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19/12/2010

MOUETTE ET TROMPETTE

 

Il commence lentement à faire nuit.

Une mouette vient de se cogner sur la baie vitrée du salon, pan ! elle avait dû apercevoir les feuilles de mon vieux et vigoureux ficus benjamina et vouloir se poser reposer sur les branches, qui sait ? elle est repartie en boitant de l’aile. Après le choc qui m’a fait sursauter, j’ai pensé au dernier concert où je suis allé écouter un trompettiste de jazz islandais au nom imprononçable pour un improvisateur. Et si cette mouette venait elle aussi d’Islande, que fatiguée elle avait décidé de prendre du repos sur ma plante, qu’elle idée d’avoir fermer cette baie vitrée. Au concert, le trompettiste s’envolait très haut dans les aigus, la mouette était à faible altitude à la hauteur de mes carreaux, elle ne semblait pas pouvoir se balader dans les mêmes sphères, encore heureux que ce musicien ne soit pas venu se cogner à ma baie, il jouait trop haut, pas de danger. Il fait complètement nuit, totalement noire maintenant, les mouettes dorment, le trompettiste islandais aussi je suppose, quoique là-bas les musiciens de jazz jouent la nuit, souvent plus que noire et infinie. Tiens, je vais aller dormir aussi car je ne sais pas jouer de la trompette et j’ai un p’tit coup d’mou subitement.

Je dors et je rêve, je rêve que notre ariste joue devant un parterre de mouettes dont la mienne reconnaissable avec son aile claudicante, il commence par un morceau de sa composition Ballad for a gull, très touchée par l’intention, elle essuie une larme avec son aile valide, elle est navrée de ne pouvoir applaudir alors elle crie, vous avez entendu un cri de mouette, toutes les mouettes présentes se mettent à crier, c’est insupportable mais le trompettiste est ravi  et lui envoie un baiser A kiss for a gull nouvelle composition/improvisation qu’il entame et qu’il lui dédit, c’est le délire dans le parterre, c’est chouette un groupe de mouettes toutes groupies d’un trompettiste islandais au nom imprononçable avec toutes ces consonnes… surtout quand on se réveille et que dehors les mouettes crient de plus en plus fort dans le jour naissant, une belle aube mouettée, elles ont repris leur envol en tourbillon, puis se posent sur les terrasses des immeubles en face, ma mouette me fait de loin un signe de l’aile et je lui réponds d’un signe de la main alors elles semblent entonner un chœur de mouettes, de ce cri reconnaissable mais pour lequel on ne trouve pas de mot, comme pour le goéland avec son pleur ou son raillement, pour la mouette rien, une sorte de krououck rauque ou de tiir-ir aigu, acéré, perçant, pointu, les voisins se mettent à leurs fenêtres, inquiets du tintamarre inhabituel, une mouette ça va c’est quand il y en a plusieurs que… air ministériel connu, ils sont plus qu’étonnés quand je sors sur mon balcon et que la mouette, ma mouette à moi arrive clopin-clopant et non à tire-d’aile et avec une élégance maladroite à cause de son handicap vient se poser doucement sur la balustrade applaudie par les forts battements d’ailes de ses consœurs, quel concert mes amis, il y a de la mouette dans l’air pépère avec son aile de travers et aux balcons/terrasses d’en face et d’ailleurs, le trompettiste islandais à côté c’est de la roupie de mouette, autre chose que celle du pauvre sansonnet, cela fait bien longtemps qu’on n’a pas entendu un tel concert dans le quartier, les journalistes rappliquent, les photographes mitraillent, une moto pétarade, oh ! un mouettard dit une petite fille, la foule exulte, la télé régionale toujours en retard d’une mouette se pointe enfin, je lève les bras bien haut, ma mouette laisse alors tomber une crotte qui tombe sur la tête d’œuf d’un type qui ressemble à Juppé le crâneur ou à Copé le prétentieux, plaafff bien fait, cela devient bordélique et j’ai envie d’embrasser toutes ces gentilles bestioles, d’autant que maintenant, attirées par ce barouf et ce baroud d’honneur, toutes les mouettes des environs rappliquent dare-dare et que ces krououck et tii-iir se transforment en immense et collectif éclat de rire oui de RIRE... car ce sont, pour la plupart, des mouettes rieuses autrement dit pour les irréductibles mouetteux des chroicocephalus ribibundus de la famille des laridés, ordre des charadriiformes ; je suis au septième ciel entouré de tout cet aréopage multimouetteux un peu braillard qui me fait oublier mon trompettiste islandais au nom imprononçable, je suis heureux comme jamais depuis si longtemps, je me détends totalement, me destresse entièrement  par tous le bouts de mon corps, je me soulage, je me libère enfin, je… pour finir par lâcher une gigantesque mouette** si joyeusement éclatante et pétaradante qu’elle retentit dans cet univers de mouettes en folie sous les vivats de la foule et le rires énormes de ces adorable volatiles. La mienne, je la baptise La  Reine des Mouettes, elle le mérite bien, avec l’approbation et le regard bienveillant autant qu’ admiratif de ma petite estropiée favorite.

 

Je n’arrive toujours pas à prononcer le nom de ce trompettiste islandais avec tant de consonnes que je m’y perds, mais maintenant je m’en fous, mais alors là, complètement.

 

Voilà une belle journée qui commence.

 

** lâcher une mouette : expression argotique employée par les lycéens dans les années 40/50 signifiant : se libérer d’un gros pet sonore..

 

©  Jacques Chesnel

10:26 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (0)

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