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25/09/2016

LES MOTS DU MATIN

 

 

On se demande toujours comment et pourquoi cela arrive surtout quand on ne l’attend pas et on a beau chercher des explications, on est souvent bredouille et donc furieux. Ainsi, ce matin Jérôme se réveille à l’heure habituelle, regarde Muriel qui dort encore, alors il baille, beaucoup, et pète, un peu et prononce doucement : anaphore. Point d’interrogation, perplexité, incompréhension, késako ? : un nom (Anna Fort, vu/lu sa présence sur un blog littéraire) ?, une locution : âne à fort ? un mot compliqué peu employé sinon par des savants ?, une faute d’orthographe, une déformation involontaire de amphore, un a en moins, un m en trop ? ; un objet, une machine ???... bon c’est pas tout comme il aimait à le rappeler, on va voir sur le vieux dico ou sur internet dès que possible, parce que « anaphore » : inconnu au bataillon de la mémoire de Jérôme, principalement au réveil. Cela ne le quitte pas sous la douche, ni pendant le petit dèj’ avalé vite fait, qu’est-ce que tu as, tu fais la gueule, lui demande Muriel qui arrive toute ébouriffée et grognon plus que d’habitude et quand il lui dit anaphore elle lui répond arrête avec les nouvelles injures que t’inventes tous les jours t’es pas marrant enfin…

Bon, comme Monsieur Jourdain en son temps faisait de la prose sans le savoir, Jérôme pratiquait l’anaphore sans le savoir aussi et plusieurs fois par jour, c’était sa marotte involontaire ; il en usait et même en abusait un peu partout et souvent on s’en moquait gentiment surtout au bureau quand il prenait son air important. Il pensait maintenant qu’il aurait pu trouver un autre mot à ce réveil, des mots comme anableps ou anacoluthe ou anaglyphe mais encore anamnèse ou pire comme anaplasie ou encore hanéfite (quoique), il l’avait échappé belle. Il avait des collègues au bureau qui raffolait de ces jeux de mots, de ces exercices littéraires, certains pratiquant avec un peu de condescendance des mots d’esprit tels que l’épiphore ou le symploque, ma chère… Lui se souvenait à présent de Corneille et de son Rome, du Marcher de Victor Hugo, des vingt et trois du poème d’Aragon et aussi bien sûr du Général de Gaulle et son fameux Paris, Paris, Paris…

Alors il inventait des histoires, concoctait quelques calembours ringardos, composait des personnages pleins de ces tics plus ou moins littéraires mais surtout bien vaseux qui ne faisaient rire que lui, c’est déjà ça disait-il. Et puis, un autre matin, c’est Muriel qui prit le relais, sans prévenir : « mon chéri je vais te dire une bonne chose, mon chéri j’espère que tu ne m’en voudras pas, mon chéri si tu continues à me gonfler avec tes conneries, mon chéri je prendrais une décision, mon chéri j’irais me pieuter sur le divan du salon, mon chéri je te laisserais seul avec ton anaphore ou anasanfort, mon chéri pasque tu me les casses sérieusement, mon chéri alors te voilà prévenu, mon chéri prends garde sinon je me tire du pageot définitivement… mon chéri… et là Jérôme se dit que la prochaine fois faudra faire attention à fermer ma gueule… putain d’anaphore !!!.

 

 

 

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12/09/2016

ET UN PEU DE FUMÉE S’ÉLÈVE

 

Elle n’est pas encore apparue, et pourtant c’est l’heure habituelle… ou bien c’est moi qui suis en avance ou bien c’est elle qui est en retard. Tous les matins entre huit heures et huit heures quinze environ, je l’attends pendant que je prends mon petit déjeuner en jetant un œil par ma fenêtre sur son balcon de l’autre côté de la rue. C’est devenu un rite plus qu’une accoutumance et on dirait qu’elle est complice involontaire de ce qui pour moi se définit aussi comme un jeu. Il n’y a pas longtemps qu’ils habitent cet appart’ dans cette résidence plutôt luxueuse, ce sont deux nouveaux arrivants, des étrangers chuchotent mes voisins avec un air de savoir, un jeune couple à ce que j’en peux juger. Je regrette parfois de ne pas avoir une paire de jumelles mais je répugne à être un voyeur et donc j’en suis réduit à une supposition partielle sur son physique : elle n’est pas très grande, elle est brune aux cheveux mi-longs et toujours bien habillée, surtout avec sa longue robe rouge moulante ou la mini-jupe blanche avec un t-shirt noir et une ceinture dorée qui scintille. A l’heure où elle se décide enfin à sortir sur son balcon pour fumer sa première cigarette, il y a d’abord le reflet du ciel dans la vitre de la porte-fenêtre (de ce que je suppose être le séjour) qui s’ouvre et un peu de fumée s’élève aussitôt dans la fraîcheur du matin. Elle se penche quelques secondes sur la rambarde pour regarder la rue puis elle va s’assoir sur une chaise de jardin en fer forgé à l’ancienne devant une petite table sur laquelle se trouve un cendrier qu’elle alimente régulièrement d’un beau geste élégant du bras, de la main et du doigt, la jambe droite croisée sur la gauche, toujours. Elle fume lentement avec une sorte d’application sereine. Quelque fois, son compagnon la rejoint, alors il reste debout, adossé au mur, allume lui aussi une cigarette ou une pipe et ils restent ainsi sans apparemment se parler ou alors peu.

Ce matin, je termine mon repas, j’éteins la radio des mauvaises nouvelles et me prépare à quitter la table quand le reflet dans la vitre surgit comme un éclair sans qu’une fumée apparaisse et c’est lui qui sort de l’appartement, lentement. Il va s’asseoir à la place qu’elle occupe habituellement et là reste comme prostré. Je vais ouvrir ma fenêtre, pas un bruit dans la rue, au lointain le ronron d’un avion, il commence à pleuvoir dans la douceur matinale. Et…

Dénouement :

. Heureux : Elle sort enfin, calmement, dans ce qui semble être une longue chemise de nuit rose, une cigarette à la bouche, elle s’accoude à la rambarde du balcon, regarde fixement son compagnon un long moment, puis s‘approche de lui et là elle ôte lentement son léger vêtement, elle est maintenant nue et lui montre son ventre avec un immense sourire, alors il se lève, l’enlace et ils se mettent à crier en dansant comme des fous sur le balcon… tandis qu’un peu de fumée s’élève de la cigarette qu’elle avait jetée sur le trottoir.


