Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

21/12/2013

L'ÉTREINTE DE BANLIEUE

 

(à Jacques Barozzi qui comprendra pourquoi)

 

Avec la crise, à cause de la crise, Alain avait décidé comme beaucoup d'autres, de réduire sa consommation de carburant trop cher, sensible également qu'il était aux problèmes de pollution et d'environnement depuis qu'il avait été séduit par les écolos, surtout ceux avec Dany le rouquin qu'il avait connu en mai 68 à Paris lors des manifs en balançant des pavés ; donc pour aller au boulot, prendre le train, pas marrant surtout quand on avait pris l'habitude de la bagnole même pour aller chercher son pain à la supérette à côté ; mais bon, cela changeait du train-train habituel, le matin il fallait se manier le train et au train où vont les choses ce n'était pas toujours à fond de train, il avait toujours eu du mal à se mettre en train, il n'y avait que le caoua qui le secouait un peu, en somme pour se botter soi-même le train ; maintenant il fallait réduire un peu le train de vie et éviter de prendre celui de nuit parce qu'on disait que sur cette ligne là aussi…

Depuis le départ fracassant de Claudia qui lui reprochait souvent de ne pas être un boute-en-train et d'avoir engagé un détective pour lui filer le train vu ses infidélités, Alain ne pouvait plus se permettre de mener grand train avec un gros salaire en moins et cela l'obligeait souvent à prendre le train en marche… 

Comme par ce beau matin du mois de mai quarante après les événements, putain comme le temps passe trop vite, se dit-il en montant dans le wagon de ce train dit de banlieue, celui de tête comme d'habitude. A l'arrêt suivant, il remarqua le peu de monde sur le quai contrairement aux autres jours tiens ?, une seule personne entra dans le wagon : Veronika Lake, reconnaissable à sa silhouette longiligne et surtout cette chevelure blonde cachant son œil droit. Oui, vous avez bien lu, vous ne rêvez pas, LA Veronika Lake, la vedette de La clé de verre, Tueur à gages, Le dahlia bleu, la star de tous ces films avec Alan Ladd comme partenaire. Elle regarde longuement et attentivement Alain alors que le train redémarre, elle s'approche de lui et dit lentement en français avec une pointe d'accent yankee : bonjour Alan, cela fait bien longtemps, que devenez-vous ? faites-vous toujours du cinéma, moi j'ai arrêté depuis si longtemps, on s'est bien amusés, non ? le cinéma a tellement changé mais vous, vous êtes resté le même, le même Alan qu'autrefois, mon cher acolyte des bons et moins bons moments, rappelez-vous nos visages affichés sur les murs de Broadway en 1942 : VERONIKA LAKE and ALAN LADD in THE GLASS KEY, a great movie by STUART HEISLER, les colères de la script-girl, les plaisanteries vaseuses des techniciens et les cuites de Dashiel Hammett…

Alain, qui se souvenait bien de ces films inoubliables, eut comme un léger vertige et fut obligé de s'asseoir, accompagné de Veronika qui lui prit doucement la main ; il pensait la retirer avec précaution mais en la gardant il voulait s'assurer que heu cette Veronika n'était pas un fantôme, un ectoplasme, une chimère, une illusion, la main qui serrait la sienne était une vraie main, son parfum lui rappelait le Dior de Claudia, sa respiration un peu haletante, ses yeux interrogeant son regard ; que lui répondre, que lui dire, il lui objecta simplement : je ne me prénomme pas Alan mais Alain, Alain Duval comme tout le monde, né à Courbevoie, je ne suis jamais allé aux Etats-Unis, je n'ai jamais fait de cinéma et c'est la première fois que je vous vois autrement que dans vos films, il y a si longtemps maintenant. Cette situation, cette plaisanterie, cette mascarade ne pouvaient durer plus longtemps. Gêné, il se leva, elle aussi tandis que le train entrait dans une nouvelle gare, il y eut un arrêt brusque et ils se retrouvèrent sans le vouloir dans les bras l'un de l'autre, alors à leur grand étonnement, leur étreinte dans ce train de banlieue dura une éternité le temps d'une seconde ou deux… 

En se détachant légèrement de lui, elle murmura à son oreille : en fait, je me prénomme Véronique, Véronique Dupont comme tout le monde, née à Chatou, je sais que tu n'es pas Alan, toi tu fais plus d'un mètre soixante-cinq, tu as le visage plus expressif… et moi, je suis brune dit-elle en retirant sa perruque blonde en un geste théâtral, mais je suis chauve car en pleine chimio et tu ne peux pas savoir, Alain, combien je suis heureuse de ces courts instants grâce à toi, avec toi, combien cette rencontre et cet enlacement furent bénéfiques, je n'y croyais plus mais je savais que cela arriverait un jour, que tu serais là, on s'accroche à des petites choses comme celle-là quand on connaît le peu de temps qui reste et que… 

Et le train entra dans un tunnel…

Noir de fin, comme au cinéma.

 

© Jacques Chesnel 

00:32 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (3)

12/12/2013

CHUCHOTIS & GLOUSSEMENTS

 

 

C’est vraiment pas d’chance ; je me faisais une telle joie de voir ce film, j’en avais eu tellement envie après tout ce que j’avais entendu beaucoup de bien par les amis par la critique et les critiques des amis… et paf !. On était pas beaucoup ce soir là, une petite vingtaine dans la petite salle du complexe, je m’installe au dernier rang dans le fond où on peut encore allonger ses jambes ce qui devient de plus en plus difficile, je suis tout seul quand arrivent deux dames d’un certain âge certain qui s’assoient à deux fauteuils du mien et qui papotent aimablement en attendant le film.

