, tu crains rien

 - Yvette dit que des fois ça chahute sec et qu’ça renverse le ouatère

 - oui mais c’est rare quand même…

Maurice s’est assoupi, Ginette est revenue, elle le dérange

 - attention à tes arpions à toi

- t’as-ty fait ?

-  en tout cas ça m’a dégourdi les guibolles toutes engourdites et j’ai été soulagée car en plus j’avais des gaz en plus

- on arrive dans moins d’une heure maintenant en principe

- c’est pas trop tôt pasque c’est trop long à être coincés comme des sardines qu’on peut pas s’allonger un peu pour

- regarde le paysage par le hublot

- j’peux pas j’veux pas, ça m’donne des vestiges  


clic-clong… annonce : l’avion commence sa descente

 

- oh ! ça fait bizarre, t’es sur que c’est normal, ya pus d’bruit d’un seul coup

- y ont coupé les moteurs mais ça va reprendre à l’atterissage et alors là c’est le trintamarre pasque y mettent toute la gomme pour les freins hydroliques que ça fait peur vroooomm, accroche-toi

- c’est pas demain que j‘vais r’prendre le navion, ah ça non… de toutes façons, ma ceinture est bloquée, j’peux pas m’détacher… appelle l’hôtesse… mademoiselle, siouplait…

- nous v’là bien, on est pas sorti de la carlingue, t’es scotchée ?

- j’voudrais surtout sortir vite de c’naréoplane que j’en ai vraiment plus que marre… et on va rentrer par le train tout de suite…

-       enfin si on peut.

 

©  Jacques Chesnel

00:59 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (0)

25/01/2011

LE PARI DE JEANNE OU LES DÉSEMPARÉS - 10

 

10/ L’AUTEUR

 

En l’état actuel

Nous avons laissé tous le protagonistes de cette histoire, de ces histoires, totalement déboussolés, contrariés et, surtout, totalement désemparés… comme l’auteur lui-même.

En effet, comme il a été souvent rapporté chez/par la plupart des romanciers ou auteurs de fictions, les personnages et/ou leurs comportements, leurs caractères et sentiments (leurs confusions) échappent à la maîtrise du concepteur qui n’est plus en mesure, au moment où tout semble se dénouer, de conclure le récit quand tellement d’opportunités semblent se présenter.

Jeanne sait ce qu’elle veut, on l’aura compris, mais les moyens de parvenir à cette fin sont complexes et risquent de faire encore plus de dévastations chez ses enfants, car pour les autres elle ne veut pas y songer, c’est simplement irrévocable.

Elle est inquière pour sa santé, décidée à prendre les décisions qui s’imposent mais une peur irrépressible la tenaille, elle ne sait de quel côté se tourner, elle ne peut faire confiance à personne (croit-elle), elle n’en a même pas envie (pense-t-elle).

Cependant, inconsciemment, elle entrevoit une possibilité, un aspect des choses, une solution qui se dessinent sans oser y croire vraiment, et pourtant… il va falloir bientôt prendre une décision, une ultime décision.

Les autres personnages sont tout autant désarçonnés et communiquent leurs appréhensions et inquiétudes par l’intermédiaire de nombreux coups de téléphone, comme s’ils hésitaient à se rencontrer, à se parler de vive voix, face à face,  enfermés dans leurs solitudes. Seront-ils en mesure de résoudre leurs propres problèmes et surtout apporteront-ils à Jeanne l’aide dont elle a besoin, maintenant.

 

La fin de cette histoire approche.

 

(à suivre)

 

12:30 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (0)

22/01/2011

LE SALON DE LOTO

 

- alors, Ginette ?

- ben, on n’en a plein les pattes, voilà, enfin ouf

- comment ça dites-moi

 - Maurice a voulu tout voir, toutes les nouvelles bagnoles au salon de l’auto, mais surtout les nanas qui les présentaient et y avaient pas lésiné sur les avantages

- des voitures ?, pour les prix et sur les prêts ? pasqu’y font des efforts pour vendre aujourd’hui

- nan, des filles, avec elles, ça débordait de partout avec en plus les guibolles qui montaient jusqu’aux fesses et même plus haut et alors Maurice il demandait euh c’est comment pour le changement de vitesses en faisant les gesticulations à des couates et pour les clignoteurs je fais comme ça ou comme ci tout en reluquant sec à l’entour et y avait un de ces mondes que j’ai vite mis le holà car…

- vous avez fait la ola avec les autres en levant les bras tout haut, j’aurais voulu vous y voir que j’y crois pas

- aux japonaises Maurice il a craqué, elles étaient nettement moins grandes mais plus confortables, plus racées, plus profilées, plus modernes, plus actuelles quoi

- les filles ou les bagnoles, pasque…

- vous caricaturez tout l’temps mais fallait voir Maurice il riait toujours mais de plus en plus jaune vu la cherté et les mini-jupes des présenteuses, yen avait une on aurait dit la p’tite Yokonono vous savez la femme à Jack Lemone… et vous pendant c’temps là ?

- au lieu d’aller au salon de l’auto comme tout l’monde, on est resté comme d’habitude à jouer au loto dans le salon chez Yvette mais sans vous que les copines ont dit ah la lâcheuse avec ses caisses roulantes pour la frime

- j’aurais préféré être avec vous mais Maurice voulait tellement que je choisisse un nouveau modèle avec la primàlacasse que j’comprenais pas qu’ils vont casser notre vieille Dauphine qu’avait plus de deux cents mille kilomètres au comptoir normal et qu’on en aurait une toute neuve en remplacement que c’était pas trop tôt

- en jouant au loto avec nous vous auriez pas eu de problème avec la chance qu’on vous connaît pour trouver les bonnes combinaisons

- c’est vrai qu’j’ai souvent eu la main heureuse aux jeux de la société, une fois j’ai même gagné à de la roue de la fortune en 90 ou 11 avec le Christian Morin même si j’aimais pas sa clarinette que j’trouvais trop baveuse et dégoulinante de partout

- moi je suis été au juste prix mais ça gueulait tellement dans le studio avec le p’tit gars déplumé le Lagarce que je suis pas été sélectionnée avec regret pasque ya quand même de sacrés beaux gros lots plus qu’au loto

- ça dépend lequel… vous connaissez la nouveau jeu qui fait fourreur ? le loto à Toto ? ça fait un malheur chez les retraités et les druckérisés du dimanche martin après-midi

- bientôt y aura le lata de Tata pour les mémés… (rires) c’est vraiment n’importe quoi pour piquer l’pognon que l’état récupère toujours

- pas tellement pasqu’au loto d’Toto le gros lot eh ben c’est justement une auto et pas n’importe quoi, j’vous l’donne en mille : une asiatique que l’état récurre pas

 - alors si c’est une japonaise là Maurice y va rappliquer, il cause plus que de Toyota par ci Toyota par là comme dans la chanson tico-tico de Luis Mariano oh ho

- vous lui direz que c’est une Toyototo pour sa tata et ça lui fera plaisir, ça lui rappellera des bons souvenirs de vot’ visite au salon de la toto avec la prime à la cacasse de vot’ vieille carcasse (rires)

- ah c’est malin, vous changerez pas, vous !... quand c’est qu’on en fait un ?, de lototo.

 

©  Jacques Chesnel

 

15:18 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (0)

07/01/2011

LES ANGES : SEXE, SAXE ET SAXO

 

 

Tous les ans, à cette période de fin de l’année et début de la suivante, Jean-François se posait et nous posait toujours la même question, celle sur le sexe des anges, question récurrente depuis son catéchisme où il était toujours bon dernier et jugé incontrôlable par le curé et les dames patronnesses car posant justement des questions dont les réponses ne lui convenaient pas, à lui, au prêtre et aux vieilles cinglées ; un peu plus tard, en sciences dites naturelles (étude du corps humain, la différence entre homme et femme) problèmes avec un prof’ peureux et complexé, puis le dessin, les arts dits beaux avec les reproductions de tableaux surtout ceux comportant des anges qu’il aimait contempler pendant des heures sans dire un seul mot, ce qui constituait une véritable performance. JF avait vu tous le tableaux consacrés à l’angélologie, notamment ceux de Fra Angelico, Giotto, Van Eyck et Roublev mais celui qui le fascinait était Trois amours dansant dans les nuages de François Boucher (1703-1770) par ailleurs auteur de Diane sortant du bain qui le laissait tout chose avec des picotements dans le bas du ventre. Il s’intéressa avec passion aux chérubins et séraphins, à la langue des anges qu’évoquait St-Paul, aux anges déchus, aux anges rebelles peints par Pieter Bruegel l’Ancien.