. Tragique : Elle sort enfin, en trombe, dans ce qui semble être une nuisette bleue, une cigarette dans la main, elle s’approche de la rambarde du balcon, elle l’enjambe, ne prononce aucun mot ni aucun cri et saute dans le vide comme un oiseau blessé devant son compagnon qui n’a pas bougé. Tombé du troisième étage, le corps de la très jeune femme est maintenant recroquevillé/disloqué sur le trottoir, elle doit être morte sur le coup . A ses côtés, une cigarette se consume lentement… et un peu de fumée s’élève…

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02/09/2016

UN GROS POISSON

 

Cette nuit-là, les deux hommes pénétrèrent calmement dans le bureau du sénateur Plumier-Dalbret, allumèrent la lumière et se dirigèrent vers le tableau de Modigliani (un faux) derrière lequel se trouve le coffre-fort qu’ils ouvrirent connaissant la combinaison et, parmi plusieurs dossiers, retirèrent celui portant l’inscription « XBC31-15 ». Ils étaient manifestement bien renseignés, le boulot donc facile. Les deux hommes repartirent aussitôt en oubliant d’éteindre la lumière, une faute.

Albéric Plumier-Dalbret était sénateur depuis une trentaine d’années (comme le furent tous les hommes de sa famille nombreuse qui croyaient que c’était une profession autant qu’un honneur). Âgé maintenant de 64 ans, il cumulait avec satisfaction bien des postes plus ou moins honorifiques qui suffisaient à la haute opinion qu’il avait de lui-même : Président de ceci, Membre honorifique de cela…, bienfaiteur de… ; physiquement, il ressemblait à un de ces sénateurs de la 3ième République ventripotents dont on rit quand les voit dans les vieux films. Il enrageait de ne pas avoir été nommé ministre et vouait pour cela une haine profonde à Raymond Barre. Dans son département agricole, il défendait la culture intensive et était donc combattu par les écologistes. Louvoyant plus ou moins habilement, il avait fait parler de lui pendant la COP 21 sur laquelle il ricanait, se contredisait, finassait, son gros cul entre deux positions inconfortables qui agaçaient les plus virulents tenants d’une agriculture raisonnée et principalement bio. C’est alors que les avertissements, les sous-entendus, les menaces firent leurs apparitions dans la presse et sur la place public, les lettres personnelles de dénonciation commencèrent à arriver chez lui. Plus il en arrivait, plus il fanfaronnait, signe visible qu’il commençait à être soucieux sinon inquiet. Il se vantait d’avoir beaucoup d’amis mais ceux-ci étaient moins nombreux que ses ennemis dont il ne disait mot, il n’osait en connaître la quantité et les qualités. Son ménage (de circonstance avec Constance de) battait de l’aile depuis longtemps, plus de trente ans, il était cocu jusqu’à l’os, alors il se contentait de poulettes à deux balles vite-fait mal-fait quand « se vider les burnes », disait-il, devenait une nécessité, deux à trois fois par mois, quatre les années « bisextiles » dans un petit pied-à-terre où il prenait péniblement son panard peu vaillant.

 


Les prises de positions, les postures et impostures de M. le Sénateur commencèrent à en agacer plus d’un et cela s’envenima plus rapidement que prévu. Les lobbies accentuèrent leurs pressions, les détracteurs décidèrent de déclarer une sorte de guerre sans merci dans laquelle tous les moyens seraient bons à employer. Une vraie cabale anti Plumier-Dalbret vit ainsi le jour et les complots, commissions, factions et exactions commencèrent leur œuvre de destruction massive. C’est ainsi que plusieurs comités et associations envoyèrent les deux hommes sûrs de leur coup faire razzia, dans le bureau qu’ils connaissaient, sur les documents compromettants et qu’ils dérobèrent le fameux dossier au titre énigmatique « XBC31-15 ». Fiers de leur exploit et de leur butin, ils ouvrirent le dossier au cours d’une réunion mémorable : au lieu de ce qu’il recherchait, c’est-à-dire les connivences avec certaines organisations nocives, ils furent surpris de ne trouver… que des photos de pédopornographie, images ignobles et dégradantes en quantité suffisante pour le compromettre sur un sujet auquel ils ne s’attendaient pas (quoique…). Le gros poisson était tombé dans une autre sorte de filet… un mauvais coup de filet, pour un gros poison.

 

 

 

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26/08/2016

LE TIROIR DU BAS

 


Elle n’était pas du genre à s’inquiéter mais elle le trouvait vraiment étrange depuis quelque temps, même un peu brindezingue du genre dans les nuages nulle part ailleurs. Il ne semblait pas tellement soucieux mais plutôt dans un autre monde les pieds comme à côté et non sur terre. A la question : ça va dis Jérôme ?, il répondait oui pourquoi et repartait dans son univers. Muriel ne s’en faisait pas trop, il ne semblait pas malade, elle était seulement étonnée et un peu perturbée aussi même après avoir jugé de sa vigueur au lit, bonne nouvelle, ça marchait comme d’habitude à fond la zigounette dis donc. Elle fut néanmoins surprise par le temps qu’il passait à son bureau dans le petit cagibi qu’on appelait KGB (en le prononçant à l’anglaise) attenant au salon, ce vieux meuble banal hérité de Tonton-Cochon, l’oncle qui racontait toujours des histoires très au-dessous de toutes les ceintures de chasteté et qui nous faisait bien rigoler. A table ! j’arrive ! et il fallait attendre dix minutes que le Jérôme arrive avec son air paumé, excuse-moi. Que pouvait-il bien faire dans ce réduit ?, bon parfois il y emmenait l’ordi portable, d’autres fois le Libé du jour pour mieux s’isoler mais pourquoi restait-il souvent longtemps hein ?, que pouvait-il fricoter ou tricoter ?. Muriel n’était pas spécialement curieuse (encore que) mais comme disait Tata-Cochon (la femme de l’oncle qui) « j’aime bien tirer l’affaire au clair » alors allons-y.

Profitant de l’absence de Jérôme parti voir un match de rugby avec son meilleur pote, Muriel entra dans le fameux réduit comme dans un sanctuaire interdit. Rien d’autre sur le dessus du bureau que l’ordinateur, elle inspecte alors les trois tiroirs : dans le premier des factures, quelques magazines de sport, des prospectus, de la pub et des photos de nos différents voyages avec quelques guides périmés, de la paperasse, des crayons non taillés, une gomme, un stylo à plume, un chiffon à poussière ; dans le second, une chemise contenant des renseignements administratifs, une autre intitulée « pour ma retraite » (tiens !) ; le troisième, le seul comportant une serrure est fermé à clé, pas de clé, d’où la perplexité de Muriel qui nous fait son petit sourire en coin, celui qui fait craquer Jérôme absent.