Quand celui-ci débute tiens ils mettent les titres au début aujourd’hui gloussements - je préfère quand c’est à la fin on peut partir tout de suite plus vite gloussements - oh vous avez vu l’actrice celle-là il paraît qu’elle va encore divorcer pour la quatrième fois on peut pas la retenir elle saute sur tout c’qui bouge -gloussements - bon ça commence enfin c’est long tout ces panygériques - gloussements - génériques pasqui faut tout mettre dedans même l’assistant de la cuisinière ça aime bien bouffer les acteurs tenez Depardieu il grossit il maigrit il fait le yoyo - gloussements - vous trouvez pas la sono un peu forte on n’est pas sourde quand même ou bien c’est moi qui - gloussements - tiens le v’la encore lui on le voit partout depuis qu’il est mort il avait pas un peu grossi et sa cravate est même pas droite et la scrite elle fait pas attention - gloussements - ça démarre pas terrible non ? pour un film d’action ça stagne un peu et puis sur la table on voit pas c’qu’il boit ah si on cache plus les marques maintenant on fait de la pub sans en avoir l’air et dans la cuisine quel bordel ils ont pas de femme de ménage ? – gloussements - faut qu’on parle moins fort car le monsieur à côté fait des signes si on peut plus dire ce qu’on pense bon ils s’embrassent déjà au bout de dix minutes avec sa nouvelle coiffure elle a oublié les bigoudis - gloussements - vous aimez mieux les films français vous moi j’aime bien les italiens avec Mastrozanini ce qu’il était beau et la Claudia Cardinal quelle classe ils étaient pas ensemble non ? elle on a dit qu’avec Chichi il lui fallait plus de trois minutes douche comprise - gloussements - oh il m’a fait peur en entrant comme ça sans frapper avec l’air mauvais il joue bien ces rôles comme dans j’me rappelle plus le titre avec vous voyez aaah zut le petit Tom machin qu’a un nom de porto là heu Crouze - gloussements - faut que je retire ma veste il fait trop chaud avec la clim’ bon la scène tire un peu en largeur ils ont dû encore faire plusieurs crises - gloussements - pas crises prises comme pour la Carlita avec Woudi Alienne il en a fallu trente-cinq que le Sarko il fulminait pasqu’elle embrassait tout le temps trop son partenaire avec les flachebols des photographes - gloussements - ben quoi on parle pas trop fort monsieur on peut dire c’qu’on veut on est pas à la messe ici on a payé nos places - gloussements - et puis ce gars devant qui bouge tout l’temps… elle est toujours aussi jolie et toujours aussi mal fagotée not’ vedette ou alors ils avaient pas de quoi honorer la costumière de toutes façons c’est pas des chaussures pour prendre l’avion - gloussements plus rire moins étouffé - j’aime bien les films en costumes de l’époque qu’on sait jamais laquelle avec leurs perruques ma fille dit que c’est pour les vieux mais j’aimais déjà quand j’étais plus jeune ça dépaysait plus – gloussements - allons voilà que ça vire au polar dans l’aréoplane c’est pas ce qu’était indiqué sur le prospectus yen a marre des coups de flingue je préfère quand ils s’embrassent mais sans qu’ils couchent pasque là aussi yen a tout le temps à tout bout de champ n’importe où il paraît qu’il mettent pas la langue que c’est des bisous de cinéma allez savoir si les types ils en profitent pas pour faire des dons d’orgasme… yen a un dans un film tout est parti dans son pantalon qu’il avait pas eu le temps d’enlever pendant l’acte stimulé – gloussements - p’tête que les bonnes femmes aiment ça Lino il voulait pas coucher ni embrasser il avait d’la morale lui tandis que maintenant - gloussements - allons bon l’hôtesse de l’air a le mal de mer et le commandant de bord cause dans l’poste je m’en doutais qu’ils nous feraient le coup de l’occident – gloussements - l’accident… nan ça s’arrange dans le scénario… qui qu’vous pensez de Georges Cloné moi j’trouve qu’il arrive pas à la cheville de Gary Grant…vous vous rappelez La Mort au Frousse d’Albert Hitechoque… ah ! le monsieur d’à côté redouble de chuuut s’il est pas content il a qu’a partir rien n’en l’empêche - gloussements - il dit qu’il va appeler l’ouvreuse mais ya pus d’ouvreuse cher monsieur c’est comme pour les caissières on les remplace pas ou alors par des scanairs hihihi - gloussements - l’action traîne en longueur avec ces scènes courtes j’me demande ce que les critiques ont trouvé de bien au masque et à la plume où ils s’engueulent que c’est bidonnant vous vous rappelez Jean-Louis Borisse comme il y allait quand ça lui plaisait pas souvent ya plus de gars comme lui maintenant ils s‘écoutent parler ou ils écrivent à la solde des grandes frimes – gloussements - firmes oh yen a core des intègres tenez comment qui s’appelle le gros là dans la revue catomachin là - gloussements - allons bon ! c’est déjà la fin c’était pourtant annoncé une heure et demie ya tromperie sur la marchandise au fait c’était quoi l’intrigue générale de ce film pas très fofolichon ? - gloussements de fin ; la salle s’éclaire ; les mémés me toisent de haut. 

Il faudra bien que je retourne voir ce film, le vrai.

 

 © Jacques Chesnel

12:15 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (1)

03/12/2013

L'INSPIRATION

 

- enlevez votre chemise et votre sous-vêtement

Le docteur posa délicatement son stéthoscope sur le dos de Jérôme

- inspirez... bloquez votre respiration...., expirez..., recommencez et dites 33

33 33 33, il tousse et crache

- vous avez une bronchite purulente mais j'aimerais que vous alliez voir un pneumologue étant donnés vos antécédents familiaux.

Le spécialiste le rassura après avoir vu la radiographie et lui recommanda néanmoins une douzaine de séances de rééducation pulmonaire pour faciliter l'expectoration par un kinésithérapeute ; il alla donc chez Anna Corète qui se trouvait à deux pas de chez lui.

Jérôme ne la connaissait pas, il en avait entendu parler en plus grand bien par des proches, il arriva donc tranquille au cabinet de ladite dame ; et quelle ne fut pas sa surprise de voir une jolie silhouette de petite taille, apparemment frêle, aux cheveux d'un blond doré retenus par une queue de cheval, de grands yeux rieurs et qui lui serra vigoureusement la main, vous avez votre ordonnance ?, étendez-vous là. Jérôme n'était pas inquiet, il se posait seulement la question de savoir ce qui allait lu arriver quand elle posa ses menottes sur sa poitrine et lui dit : inspirez, j'ai dit ins-pi-rez, bon, c'est tout simple vous ne savez pas respirer, tout part de là. Alors, on recommence, inspiration par le nez, gonflez votre ventre, bloquez, expiration, soufflez, videz videz videz et on recommence, on stoppe, va y avoir du boulot.

Et là, pendant toute la séance Anna Corète lui expliqua comme à un enfant les bienfaits de la respiration, sa fonction vitale que l'individu peut maîtriser, ses trois types : thoracique (écartement des côtes), claviculaire (soulèvement du thorax), abdominale (aplatissement et abaissement du diaphragme), la relation entre respiration et état émotionnel, on recommence, inspiration, blocage, expiration...Jérôme commençait à ressentir d'étranges sensations de calme et de bien-être se questionnant à savoir sil il était sous le charme évident de la kiné ou si... Elle lui parla également de la respiration circulaire ou souffle continu, inspiration-expiration à l'aide de la bouche, technique qui une fois maîtrisée peut permettre de souffler de l'air en continu pendant plusieurs heures et cita les exemples de musiciens, notamment trompettistes ou saxophonistes (tiens, il pensa à Roland KIrk), elle évoqua la respiration yogique, véritable clé de la méditation, bon c'est pas tout ça on recommence allez inspiration-expiration, c'est mieux, vous paraissez plus détendu mais il y a encore des progrès à réaliser, ah ! vous avez un peu la tête qui tourne c'est normal vous commencez à en sentir les bienfaits, on se voit la semaine prochaine à la même heure, faites des exercices chez vous, vous verrez...

En sortant du cabinet, le temps lui sembla plus beau alors que la météo n'avait pas changée, il décida de rentrer à pied plutôt qu'en bus, il se sentait plus léger, les mouvements plus amples ou bien était-ce seulement une illusion.

En rentrant chez lui, Jérôme alla directement à son ordinateur et reprit la rédaction de ce roman qui lui donnait tant de mal, il se posa alors la question et si Anna Corète lui avait enfin donné ce qu'il cherchait désespérément depuis plusieurs mois :

l'inspiration !