 

Il se posa des tas de questions sur leur aspect, leurs tailles de bébé de huit mois joufflus, potelés, poupards, pas d’ange maigre ni de noir ou d’autre couleur, leurs cheveux blonds et bouclés, la délicatesse de leur peau toujours immaculée, la fraîcheur de leur teint d’un rose discret, leur manque de poils sous les bras, leurs fesses dodues-charnues et, surtout leur absence de sexe, ni bosse ni creux apparants sous le voile pudique à cet endroit pour lui essentiel ; quant à leur air d’extase permanente, il s’en demandait les raisons… et ces postures un peu niaiseuses ! ; quant à Cupidon, ou plus exactement à ses représentations, il trouvait celles-ci plutôt du genre cucul-pipi-dondon dans tous les sens des termes, ce qui faisait hurler de rire Myriam tout en lui reprochant ses constantes vannes à deux balles, c’est nul, JF, c’est supernul !.

e39567a47f5ad450-grand-trois-amours-dansant-dans-nuages-boucher-francois-1703.jpg

Un peu plus tard ce fut le tour des anges gardiens, après un court épisode avec Gabriel sans résultats probants. Déjà, à treize ans, il convoqua plusieurs fois son ange gardien à lui qu’il appelait Victor (prénom de son grand-père favori mort dans les tranchées à Verdun pendant une absence de son propre ange gardien parti aux toilettes ce con pendant un des plus forts bombardements, quelle idée) et deux ans plus tard y renonça définitivement devant les carences de résultats dans les moments où il en avait eu le plus besoin, notamment pour la besogne quotidienne de séduction des filles, une propension au prurit aquagénique ou aux plaques d’urticaire et de fréquentes et incontrôlables fuites urinaires aux plus mauvais moments, d’où le coït toujours interruptus… jusqu’au jour où le médeçin de famille trouva le remède que Victor n’avait même pas envisagé, c’est nul, Victor, supernul !.

 

De plus en plus tenaillé, tiraillé, obnubilé, tourmenté, tourneboulé par le sexe, d’abord le sien, son propre instrument de service, de ses vices et de sévices pas toujours très propre, celui des filles qu’il tentait en vain d’explorer toujours de plus en plus et, plus énigmatique, celui des anges, leur non-zizi, Jean-François s’embarquait dans une quête de plus en plus pressante dans ses recherches et préocuppations. Tout passa en revue, du sexagénaire sexologue aux sex-symbols sextuplés, du sextuor sexy aux pratiquants du sextant au fort sex-appeal… rien ne vint calmer son ardeur de recherches pointues qui se poursuivent encore. 

 

Aux dernière nouvelles, on vient de voir un ange passer dans le ciel avec son sexe en érection, sa porcelaine de saxe dans son sac air messe et son saxo le plus petit d’Adolphe son génial inventeur en bande doulière, voilà bien un ange d’un genre nouveau non exterminator, contrairement à celui de Luis Buñuel, ce qui va encore provoquer chez notre JF une bienfaisante sexcitation… c’est reparti… bon, alors… il recommence son énumération du sexe absent chez nos fameux blondinets… au choix : l’arbalète, le bigoudi, le boute-joie, le chibre, la coquette, le dardillon, l’épinette, le moineau, le pain-au-lait, le plantoir, le rat-sans-pattes, la ravissante, la tête chercheuse, le zigomar ou la foufoune, le berlingot, la cerise, la reluisette, le vestibule, le gardon et autres friandises (merci Colette Renard pour Les nuits d’une demoiselle)…

 

                … et tout ce qui s’ensuit… et tout ce qui s’enfuit.

 

©  Jacques Chesnel

09:18 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (2)

03/01/2011

DRIIIIING !


DRIIIIING !

 

- allô allô… ne coupez pas, mademoiselle, allô

- allô, oui, j’entends rien… c’est qui ?... allô, quoi, quiiii ?

 - keskissepasse bordel, allô, mer…

 - c’est toi, Maurice ?

 - oui, tu m’entends ?... putain, c’était mieux quand c’était l’inter, non ?... et puis on pouvait engueuler la standardisse, j’me rappelle qu’yen avait une que j’avais courtisé dans l’temps, Yvonne, je crois, elle était toute émoustillée à l’aut’bout de ce que je lui débitais pour l’allumer dans le combiné avec toutes ses manettes, son tableau d’bord et les fiches à enfoncer ne quittez pas je vous passe le…

 - alors, Gisèle m’a dit qu’ça allait pas fort

 - oh, elle exagère un peu comme d’habitude, elle en a fait d’abord tout un plat puis tout d’un monde, mais là pour moi c’est juste que le cominoute du gamin me reste en travers de la gorge, voilà mon vieux, on était pas préparé moi surtout, c’est quand on a reçu la carte postale d’Ibiza que ça m’a drôlement sonné

 - comment ça ? je croyais qu’il était parti avec Micheline

 -oui, mais là-bas il a rencontré un copain de régiment qui l’a emmené dans un boîte de nuit branchée et la plouf il a plongé

 -dans la piscine de la boîte ?

 - nan, pendant que la Micheline dansait avec un aut’ gars, il s’est mis à danser lui aussi mais avec une fille qu’était un gars en réalité, elle, enfin lui, lui a proposé d’aller faire un tour aux toilettes et l’a embarqué… dans les pissottières des mecs et alors là

 - noooon ! c’est pas vrai

 - eh ben si, le mec te le déculotte devant tout le monde en un tour de main et hop ça lui a cloué l’bec pasque la Micheline avait rappliqué et le voit avec le type à genoux qu’avait envelé sa perruque de fille et qui le…(il tousse) devant des mecs qui applaudissaient (il s’étrangle) aarrrgh… et lui, béat, comme content…

 - et alors ?

 - tu connais Micheline puisque c’est ta nièce, elle se dégonfle pas, aaaah, pisque c’est comme ça, dit-elle, et elle attrape le premier venu et re-hop elle te baisse le patalon et se met à le téter aussi sec elle aussi alors que ça devient carrément une orgie pasque toute l’assemblée s’y mettent tous ensemble et Pierre aussi tellement ça gueule dans la boîte plus fort que la musique, un vrai bordel et que la Micheline est pas en rade ni not’ gamin qu’on peut plus les décrocher et qui s’le font tous un par un par devant par derrière, par en haut par en bas partout, alors quand elle nous a raconté tout ça l’air de rien on avait l’air malin avec Ginette qu’on comprenait pas

 - c’est des nouvelles pratiques sessuelles, mon vieux, on n’est plus dans l’coup, de not’ temps on avait chacun la nôtre de bonne femme, bon y avait des coups de canif dans les contrats mais de là à sauter le paf… sauf quand on allait à Paris dans les boîtes à partouzes pour faire la fête au Chabanais et Ouane Toutou rappelle-toi

 - ce que les jeunes ne savent plus faire, pour eux c’est la tefeu ferden permanente au lieu de la bamboula provisoire que c’est pas pareil, mais avoue que parfois ça nous en bouche un sacré coin et…alors Pierre est resté là-bas, il revient pas, nous on en revient pas non plus, il nous a écrit pour son cominoute, il s’excuse mais il a dit que maint’nant il est gay et gai de l’être, qu’il nous aime mais que… alors, on fait avec pourvu qu’il soit heureux, c’est l’époque, on peut rien changer dans c’domaine là, voilà not’ gay Pierre, c’est quand même le nôtre à nous et… allô

 - allô, allô, merde c’est coupé… allô, mademoiselle…

 

 Ginette intervient :

- mais ya pus l’inter, j’te dis, t’es têtu ou quoi ?

 - bon, faut refaire le numéro alors…passe-moi l’annulaire… à propos de numéro c’en est quand même un drôle que nous ont fait les gamins, on sait plus comment les tenir… allô… bon, v’la que c’est occupé maintenant, ce Maurice quel bagout, y doit causer tout seul dans le combiné.

 - oui, il soliloque, des fois même il ventriloque, c’est dire !.

 

©  Jacques Chesnel

 

 

 

18:15 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (0)

23/12/2010

LE BOUT

LE BOUT

Ou

De la soupe et des soupapes

 

Pour aller jusqu’au bout, je ne sais pas encore par quel bout le prendre mais je crois quand même tenir le bon bout. Me revient en écrivant cela un souvenir de zan : quand je demandais un bout de ce délicieux réglisse à ma Maman je lui réclamais toujours (après m’avoir donné cette extrémité en me disant tiens voilà mon p’tit bout d’chou) le bout qui restait et me narguait dans sa main, car il reste toujours un bout de quelque chose quelque part ce qui ne simplifie pas la vie à courir après souvent à bout de souffle. Au bout du compte (ou du conte), on peut alors partir dans toutes les directions à tout bout de champ, tenir un bout de chandelle par les deux bouts (voir plus) afin d’éclairer le bout de ses peines avant d’aborder le bout du chemin et d’être ainsi arrivé au bout du rouleau.