La clé. Où peut bien être cette foutue clé, pense-t-elle en se remémorant vite fait quelques films policiers, où est-elle cachée, rien sur la table, pas de lustre ou de lampadaire juste la petit lampe de bureau et son abat-jour verdâtre cadeau merdique du tonton, bon, faut pas que j’m’énerve , que je reste caaalmos, donc reste une solution, forcer cette putain de serrure mais comment avec quoi ? je ne sais même pas où est la caisse à outils de monsieur, c’est bien ma veine… furieuse, elle donne alors un grand coup de poing sur la façade du tiroir qui, ô miracle, s’ouvre comme par enchantement…

Surprise, étonnement : il est vide… VIDE de chez vide… elle passa la main à l’intérieur, s’assura qu’il n’y avait pas de double fond ou un truc bizarre on ne sait jamais. Alors vexée sans savoir pourquoi ni de quoi, elle balança le contenu des deux autres tiroirs dans le néant de celui-ci et le referma d’un violent coup sec… VLAN… puis vérifia qu’il était bien fermé, à clé, oui.

Non mais, faudrait pas exagérer, quand même.

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26/06/2016

SOUVENIRS DE DEMAIN

 

En référence (et hommage) à Julio Cortázar qui a écrit cette phrase dans « L’homme à l’affût » dite par Johnny Carter : ce solo-là je l’ai déjà joué demain »

 

Je me souviens :

. de la grippe sévère de Gérard D. au mois d’avril 2022 car il faisait très froid, moins 72°

. des premier pas sur Mars des marsonautes Chinois, c’était beau à la télé branchée directement dans mon cerveau

. des algues vertes en Bretagne, rouges dans la Mer Rouge, noires dans la mer Noire

. du rire coquin de ma trente-quatrième arrière-arrière-arrière petite-fille le jour de ses deux cent cinquante-quatre ans avec un grand pied-de-nez et de son bras d’horreur

. du discours du Président de la République Arnaud Montebourg lors de son investiture en 2027

. de l’explosion de la centrale nucléaire sécurisée de Flamanville, mais pas du nombre de morts par milliers contestés par le ministre de la Déflagration

. du remariage en grandes pompes de Kate III, Reine d’Angleterre avec le petit-fils de Karl Lagerfeld et Lady Gaga bis

. d’un voyage à Venise en sous-marin collectif en compagnie d’un seul japonais muet et de deux indiens aveugles

. des funérailles nationales du dernier paysan français et de son entrée au Panthéon en ruines

. de la guerre de Cent Ans en Afrique pour se débarrasser de tous les néo-coloniaux et autres envahisseurs ainsi que de l’armistice rompu en 2102

. du débarquement des plutonautes Indiens sur Pluton et de l’accueil malgré tout sympathique de la population désabusée

. de l’exécution de tous ces cardinaux fusillés pour des actes de pédophilie internationale et de la liesse de la foule

. parfaitement du dernier des 246 films de Woody Allen lors de sa rétrospective au festival de Cannes, il a été porté en triomphe, il semblait content

. de l’interminable panne de deux des 108 ascenseurs de la vingt-neuvième tour du World Trade Center haute de 1709 étages et de la panique qui s’ensuivit, du nombre de meurtres et de suicides

. de Ludivine Sagnier à cent deux ans, elle paraît plus jeune de deux siècles même sans maquillage

. que maintenant on ne lit plus Jean d’Ormesson mais toujours Jean Echenoz, ce qui me paraît juste

. de Michel Bouquet jouant « Le Roi se meurt » alors qu’il est toujours vivant

. de la marque de mon dernier hélicoptère, celui tombé en panne d’hydrogène quand j’allais acheter mon pain chez le dernier boulanger bio à 852 kilomètres

. de la réouverture des camps de concentration et le retour de la guillotine applaudi

. de fraises de sept kilos chacune, d’une vieille boîte de sardines achetée au marché noir à cause la disparition totale des poissons, de l’agneau de pré-salé des environs de Nevers et des rillettes du Mans de Tombouctou

. de la statue géante de Charlie Parker éclairant le monde avec son saxophone lumineux à la place de celle de la Liberté sur l’île de Long Island

. du zoo d’un pays inconnu où il n’y a plus d’animaux depuis la peste et le choléra en 2343

. du portrait de Nicolas 3 avec une petite moustache et le bras droit levé

. des bateaux-mouches quand il y avait encore de l’eau dans la Seine

. de l’Himalya qui a tellement rapetissé qu’on dirait le Mont-Dore qui lui est maintenant à six cents pieds sous terre.

. des jeux olympiques de 2088 où aux 100 mètres le record du numéro 85 fut validé : il était arrivé avant d’être parti, d’un saut à la perche sans perche, d’un lancer de plume à 195 mètres

. d’avoir dit : ah ! la vache ! devant des enfants qui m’ont questionné pendant des heures sur les animaux préhistoriques

. d’avoir revu Laurel et Hardy en hologramme

. de la présentation au concours Lépine d’un vélo sans cadres, sans roues, sans guidon et sans selle

. de la béatification de Valéry Giscard d’Estaing et des bagarres avec les journalistes de télévision pendant la cérémonie

. de gros chiens pataugeant dans des crottes de p’tit vieux, de poulets faisant le tapin, de loups violés par des moutons, de veaux pleurant de ne plus voir passer de trains, d’une grève des abeilles qui a mal tourné

. toujours avec ravissement du beau visage de Danielle Darrieux

. d’un certain samedi de mai qui fut le plus beau jour de ma vie…

 

…Oui, je me souviens de tout cela pour ne pas avoir en m’en rappeler plus tard, mais ça m’a soulagé de l’écrire car ma mémoire c’est malgré tout du béton.

 

© Jacques Chesnel

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16/06/2016

DANS LE SILENCE

 

Depuis quelque jours, Jérôme se sentait bizarre, on peut dire ça comme ça, bizarre égal pas bien, pas trop mal mais pas trop bien. Il n'avait vu personne de la journée à part la boulangère qui faisait la gueule comme tous les jours, pas qu'à lui non à tout le monde tout le temps. Dans l'après-midi, il décida de regarder un match de foot à la télé ; déjà le foot, pourquoi ?, voir des égos boursouflés en maillots tartignolles courir après la baballe et s'étreindre comme des tarlouses pendant des heures après avoir péniblement marqué un but et expliquer ensuite que voilà et puis heu voilà on a fait le maximum voilà le coche est content et puis voilà, cela le faisait gerber mais bon allez savoir pourquoi, il y avait bien autre chose d'aussi nul à la téloche ce dimanche après-midi là mais bon… quand arriva la plus grande peur de sa vie ; il avait coupé le son pour ne pas entendre les hurlements de trente mille abrutis et dans l'immense silence de son petit salon, une voix sépulcrale qu'il ne connaissait pas retentit "ce con a encore loupé sa passe" c'était la sienne bordel la sienne qui avait dit ce con a encore loupé sa passe, putain cela faisait un bail qu'il n'avait entendu SA VOIX sa VRAIE voix.

