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05/11/2010

LA FLAMME DU BOULANGER

 

LA FLAMME DU BOULANGER

                                                LA FLEMME DE LA BOULANGÈRE

 

On aurait pu croire à un rimaique ricain ou à une version remaniée ou édulcorée ou même un peu chamboulée genre franchouillarde façon série télé du film de Pagnol La femme du boulanger, celui  avec le grand Raimu et la parfaite et troublante Ginette Leclerc (soit une esPagnolade, en quelque sorte !) ; on reprendrait alors le thème en le mettant au goût du jour (les nouvelles technologies de fabrication du pain, quelques scènes de panpan cucul pas trop hard quand même, versions multi-lingues et pour mal-entendants), on ferait appel à Julia Roberts et à Anthony Hopkins… et cela aurait pu repartir dans les années 2010 au lieu de 1938, dans une quelconque grande ville du nord au lieu d’un petit village du midi, avec en plus le génial Galabru dans le costume du non moins grandiose Charpin et hop, financement, production, tournage, promotion, distribution, le tour est joué, succès assuré… et pourtant… rien de tout cela :

Bien avant sa sortie de l’école, Jeff rêvait de devenir boulanger comme son oncle préféré qui, disait gentiment ce dernier, lui avait refilé le virus de la boulange. Libéré des études primaires, il entra à quatorze ans dans un lycée professionnel, passa avec brio tous les examens, CAP, BAC pro de boulanger-patissier et à la mort de son oncle s’installa dans la boutique que celui-ci lui avait léguée. Il avait vingt-trois ans. Travailleur acharné, il était apprécié de la clientèle autant pour la qualité de ses pains et de sa patisserie que pour son affabilité et son sens du commerce. Il rencontra Mélanie dans un bal grâce à des collègues, ce fut le coup de foudre et ils se marièrent rapidement, la clientèle de plus en plus nombreuse fut attendrie par le beau couple qu’ils formaient, lui au labo, elle derrière son comptoir ; en somme un cliché bien de chez nous.

 Cela prit une autre tournure quand notre beau boulanger (j’avais oublié de vous informer que notre gaillard était d’une beauté du genre George Clooney pour faire rapide avec en plus un corps d’athlète), suite à une émission sur la boxe à la télé qu’il regardait le ouiquainde, décida de s’inscrire dans une salle d’entraînement de boxe près de chez lui, pour voir, disait-il, rien que pour voir… on allait bientôt voir qu’il se mit à fréquenter ce lieu assidument au point de négliger son travail : il avait attrapé un autre virus, celui  de la boxe, à vingt-six ans. Non seulement, il commença par s’entraîner tous les jours, ses professeurs étant étonnés de sa faculté à apprendre, à encaisser les coups et surtout à en donner, mais maintenant il voulait devenir champion.

Il s’intéressa également à l’histoire de ce sport et à ses grandes figures, devint incollable sur les mythes incontournables que furent Jack Johnson (1878 -1946), premier champion catégorie poids lourds de couleur et sa victoire historique le 4 juillet 1910 (il avait aussitôt acheté le disque de Miles Davis qu’il écoutait sans arrêt) sur Georges Carpentier et Marcel Thil dans les années 20 -30, sur Joe Louis autre illustre boxeur noir (il se souvenait de l’histoire d’un pote à son père qui lui racontait que Joe lui avait offert son premier disque de jazz quelques semaines après le débarquement en 1944 lorsqu’il faisait des combats de démonstration pour les troupes américaines), sur Tony Zale, Rocky Graziano, Jack LaMotta et principalement Marcel Cerdan (bientôt ses camarades en voyant l’expression de son visage lorsqu’il combattait le surnommèrent « Serre – Dents »), sur Sugar Ray Robinson le danseur, Mohamed Ali, Carlos Monzon, Mike Tyson et Oscar de la Hoya dit Golden Boy, il connaissait tout des leurs combats, de leurs victoires, de leurs défaites, tout. Je suis habité par une sorte de flamme, disait-il, qui me brûle à l’intérieur et il faut que je m’en libère par la boxe.

