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04/12/2010

LIEUX COMMUNS

 

Dès qu’elle eut fermé la porte, il comprit qu’il y avait un problème, un gros problème. Depuis quelque temps déjà, mais impossible de préciser, il y avait de l’eau dans le gaz, comme anguille sous roche, cela ne sentait pas bon et même pour tout dire le roussi. Il n’avait pas encore envie de rechercher la, les, cause(s), faute(s), reproches et aigreurs exprimées ou non, rentrées, enfouies, allait-il falloir déterrer tout cela, magma ou conglomérat, turpitudes et mesquineries, il devait bien avoir tout cela, ensemble. Il alluma une cigarette qu’il jeta aussitôt, se passa la main gauche dans les cheveux alors que d’ordinaire c’était la droite, tiens ?. Il lui fallait garder son sang-froid, lui qui avait plutôt le sang chaud disait-elle, en opposition à son sang de navet à elle disait-il. Et puis s’il fallait commencer à chercher tous les poux dans la tête, détailler toutes les disputes, les sous-entendus blessants, les rancœurs, piques et vacheries, blessures et peaux de bananes… on allait pas en sortir de sitöt. Il essaya d’ouvrir la porte doucement puis fermement, fermée à clé de l’intérieur, mettant l’oreille sur le bois il entendit de la musique en sourdine, la radio, accompagnée de rires secs et de hoquets prolongés, puis un long cri, presque un hurlement. Il redouble ses coups sur la porte, Murielle, ouvre, ouvre-moi, je t’en prie. Après un long silence, quelques secondes, une voix, sa voix maintenant méconnaissable, tu me lâches, Jérôme, tu me lâches ; il n’avait jamais entendu cette expression dans sa bouche, tu me lâches. Il avait pourtant l’ouïe fine, elle ne devait pas être dans son assiette, quelque chose de grave clochait quelque part, car il avait le nez creux pour comprendre toutes ces petites histoires banales ou merdiques ou… mais là il se sentait pour une fois dépassé, tu me lâches. Il se posait des tas de questions sans trouver aucune réponse. A quoi se fier ? ; à elle se confier ? ; devoir la défier ?. Il se sentit là complètement paumé et même pour tout dire plutôt un peu concon, tu me lâche

C’est à ce moment précis que le téléphone sonne, le téléphone ou la sonnette d’entrée ? avec ces idées absurdes de jingles ? c’est la sonnette. Il va ouvrir. Le facteur, un jeune homme souriant. Bonjour, un colis pour vot’ dame, heu elle est dans la salle de bain, tenez, pas de problème, au revoir Monsieur, bonne journée, dit le facteur en faisant un clin d’œil qu’il trouva irrévérencieux en lui déposant l’objet. Il retourne à la porte de la chambre, il frappe de nouveau, chérie, un colis pour toi… Elle sort rapidement, lui prend le colis des mains sans un regard et rentre dans la chambre sans un mot, referme la porte à clé. Quelques secondes plus tard, de nouveau un grand cri, inhumain, puis silence, Jérôme force la porte avec de nombreux coups, entre, personne, la fenêtre, ouverte. Il se penche, ne voit personne sur le trottoir cinq étages en dessous ; il se retourne, Murielle, d’abord cachée derrière la porte, est déjà devant lui l’air hagard, elle le pousse avec une violence inouïe, il se débat, il bascule, il tombe, elle regarde par la fenêtre, Jérome est bien sur le trottoir cinq étages en dessous, recroquevillé dans une mare de sang qui s’agrandit. On sonne à la porte, toujours ce jingle jungle à la con. Elle ouvre et tombe dans les bras du facteur qui, pendant qu’elle l’étreint, regarde le colis pas ouvert sur le lit.

- Tout a bien fonctionné, fit-il en ôtant sa casquette

- Oui, chéri, impeccable, comme prévu

- Par contre, ce n’est pas encore ce soir qu’on ira au cinéma voir Le facteur sonne toujours deux fois, dit-il en s’esclaffant

- Ahahah, toi et tes références cinématographiques, tu ne changeras pas

- C’est plus logique que toi, mon amour, avec les tiennes théâtrales, au fait, j’ai retenu des places pour Beaucoup de bruit pour rien à l’Odéon la semaine prochaine ; devine quel âge avait Shakespeare quand il a écrit cette pièce ?

- Nous c’est plutôt du genre Au Théâtre ce soir, décors de Roger Hart avec une chouette mise en scène de… non ?

Ils rient, elle referme la fenêtre tandis qu’on entend les sirènes qui approchent.

 

 

© Jacques Chesnel

 

15:44 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (0)

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