Depuis le départ de Muriel partie rejoindre un footballeur de renom après trente années de brouilles et réconciliations, de rabibochages et de bisbilles, de câlineries et d'insultes, se supporter, se chamailler, puis franchement se détester, il vivait seul supportant mal parfois cette solitude recherchée, pas de rapport avec ses cons de voisins, les amis partis avec ceux de Muriel, le petit chat mort le canari aussi. Donc, boulot, pas de métro, dodo, branlette hebdo et abdos pour l'hygiène et le fun, les courses le samedi matin puis la télé avec Heineken tout le ouikainde devant l'écran noir de ses nuits blanches et le cinoche une fois par mois les films de karaté et de cul. Sur le conseil d'un pote lointain qui l'avait conseillé sur sa santé au moment de l'approche de la cinquantaine, il avait passé un chèque-hold-up complet à l'hosto chéro pas remboursé alors que les affaires et les contrats se faisaient de plus en plus rares avec la crise qui n'en finissait pas surtout pour lui ; résultat des courses : non, rien, rien de rien, monsieur le patient impatient, vous avez tout bon, le cœur, les poumons, les reins, le foie, les yeux, les oreilles, le nez, la quéquette, TOUT BON, super cline, reparti pour un tour sur les chapeaux de roues, et ce con a encore loupé sa passe. Le foot c'était mieux avant, du temps de Kopa, Fontaine, Platini, Giresse et Laurent Blanc ses favoris, non seulement ils réussissaient toujours leurs passes mais ils savaient parler après les matchs pas pour dire des conneries heu hé ben voilà et puis le coche c'était quand même un entraîneur ah ! Michel Hidalgo et les équipes, Reims et St-Etienne. Quand on sonna à la porte, il ne bougea pas comme d'habitude, le téléphone c'est pas fait pour les chiens mais pour prévenir ; quand on frappa fort il pensa à un erreur, quand on tapa plus doucement il se leva pour regarder par le judas optique, il ne vit rien mais entendit qu'on grattait timidement. Il ouvrit, c'était Muriel presque à genoux et toute en pleurs avec sa petite mallette.

- Que veux-tu après tout ce temps, demanda-t-il

- Laisse-moi entrer tu veux, hoqueta-t-elle

- Si c'est pour s'engueuler, alors non

- Je t'espliquerai

Elle entra, il était perplexe.

- Voilà, j'ai quitté Robert

- Que veux-tu que ça me foute

- Je me suis aperçue que c'est un vrai connard

- Si tu le dis… moi, je le savais rien qu'à le regarder jouer

Elle s'assit devant la télé en tentant de sécher ces larmes que Jérôme trouva de crocodile.

- Tu regardes le foot toi maintenant, je croyais que

- Pas vraiment, principalement quand ya Robert

- Il ne joue plus à l'Inter de Milan, ils l'ont viré

- Je sais, c'était à prévoir vu ses résultats

- Et puis…

Jérôme s'assoit à côté d'elle sur le canapé, elle ne pleure presque plus, ils regardent un match tous les deux, la deuxième mi-temps, il remet le son, fort, dans le stade tout le monde est debout et hurle après un joueur, le brocarde, le conspue, le vilipende, le dénigre… Robert

- Ce con, il a encore loupé sa passe, dit alors une voix sépulcrale qui n'était pas la sienne.

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06/06/2016

LES DEUX AMIES

 

En tombant par un pur hasard sur cette reproduction du tableau de Gustav Klimt, Muriel pensa à ces deux voisines dont on disait que, enfin, elles avaient l’air de, on n’avait rien contre mais avouez cependant que, l’une blanche habillée toujours en noir et l’autre noire continuellement vêtue de blanc… ah ! et puis cette habitude de nous narguer sur leur balcon en fumant cigarette sur cigarette avec quelquefois un verre à la main. Muriel, bien sûr, n’était pas raciste, elle comprenait la défense des droits des femmes, avait approuvé la loi Veil autorisant légalement l’avortement, celle contre la peine de mort, mais il y avait au fond d’elle-même un vieux fond indéfinissable qui faisait qu’elle était choquée, voilà c’est dit oui choquée, certainement.

Elles faisaient la causette jusqu’à tard le soir qu’on se demandait ce qu’elles pouvaient bien se raconter et dire du mal de nous, certainement. Des fois elles avaient des mots plus hauts que les autres ou bien des rires bien sonores ou des airs de conspiratrices qui nous agaçaient. Quelques fois, on voyait un couple de personnes âgées, des parents qui passaient, certainement. Jamais de jeunes hommes de leur génération, rien que des femmes, des copines un peu fofolles ou des rombières hyper maquillées comme des tenancières de bordels anciens, certainement. Oh !, une fois seulement, un soir d’été, elles avaient parlé plus longtemps et plus fort, comme si elles se chamaillaient puis la noire s’était levée brusquement et était revenue avec de nouveaux verres pleins, certainement. Muriel avait pensé alerter la police pour tapage nocturne, mais maintenant la flicaille ne se déplace plus que pour des choses plus graves comme la nuit où on a brûlé la voiture de son gendre qui est policier, c’est pour ça, certainement.


Maintenant que les soirées sont plus fraîches, elles ont mis des parkas ou des couvertures mais elles restent sur le balcon à cause de la fumée, certainement. Hier, en plus des exclamations, rires et autres éclats de voix, on a eu droit à de la musique, enfin si on peut appeler cela de la musique, zim boum boum badaboum avec une fille qui hurlait à la mort, certainement ; on a entendu des voix crier la ferme moins fort vos gueules arrêtez elles ont continué de plus belle comme si de rien n’était, plus fort même, certainement…
Et puis l’hiver arriva, long, froid, moche, Muriel nous dit qu’elle ne voyait plus que des ombres derrière les voilages, le calme était enfin revenu sur le balcon d’en face. Rien de particulier à signaler dans le pâté de maisons et d’immeubles à part quelques chambardements, visites nocturnes de policiers suite à des plaintes pour vols ou de rares échauffourées à cause de la drogue, la routine, quoi, certainement.