Ainsi, cette question, autant qu’une autre, peut se poser : comment aller, par/pour l’exemple, de soupe à soupape ? pourquoi la soupe et quid de la soupape ? :

Une de mes grand-mères abhorées faisait de la soupe avec du pain, ce que mon frère et moi appelions la soupaupain, quand il y en avait moins ou pas du tout la soupapapain ou soupapupain que nous préférions ; l’autre mégère était plutôt soupaulait, ne supportait pas la soupopopulaire ni même la soupalapoulopot du bon roi Henri 4 mais avait élaboré une soupaupotiron que l’adorable grand-père réclamait souvent lorqu’il sortait de sa soupente en tendant une soupière de sa fabrication car il étaut devenu bricoleur à sa retraite après cinquante ans devant sa forge où il s’était fait une réputation dans la première fabrication artisanale de soupape, sorte de valve ou obturateur mobile, pour disait-il sur un ton autant badin que moqueur, fermer le clapet de sa bourgeoise très/trop babillarde. Comme il était anti-clérical forcené et prosélyte de surcroît, il ne se gênait pas pour dire que de cette façon il battait les sous-papes, ce qu’il avait fait quotidiennement avec jubilation, ce qui nous intriguait et nous posait des énigmes restées sans réponses : les sous-papes de la soupapapauté mangent-ils de la soupaucuré, si oui préfèrent-ils la soupalhostie la plus suave ou celle dite souapalencens la plus parfumée ou bien la soupalagrenouille de bénitier, celle qui risque de faire la soupalagrimace, déguster la soupapopaul servie à genoux par les enfants de chœur… et que penser de la soupapamobile aux soupapes vaticanes fonctionnant à la soupaupainbéni oui oui ?... ah ! et puis inventer de nouvelles recettes comme la soupasoupir (sans en trop pousser), la soupasoupçons (sans les éveiller), la soupadormir (sans cauchemarder), la soupalatout (avec le maximum d’ingrédients), la soupaucinoche (pour se faire une bonne toile ou avec la soupauchoux), la soupausiné (pour bien se marrer), la soupaladevos (pour jouer avec les mots), la soupalabedos (afin de ricaner grave), la soupalacoluche (pour les restos du cœur), la soupamaguise (avec Jean Rochefort), la soupalabeaufitude (avec le Depardieu d’aujourd’hui parce que l’autre c’était mieux avant !), la soupindigeste des fachos, la soupalaturlute ou le soupalinflation (avec une ancienne ministre), en évitant surtout la soupalaconnerie qu’on nous sert tous les jours et qu’on avale sans broncher avec parfois des rejets si brutaux qu’ils nous amènent à la soupalindigestion, la soupalindignation celle-ci précédent la soupalarévolution que nous mangerons peut-être bientôt, qui sait ?... car maintenant la soupe est à la mode, on trouve même des bars à soupe un peu partout, c’est vous dire, si bien que…

 Vous devez être comme moi, non ?... en avoir un peu ou vraiment beaucoup soupé… et bien, nous voici enfin arrivés au bout… de l’an 2010.

 

©  Jacques Chesnel

10:50 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (0)

19/12/2010

MOUETTE ET TROMPETTE

 

Il commence lentement à faire nuit.

Une mouette vient de se cogner sur la baie vitrée du salon, pan ! elle avait dû apercevoir les feuilles de mon vieux et vigoureux ficus benjamina et vouloir se poser reposer sur les branches, qui sait ? elle est repartie en boitant de l’aile. Après le choc qui m’a fait sursauter, j’ai pensé au dernier concert où je suis allé écouter un trompettiste de jazz islandais au nom imprononçable pour un improvisateur. Et si cette mouette venait elle aussi d’Islande, que fatiguée elle avait décidé de prendre du repos sur ma plante, qu’elle idée d’avoir fermer cette baie vitrée. Au concert, le trompettiste s’envolait très haut dans les aigus, la mouette était à faible altitude à la hauteur de mes carreaux, elle ne semblait pas pouvoir se balader dans les mêmes sphères, encore heureux que ce musicien ne soit pas venu se cogner à ma baie, il jouait trop haut, pas de danger. Il fait complètement nuit, totalement noire maintenant, les mouettes dorment, le trompettiste islandais aussi je suppose, quoique là-bas les musiciens de jazz jouent la nuit, souvent plus que noire et infinie. Tiens, je vais aller dormir aussi car je ne sais pas jouer de la trompette et j’ai un p’tit coup d’mou subitement.

Je dors et je rêve, je rêve que notre ariste joue devant un parterre de mouettes dont la mienne reconnaissable avec son aile claudicante, il commence par un morceau de sa composition Ballad for a gull, très touchée par l’intention, elle essuie une larme avec son aile valide, elle est navrée de ne pouvoir applaudir alors elle crie, vous avez entendu un cri de mouette, toutes les mouettes présentes se mettent à crier, c’est insupportable mais le trompettiste est ravi  et lui envoie un baiser A kiss for a gull nouvelle composition/improvisation qu’il entame et qu’il lui dédit, c’est le délire dans le parterre, c’est chouette un groupe de mouettes toutes groupies d’un trompettiste islandais au nom imprononçable avec toutes ces consonnes… surtout quand on se réveille et que dehors les mouettes crient de plus en plus fort dans le jour naissant, une belle aube mouettée, elles ont repris leur envol en tourbillon, puis se posent sur les terrasses des immeubles en face, ma mouette me fait de loin un signe de l’aile et je lui réponds d’un signe de la main alors elles semblent entonner un chœur de mouettes, de ce cri reconnaissable mais pour lequel on ne trouve pas de mot, comme pour le goéland avec son pleur ou son raillement, pour la mouette rien, une sorte de krououck rauque ou de tiir-ir aigu, acéré, perçant, pointu, les voisins se mettent à leurs fenêtres, inquiets du tintamarre inhabituel, une mouette ça va c’est quand il y en a plusieurs que… air ministériel connu, ils sont plus qu’étonnés quand je sors sur mon balcon et que la mouette, ma mouette à moi arrive clopin-clopant et non à tire-d’aile et avec une élégance maladroite à cause de son handicap vient se poser doucement sur la balustrade applaudie par les forts battements d’ailes de ses consœurs, quel concert mes amis, il y a de la mouette dans l’air pépère avec son aile de travers et aux balcons/terrasses d’en face et d’ailleurs, le trompettiste islandais à côté c’est de la roupie de mouette, autre chose que celle du pauvre sansonnet, cela fait bien longtemps qu’on n’a pas entendu un tel concert dans le quartier, les journalistes rappliquent, les photographes mitraillent, une moto pétarade, oh ! un mouettard dit une petite fille, la foule exulte, la télé régionale toujours en retard d’une mouette se pointe enfin, je lève les bras bien haut, ma mouette laisse alors tomber une crotte qui tombe sur la tête d’œuf d’un type qui ressemble à Juppé le crâneur ou à Copé le prétentieux, plaafff bien fait, cela devient bordélique et j’ai envie d’embrasser toutes ces gentilles bestioles, d’autant que maintenant, attirées par ce barouf et ce baroud d’honneur, toutes les mouettes des environs rappliquent dare-dare et que ces krououck et tii-iir se transforment en immense et collectif éclat de rire oui de RIRE... car ce sont, pour la plupart, des mouettes rieuses autrement dit pour les irréductibles mouetteux des chroicocephalus ribibundus de la famille des laridés, ordre des charadriiformes ; je suis au septième ciel entouré de tout cet aréopage multimouetteux un peu braillard qui me fait oublier mon trompettiste islandais au nom imprononçable, je suis heureux comme jamais depuis si longtemps, je me détends totalement, me destresse entièrement  par tous le bouts de mon corps, je me soulage, je me libère enfin, je… pour finir par lâcher une gigantesque mouette** si joyeusement éclatante et pétaradante qu’elle retentit dans cet univers de mouettes en folie sous les vivats de la foule et le rires énormes de ces adorable volatiles. La mienne, je la baptise La  Reine des Mouettes, elle le mérite bien, avec l’approbation et le regard bienveillant autant qu’ admiratif de ma petite estropiée favorite.