 

© Jacques Chesnel

 

18:32 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (1)

25/11/2013

CONFRONTATION AVEC MON DOUBLE

 

Il y a longtemps que cela ne m'était pas arrivé de penser à cela, je crois bien que la dernière fois, c'était avec Julio Cortázar au sujet du Jazz dans son œuvre, on avait ensuite parlé un peu de tout et aussi du dédoublement de la personnalité, ce qui l'intéressait, il évoqua même ce qui lui était arrivé personnellement. 

Ce soir, après mon habituel repas léger, je vais directement à mon canapé, feuillette les programmes télé, rien de bien folichon alors pourquoi pas un DVD, quand levant les yeux je m'aperçois dans le fauteuil en face de moi. Surpris pour ne pas dire plus, je m'interroge du regard et je me souris d'une manière que mes amis trouvent agréable à ce qu'ils me disent

- salut, comment vas-tu

- bien, et toi, me réponds-je

- tu as l'air étonné

- on le serait à moins

- ça on peut le dire

et notre conversation de moi à moi pourrait se poursuivre après que, voulant m'assurer que ce n'est pas un rêve, je me dirige vers moi pour me toucher et constater qu'effectivement, il ne peut y avoir de doute, quoique un détail me surprend : les jambes croisées, la gauche sur la droite alors que c'est plutôt l'inverse d'habitude mais bon pas de quoi trop s'interroger, et aussi le bras droit replié sur le ventre mais bon pas de quoi trop s'alarmer, et ce sourire un peu narquois qu'on me reproche parfois surtout Muriel quand je la regarde amoureusement, oui c'est tout moi dans ce face à face Jérôme devant Jérôme, côte à côte, dans et dedans Jérôme et Jérôme qui se regardent et ne savent pas quoi se dire, même pas entamer des Conversations with myself comme Bill Evans, ou bien évoquer le doppelgänger cher à Heinrich Heine, à Maupassant, Joseph Conrad ou Kiyoshi Kurosawa, en plein dans les phénomènes autoscopiques qu'ils ne savent pas ou ne veulent pas expliquer, anomalies ou prodiges diaboliques qui nous feraient croire que la plus belle des ruses du diable est de nous persuader qu'il existe comme l'écrivit Charles Baudelaire, je me relève pour quelques vérifications, je nous serre la pince, on se tapote doucement dans nos dos, tu veux un verre ya du Jack Daniels ça m'va et toi je commence à nous servir quand...

- coucou c'est moioioi, s'écrie Muriel dans le vestibule, j'enlève mes chaussures, j'arrive, je suis trempée et les bus qui sont en grève, putain

bon la voilà revenue de chez sa mère, on va bien voir si elle s'aperçoit de quelque chose

- et bien les garçons vous ne vous ennuyez pas à ce que je vois, déjà la picole, pour moi un porto ne sera pas de refus, et nous nous levons en parfaite symbiose pour la servir avant qu'elle ne s'effondre sur le sofa ah j'en peux plus les mecs avec ce temps de merde en plus de maman qu'a la crève et son mauvais poil plus que d'habitude

pas un mot pas un geste de surprise sur notre dualité, sur cette situation insolite et troublante à nos yeux de Jérôme et Jérôme, ou bien elle voit double déjà bourrée ou elle ne voit plus rien... je me renvoie notre grimace interrogative qui reste sans réponse

- bon c'est pas tout ça, allez on mange un morceau vite fait, je fais pipi et on va au cinéma pour nous changer les idées, alors un p'tit Woody ça vous dit-y les Jérôme, tiens :

Melinda et Melinda.

 

© Jacques Chesnel et Jacques Chesnel

13:41 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (3)

18/11/2013

MARIE, EN BAS

 

On s'y était habitué, tous, tellement, si bien que je n'ai pas été étonné lorsque j'ai entendu les cris des enfants de l'école proche, ce hououou continuel braillé avec force au moment de la récré : le démantèlement de Marie avait bel et bien commencé et cela ne plaisait à personne dans le quartier car de presque toutes les fenêtres des immeubles voisins parvinrent huées et sifflets pour saluer à leur façon colérique l'arrivée de « Christophe », la grue automotrice sur pneus géants qui commençait son œuvre de destruction massive.

Ces derniers jours, il y avait eu des signes avant-coureurs impossible pour nous à déchiffrer mais visibles à l'œil nu et aux oreilles attentives : les nombreux vols d'étourneaux ne venaient plus se poser près de la petite pancarte Marie nichée au milieu de la flèche, ils semblaient l'éviter avec de grands détours en forme de vagues grondantes, tout comme les mouettes criardes ou les pigeons et colombes croucroutant à qui mieux mieux, ainsi qu'Ariane ma tourterelle favorite qui avait déserté mon balcon à mon grand désespoir. Même les vents s'étaient mis de la partie en secouant cette imposante flèche qui semblait trembler de peur, la pluie aussi qui tombait souvent en rafales vindicatives comme pour inonder la pauvre Marie sans protection.

Christophe, nom donné à cet engin dévastateur, était arrivé de bon matin au jour naissant et les ouvriers avaient attendu huit heures trente pour commencer la manœuvre sans trop de bruit. Il était peint d'un jaune agressif qu'il devait considéré comme aimable dans un paysage si gris d'habitude mais qui aujourd'hui faisait tache, une grosse souillure, immense merde malfaisante portant le prénom d'un saint martyre du III ième siècle, soit-disant protecteur des utilisateurs (un comble) de moyens de transport, quelle honte. Sous le tollé général augmenté du concert de klaksons des voitures de parents d'élèves excédés, voilà le redoutable engin en train de déplier son unique bras en phases successives pour arriver en fin là-haut et commencer à descendre les morceaux de la flèche où se trouve le petit panneau affichant le nom de Marie, ainsi que la cabine de téléscopage, raccourcissant son envergure il s'attaque maintenant au chassis fait de poutrelles disposées en croix, puis, dernière étape de sa funeste action à dézingué le fût constitué d'empilement de parallélépipèdes rectangulaires, quel salopard.

Il souffle dans cette portion de quartier comme un vent de révolte, certains n'hésitant pas à crier à sacnder avec force libérez Marie, mort au tortionnaire Christophe, à bas le démantèlement de notre Marie à nous, le fascisme ne passera pas (là, quelques moues dubitatives, faut qaund même pas pousser trop loin), il y avait longtemps qu'on avait pas vu ni entendu un tel bordel dans notre coin réputé si tranquille. Imperturbable, l'ignoble Christophe une fois son sale boulot terminé (le repliement de son immonde et répugnant bras et la pauvre Marie, là, terrassée en bas, désarticulée, fracassée) fit ronfler de plus belle le moteur de sa grosse carcasse jaunâtre et disparut dans un vacarme inouï ; il était 11 heures 59, après quatre heures de cauchemar inter-minable. 

Le temps a passé, mais j'avoue que depuis j'ai, à l'évocation de ces deux prénoms, Marie et Christophe, des sentiments fort contradictoires ; quand je pense que mon meilleur ami, non, je préfère ne pas y penser...

 

© Jacques Chesnel, outré 

vous aurez compris, cher lecteur, que ce texte est la suite hélas logique de MARIE LÀ-HAUT paru antérieurement sur ce blog

18:05 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (4)

11/11/2013

UNE SURPRISE

 

 

Jérôme regarde Muriel dormir. Il aime ça, surtout cet air étonné avec la lèvre supérieure légèrement remontée côté gauche, il lui trouve au air à la Bardot de la grande époque parce que maintenant avec les idées nauséabondantes et sa tronche. Il a envie de la réveiller, il se retient pour ne pas gâcher la journée avec une reviviscence loupée, il prend donce son mâle en patience. Muriel lève enfin les yeux qu'elle frotte doucement, le regarde et lui sourit tendrement ça va, pupuce ?