Le printemps se décida enfin tardivement, Muriel avait perdu son premier mari ainsi que des proches et quelques voisines, elle s’ennuyait ferme en dehors de « Plus belle la vie » à la télé, elle parlait souvent des deux amies qu’elle ne voyait plus derrière ses rideaux tirés, certainement. Se couchant de plus en plus tôt, elle fut réveillée au début de son sommeil par des cris. Levée rapidement, elle vit deux silhouettes comme des ombres chinoises sur le balcon, sur toujours le même. Décidément, pour la reprise, ça barde sec, se dit-elle en enfilant sa robe de chambre. Le ton monta de plus en plus haut, une véritable altercation, un vrai grabuge, il y avait maintenant du monde à toutes les fenêtres, on entendit dans le vacarme une grosse voix, celle du boucher retraité hurler oh ça suffit là-bas oh quand on vit apparaître derrière les deux amies un profil masculin, oui un homme d’aspect corpulent se précipiter sur les deux femmes, les empoigner violemment et les balancer toutes les deux dans le vide de la hauteur des sept étages avec en accompagnement une clameur horrifiée venant de toutes les fenêtres. La femme noire rebondit en tombant sur une voiture avant de s’écraser sur le sol dans un splatch terrible, la blanche fut accrochée dans/par les branches d’un arbre avant de s’affaler inerte dans le bac à sable du jardin d’enfant tout proche. L’homme, vite descendu, les disposa alors avec précaution l’une à côté de l’autre puis les réunit par l’entrelacement de leurs doigts, arrangea leurs cheveux défaits, déposa un baiser sur le front de chacune et s’adressant aux curieux des fenêtres leur dit ceci : « ce n’est rien, il n’y a rien à dire, une simple dispute entre deux amies »… et il partit dans la nuit.

Ce n’était donc que cela, deux amies, un simple fait divers en somme, comme le rapporta le journal local le lendemain. Le journaliste écrivait dans son reportage que personne n’avait rien compris parmi les voisins, lui non plus d’ailleurs. Ce devait être un débutant ou un stagiaire. Certainement.

 

 

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31/05/2016

LES ANGES : SEXE, SAXE ET SAXO

 

Tous les ans, à cette période de fin de l’année et début de la suivante, Jean-François se posait et nous posait toujours la même question, celle sur le sexe des anges, question récurrente depuis son catéchisme où il était toujours bon dernier et jugé incontrôlable par le curé et les dames patronnesses car posant justement des questions dont les réponses ne lui convenaient pas, à lui, au prêtre et aux vieilles cinglées ; un peu plus tard, en sciences dites naturelles (étude du corps humain, la différence entre homme et femme) problèmes avec un prof’ peureux et complexé, puis le dessin, les arts dits beaux avec les reproductions de tableaux surtout ceux comportant des anges qu’il aimait contempler pendant des heures sans dire un seul mot, ce qui constituait une véritable performance. JF avait vu tous le tableaux consacrés à l’angélologie, notamment ceux de Fra Angelico, Giotto, Van Eyck et Roublev mais celui qui le fascinait était Trois amours dansant dans les nuages de François Boucher (1703-1770) par ailleurs auteur de Diane sortant du bain qui le laissait tout chose avec des picotements dans le bas du ventre. Il s’intéressa avec passion aux chérubins et séraphins, à la langue des anges qu’évoquait St-Paul, aux anges déchus, aux anges rebelles peints par Pieter Bruegel l’Ancien.

Il se posa des tas de questions sur leur aspect, leurs tailles de bébé de huit mois joufflus, potelés, poupards, pas d’ange maigre ni de noir ou d’autre couleur, leurs cheveux blonds et bouclés, la délicatesse de leur peau toujours immaculée, la fraîcheur de leur teint d’un rose discret, leur manque de poils sous les bras, leurs fesses dodues-charnues et, surtout leur absence de sexe, ni bosse ni creux apparants sous le voile pudique à cet endroit pour lui essentiel ; quant à leur air d’extase permanente, il s’en demandait les raisons… et ces postures un peu niaiseuses ! ; quant à Cupidon, ou plus exactement à ses représentations, il trouvait celles-ci plutôt du genre cucul-pipi-dondon dans tous les sens des termes, ce qui faisait hurler de rire Myriam tout en lui reprochant ses constantes vannes à deux balles, c’est nul, JF, c’est supernul !.

Un peu plus tard ce fut le tour des anges gardiens, après un court épisode avec Gabriel sans résultats probants. Déjà, à treize ans, il convoqua plusieurs fois son ange gardien à lui qu’il appelait Victor (prénom de son grand-père favori mort dans les tranchées à Verdun pendant une absence de son propre ange gardien parti aux toilettes ce con pendant un des plus forts bombardements, quelle idée) et deux ans plus tard y renonça définitivement devant les carences de résultats dans les moments où il en avait eu le plus besoin, notamment pour la besogne quotidienne de séduction des filles, une propension au prurit aquagénique ou aux plaques d’urticaire et de fréquentes et incontrôlables fuites urinaires aux plus mauvais moments, d’où le coït toujours interruptus… jusqu’au jour où le médeçin de famille trouva le remède que Victor n’avait même pas envisagé, c’est nul, Victor, supernul !.

De plus en plus tenaillé, tiraillé, obnubilé, tourmenté, tourneboulé par le sexe, d’abord le sien, son propre instrument de service, de ses vices et de sévices pas toujours très propre, celui des filles qu’il tentait en vain d’explorer toujours de plus en plus et, plus énigmatique, celui des anges, leur non-zizi, Jean-François s’embarquait dans une quête de plus en plus pressante dans ses recherches et préocuppations. Tout passa en revue, du sexagénaire sexologue aux sex-symbols sextuplés, du sextuor sexy aux pratiquants du sextant au fort sex-appeal… rien ne vint calmer son ardeur de recherches pointues qui se poursuivent encore. 

Aux dernière nouvelles, on vient de voir un ange passer dans le ciel avec son sexe en érection, sa porcelaine de saxe dans son sac air messe et son saxo le plus petit d’Adolphe son génial inventeur en bande doulière, voilà bien un ange d’un genre nouveau non exterminator, contrairement à celui de Luis Buñuel, ce qui va encore provoquer chez notre JF une bienfaisante sexcitation… c’est reparti… bon, alors… il recommence son énumération du sexe absent chez nos fameux blondinets… au choix : l’arbalète, le bigoudi, le boute-joie, le chibre, la coquette, le dardillon, l’épinette, le moineau, le pain-au-lait, le plantoir, le rat-sans-pattes, la ravissante, la tête chercheuse, le zigomar ou la foufoune, le berlingot, la cerise, la reluisette, le vestibule, le gardon et autres friandises (merci Colette Renard pour Les nuits d’une demoiselle)…

                … et tout ce qui s’ensuit… et tout ce qui s’enfuit.