 

Je n’arrive toujours pas à prononcer le nom de ce trompettiste islandais avec tant de consonnes que je m’y perds, mais maintenant je m’en fous, mais alors là, complètement.

 

Voilà une belle journée qui commence.

 

** lâcher une mouette : expression argotique employée par les lycéens dans les années 40/50 signifiant : se libérer d’un gros pet sonore..

 

©  Jacques Chesnel

10:26 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (0)

10/12/2010

DE LA LINGERIE AVEC LA NEIGE

 

- alors et ce salon de la lingerie, chère amie

- d’abord, on s’est engueulé avec Maurice qui voulait y aller seul et puis ensuite n’aller qu’aux estands féminins, moi je voulais tout voir y compris chez le hommes pasque ya pas de raison que ce soit toujours les mêmes

- ah ça, ils sont bien tous pareil, le mien quand je reçois le catalogue de la redoute, il se précipite tout de suite pour regarder les modèles avec leurs gaines, et pourtant j’en porte plus quoique avec mon ventre je devrais, et aussi celles avec des porte-jarretelles, il sait même pas que maintenant les bas tiennent tout seuls avec le scotch, je m’demande parfois

- c’est comme pour la rumba ya du féchitisse dans l’air, not’aîné il mate les sites pornos sur l’inter pas toujours très net, on l’entend beugler à chaque nouveau arrivage olé waouh youpi ouais, c’est du relou, bref on l’tient plus

- est-ce qu’on en fait autant nous avec leurs sous-vêtements de chez l’éminence à eux

- là faut avouer qu’on est pas gâtées

- Liliane, vous savez la fille à Raymond le gars de la charcuterie qui fait aussi ambulance, elle ne jure que par Chantal Thomass qu’elle dit que c’est super classe mais qu’ça coûte bonbon

- quoi ? elle met ça pour aller en classe ? non mais, c’est pas étonnant que notre instite a toujours la trique, enfin d’après c’qu’on dit

- maintenant tout est sexuel, la mode, la bouffe, les voyages, le cinoche, le théâtre où ya même maintenant des travestisseurs, des tranformisses, tous transsessuels en transe pasque ça tortille du popotin et hop hop hop (elle se contorsionne en riant)

N.B. - (elle fait sans doute référence au spectacle « Gardénia » donné au Théâtre National de Chaillot)

- ya pas que maintenant, tenez à la comédie française de Paris, vous vous rappelez de Jacques Charon, lui il s’en cachait pas, qu’est-ce qu’il était marrant dans Occupe-toi d’Ophélie, et Michel Serrault avec sa biscotte dans Les cageots de folles, par contre lui pas touche, de la composition spontanée avec improvisation immédiate

- voui dame bien sûr mais y avait aussi des vraies actrices pour compenser, ah moi c’était Mireille Balin dans Pépé le Moko, Françoise Arnoul dans La chatte, Elisabeth Taylor même chose mais sur un toit brûlant qu’était chaud tandis que le gars Newman picolait au lieu la sauter ce con, enfin et Claudia Cardinale dans Sandra et Monica Vitti avec Léa Massari dans l’Aventura, toutes ces nitaliennes c’était quelque chose

Maurice entre dans la pièce couvert de neige en tapant des pieds sur le paillasson

- hé ben d’où qu’tu sors dis donc

- tu vois bien que je sors pas, je rentre, bonjour mâme Ginette, ça biche ?... il en tombe une de ces couches de neige que ça commence trop tôt, j’prendrais bien un p’tit vin chaud moi… alors c’est de quoi que vous bacouétiez mesdames, de chiffonnerie, hein ? comme d’habitude

- mais dis-moi, qu’est-ce qui t’es arrivé à ton patalon avec un trou à la jambe gauche du genou

- ah, je suis tombé tout à l’heure j’ai glissé sur des feuilles mortes sur le trottoir et je me suis ramassé comme les feuilles qui se sont rappelées à la masse que je suis avec mes cents kilos tout nu, il fait pas bon frimer pendant les frimas dit le poète pouette pouette avec tout ce verglas vert ou pas vert et puis ce manque de couleurs plus blanc que blanc, moi ça me donne le vertige alors plouf

- on parlait de toi justement avec tes toquades de lingerie fine de la redoute

- vaut mieux être toqué d’ça plutôt qu’aut’ chose, au moins ça fait du bien par où ça passe et c’est toi qui en profites, tu vas pas m’dire le contraire

- (rougissante) tu vas pas commencer à dévoiler nos p’tits secrets de plumard devant Ginette quand même

- tu trahis bien les miens que je me cache pas, je feuillette c’est tout, oui je mate, je suis un amateur qui mate, voilà, un zyeuteur qui zyeute, puis après un toucheur qui touche, ensuite un bais…

- (elle l’interrompt en roulant des yeux) MAURICE !

- à propos de blanc comme neige, c’est bientôt la quinzaine, faudra penser à renouveler ce qui ya sous ta robe pasque là ça m’intéresse, je vais m’en occuper illico, tiens passe-moi le catalogue… voyons voir (il compulse), page 169/170… aaaah !, ya d’la nouveauté !

 

 

                 ©  Jacques Chesnel              

12:11 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (0)

04/12/2010

LIEUX COMMUNS

 

Dès qu’elle eut fermé la porte, il comprit qu’il y avait un problème, un gros problème. Depuis quelque temps déjà, mais impossible de préciser, il y avait de l’eau dans le gaz, comme anguille sous roche, cela ne sentait pas bon et même pour tout dire le roussi. Il n’avait pas encore envie de rechercher la, les, cause(s), faute(s), reproches et aigreurs exprimées ou non, rentrées, enfouies, allait-il falloir déterrer tout cela, magma ou conglomérat, turpitudes et mesquineries, il devait bien avoir tout cela, ensemble. Il alluma une cigarette qu’il jeta aussitôt, se passa la main gauche dans les cheveux alors que d’ordinaire c’était la droite, tiens ?. Il lui fallait garder son sang-froid, lui qui avait plutôt le sang chaud disait-elle, en opposition à son sang de navet à elle disait-il. Et puis s’il fallait commencer à chercher tous les poux dans la tête, détailler toutes les disputes, les sous-entendus blessants, les rancœurs, piques et vacheries, blessures et peaux de bananes… on allait pas en sortir de sitöt. Il essaya d’ouvrir la porte doucement puis fermement, fermée à clé de l’intérieur, mettant l’oreille sur le bois il entendit de la musique en sourdine, la radio, accompagnée de rires secs et de hoquets prolongés, puis un long cri, presque un hurlement. Il redouble ses coups sur la porte, Murielle, ouvre, ouvre-moi, je t’en prie. Après un long silence, quelques secondes, une voix, sa voix maintenant méconnaissable, tu me lâches, Jérôme, tu me lâches ; il n’avait jamais entendu cette expression dans sa bouche, tu me lâches. Il avait pourtant l’ouïe fine, elle ne devait pas être dans son assiette, quelque chose de grave clochait quelque part, car il avait le nez creux pour comprendre toutes ces petites histoires banales ou merdiques ou… mais là il se sentait pour une fois dépassé, tu me lâches. Il se posait des tas de questions sans trouver aucune réponse. A quoi se fier ? ; à elle se confier ? ; devoir la défier ?. Il se sentit là complètement paumé et même pour tout dire plutôt un peu concon, tu me lâche

C’est à ce moment précis que le téléphone sonne, le téléphone ou la sonnette d’entrée ? avec ces idées absurdes de jingles ? c’est la sonnette. Il va ouvrir. Le facteur, un jeune homme souriant. Bonjour, un colis pour vot’ dame, heu elle est dans la salle de bain, tenez, pas de problème, au revoir Monsieur, bonne journée, dit le facteur en faisant un clin d’œil qu’il trouva irrévérencieux en lui déposant l’objet. Il retourne à la porte de la chambre, il frappe de nouveau, chérie, un colis pour toi… Elle sort rapidement, lui prend le colis des mains sans un regard et rentre dans la chambre sans un mot, referme la porte à clé. Quelques secondes plus tard, de nouveau un grand cri, inhumain, puis silence, Jérôme force la porte avec de nombreux coups, entre, personne, la fenêtre, ouverte. Il se penche, ne voit personne sur le trottoir cinq étages en dessous ; il se retourne, Murielle, d’abord cachée derrière la porte, est déjà devant lui l’air hagard, elle le pousse avec une violence inouïe, il se débat, il bascule, il tombe, elle regarde par la fenêtre, Jérome est bien sur le trottoir cinq étages en dessous, recroquevillé dans une mare de sang qui s’agrandit. On sonne à la porte, toujours ce jingle jungle à la con. Elle ouvre et tombe dans les bras du facteur qui, pendant qu’elle l’étreint, regarde le colis pas ouvert sur le lit.