- voui, super... heu, cette nuit, j'ai eu un redressement productif

- un quoioioi ?

- UN REDRESSEMENT PRODUCTIF, j'te dis

- mais c'est énorme un truc pareil

- j'me rends pas compte, mais si tu l'dis

- mince alors,c'est pas vrai, qu'est-ce qui t'as pris qu'est-ce que t'as pris qu'est-ce que ?

- rien, j'te jure, c'est venu comme ça, d'ailleurs regarde Mumu, c'est pas si mince alors, au contraire je pense

Jérôme soulève délicatement le drap et là Muriel estomaquée pousse son petit cri d'étonnement favori waoouououh putain ben dis donc mon cochon tu as de la ressource étonnante ce matin pasque c'est plutôt rare ces temps-ci, si si, que je m'disais dépitée et attentriste

- tu sais, ces trucs là on ne peut rien y faire à part les pilules appropriées que c'est pas le genre de la maison, je préfère le naturel qui revient au galop à fond la caisse

- oui enfin bon, tu as eu des images érotiques, des pensées libidineuses, tu as pensé au journal du hard genre Clara Morgane ou Roselyne Bachelolotte, dis, tu n'as quand même pas un retour de manivelle façon chochotte Rock Hudson ou Freddy Mercury ?

- non non, proteste véhémentement le chéri soupçonné, je pense seulement que le céleri qui contient de l'apigénine avec la moutarde et la salsepareille au menu d'hier soir, tout cela a dû faire monter la pression pour éviter que le commis roupille trop sur les pruneaux, c'est tout bête, c'est bien connu

- eh ben mon vieux cochon, on peut dire que ça ça m'la coupe

- oh ne me regarde pas comme ça avec ton air vorace de louve affamée

- et ce petit miracle inespéré dure depuis combien de temps à ton humblavis

- je me le demande, blague à part, comme dans l'histoire de Fernand Raynaud sur le refroidissement du canon, un certain temps qui me surprend moi-même qui n'a plus de notion

- bon, dit Muriel, c'est pas tout ça mais on va procéder maintenant aux vérifications d'usage obligatoires et manuelles militari...

… et joignant le geste à la parole, Muriel précipite sa main sur l'objet du délit d'initié à la bourse en criant : je vais te le tenir le petit trésor matutinal fièrement dressé comme Artaban, je suis la Cléopâtre de Gautier de Calprenède, la Sally Mara de Raymond Queneau celle qui tient toujours bon la rampe, youpiiiii, à moi la félicité totale, le ravissement accompli, la béatitude parfaite, l'exaltation démesurée à la hauteur et à la raideur de l'événement, l'affaire bien en paluche experte en érection toutes catégories, you..., hein ? quoi ?, Jérôôôôme, hardi mon gars, garde ta flamberge au vent nom de dieu, l'étendard du dard bien élevé, pense à la manivelle du sapeur, à la culotte du zouave du pont de l'Alma, à sainte Thérèse du vit-là d'Avila, à celle d'attention Lisieux, au bout rouge du petit baigneur, à coquette-sur-roupette, au coquin-ravageur, à la seringue à perruque, au tromblon vibrionnant, au boute-joie d'antan et au dardillon d'aujourd'hui, au poireau flambant neuf et au popol littéraire, à TOUT cela, oh, vieux brigand, tu vas quand même pas me faire ça A MOI QUI... JÉRÔÔÔME … 

et vous pouvez, vous devez même, vous arrêter ci-devant 

néanmoins pour les plus curieux , voici les deux fins possibles : 

Fin 1 : débandade, déroute, désolation

Fin 2 : exocet, explosion, extase

au choix

 

© Jacques Chesnel

12:11 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (3)

04/11/2013

AU BOUT DU CHEMIN

 

- après trois cents mètres, prenez le rond-point, puis deuxième sortie 

Jérôme engagea la voiture dans la route proposée et dit à Muriel qu'il se reconnaissait malgré le temps passé et que décidément le GPS c'était une sacrée invention mais que parfois il avait envie de dire merde quand on lui imposait un trajet différent de celui qu'il prenait depuis toujours merde. Ils étaient partis ce samedi de bonne heure pour arriver en début d'après-midi et pour cela, ils avaient choisi l'autoroute que n'aimait pas beaucoup le conducteur, qu'est-ce qu'on s'emmerde oui mais pour la sécurité et puis les 130 c'est bien quand même non ?. Le temps était superbe et Muriel de bon poil, que demander de plus. Bien qu'ayant une mémoire qu'il trouvait d'éléphant, Jérôme ne se souvenait plus de la date de leur dernière visite, deux trois ans voire plus, hein ? Muriel oh moi tu sais les dates mais ça doit faire longtemps. Arrêt pipi pour Jérôme tandis que Muriel se refait une beauté supplémentaire devant la petite glace sous le pare-soleil. Je me demande quelles têtes ils doivent avoir maintenant et leur fille doit être grande dans les dix onze ans et 

- après le passage à niveau, prenez la première à droite 

est-ce que le Lucien a toujours aussi mauvais caractère, tu te souviens de l'engueulade au sujet de Maastricht qu'il prononçait masse trique comme l'autre cinglé du puits du fou, quelle colère ce jour-là et Alice t'énerve pas Lulu c'est pas bon pour ton cœur ahahah, et l'autre fois son emportement à cause de l'espace chaîne-gaine comme disait l'autre fou du puits du cinglé, bon maintenant ça commence à pleuvoir dru et les essuies-glaces qui déconnent mets la radio moins fort et allume tes phares pas les codes Jérôme les phareueux. On y voit comme dans le trou du cul d'un maigre putain de route pas éclairée et ces nids de poule yen a marre pour une nationale. Tiens, un voiture de gendarmes et cette loupiote qui nous fait signe d'arrêter, bonjour monsieur-dame, contrôle du véhicule et de l'alcoolémite vous avez votre équil aux tests, soufflez c'est bon vous pouvez repartir attention au brouillard qui tombe à c't'heure. C'est une illusion ou quoi, demanda Muriel recroquevrillée sur elle-même, j'ai toujours pensé qu'il y avait de beaux arbres en bordure de cette route non ? que ça formait comme un dôme de feuillages, on est encore loin à ton avis ?, écoute tu la fermes un peu ma cocotte car tu me gonfles autant que mes pneus sont dégonflés voilà alors hein, la dernière fois j'ai trouvé qu'Alice avait pris un sacré coup de vieux avec ses cheveux coupés trop courts quant à Lucien il lui fallait plus d'une bouteille aux repas, est-ce qu'ils ont toujours leur vieux clébard qui pue mais tais-toi donc Muriel tu me décontenances me fais pas perdre les pédales que je sens plus sous mes pieds, je pense que maintenant on ne devrait plus être très loin, juste après cette grange délabrée dont je m'en souviens