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22/05/2016

LA MÉPRISE

 

Claude et moi sommes inséparables depuis longtemps, je crois bien que cela remonte au début de notre adolescence plutôt tapageuse, au lycée on nous appelait Castor et Pollux ou Cul et Chemise selon les affinités avec les autres élèves, on en riait. Cela avait commencé par les jeux, échecs et mots croisés, le sport avec le tennis de table et le basket, disciplines où nous nous défendions bien, un peu au-dessus de la moyenne. Puis ce fut les filles, les flirts, les confidences, les secrets, plus tard les partages consentis, aucun nuage à l’horizon de notre amitié. A tel point que nous nous sommes mariés le même jour, lui avec une ancienne fiancée, idem pour moi. Nous nous fréquentions plus ou moins régulièrement, soirées et vacances. Lors d’un voyage de nos deux épouses, seuls tous les deux, il me confia qu’au bout de quatre ans de vie commune, il avait quelquefois des aventures alors que moi j’étais toujours fidèle car profondément et désespérément amoureux, ce qui l’amusait. Nous nous recevions une fois par semaine sans compter des réceptions avec d’autres couples, ce qui arrivait de plus en plus souvent au grand dam de Patricia, mon épouse devenue un peu casanière. Lors d’une confidence, Claude m’assura que les jeunes filles se jetaient littéralement à ses pieds, qu’il ne pouvait résister et avait été obligé d’organiser ses sorties avec un planning clandestin ; il avait le démon de midi moins le quart car tout juste trentenaire et toujours aussi beau garçon genre latin lover Marcello ou blond cuivré Redford type surfeur californien, cela changeant suivant les saisons, vous voyez, résultat impressionnant ; et comme, il était trrrès intelligent, beau parleur, blagueur, alors là ! le succès assuré à tous les coups pour tous les coups.

  • Chérie, nous sommes invités chez les Margerien demain soir
  • Chic, il y aura Claude
  • Heu, oui sûrement, tu sais qu’il adore ce genre de soirée pour faire des rencontres
  • Oh, tu peux parler, c’est là qu’on s’est connus
  • Et qu’il y trouve du gibier à sa guise
  • Je t’interdis de parler comme ça, Claude est un type bien, un peu coureur certes mais très gentil
  • Tu ne vas pas me dire que maintenant tu as re…
  • Non rassure-toi, mais n’empêche, il a d’ailleurs très bon goût
  • Surtout dans le cheptel des tendres ados
  • Et dire qu’Eléonore ne s’aperçoit de rien, enfin
  • Bon, tu es prête ?
  • Presque , j’enfile un collant et j’arrive
  • Ah, tu te protèges donc
  • Mais non, idiot chéri, et contre qui, dis le moi ?
  • Attention, ya ta combinaison qui dépasse
  • Qu’il est bête, mon Dieu qu’il est bête         

Il y avait toujours beaucoup de monde et du beau aux fêtes des Margerien. Claude pensait souvent à Gatsby le Magnifique avec tout ce luxe un peu tapageur et ces invités qu’on disait mondains et profiteurs, et même les deux à la fois. Ce soir-là, anniversaire de la maîtresse de maison, on avait mis les petits plats dans les grands et les bouteilles débordaient abondamment des coupes et verres , un quintette de jazz jouait des ballades langoureuses, on entendait des petits cris, de grosses exclamations, parfois des soupirs ou des bulles de conciliabules, les messieurs rentraient leurs ventres éminents et proéminents, les dames bombaient leurs avantages plus ou moins généreusement décolletés, tout était dans l’ordre naturel des choses friquées. Nous embrassons nos intimes, saluons nos connaissances regardons le spectacle des arrivées, cherchons un visage ami, notamment celui de Claude qui…

  • Je me demande bien où il est
  • Dans un coin ou un recoin en train de draguer
  • Tu crois ?... ah ! bonjour chère amie, comment allez-vous ?
  • Penses-tu qu’il sera seul ou avec une conquête
  • Va savoir avec lui
  • Et avec sa femme alors ?
  • Il peut pousser les choses jusque-là, tu le connais bien

 Derrière une grosse dame type baleine échouée dans un fauteuil, un mobile de Calder, quelques serveurs en train de papoter en attendant un convive, quelques bimbos en pleine action de pépiement, une silhouette connue en discussion avec un jeune éphèbe d’une beauté à couper le souffle de Patricia ce qui d’ailleurs arriva quand elle découvrit en même temps que moi que les deux hommes se tenaient délicatement par la taille, qu’un sourire épanoui éclairait leurs visages… et que la silhouette reconnue mais oui était bien celle de notre ami tandis que mon épouse faillit défaillir avant que je la reprenne dans mes bras oups, que t’arrive-t-il ?

-   Va me chercher un verre, s’il te plaît, je ne me sens pas bien

- Ne t’en fais pas, il ne va pas lui rouler une pelle en public

- On ne sait jamais avec lui, tiens le voilà on dirait

 Claude nous avait aperçu avant que l’on s’éclipse et il nous fit un signe chaleureux de la main tout en arrivant vers nous avec sa nouvelle conquête en chaloupant.

  • Je ne veux pas le voir, on s’en va

Je la retins doucement et Claude fut subitement devant nous

  • Ah !, mes amis, que je suis content de vous voir, comment allez-vous, un peu pâlotte Patricia hein ?, laissez-moi vous présenter mon ami Arnaud, Patricia, Jérôme, mes chers amis dont je viens de te parler
  • Enchantés

Il a fallu ensuite se dépatouiller pour trouver une solution et sortir de cette situation, une sorte de malaise installé… quoi ? Claude devenu gay ?, dis-moi que je rêve…nous trouvâmes donc un prétexte qu’on dit toujours futile et dont je n’ai pas souvenance pour nous débiner lâchement en laissant notre Claude abasourdi, dépité, je n’ose écrire la queue entre les jambes...

 Comme il fallait s’y attendre, le lendemain soir Claude nous appela au téléphone, répondeur en fonction oblige.