- Tout a bien fonctionné, fit-il en ôtant sa casquette

- Oui, chéri, impeccable, comme prévu

- Par contre, ce n’est pas encore ce soir qu’on ira au cinéma voir Le facteur sonne toujours deux fois, dit-il en s’esclaffant

- Ahahah, toi et tes références cinématographiques, tu ne changeras pas

- C’est plus logique que toi, mon amour, avec les tiennes théâtrales, au fait, j’ai retenu des places pour Beaucoup de bruit pour rien à l’Odéon la semaine prochaine ; devine quel âge avait Shakespeare quand il a écrit cette pièce ?

- Nous c’est plutôt du genre Au Théâtre ce soir, décors de Roger Hart avec une chouette mise en scène de… non ?

Ils rient, elle referme la fenêtre tandis qu’on entend les sirènes qui approchent.

 

 

© Jacques Chesnel

 

15:44 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (0)

27/11/2010

DE LA COULEUR ROSE

 

- euh chère Ginette, dites-moi pas que j’ai les mirettes en compote, la berlue aggravée ou un navécé pervers qui rend le cervau lent, mais vous auriez pas fait une couleur par hasard ?

- encore heureux que vous êtes tout à fait plus que normale et en bonne santé, ma chère, sauf que c’est pas ce qui était prévu par nasard aussi

- comment ça ?

- à force de voir toutes ces pubs à la con à la télé à la con sur les shampoings colorants à la encore plus con, Maurice m’a dit pourquoi pas toi ça changerait un peu et j’aime la novation… j’ai été interloquetée pasque question changement Maurice par exemple pour le pyjama c’est tout les deux mois au moins et j’vous parle pas des slips et des caneçons, alors il m’avait dit faut pas laver trop souvent les vêtements pour pas perdre les couleurs même quand elles sont blanches, il a de ses théories que parfois j’vois pas où il va chercher tout ça mais n’empêche, et maintenant il veut que j’me colorise les tifs que j’y entrave plus que couic, bon alors j’vais chez Mado la coiffeuse à la mode, vous avez entendu parler de la naine qui travaille montée sur un nescabeau, bon au moment de la coloration elle doit se gourrer de tube et paf me v’là toute rose comme ma première chemise de nuit en nylon de chez Jacques Tati pour not’ première nuit d’noces, j’vous raconte pas la tronche à Momo au retour, (elle hurle) : c’est pas c’que j’avais prévuuu on avait dit châtain claireu quelle conne cette freluquette en plus elle est bigleuse que c’est pas vrai…

- eh ben dites donc, il était remonté vot’ bonhomme

- faut pas grand-chose pour qu’il monte sur ses grands chevaux depuis son service dans l’armée de la cacavalerie ça lui est resté mais là on peut dire que pour mes p’tits cheveux y avait justification, j’veux pas que ma femme elle a l’air d’une binebo comme ces perruches qui tortillent du croupion plus pour un oui que pour un non sur nos nécrans de télé, allez hop on y va on retourne chez la Mado qu’était descendue de son néchelle qu’on la voyait même pas derrière la caisse train de ranger les biffetons d’euros de toutes les couleurs, le salon est fermé qu’elle clame et Maurice braille lui aussi, il sait faire : « eh ben yaka le rouvrir pasque je vais pas passer la nuit avec une bonne femme comme la mienne qui ressemble tellement à une telle créature » et pan !

- is’démonte pas facilement, remarquez le mien, Roger, c’est le contraire, un taiseux qui roumionne dans son coin en grinçant des molaires que sa tête fume comme une cocotte-minute allumée qui chuinte à la vapeur

- le mien il a le taux de la nadrénaline qui grimpe style varappeur en folie alors vous pensez… Mado refait surface en roulant de ses yeux de merlan frite et dit, dites à vot’ mari de se calmer sans ça ça va… et Maurice lui répond du talc au talc bon bon vous fâchez pas elle va revenir demain mais faudra arranger ça hein sans ça vous m’entendez euh… et nous voilà dehors avec un mari penaud tout chamboulé, tu vas bien que j’lui demande, cette bonne femme enfin ce p’tit bout de femme j’peux bien te l’avouer elle me fait comme pitié dans son métier pasque elle est pas à la bonne hauteur pour trouver les bons tubes de coloration elle doit se gourrer facilement en mêlangeant toutes les canules et les pipettes même avec un nescabeau et c’est sans doute pour ça que t’es toute rose et on devrait lui conseiller d’aller voir un nopticien, quand j’pense naine et naveugle enfin peut-être presque, j’vois pas c’qu’on peut faire autrement que compatir sauf que pour les prix c’est pas donné…

- manquerait plus qu’a soye paralytique en plus

- c’est marrant, Maurice m’a dit la même chose en rigolant sauf que c’est pas drôle

- vous voyez, quand les grands esprits se rencontrent

- et qu’on voit la vie en rose, enfin moi… avec mes cheveux

- vous y retournez quand ?

- demain à la première heure, en principe, si Maurice change pas d’avis d’ici là

- ah bon !

 - ben oui, il dit qu’il commence à s’y habituer, alors… tenez, hier dans l’journal, j’ai vu qu’y en avait une dans le midi qui coiffait à demi à poil, on s’demande jusqu’à où on va à c’train-là 

- vous savez, on finit par s’habituer à tout, tenez, moi par exemple, avec Roger, pas plus tard qu’hier hier soir…

 

 

©  Jacques Chesnel

00:52 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (0)

20/11/2010

IDYLLE CONTRARIÉE

 

Thelonious Chernoy rencontra Sandra Cardosa de Terra Nove y Nueve au Ronnie Scott’s Club de Londres le 2 août 1980 à l’occasion du dernier passage du Bill Evans Trio dans ce lieu magique, trois mois avant la disparition de ce grand pianiste de jazz.

Thelonious était le fils de Lord Jack Chernoy-Bornburn, Comte de Nowhere and Everywhere, distingué par la si distinguée Jarretière de la Reine d’Angleterre, personnage politique influent pendant le second conflit mondial et ayant contribué à l’effort de guerre dans la fabrication des repas pour les soldats, les fameuses « rations » au concombre à la framboise et oignon à la menthe so british, si appréciées de la valeureuse soldatesque. Au moment où débute cette histoire, il a soixante-huit ans, en paraît dix de moins, bois toujours comme un trou son whisky pur malt venant de l’île de Isaly (prononcer Aïlou, enfin bref quelque chose comme ça) où il possède quelques tonneaux entiers, dédaigne sa femme confite en dévotions et dévote en confits, experte en confiture, il course sans arrêt après les servantes énamourées (il est si beau, si vigoureux, so Lord, avec une bite si énorme que ça nous rendait toute chose, comme disait Véro la femme de chambre française experte en la matière), joue toujours au golf le matin à neuf heures trente avec les mêmes partenaires qui perdent toujours et avoue  avec force une détestation principale : le jazz. A la naissance de son fils unique, il lui donna le prénom de Archibald que le garçon devenu adolescent changeat sans prévenir en Thelonious, hommage à Monk, autre pianiste et grand compositeur de cette musik de sauvage abominable que son père trouvait inaudible, à part Petite Fleur qui lui rappelait une aventure torride avec une cigarettière dans les toilettes d’un club parisien où il s’était aventuré par mégarde, chargé de boisson comme un mulet qu’il était alors. Lady Margaret était plus que moche, hautaine, prétentieuse, empêtrée dans ses chaudrons en cuivre pour la fabrication de confitures de citron-citrouille-ciboulette et si-tout-ça qui firent néanmoins beaucoup pour sa notoriété tandis que l’étoile de Sir Jack faiblissait de jour en jour dans les bras des filles de salle et salons compatissantes ou vénales, sa présence à la Chambre des Lords étant réduite à la portion (euh pardon, ration) minimum.