- vous êtes arrivés 

mais on n'est pas arrivés ya pas le panneau indiquant le nom de la ferme « Label meunière » qu'est-ce que c'est ce bordel de GPS qu'a perdu la trace et la jauge d'essence qui est au plus bas, on a fait trois cents dix kilomètres cent de plus que la normale toujours d'après cette foutue machine, on est mal barrés et ne pleurniche pas Muriel s'il te plaît, ton portable ne sert à rien ils n'ont plus le téléphone depuis belle lurette ces cons

- attends Jérôme, je crois que tu as dépassé le petit chemin caillouteux sur la gauche qui mène chez eux après le bosquet

- putain j'l'avais pas vu, ouf voilà la maison, on dirait qu'il n'y a pas de lumière, le vieux portique de la balançoire de la gamine a disparu et leur foutu clébard qui n'aboie pas 

Devant le portail d'entrée, une pancarte :

           « A VENDRE »

 

© Jacques Chesnel

14:53 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (6)

30/10/2013

RIEN QUE DU BEAU MONDE

 

Nous avons revu le grand type plusieurs fois après son gros coup de mou relaté ici ("Dérèglement momentané"). Toujours charmant et disert, racontant des tas d’anecdotes sur tous les sujets avec un humour constant. Il connaissait un nombre de personnes impressionnant et il avait sur chacune des tas de choses à raconter, sympathiques, gentilles et drôles. Il était intarissable, il fallait presque l'arrêter parfois. Sa classe de tai-chi-chuan était remplie de singuliers individus qu'il se fit un plaisir de nous faire connaître après un dîner bien arrosé ce soir-là. Tous les sexes, tous les âges, toutes les conditions sociales et intellectuelles réunies étaient représentées, donc, rien que du beau monde dans cette quarantaine d'élèves. Honneur aux dames en commençant par les donzelles un peu excitées (quant à la découverte de cette sorte de gymnastique bien que ce soit un art dit martial) jusqu'aux plus anciennes blasées à qui il ne fallait pas en raconter parce qu'elles savaient tout sur tout surtout et encore plus que tout le monde y compris le prof, vous voyez le genre. La Laura, la plus mignonne, affolait l'assemblée au moment de se mettre en tenue par une collection de soutifs des plus extravagants, la Geneviève, la plus ancienne, manifestait en ronchonnant qu'on était pas au cabaret de stripetise tandis que la gent masculine affolait les compteurs des nénettes principalement avec l'agent de police Marcelito (il s'appelait Roger et avouait un faible pour l'acteur italien) se prenant alors pour Tarzan ou Superman avec ses biscototos provocateurs. Les autres messieurs, des vieux qui voulaient ou croyaient vouloir rajeunir en jouant au p'tit djeune décontracté du gland et dont la plupart venaient pour les filles ou bien alors pensaient pouvoir se foutre sur la gueule avec plus d'élégance et en costume adéquat, des ados sûrs de leur prétendue perfection physique et heureux de la donner à voir... On dit qu'il faut de tout pour faire un monde ; dans cette équipe tenue d'une main de fer en crins de velours par maître Rodolphe, il y avait : un ancien transformiste de chez Michou, une danseuse de french-cancan sur le retour, un cadre supérieur d'une banque encore réputée, une charcutière spécialisée dans le boudin à l'ancienne, un ouvrier du bâtiment qui avait toujours une nouvelle histoire drôle à raconter qui n'amusait personne, une secrétaire perpétuelle provisoire de l'Académie Française, un goal gay, un clown triste et un nain jaune, une péripatéticienne périmée du périphérique, un cadreur mal encadré de France 3, une intermittente définitive du spectacle de rue, un blogueur bloqué sur le net, une directrice de casting de porno soft, une institutrice en retraite en retrait toujours bougonne... la liste serait longue à dévoiler entièrement. Tout ce beau monde cohabitait tout en se détestant cordialement avec une amabilité de façade toute en convenances qui provoquait parfois de grandes colères intérieures de Rodolphe qui savait garder néanmoins un calme que l'on dit toujours olympien dans ce cas-là.

Somme toute, il ne manquait plus que vous. Alors, vous venez ?, c'est tout près de chez vous.

© Jacques Chesnel

17:30 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (4)

20/10/2013

EMPOIGNADE (Hommage à Dubout)

 

Je n'aimais pas du tout la tournure que prenait la conversation, pas du tout, il me semblait qu'il y avait des limites à ne pas franchir et certains avaient l'air de ne pas vouloir en tenir compte. Il y avait un tel barouf, un si réactif boucan, une immense cacacophonie, un brouhaha ah ah immense, un furieux tintamarre, on n'arrivait plus à s'entendre, ni à s'écouter parler, un comble ! De temps en en temps, quelqu'un hurlait plus fort STOP et après un millième de seconde cela repartait de plus belle. Un petit chétif se leva et se fit rasseoir illico bouge pas mon gars, un grand balèze se mit debout et se replia sur lui-même bouge pas mon gars, un troisième du genre fluet éternua et se fit moucher ta gueule mon gars, un autre péta plus haut que son cul ferme-la mon gars, la grosse Simone dit zut, le gringalet grogna crotte et patati et patata et pataquès vociféra le reste de l'assemblée. Comment cela avait-il commencé, personne n'aurait pu le dire : peut-être par Quentin en tant que tel, par Guillaume qui ramène sa pomme sans arrêt, par Clément le maraudeur des mots, par Léon le roi de la frite verbale, par Cyril et son alphabet bizarre, Maurice et ses rimes riches, Jérôme le vrai môme, Charles qui parle pour ne rien dire, tous prêts pour un vrai ramdam avant pendant ou après le ramadan, apôtres du chambardement, hurluberlus du chahut cru et du tohu-bohu velu, houspilleurs de hourvari, tous d'accord-raccord pour dégainer plus vite que la parole, à sortir le couteau des mots et des maux, à lever l'étendard de la parlote et du verbe haut... Et cette fois, quel avait été le sujet de ce débordement à la Guy Debord à bâbord et tribord, on aurait mis chacun dans l'embarras car tous les sujets possibles avaient été abordés par-dessus bord et personne pour mettre le holà ou faire la ola de rigueur. Il y a eu une brève seconde de silence quand, à la télé restée allumée, le spiqueur annonça la victoire de l'équipe locale de foot par 4 à 0 OUAIS, c'était pour repartir de plus belle, de plus en plus fort de plus en plus plus en plus, jusqu'au bruit inhabituel dans ces circonstances : une gifle, signal du démarrage avec rage d'une giflitude collective prenant de l'ampleur dans l'amplitude et l'ampliatif... C'est alors que l'accorte et forte Simone qui s'était discrètement repliée avec la forte détermination qui la caractérise en roulant les épaules qu'elle avait débordantes, revint de la cuisine avec un plateau chargé de chopes de bière à la munikoise et beugla d'une voix de stentor et avec emphase :

QU'ON SE LE DISE, BORDEL, MAIS YEN AURA PAS POUR TOUT L'MONDE...

Excusez-moi, je vous laisse deviner la suite.... agitée.


© Jacques Chesnel

14:35 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (2)

16/10/2013

DEUX FENÊTRES

 

Il y a des fenêtres qu’on regarde sans les voir. Il y en a tant, pourquoi celles-là ?, ces deux là ?