  • Allo, vous êtes partis bien trop vite, amigos, je n’ai pas pu vous expliquer, je crois qu’il y a une méprise de votre part concernant Arnaud, ce n’est pas du tout ce que vous croyez, c’était juste heu une façon de pouvoir par ce biais de séduction rencontrer sa femme que je guigne depuis un certain temps et que, vous me comprenez, je ne savais pas comment faire autrement, alors oui bon, il m’a en quelque sorte servi d’appât, de go-between, c’était seulement un moyen et je crois enfin j’espère que ça va marcher, voilà, c’est tout, je voulais vous le dire parce que allo, allo, vous êtes là ? allo... et merdeu !

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12/05/2016

REVOLVER

 

 

( à Hugo, mon fils )

 

La première fois que j'ai tenu un revolver dans la main c'était pour faire comme Richard Widmark dans Les forbans de la nuit de Jules Dassin, j'avais trouvé l'objet lourd, peu maniable et surtout froid, l'armurier avait eu l'air plus sidéré qu'étonné et moi plutôt con je le reconnais. A cette époque, je portais un trench-coat comme celui d'Albert Camus, un chapeau comme ceux de Jean-Pierre Melville, je prenais des airs à la François Périer ou à la Robert Mitchum, je lisais Dashiell Hammett, Raymond Chandler et tous les livres de la série noire de Marcel Duhamel, il ne me manquait plus que le pétard. Je l'avais bien planqué à la maison et le regardais tous les matins tous les soirs avec fascination, c'était donc ça un revolver, un Colt Detective Special d'occasion mais en parfait état de marche avec les balles prêt à tirer. Il y a avait plein de personnes à dézinguer, la liste était tellement longue que je ne savais pas par qui commencer en premier, ah! si, Pierre peut-être qui m'avait fauché Séverine mon premier amour mais néanmoins salope donc elle en deuxième place et puis...

La deuxième fois que j'ai tenu mon revolver c'était pour m'exercer au tir dans un champ sur des boites des conserves pendant qu'on était en train de me piquer ma mob que si j'avais vu le gars il aurait été ma première cible vivante pan! touché! crevé! ; j'avais détalé vite fait quand des chasseurs alertés s'étaient ramenés avec leurs flingues, j'avais pas osé tirer ils étaient trop nombreux et je n'avais plus assez de balles car les conserves avaient tout pris, le lendemain c'est un chien fou un pointer qui s'est pointé, comme il bougeait tout le temps je n'ai pas pu l'aligner, un sacré coup de pied et le clébard s'est barré en hurlant ; au cinoche, je voyais toujours tous les polars qui sortaient j'avais bien aimé Touchez pas au grisbi et Razzia sur la chnouf et j'étais tombé amoureux de Jeanne Moreau et de Magali Noël, je caressais toujours mon feu en pensant à elles et à des tas de poupées starlettes plus tard les psychiatres ont dit des tas de choses là-dessus que j'ai rien compris en parlant de substitution c'est ça non ? mais j'avais pas envie de les tuer le Ventura lui il chômait pas…

La troisième fois que j'ai tenu mon revolver le coup est parti tout seul j'ai à peine appuyé et le convoyeur est tombé tandis que Mimile gueulait j'avais dit de pas tirer bordel de merde faut qu'on s'casse maintenant connaaard que j'étais resté comme une andouille je voulais pas je voulais pas que les cognes m'ont cueilli debout près du mec à terre je voulais pas je voulais pas et que j'en ai pris pour quinze ans avec remise de peine il y avait un doute sur le tireur car on était plusieurs au braquage que je voulais pas… En sortant de tôle, j'ai acheté le même revolver parce que dans mon quartier tout le monde était armé jusqu'aux dents et même plus loin, j'allais toujours voir des polars, surtout ceux de Michael Mann, de James Gray, de Martin Scorcese, des fois je ne savais même plus où j'avais planqué l'engin c'est dire, j'étais toujours amoureux de la Moreau mais il n'y avait pas de nouveau Lino et les cinéastes français continuaient à se regarder le nombril au lieu de faire du cinéma, j'avais de nouvelles marottes, la musique baroque parfois un peu Purcell et surtout le hard rock, j'écoutais les vieux Van Halen ou les Scorpions, j'admirais AC/DC et Aerosmith, j'aimais cette pêche là, l'ambiance survoltée… quand un jour au boulot sur un chantier au moment de la pause un jeune mec m'a dit en souriant :

- alors l'ancien, toujours dans ta bulle hardeuse à mort ?... faut écouter autre chose pépère, un peu plus de délicatesse, demain j't'apporte du nouveau pour ton lecteur mp3

Dans le casque, ce fut comme un choc mais doux, quelque chose de mélodique, de chaleureux, d'inhabituel à mes oreilles habituées à la dure, je fus d'emblée emballé

- c'est qui ?

- les Beatles, un groupe d'angliches au top dans les années 60

- c'est un de leurs disque ?

- oui, REVOLVER.

 

 

12:17 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (2)

29/04/2016

QUAND ON…

 

. Quand on a commencé, j’ai pensé à la fin

. Quand on m’a accusé, j’ai accusé le coup

. Quand on m’a tapé, j’ai dit je m’en tape et me suis tout de suite retapé

. Quand on m’a aperçu, je n’avais rien vu venir

. Quand on m’a regardé, j’y ai regardé de plus près

. Quand on m’a énervé, j’ai perdu mon calme

. Quand on m’a enlacé, je me suis délacé

. Quand on m’a embrassé, je me suis embrasé

. Quand je me suis embrasé, j’ai mis le feu tout partout

. Quand on m’a fait tomber, j’ai tombé la veste

. Quand j’ai tombé la veste, j’ai tout laissé tomber avec

. Quand on m’a relevé, j’ai relevé mes empreintes, on ne sait jamais

. Quand on m’a senti, j’ai demandé qu’on m’hume

. Quand on m’a dit je t’hume, j’ai commencé à aimer un peu plus

. Quand on m’a ligoté, je me suis emberlificoté

. Quand on m’a déligoté, j’ai dégotté un Bourgogne aligoté de première

. Quand on m’a montré une loupe, j’ai tout loupé

. Quand on m’a vendu un timbre, je suis devenu timbré

. Quand on m’a dit oui, c’est par ouï-dire

. Quand on m’a dit non, ce fut un non-sens

. Quand on m’a traité de râleur, je suis resté sans voix

. Quand on m’a indiqué la mauvaise route, j’ai su de suite que c’était la bonne

. Quand on m’a dit on part pour Canton (Guangzhou), j’étais tout content mais ce n’était pas le canton d’à côté

 

 

                       QUAND ON… (2)            

 