Sandra Cardosa de Terra Nove y Nueve s’appelait en réalité Marjorie LaRuelle et personne ne sut (pas plus que l’auteur de ces lignes qui a quand même une petite idée mais confuse) comment elle devint celle que Thelonious rencontra et dont il tomba illico amoureux au point qu’en cet état il se fit un immense choc émotionnel au cerveau ; après qu’il se soit présenté, elle lui répliqua de suite en énonçant tout de go sa nouvelle identité ibérique et bidon, ce qui le troubla après qu’ils se furent bousculés à l’entrée du club. Ils avaient été placés à une table, pur hasard, devant celle de Stan Getz venu écouter son ami musicien, en compagnie d’un couple dont il courtisait ouvertement la femme. Thelonious et Sandra voyaient les mains se chercher, les pieds se frôler, leurs regards se croiser avec flamme et tout excités tous les deux commencèrent à en faire timidement puis hardiment autant qu’en face, sans qu’il y eût aucun mari à côté d’eux tandis que penché/couché sur le clavier, sous l’œil attentif de Marc Johnson et Joe LaBarbera, dans un silence respectueux, Bill Evans jouait Turn Out The Stars. Sandra et Thelonious se regardèrent enfin les larmes aux bords des yeux tandis que leurs doigts tricotaient et détricotaient dans leurs profondeurs corporelles et sensorielles. Au cours de My Romance, Getz devant eux commençait à fourrager sous les jupes de sa voisine, bientôt suivi par les nouveaux amoureux décidés à ne pas demeurer en rade ; à la fin du set, avec cette merveilleuse interprétation de But Beautiful, leurs ébats de dessous table atteignaient un point presque culminant, il s’en fallait de peu que cela aboutisse enfin aaaah ; durant l’acclamation finale, ils eurent beaucoup de difficulté à se maîtriser et à retrouver un peu de dignité dûe égard à leurs rangs qui était au deuxième dans la salle. Ils allèrent souper dans le restaurant indien face au club et rejoignirent la Bentley paternelle empruntée en catimini pour l’occasion. A l’intérieur, leurs ébats reprirent de plus belle sous l’œil intéressé du chauffeur qui, au bout de quelques minutes, sortit du carosse pour se soulager mano et manu militari tant la vue rétrovisuelle l’avait mis dans un état si inconfortable de raideur inhabituelle qu’il le fallait bien, difficile de conduire ainsi. Les amoureux n’avaient qu’une seule idée en tête : conclure au plus vite.

Arrivés devant les grilles de l’imposante demeure seigneuriale dans le quartier cossu de Hampstead, Sandra/Marjorie fit part de sa surprise, de son étonnement.

- Que venez-vous faire ici Thelonious, dit-elle tandis que le chauffeur tapait sur le digicode.

- Mais nous rentrons chez moi, ma chère, vous êtes mon invitée dans mes appartements, pour continuer et finir ce que nous avons si bien commencé avec Bill Evans chez Ronnie

- Je ne peux pas entrer ici, c’est absolument impossible, Thelonious, je

- Mais pourquoi, pourquoi, Sandra ?

Blottie dans un coin, elle commençait à s’agiter puis voulut ouvrir sa portière bloquée par le chauffeur sur un signe de son compagnon. Elle poussa un énorme soupir et déclara :

                - Je vais tout vous dire, laissez-moi aller jusqu’au bout, je vous en prie : lorsque je vous ai vu, je vous ai presque reconnu immédiatement, vous vous prénommez Archibald, né Chernoy-Bornburn, et moi je ne suis pas Sandra mais Marjorie, je n’appartient pas à une noble famille espagnole, ma mère écossaise était employée au service de la reine d’Espagne après l’avènement de la monarchie, avant de venir en Angleterre suivre mon marin de père inconnu… à la fin de mes études, sans trouver de travail correspondant à mes capacités,  à mes diplômes de Cambridge, je me suis incrite dernièrement à un job center et on m’a proposé de devenir chambrière à la demande d’une éminente personnalité, j’ai répondu aussitôt à la convocation… et (elle soupire de plus en plus fort) je suis arrivée ICI, Archibald, dans la résidence de votre père, il y a une semaine de cela et immédiatement votre plus ou moins vert géniteur m’a poursuivi de ses assuidités de plus en plus pressantes, cherchant à me coincer partout, à me pourchasser jusque dans les combles en hurlant ma petite ma petite chérie my darling honey sugar mon chou ma caille ma jolie puce puis devant mon refus de céder à ses avances comme les autres, de me traiter de salope, traînée, prostituée, fille de pute… (elle se met à pleurer)… jusqu’au coup de pied que je lui envoie dans ces nobles c… (elle n’ose prononcer le terme, elle s’effondre), et de m’enfuir dans le parc à moitié nue, dépenaillée, apeurée… ce vieux machin (elle crie), cette vieille peau, votre père, Thelonious chéri, (elle hurle) VOTRE PÈRE… je me suis sauvée, je suis restée chez moi pendant une semaine à sangloter, à haïr cette canaille lubrique, je suis enfin ressortie décidée à me venger et me voilà par pur hasard dans vos bras, Archie, vous qui voulez me faire entrer dans la maison de votre salopard de papa, ce si vénérable Lord, quelle horreur !

Thelonious-Archie était abasourdi, certes il avait entendu des bruits, des galopades effrénées, des cris parfois mais il n’osait imaginer son géniteur en satyre s’échinant après les demoiselles et pourtant... Il lui fallait prendre une décision tandis qu’il contenait Sandra-Marjorie dans ses bras pour la consoler. La voiture avait dépassé de peu la grille d’entrée restée ouverte, Andrew le chauffeur, grillait une cigarette à côté ; d’un seul coup, Marjorie se dégagea des bras d’Archie, ouvrit la portière débloquée et partit en courant comme une folle dans la rue… où venait à vive allure une voiture n’ayant qu’un seul phare allumé, le gauche. Le choc fut inévitable, violent. Arrivé près de son corps désarticulé, Archie put l’entendre dire entre deux halètements, des bulles de sang sur ses lèvres :

 - désolée… on n’a… pas pu finir…ce qu’on avait… heu… commencé, ce seraaa… pour une… jeee…

                 Elle meurt avec un demi-sourire gêné sur son visage tuméfié, défiguré, tandis qu’on entend, dans la radio du véhicule accidenté, les dernières notes de ‘Round Midnight, le thème le plus célèbre du génial compositeur Monk, prénom Thelonious.

 

©  Jacques Chesnel

 

11:16 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (0)

12/11/2010

CONSIDÉRATIONS

 

- vous auriez pas un nouveau p’tit coup d’mou vous ?

- pas trop d’mouvous quoiqueu, en neffet, j’ai seulement des douleurs dans les jambes avec toutes ces manifs que sam suffit amplement

- on en a fait de ces kilomètres hein ? que c’est du boulot pour les cordonniers si on en trouve pasque maintenant c’est comme pour les collants, un de filé et hop à la poubelle, pour les godasses, un trou dans la semelle et hop dans le vide-ordures, alors les bouifs vous pensez… tous en voie de dispersion

- heureusement qu’on était beaucoup, j’ai jamais vu autant de pépées et même des mémés sans compter les nanas les plus virulentes qui braillent à s’en négosiller les cordes vocables

- j’ai vu aussi quelques bourgeoises en tailleur Chesnel couleur Bordeaux, elles avaient dû se gourrer de cortège ou alors elles sont masos ou

- remarquez, yen a aussi qui font la gueule quand on leur parle de ça, tenez la Moréno qui vocifère tant que faut s’y faire, la Bachelot qui promène en laisse son sourire niais et ses crocks roses que c’est quand même quelque chose et la NKM avec son air de madone des sleepings, Maurice l’appelle « l’use tant cils » tellement elle papillonne des paupières que ça l’énerve, et MAM avec ses toujours « c’est la question pour laquelle » des questions qu’on ne sait plus pourquoi et quoi qu’elle cause, et l’autre là euh, P quelque chose et ses mimiques de chochotte qu’on devine pas très bien ce qu’elle combine à part de la lèche en penchant de la tête

- heureusement qu’ya la Rama jamais à la ramasse, elle relève un peu le niveau comme poil à gratter là où qu’c’est qu’ça fait mal même que le Sarko y supporte plus tellement à c’qu’il paraît qu’on peut alors se d’mander que si elle était pas noire il l’aurait déjà virée rapido mais

- tout ça c’est rien à côté de la Lagarde, la madame je sais tout, je connais tout et son contraire, qu’elle nous embobine tellement que Maurice en a le tournis et qui dit vaudrait mieux que le Sarko il ne se la garde à vue pas vite fait

- et voilà que maintenant elle parle de la libido et de la tête à Stérone que personellement je connais pas c’te gars-là, tout ça pour nous enfumer, et là je suis polie si vous voyez c’que j’veux dire, encore plus, non mais de quoi je me mêle, elle est pas sexologue encore que ça se saurait

- quant à Mimi…

- qui Mimi ?

- ben oui, Mitterand le Fredo à tonton

- ben aussi… c’est pas une femme, non ?