Son travail s’en ressentit, il dut faire appel à deux mitrons, les clients ne retrouvèrent pas la qualité de ses pains… et Mélanie fit les frais de sa fatigue dûe à son entraînement continuel, leur union connut quelques fissures qui allèrent s’aggravant. Leurs explications, scènes et autres engueulades envenimèrent leurs rapports, ni l’un ni l’autre ne voulant rien savoir, lui sur son entêtement, elle sur la pérennité de leur couple qui battait singulièrement de l’aile. On aurait pu penser que les premiers combats tous victorieux ainsi que les compte-rendus élogieux qui s’ensuivirent allaient arranger les choses, que nenni, Melanie s’enfonçait dans une forme de passivité/apathie ponctuée de brèves et violentes colères, je suis habitée par une sorte de flemme, disait-elle, et je ne sais pas comment m’en libérer.

 Pendant que son mari tambourinait comme un malade dans le sac de sable et principalement sur le corps de ses adversaires, elle sortait de plus en plus souvent et après une soirée de gala de danse classique elle se retrouva au lit avec le danseur-étoile qui avait la réputation d’un tombeur plutôt à vapeur qu’à voile et qui lui montra qu’il pouvait assurer des deux côtés. Pour Mélanie, ce fut une révélation, pas seulement l’aspect sexuel inattendu de la chose, non, mais la danse classique, tutu et ballerines. Avec autant de flamme que Jeff pour la boxe, elle commença à prendre des cours sur la recommandation de l’étoile de passage et devint incollable sur la technique, les pas, attitudes, mouvements et positions ainsi que sur les grands noms de la danse classique, de la Pavlova à Sylvie Guilhem, d’Isadora Duncan à Margot Fonteyn, de Noureïev à Barychnikov , de Serge Lifar à Roland Petit, jusqu’à Maurcie Béjart et Philippe Découflé sans oublier le premier d’entre tous Nijinsky (elle alla se recueillir sur sa tombe à côté de celle de Stravinsky au cimetière de Venise sur l’île de San Michele) et les mondes étranges de Maguy Marin et de Pina Bausch. Ses progrès furent aussi considérables qu’inattendus et elle fut rapidement intégrée dans une troupe régionale de grande notoriété. Elle aimait dire alors : je suis habitée par une sorte de flamme qui me dévore intérieurement et c’est par la danse que je me libère.

A la boulangerie qui continuait tant bien que mal grâce au personnel (de nouveaux apprentis et vendeuses), les affaires n’étaient plus aussi florissantes ; la clientèle se détournait, tout allait de mal en pis. Les sévères défaites des derniers combats affectèrent gravement le moral de Serre-Dents tandis que Mélanie volait de succès en succès comme ce cygne qu’elle dansait si bien. Lui avait pris une petite chambre près du gymnase, elle vivait dans un hôtel luxueux payé par la troupe, ils ne se voyaient plus, les problèmes du magasin étant réglés par un gérant. Maintenant tout allait de plus en plus mal très vite pour Jeff qui baissait trop rapidement la garde et manquait d’énergie, désormais le succès grandissait rapidement pour Mélanie devenue tête d’affiche adulée du grand public comme une grands vedette. Peu de temps après son ultime combat, battu par « arrêt de l’arbitre » (pire, pour tous les boxeurs, qu’on k.o.), Jeff confia à son manager : je suis maintenant la proie d’un sorte de flemme et je ne sais pas comment m’en sortir.

Un soir, il alla au théâtre voir le spectacle de ballets d’une troupe internationale dans lequel Mélanie était LA danseuse-étoile ; à la fin, après le triomphe et les innombrables rappels, il demanda à la rencontrer dans sa loge, elle ne le reconnut pas ; il la trouva transformée, métamorphosée, dans un autre monde, inaccessible.

 

De la flamme à la flemme et vice et versa, il n’y a qu’une voyelle ; c’est la différence et c’est ce qui change tout… forcément.

 

©  Jacques Chesnel

19:16 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (1)

Commentaires

Suite à votre commentaire laissé sur Mariannes, par curiosité, comme cela m'arrive souvent, je suis allé faire une escapade sur votre site et ai trouvé vos nouvelles intéressantes, amusantes, originales pour en avoir lu quelques unes ; et je connais des sites de poésies comme le mien qui sont friands de ces courtes nouvelles qui souvent distrayent...
J'ai aussi aimé votre commentaire rationnel sur Mariannes, sur l'objet de Drucker dont l'analyse est de maturité...

Écrit par : Messager | 16/12/2010

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