JOUR

Chaque fois que mes yeux se posent sur cette fenêtre, volontairement ou par mégarde en regardant ailleurs, je perçois comme un frémissement derrière le rideau qui bouge insensiblement, comme un déplacement furtif de quelqu'un qui, derrière, subrepticement, ne veut pas se faire voir me regardant, moi... ou bien est-ce une illusion, un mirage. Carrée d'un 60 x 60 standard avec châssis en aluminium, cette ouverture est située au dernier niveau de cet immeuble typique de l'architecture des années 70 ou l'architecte dessinait d'abord les façades quitte à négliger une distribution des pièces intérieures abracadabrantes. Derrière le verre, un voile léger, discrètement opaque, quelquefois une légère aura de lumière même en plein jour. Ce léger tremblement de rideau était-il le fait d'une personne ne voulant pas se montrer ou bien quelque mouvement volontaire ou non, d'un enfant pour un jeu, d'un animal, chat malicieux ou queue agitée d'un grand chien ou...  Je ne cessais de me poser ces questions, ma curiosité étant à son comble parce que cette légère vibration, ce minuscule remous semblait se manifester à chaque fois que mon regard se dirigeait vers ce carreau singulier... ou bien était-ce, une illusion, un mirage. Je connaissais de vue la plupart des occupants de cet immeuble, croisés sur le parking ou rencontrés lors de la fête des voisins. Personne ne me semblait être celui ou celle qui jouait à cache-cache avec mon indiscrétion secrète. Mais...

 

NUIT

Il y a longtemps que j'avais découvert cette petite rue, plutôt ruelle, dans le vieux quartier de ma ville, celui épargné par les bombardements de la guerre. J'aimais m'y promener de temps en temps pour retrouver sans nostalgie mais avec un petit pincement au cœur les moments de mon adolescence au cours de laquelle j'avais connu mes premiers émois amoureux avec de chastes ou parfois fièvreux baisers des fiancées d'un jour ou d'une semaine. J'avais repéré cette vieille maison de grosses pierres mal jointes avec seulement une porte et une petite fenêtre carrée, son châssis en bois avec ses persiennes peintes d'un bleu délavé. Chaque fois que mes pas se dirigeaient instinctivement vers la bâtisse, le rideau de dentelles ou de macramé marquait comme une oscillation, un frissonnement faisant se mouvoir les motifs décoratifs de la tenture à l'ancienne. J'étais resté quelque fois en observation mais personne ne s'était manifesté... était-ce une illusion, un mirage ou une chimère?. Je suis revenu récemment  dans ce quartier, la masure avait disparue avec d'autres, faisant place à cet immeuble typique de l'architecture d'aujourd'hui où l'on se préoccupe autant du confort de l'habitant que de l'esthétique extérieure. Je revins dépité, sans véritable amertume mais avec le regret des baisers volés aux fiancées oubliées ou encore présentes dans ma mémoire. Rentré chez moi, je me dirigeai vers ma fenêtre pour voir celle d'en face où je constatai pendant de longues minutes que rien ne bougeait en ce moment, pendant de longs moments.

Et si derrière le voile se tenait cachée une mes anciennes petites amoureuses de cette petite rue, ruelle plutôt, elle, discrète, me sachant revenu de ce voyage évoquant une jeunesse lointaine. Et si...


© Jacques Chesnel

18:10 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (3)

02/10/2013

LES CHÉQUES & MAT

 

 

Nous informons notre aimable clientèle que n’acceptons plus les chèques

NOUS N’ACCEPTONS PLUS LES CHÉQUES !

C’est en faisant le plein de carburant à la station-service près de chez lui que Jérôme lut avec surprise cette information et qu’il pensa aussitôt que lui par contre n’acceptait pas l’échec suite au licenciement qui venait de ruiner ses espoirs de s’en sortir après tant d’années de galère dans cette banque de merde et qu’il n’allait pas l’afficher partout à la vue de tout le monde. Il se remémorait plusieurs affaires identiques, ce qui était insuffisant  pour le consoler. Il n’était pas allé mettre une note du même genre sur la porte du bureau de son chef de service avec un nous n’acceptons plus les mises à la porte pauv’con, non, il avait seulement pensé à balancer une magistrale paire de baffe dans sa gueule de raie pas nette (la raipanette), il avait mimé le geste peu aimable, vous auriez vu la bobine du gus avec son bras levé pour se protéger malgré tout ne me fra fra frappez  hein ? tiens paf paf deux fois dugland alors tu gueules pas nous n’acceptons plus les paires de gifles… et puis tant qu’on y est est-ce qu’on ne va pas aller placarder nous n’acceptons plus vos augmentations du prix des carburants injustifiés sur les murs de la société GLOBAL avec son pdg tête-à-claques et sa moustache en balai-brosse à la con (encore un paf paf). Au moment où un peu partout souffle dans le monde un vent de rébellion souhaitable et souhaité, Jérôme pensait que ce serait bien de se trimballer avec des pancartes NOUS N’ACCEPTONS PLUS L’ÉCHEC, il s’imaginait la tronche de politiques, la bouille des p’tits vieux, la trogne des syndicalistes que Jérôme aimait bien pourtant mais qu’il trouvait vraiment tous couilles momolles raplapla planplan. Imagine, disait-il à une Muriel médusée comme un radeau, des centaines, des milliers de panneaux, pancartes, écriteaux, banderoles et bannières, prospectus, tracts, réclames de tous formats les plus grands de toutes les couleurs, les enfants avec des T-shirts et des p’tits shorts, les ados avec blousons ou minijupes, les bourges en loden vert et jupe plissée, les bonnes sœurs extasiées, les curés emballés, les footballeurs déniaisés, les commerçants souriants (denrée rare), tout un monde en liesse et en verve brandissant, arborant, agitant, exhibant, déployant, hissant haut les pavillons de la révolte NOUS N’ACCEPTONS PLUS L’ÉCHEC… putain, c’est le grand soir, enfin, la délivrance, la fin de l’esclavage, le monde nouveau est devant nous, allons zenfants, il est revenu le temps du muguet, le soleil se lève au beau fixe… et Jérôme se réveille avec un grand sourire, celui qui fait craquer sa Mumu qui alors prend délicatement son cher et beau zizi encore assoupi dans sa menotte droite si délicate et experte et qui lui murmure à l’oreille d’un ton néanmoins impératif:

JÉRÔME CHÉRIIIII, NOUS N’ACCEPTONS PLUS L’ÉCHEC !


©  Jacques Chesnel

18:48 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (3)

27/09/2013

LA TENTATION DE DENISE

 

Depuis le temps qu’elle le savait.