- nan, mais son bouquin il est resté au travers de la gorge de plus d’un et de plus d’une, malgré sa cote des ventes dont il se vante

- je l’ai pas lu mais d’après c’qu’on m’a dit c’est pas à mettre entre toutes les p’tites mains innocentes, mais comme ya pus de césure on coupe plus rien et yen a qu’aime ça

- telle que j’vous connais, vos yeux seraient sortis de vos orbites

- oh !, il m’en faut plus que ça, et puis question bite en or celle à Maurice me suffit amplement, de toutes façons avec ma ménopause qui fait pas d’pause, j’me plains pas tellement

- tiens pendant qu’j’y pense, êtes-vous t’y pour la réouverture des bordels qu’on en parle toujours ?

- ah bon ! pasqu’ils sont fermés… si vous voyez ce qui s’passe à côté de chez nous, vous vous poseriez pas la question

- alors ce sont des clandés pas nautorisés à cause de la loi des richards… par contre, y paraît qu’à Berlin yen a des centaines et qui bossent dur, même qu’on refuse du monde et qu’on fait des prix spéciaux pour les chômeurs et les seniors qui font la grosse queue comme tout l’monde

- ces allemands ils sont les premiers partout maitenant, les bagnoles, les navions, la fête de la bière, la chandelière, les saucisses… et les bordels, nous on a l’air malin, s’pas ?

- oui, mais on a la retraite à 62 ans, alors…

- ça nous fait une belle jambe

- remarquez, c’est toujours ça d’pris

- encore un truc à nous que les russes n’auront pas comme au bon vieux temps de la guerre froide de la chaussure au gros Croute-chef

                - c’était aut’chose, ya pas à r’gretter, tout bien considéré.

 

                ©  Jacques Chesnel

20:40 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (0)

05/11/2010

LA FLAMME DU BOULANGER

 

LA FLAMME DU BOULANGER

                                                LA FLEMME DE LA BOULANGÈRE

 

On aurait pu croire à un rimaique ricain ou à une version remaniée ou édulcorée ou même un peu chamboulée genre franchouillarde façon série télé du film de Pagnol La femme du boulanger, celui  avec le grand Raimu et la parfaite et troublante Ginette Leclerc (soit une esPagnolade, en quelque sorte !) ; on reprendrait alors le thème en le mettant au goût du jour (les nouvelles technologies de fabrication du pain, quelques scènes de panpan cucul pas trop hard quand même, versions multi-lingues et pour mal-entendants), on ferait appel à Julia Roberts et à Anthony Hopkins… et cela aurait pu repartir dans les années 2010 au lieu de 1938, dans une quelconque grande ville du nord au lieu d’un petit village du midi, avec en plus le génial Galabru dans le costume du non moins grandiose Charpin et hop, financement, production, tournage, promotion, distribution, le tour est joué, succès assuré… et pourtant… rien de tout cela :

Bien avant sa sortie de l’école, Jeff rêvait de devenir boulanger comme son oncle préféré qui, disait gentiment ce dernier, lui avait refilé le virus de la boulange. Libéré des études primaires, il entra à quatorze ans dans un lycée professionnel, passa avec brio tous les examens, CAP, BAC pro de boulanger-patissier et à la mort de son oncle s’installa dans la boutique que celui-ci lui avait léguée. Il avait vingt-trois ans. Travailleur acharné, il était apprécié de la clientèle autant pour la qualité de ses pains et de sa patisserie que pour son affabilité et son sens du commerce. Il rencontra Mélanie dans un bal grâce à des collègues, ce fut le coup de foudre et ils se marièrent rapidement, la clientèle de plus en plus nombreuse fut attendrie par le beau couple qu’ils formaient, lui au labo, elle derrière son comptoir ; en somme un cliché bien de chez nous.

 Cela prit une autre tournure quand notre beau boulanger (j’avais oublié de vous informer que notre gaillard était d’une beauté du genre George Clooney pour faire rapide avec en plus un corps d’athlète), suite à une émission sur la boxe à la télé qu’il regardait le ouiquainde, décida de s’inscrire dans une salle d’entraînement de boxe près de chez lui, pour voir, disait-il, rien que pour voir… on allait bientôt voir qu’il se mit à fréquenter ce lieu assidument au point de négliger son travail : il avait attrapé un autre virus, celui  de la boxe, à vingt-six ans. Non seulement, il commença par s’entraîner tous les jours, ses professeurs étant étonnés de sa faculté à apprendre, à encaisser les coups et surtout à en donner, mais maintenant il voulait devenir champion.

Il s’intéressa également à l’histoire de ce sport et à ses grandes figures, devint incollable sur les mythes incontournables que furent Jack Johnson (1878 -1946), premier champion catégorie poids lourds de couleur et sa victoire historique le 4 juillet 1910 (il avait aussitôt acheté le disque de Miles Davis qu’il écoutait sans arrêt) sur Georges Carpentier et Marcel Thil dans les années 20 -30, sur Joe Louis autre illustre boxeur noir (il se souvenait de l’histoire d’un pote à son père qui lui racontait que Joe lui avait offert son premier disque de jazz quelques semaines après le débarquement en 1944 lorsqu’il faisait des combats de démonstration pour les troupes américaines), sur Tony Zale, Rocky Graziano, Jack LaMotta et principalement Marcel Cerdan (bientôt ses camarades en voyant l’expression de son visage lorsqu’il combattait le surnommèrent « Serre – Dents »), sur Sugar Ray Robinson le danseur, Mohamed Ali, Carlos Monzon, Mike Tyson et Oscar de la Hoya dit Golden Boy, il connaissait tout des leurs combats, de leurs victoires, de leurs défaites, tout. Je suis habité par une sorte de flamme, disait-il, qui me brûle à l’intérieur et il faut que je m’en libère par la boxe.

Son travail s’en ressentit, il dut faire appel à deux mitrons, les clients ne retrouvèrent pas la qualité de ses pains… et Mélanie fit les frais de sa fatigue dûe à son entraînement continuel, leur union connut quelques fissures qui allèrent s’aggravant. Leurs explications, scènes et autres engueulades envenimèrent leurs rapports, ni l’un ni l’autre ne voulant rien savoir, lui sur son entêtement, elle sur la pérennité de leur couple qui battait singulièrement de l’aile. On aurait pu penser que les premiers combats tous victorieux ainsi que les compte-rendus élogieux qui s’ensuivirent allaient arranger les choses, que nenni, Melanie s’enfonçait dans une forme de passivité/apathie ponctuée de brèves et violentes colères, je suis habitée par une sorte de flemme, disait-elle, et je ne sais pas comment m’en libérer.

 Pendant que son mari tambourinait comme un malade dans le sac de sable et principalement sur le corps de ses adversaires, elle sortait de plus en plus souvent et après une soirée de gala de danse classique elle se retrouva au lit avec le danseur-étoile qui avait la réputation d’un tombeur plutôt à vapeur qu’à voile et qui lui montra qu’il pouvait assurer des deux côtés. Pour Mélanie, ce fut une révélation, pas seulement l’aspect sexuel inattendu de la chose, non, mais la danse classique, tutu et ballerines. Avec autant de flamme que Jeff pour la boxe, elle commença à prendre des cours sur la recommandation de l’étoile de passage et devint incollable sur la technique, les pas, attitudes, mouvements et positions ainsi que sur les grands noms de la danse classique, de la Pavlova à Sylvie Guilhem, d’Isadora Duncan à Margot Fonteyn, de Noureïev à Barychnikov , de Serge Lifar à Roland Petit, jusqu’à Maurcie Béjart et Philippe Découflé sans oublier le premier d’entre tous Nijinsky (elle alla se recueillir sur sa tombe à côté de celle de Stravinsky au cimetière de Venise sur l’île de San Michele) et les mondes étranges de Maguy Marin et de Pina Bausch. Ses progrès furent aussi considérables qu’inattendus et elle fut rapidement intégrée dans une troupe régionale de grande notoriété. Elle aimait dire alors : je suis habitée par une sorte de flamme qui me dévore intérieurement et c’est par la danse que je me libère.

A la boulangerie qui continuait tant bien que mal grâce au personnel (de nouveaux apprentis et vendeuses), les affaires n’étaient plus aussi florissantes ; la clientèle se détournait, tout allait de mal en pis. Les sévères défaites des derniers combats affectèrent gravement le moral de Serre-Dents tandis que Mélanie volait de succès en succès comme ce cygne qu’elle dansait si bien. Lui avait pris une petite chambre près du gymnase, elle vivait dans un hôtel luxueux payé par la troupe, ils ne se voyaient plus, les problèmes du magasin étant réglés par un gérant. Maintenant tout allait de plus en plus mal très vite pour Jeff qui baissait trop rapidement la garde et manquait d’énergie, désormais le succès grandissait rapidement pour Mélanie devenue tête d’affiche adulée du grand public comme une grands vedette. Peu de temps après son ultime combat, battu par « arrêt de l’arbitre » (pire, pour tous les boxeurs, qu’on k.o.), Jeff confia à son manager : je suis maintenant la proie d’un sorte de flemme et je ne sais pas comment m’en sortir.