Elle n’avait jamais su résister aux tentations et même à LA tentation chère à Oscar Wilde, et ce depuis son enfance, pour le meilleur quelquefois, pour le pire plus souvent, mais on ne se refait pas et on laisse les choses se faire et se défaire de façons rédhibitoires. Elle nous racontait toutes ses aventures (mes aventures aventureuses disait-elle) sans vergogne, sans pudeur, sans sans quoi. Tout ou presque y était passé, avec les hommes, les femmes, les amis, les ennemis, les connus ou inconnus, dans toutes les circonstances comme avec Constance (son plus bel exemple qu’elle gardait secret tout en le racontant à tout le monde car elle n’y voyait aucun mal à ses yeux qu’elle avait rieurs). La phrase qui avait tout provoqué remontait à sa période catéchisme quand elle avait entendu par le curé qui était beau comme un dieu qui n’était pas le sien : « ne pas succomber à la tentation et délivrez-nous du mal » tu parles pour le mâle avec tous ses copains qui faisaient à la sortie de la sacristie, déjà pour les qualités de ses manipulations savantes à la Irina Palm. Plus tard, ce fut la bouffe, la grande et la petite, surtout la grande, tout compris, d’abord le salé, le pré-salé, le tout-salé, le sur-salé, le laisser-salé, puis le sucré tout le sucré sauf les fraises que natures, casser du sucre, faire sa sucrée, ensuite les fringues, les fripes, les nippes, les affutiaux et  autres souquenilles, tout le saint-frusquin, que des frusques et des frasques, rien que de la belle sape de classe … Les tentations sont devenues de plus en plus fortes avec force tentatives restées infructueuses, se faire toujours alpaguer par des charmes trompeurs qu’on appelle blandices, irrésistibles à un tel point qu’il lui fallut consulter un spécialiste en spécialités tentaculaires autrement dit un charlatan qui ne résista pas à la tentation de lui proposer cinq séances inutiles à deux cents euros chacune, elle ne résista pas à l’attrait de lui balancer une bonne beigne dans la tronche agrémentée d’un sévère coup de pied rapide au cul qu’il avait opulent avant et au pus lent après.  Bien sûr, il y a eu d’autres tentations, des désirs avoués, des appels inavoués, quelques aiguillons désavoués dont on ne va pas ici faire la liste. Non. Par contre, dire le bouleversement de Denise lorsqu’elle prit connaissance dans une librairie d’un livre intitulé « La tentation de Venise » écrit par un homme politique, un ancien sinistre au crâne d’œuf et à la suffisance hautaine reconnue. Elle crut d’abord que c’était une faute de frappe que l’éditeur n’avait pas vue, pour elle la tentation était la sienne, celle de Denise, connard, de personne d’autre, compris ?. Curieuse, elle se renseigna et apprit que cette expression avait une signification particulière : « la tentation de se consacrer à autre chose, de changer de vie », tu parles !. Denise connaissait les autres tentations célèbres à commencer par celle de Saint-Antoine racontée par Flaubert, celle de Faust par Goethe, mais tout ça n’expliquait pas pourquoi Venise et pas Tombouctou ou Champ-du-bout, why not Fenise ou même Menise et Penise pendant qu’on y était et puis toutes ces tentations-là à Venise ou ailleurs étaient de la roupie de sansonite, du pipi de matou, du bluff, du bidon, de la frime à côté de celles de Denise qui s’exclama un jour, furieuse et enjouée tout à la fois : « ça ne m’empêchera pas d’aller y faire un tour en gondole à cette Venise, histoire de se gondoler, ah mais ».


©  Jacques Chesnel

 

13:10 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (2)

18/09/2013

LES CLENCHEURS

 

On en apprend tous les jours, air connu. Ainsi, il y aurait une nouvelle forme de cambriolage avec une nouvelle race de malfaiteurs appelés les « clencheurs ». Ces cambrioleurs d’un genre différent opèrent ainsi : en zone rurale à chaque pavillon individuel ou en zone urbaine après s’être introduit dans un immeuble, ils vont à toutes les portes, frappent doucement d’abord, appuient sur la poignée de la porte d’un logement et si celle-ci n’est pas verrouillée commettent leurs larcins, vols opportunistes donc sans effraction, souvent quand les occupants sont en train de regarder la télé ou bien tondre la pelouse ou autre joyeuseté. C’est ce que racontait Jérôme à Muriel avant d’aller se coucher et de vérifier si tout était dans l’ordre comme d’habitude. T’as bien fé-mé le vé-ou, brailla Muriel tout en se colgatisant furieusement les dents ; voui répondit Jérôme en se grattant le derrière d’un air rassuré. On en avait parlé dans tous les journaux et un grand vent d’inquiétude s’était abattu sur les esprits, notamment les personnes âgées comme les parents de Muriel complètement paniqués. Cela avait déclenché des réactions diverses allant jusqu’à envisager de ressortit les fusils ou de constituer des milices ou brigades de surveillance.

Le lendemain matin au réveil, Jérôme lança un je vais acheter le journal pour voir et s’aperçut que contrairement à ce qu’il croyait le verrou n’était pas mis, bordel de merde on avait dormi dans l’insécurité totale et aucun clencheur, ah les cons, n’en avait profité. Il ne dit rien à Muriel car cela aurait déclenché une belle dispute de trop car en ce moment… Au bureau, c’était la conversation principale autour de la machine à cacafé, on allait voir ce qu’on allait voir on a n’allait se faire marcher sur les arpions impunément, c’était la révolte, pire une rébellion, une mutinerie, non sire une révolution, aux armes citoyens. Dans les propos entendus, Jérôme fut plus que choqué lorsque le mot tzigane revint le plus souvent, tous ces roms, ces étrangers voleurs de poules dont les hordes envahissent par milliers notre belle France. Il pensa aussitôt à Django Reinhardt dont il venait de se payer l’intégrale en CD suite à l’histoire de sa vie racontée par Charles Delaunay ; il se demandait si ces excités n’auraient pas foutu le feu à sa roulotte une deuxième fois ?. Révulsé, il enclencha la surmultipliée, leur fit un doigt d’honneur et d’horreur gros comme la statue de la Liberté ce qui lui valut des réponses avec force majeurs frappés sur leurs têtes de nœud toc toc toc. En rentrant, Jérôme dut sonner plusieurs fois car la Mumu avait bien enclenché au triple tour d’écrou le gros verrou, il se remit pour la cent millième fois la séance de Django à la guitare électrique en compagnie de Martial Solal en 1952 et décida sur le champ que dorénavant, pour narguer tous ces trous du cul, il ne mettrait par ce putain de verrou, on verra bien. Aux dernières nouvelles, les clencheurs ne sont toujours pas venus rendre une petite visite à nos amis.

Jérôme est sûr que quelque part Django veille sur eux. « T’es sûr » lui demande souvent Muriel.