Un soir, il alla au théâtre voir le spectacle de ballets d’une troupe internationale dans lequel Mélanie était LA danseuse-étoile ; à la fin, après le triomphe et les innombrables rappels, il demanda à la rencontrer dans sa loge, elle ne le reconnut pas ; il la trouva transformée, métamorphosée, dans un autre monde, inaccessible.

 

De la flamme à la flemme et vice et versa, il n’y a qu’une voyelle ; c’est la différence et c’est ce qui change tout… forcément.

 

©  Jacques Chesnel

19:16 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (1)

01/11/2010

COMPTAGE

 

Je n’ai jamais su vraiment compter, j’étais et je suis toujours nul en mathématiques, bon évidemment je sais que 1 + 1 = 2 quoique il y en a qui ne sont pas tellement sûrs, on remet tout en question, alors… Depuis quelques temps, j’ai de plus en plus de doutes tandis que d’autres ont de plus en plus de certitudes… je n’ai jamais eu autant d’interrogations, oui, tenez, par exemple sur dieu là : contre 99, 99% bien que des rigolos de frangins aient vu son visage et qu’on voit trop souvent le leur partout… donc, j’ai 0, 01 % de doutes, sur mon orientation sexuelle 100% hétéro avec tendance à l’homo seulement avec les dames consentantes, rassurant, non ?... ce qui m’inquiète c’est quand même la différence de quantification significative, par exemple : syndicats, mouvements, regroupements, associations, congrégations, réunions, etc… et la police. Bon, maintenant avec les caméras de surveillance, les indics, les mouchards, certains fêlés du web et tout, on est repéré, fiché, coincé, biaisé, baisé, ok ?

Je me lève ce matin, fais quatre pas vers la salle de bain (deux selon la police), me regarde dans la glace (personne selon la police, je suis donc l’homme invisible), je perds quelques cheveux (faux, dit la police, ça me rassure) ensuite petit dèj’ quatre tartines comme d’hab’ (une seule selon les cognes ; chouette c’est mieux pour ma ligne), je vais à mon garage, je compte les pas comme ça pour voir : 48, donc 48 mètres (32 selon les flics), je vais faire mes commissions : au compteur kilométrique de ma bagnole : 9 kilomètres (rien, 0 selon la maison poulaga, car ya plus d’essence), à la caisse du magasin ma note est salée (dessalée par la police, ya du bon), j’appelle ma copine au téléphone allo Miche, j’arrive dans 5 minutes (2 selon la police, ya plein de voitures-escargot), en attendant je compte les dents qui me restent, soit 29 (22 selon les flics évidemment), des jeunes passent en rigolant, ils sont beaucoup (vous avez vu des jeunes, vous ?, selon les condés), à la radio ils sont plus de 30.000 (8.512 et demi selon les poulets), ya pas grand monde au bureau, on vote la grève, 28 pour sur 31 (32 contre sur 28 selon la volaille), enfin chez Miche, ouf, on tire not’ coup (nada, bernique, ceinture, que dalle, oualou, peau de zébi, selon les perdreaux), on va au cinéma voir 20.000 lieux sous les mers (12.222 selon la rousse), au bistro, deux cafés : 12 euros, 3 selon les cognes, chouette ça baisse enfin), ya moins de monde dans les rues (personne selon la police), on m’interpelle hé Maurice kèke tu fous par là, viens donc avec nous on va à la manif’ place de la Rèp’, hé Maurice, hé…

Je me réveille en sursaut, seul dans mon lit ; j’ai peur que selon la police, on annonce qu'on n’a trouvé personne.

 

©  Jacques Chesnel  (21 octobre 2010, selon la police)

12:44 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (0)

20/10/2010

VOLETS DE BOIS VERTS

 

Cela avait de quoi intriguer dans cet ensemble de maisons d’aujourd’hui si banales dans leur architecture passe-partout, cette décoration de bon aloi bon chic bon gendre avec la monotonie que cela induit, bref l’ennui plus l’ennui plus encore plus. Uniformité, volets roulants ou volets battants d’un gris tristounet imposé… et paf en plein milieu comme un pied-de-nez, ces volets… verts qui rendaient verts de rage ceux qui s’auto-autorisent ce qu’ils appellent finalement le bon goût, un recours ayant été déposé pour se mettre en conformité avec le règlement du lotissement, sans résultat jusqu’ici. Cela grognait d’autant plus que les habitants de ce nid aux persiennes verdoyantes étaient jeunes et beaux, paraissant si heureux de vivre au milieu d’un milieu compassé et pour tout dire de plus ou moins vieux cons vers le passé tournés. Le facteur qui avait eu l’occasion de pénétrer dans cette maison avait raconté au bistro du village qu’à l’intérieur tout était peint en vert du sol au plafond en passant par les meubles, certains en étaient restés bouche bée, du vert partout, pensez donc !. Eh oui, jusqu’à l’habillement, robes et costumes, manteaux et imperméables, coiffes et chapeaux… jusqu’au chien appelé Green, le chat Gazon et ils élèvent même un pic-vert !. Jusqu’ici, avouez que tout cela est un peu banal…

Mais si on parlait alors des alentours immédiats de leur maison. Devant, un petit parterre de généreuses et fécondes plantes toutes vertes exotiques ou banales, derrière un jardin d’environ 150 mètres carrés bien exposé au soleil, comportant nombre de légumes verts et dans un petit coin des plantes aux longues feuilles qui, remarqua-t-on, prirent de plus en plus de place pour finalement envahir tout l’espace du lopin. Certains avaient remarqué avec attention et admiration le système d’arrosage par asperseurs et l’installation de petits panneaux solaires photovoltaïques et thermiques.  Le plus fûté des curieux, un jeune homme de bonne famille d’un autre pavillon, découvrit bientôt qu’il s’agissait en réalité de cannabis, oui, vous avez bien lu, cannabis. Gardant cette nouvelle pour lui au lieu de dénoncer ou pratiquer la délation, méthode de sinistre mémoire fort répandue au cours de l’occupation pendant la seconde guerre mondiale, le jeune alla un jour sonner à la porte de la maison aux volets de bois verts et, après s’être présenté fut accueilli chaleureusement par les occupants, demanda s’il pouvait fumer un joint avec eux, ce qu’ils accomplirent volontiers ensemble avec une certaine félicité. Ils firent alors plus amplement connaissance, lui étudiant en troisième année de médecine et le couple aimable et cultivé pratiquant le télé-travail dans la recherche fondamentale sur les nouveaux médicaments et traitements des maladies invalidantes, notamment sur les vertus thérapeutiques et leurs applications concernant la plante cultivée ce qui et maintenant reconnu dans les milieux autorisés. Ce fut le début de la sympathie puis de l’amitié entre eux jusqu’à ce que le cercle allât s’élargissant naturellement à d’autres connaissances décoincées dans la proximité (il y en avait) et bientôt tous les habitants du lotissement d’abord choqués ou réticents puis vite emballés se retrouvèrent pour fumer pétards, chichon, stick ou jaja chez l’un ou chez l’autre ou lors de grandes fêtes et se mirent ensuite à cultiver la plante dans leurs jardins privés ou communs pour leur consommation personnelle suivant bien entendu les règlements en vigueur dans ce pays-là, pardi !.

Plutôt que de lancer une volée de bois vert aux habitants de la maison aux volets de bois verts, tous les résidants décidèrent unanimement en reconnaissance aux initiateurs de peindre eux aussi leurs volets en bois de cette couleur et l’assemblée décida  à l’unnanimité de nommer le groupe d’habitations AU VERT PARADIS, appellation d’origine  contrôlée (lieu secret et protégé, introuvable sur les cartes et atlas du monde entier ainsi que sur google earth).

Aux dernières nouvelles, le lotissement s’est considérablement agrandi et maintenant affiche complet ; nouveauté : le cahier des charges avait préconisé le chanvre parmi les matériaux de construction. On n’arrête pas le progrès et tout est bien qui finit bien dans ce petit monde vert, ce qui n’est malheureusement pas le cas dans notre environnement actuel si gris, si triste, sinistre.

 

©  Jacques Chesnel

20:16 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (0)