©  Jacques Chesnel

20:52 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (0)

10/09/2013

DÉRÈGLEMENT MOMENTANÉ

 

Après plusieurs rencontres avec le grand type, on en était toujours au même point. J’avais donc appris que ce personnage, Rodolphe, était le professeur de yoga et de tai chi de ma Muriel, mais étant de nature fouinard, j’aurais aimé en savoir davantage en avantages. Nous avions pris rendez-vous avec lui un soir dans un restaurant bio que nous fréquentions plus ou moins assidûment. Dès son entrée, son comportement apparut étrange à nos yeux et à ceux de l’assistance. Il pénétra dans le lieu, jeta un coup d’œil circulaire rempli d’inquiétude et ressortit aussitôt pour rentrer de nouveau précipitamment. Il nous vît ou sembla nous voir car il alla s’asseoir à une table vide non loin de la nôtre, puis se leva et vint à notre encontre un grand sourire pitoyable aux lèvres. Il ôta son chapeau avec un geste cérémonieux et baisa la main de Muriel plutôt stupéfaite et dit : « je suis en retard mais en avance sur le temps, n’est-ce pas ». Nous ricanâmes de concert et il s’assit en remettant son galurin à larges bords de traviole, on était bien avancé. « Je suis venu hier comme convenu mais vous n’étiez pas là alors j’en ai conclu à fortiori que voilà» affirma-t-il avec sérieux mais avec un pétillement dans ses yeux que Muriel trouva plus globuleux qu’à l’habitude pendant ses cours du soir. Il avait une voix de cibiche bien qu’il ne fumât point ou une voie de garage bien qu’il ne possédât pas de tire, me confia Muriel dans un souffle. On se demandait si c’était du lard de l’art ou du cochon alors qu’on en était au tofou à la basquaise et lui qui n’avait rien commandé de sérieux. Et pour Monsieur ce sera interrogea la petite serveuse bretonne si mignonne avec sa queue de cheval qui s’appelait Rose et qu’on appelait Bonbon. Rodolphe la regarda comme s’il voyait un extra-terrestre et répondit qu’il avait déjà mangé alors vous voyez mais que cela lui coupait l’appétit bien qu’il eût faim à cette heure tardive. Nos regards stupéfaits se croisèrent de nouveau avec une pointe d’anxiété, Muriel me balançant un coup de pied dans le tibia qui me fit hurler en silence avec fracas devant son air coucourroucé. L’assistance contemplait en faisant de grands signes impuissants comme ceux du télégraphe d’antan. Rodolphe se leva et entama la Madelon pendant qu’on apportait le vin recommandé par l’hôte, le pépé âgé d’à côté dit c’est une honte et s’évanouit aussitôt le nez dans le potage froid encore fumant. Le grand type déclara que cela lui rappelait la bataille de la Marne qu’il n’avait pas faite s’étant fait réformer à cause de son asthme guéri par les plaintes.

Quand arriva le gâteau qu’il avait désiré il dit, en le regardant bizarrement : « ce dessert là je suis en train de le manger demain » (*). Durant ce repas qui nous parut plus longuet que d’habitude, nous nous regardions toujours Muriel et moi avec un étonnement visible et néanmoins secret, Rodolphe avait l’air ailleurs, en d’autres sept lieux que celles des bottes, pour tout dire il y avait comme un malaise qui nous mettait mal à l’aise d’autant que le grand type était de plus en plus absent en face de nous, comme retiré de ce monde. On pensait même qu’il allait nous sortir un revolver et se mettre à tirer dans le tas là tout de suite ? faire surgir un couteau et suriner méchamment le populo présent ?… Cela aurait pu durer encore incertain temps quand il se leva brutalement en faisant tomber sa chaise et dit c’est vraiment insupportable je crois bien que et il sortit en saluant chaque personne avec grandiloquence. Les gens nous regardaient toujours avec insistance, leurs yeux nous traitant de monstres responsables de cette comédie.

Nous avons eu l’explication de cette histoire quelques jours plus tard quand nous apprîmes que le grand type avait pris connaissance de la disparition d’un être aimé et que depuis il était complètement désemparé, totalement déréglé, anéanti. Ce sont des choses qui arrivent à tout le monde, n’est-ce pas, chers éléphants roses.

Muriel et Jérôme n’en sont pas encore revenus.

Et si c’était moi le type momentanément (ou complètement) déréglé ? J’en arrive parfois à me demander si…

(*) NDLA : référence/révérence à Julio Cortázar dans « L’homme à l’affût » (Les armes secrètes)

© Jacques Chesnel


12:26 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (1)

27/08/2013

L’OUVERTURE

  

Jérôme avait une santé qu’on dit de fer. Souvent mal fichu, disait-il mais jamais vraiment malade assurait-il. Aussi quand, à ce que rapporte Muriel, il sentit un petit chatouillement insolite dans le bas du ventre côté droit, la trouille s’empara de lui aussitôt et il galopa presto chez son médecin de famille qu’il n’avait pas consulté depuis ses oreillons à quinze ans alors qu’il en avait trente de plus bien sonnés maintenant. Le docteur Mancel prit son air le plus débonnaire et lui annonça après consultation : « bon, eh bien mon garçon, il faut ouvrir ». On évoque souvent le ciel qui vous tombe sur la tête, mais là, présentement, c’était bien le ciel et surtout l’enfer qui se répandaient brutalement sur la tronche de notre héros. Quoi, répondit Jérôme, ouvrir, taillader et fouailler dans la bidoche pour un simple chatouillis du genre guili-guili qui me fait marrer. Il n’en est pas question, ce n’est pas prévu au programme et d’ailleurs… Docteur Mancel : « Et en plus c’est urgent, je te prends rendez-vous avec mon confrère chirurgien, un as dans son genre, un spécialiste de première classe… hé, tu vas pas nous faire un malaise oh, mon gars ! ». Revenu à lui après quelques minutes de panique, Jérôme demanda des explications au praticien qui d’un ton patenôtre lui déclara que ce pouvait être les prémices d’une simple appendicite ou les signes avant-coureur d’une enfin heu peut-être enfin éventuellement heu une tumeur pas très maligne, enfin faut vérifier, donc, je pense : une seule solution, il faut ouvrir.

Il était trois heures du matin, Jérôme s’éveilla aux côtés de Muriel qui dormait à ses côtés avec ce léger ronflement avec bulles qu’il trouvait délicieux et si énervant. Après radios, scanner, IRM et tout le tintouin qui n’avaient rien montré de particulier, l’opération avait été une réussite, rien qu’une banale appendicite même pas mal au sortir de la rachis anesthésie pratiquée par un mec au sourire satisfait,  hospitalisation courte, infirmières sexy et rigolotes « on vous a quand même mis un drain par précaution mais rien de grave, c’est pour éviter les complications, vous n’avez pas trop de fièvre, la tension est correcte, vous nous appelez pour votre petit pipi, la sonnette est là à côté du gougoute-à-goutte », le chirurgien était passé après l’opé : « pansement tous les jours jusqu’à cicatrisation », Jérôme avait hurlé quoi six catrisations pour ce p’tit bobo, le chirurgien et son assistante avaient bien ri hihihi ainsi que le petit vieux sur l’autre lit qui en fait une quinte de toux hurk hurk hurk et qui s’étouffe touffe touffe. Quoi qu’il en soit, avouez que le bon docteur Mancel avait pris la bonne décision et maintenant c’était reparti mon quiqui pour un tour.

Instinctivement, il passa sa main droite sur le pansement rien que pour s’assurer et se rassurer, surprise : que dalle, aucune trace par contre un léger chatouillis ou gratouillis, voire même le début d’une douleur qui oui semble s’intensifier à qui se fier eh oh là ça commence à faire vraiment mal manquerait plus que ça saigne… « Faudrait voir à ne pas abuser du raki et fumer trop de pétards à la colombienne le soir, mon gars, disait le docteur Mancel, cela peut provoquer de mauvais rêves ».

Jérôme se tourne et retourne dans son lit, il a du mal à se rendormir, ce serait peut-être urgent d’aller consulter quand même, on ne sait jamais et Muriel qui marmonne dans son sommeil… ouvrir ouvrir ouvriiii… c’est ouvert… vers vers....


© Jacques Chesnel

19:14 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (2)