. Quand on m’a mis à l’ombre, j’en ai pris ombrage

. Quand on m’a mis sur le gril, j’étais déjà sur des charbons ardents

. Quand on m’a dit que Mathilde était revenue, alors j’ai crié Aline pour qu’elle revienne

. Quand on m’a dit Pierre est petit, j’ai pensé à Pierre le Grand

. Quand on m’a mis des œufs dans le même panier, j’ai oublié ensuite d’y mettre la main

. Quand on m’a traité d’âne, je n’ai pas osé braire

. Quand on m’a traité d’incompétent, j’ai tout de suite lâché un gaz puant puis j’ai pété les plombs

. Quand on m’a parlé d’une perle rare, j’en ai desserré une vite fait

. Quand on m’a accordé une bourse sans coup férir, j’ai fait rire tout le monde sur le coût sans rien délier

. Quand on m’a répondu du tac au tac, j’ai cru à un tic, alors j’ai rétorqué c’est du toc

. Quand on m’a vu franchir le Rubicon, j’ai fait des efforts pour ne pas rougir

. Quand on m’a dit tu ressembles à Fernandel, j’ai henni sans être honni

. Quand on m’a dit de ne plus penser à Fernande, ce fut aussitôt la débandade

. Quand on m’a dit regarde la baie, j’en suis resté bouche bée

. Quand on m’a dit karcher, j’ai pensé aussitôt à Thatcher et j’ai eu un malaise

. Quand on m’a suggéré de fumer du hasch, j’ai dit chiche

. Quand on m’a ri au nez, j’étais content de ne pas avoir de barbe

 

 

                       QUAND ON… (3)

 

. Quand on m’a dit va voir le film de Carné « Le jour se lève », c’était à la tombée de la nuit

. Quand on m’a dit n’avoir rien compris à « Mulholland Drive », j’étais furieux parce que moi non plus aussi

. Quand on m’a dit on va faire une échographie j’ai entendu une certaine résonance

. Quand on m’a dit c’est votre dernière ligne droite, je n’ai pas osé courir entre les lignes

. Quand on m’a dit tu as le cœur au bord des lèvres, je suis resté bouche cousue

. Quand on m’a dit on va labourer, j’ai répondu que j’étais contre les tournantes

. Quand on m’a dit cette fille te sourit j’ai voulu sortir de mon trou

. Quand on m’a annoncé la nouvelle j’ai cru que c’était la dernière

. Quand on m’a dit c’est la curée, j’ai pensé aux pauvres bonnes sœurs

. Quand on m’a dit de lire entre les lignes j’ai tout de suite compris que c’était plus simple

. Quand on m’a dit tu sais, ce type a un charme fou, j’ai aussitôt pensé aux serpents

. Quand on m’a dit attention aux serpents, je n’ai pas vu ceux qui sifflent sur nos têtes ou qui se réchauffent en nos seins

. Quand on m’a demandé si je connaissais bien Andromaque, j’ai dit que c’était dans mes racines

. Quand on m’a dit que tout cela est vain, j’ai repris un autre verre de Bordeaux en pensant à Gilberto

.Quand on m’a demandé si c’est bientôt fini, j’ai répondu qu’il fallait bien terminer.

 

© Jacques Chesnel

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22/04/2016

SI VOUS VOULEZ

                              

Il avait vraiment l’air d’un con et nous l’a tout de suite prouvé, si vous voulez. Il avait une mine de papier ordinaire, de papier mâché, si vous voulez. Parfois il produisait une sorte de hoquet de loqueteux, du genre blleeerc-broukccc, si vous voulez. Impossible pour lui de dire plus de trois mots sans ajouter si vous voulez, si vous voulez. Alors on a joué nous aussi et on a rétorqué si vous voulez à tout bout de chant de paroles, si vous voulez. Il a enchainé que c’était la raison pour laquelle, si vous voulez, ce à quoi nous avons répondu qu’il avait raison, si vous voulez quel que soit le sujet, si vous voulez. Il n’a rien voulu savoir d’autre, si vous voulez et on a continué à alimenter un peu la conversation, si vous voulez. Cela commençait à tourner en rond, si vous voulez quand on lui a demandé s’il était d’accord, si vous voulez. Décontenancé, il a encore trébuché sur les mots, si vous voulez, il a perdu pied, si vous voulez, on a vu une lueur d’inquiétude dans ses yeux, si vous voulez, on était sur le point de gagner, si vous voulez.

Paul a commencé à rire un peu jaune, si vous voulez, ce qui déclencha l’hilarité générale, si vous voulez, et c’est la raison pour laquelle on s’est senti plus forts, si vous voulez. Il a vu le piège, si vous voulez, il a compris qu’il n’allait pas s’en sortir comme ça, si vous voulez. On lui a proposé de s’assoir et de prendre un café, si vous voulez, je veux bien dit-il, si vous voulez. Et on a repris tout à zéro, si vous voulez, d’accord mais pas trop longtemps, si vous voulez, parce qu’il avait encore plein de choses à faire, si vous voulez, et que le temps lui était compté, si vous voulez. On ne va pas s’éterniser dans cette voie-là, si vous voulez, c’est la raison pour laquelle on va changer de conversation, si vous voulez. Il a recommencé à paniquer quand Paul lui rappela que le sujet n’était pas là, si vous voulez, mais plutôt dans la façon de s’exprimer, si vous voulez.

Jean-Michel n’avait encore rien dit, si vous voulez, mais on se doutait bien qu’il y avait des trépignements dans ses méninges qu’on savait susceptibles, si vous voulez. On attendait que ça pète, si vous voulez, on craignait l’esclandre ou la turpitude, si vous voulez, bref, on subodorait le pire, si vous voulez, allez savoir quand et comment, si vous voulez. Serait-il enfin sauvé par le gong avant de sortir de ses gonds, si vous voulez

Et puis Lucie entra dans la pièce, si vous voulez, on a senti comme un trouble général, si vous voulez et c’est la raison pour laquelle on n’aborda pas tout de suite la suite, si vous voulez, on était désarçonnés et lui encore plus, vraiment tétanisé, si vous voulez, comme si cela n’avait été pas prévu au programme, si vous voulez. Salut, les garçons, dit-elle, ça va-t’y comme vous voulez, hein ?. Elle avait toujours eu le chic pour détendre l’atmosphère, si vous voulez, notre hôte poussa une sorte de hennissement/braiement curieux (encore, je vous fais grâce), si vous voulez, puis ensuite en resta coi comme deux ronds de flan si vous voulez et c’est la raison pour laquelle on termina aussitôt notre si sérieuse et intéressante conversation que vous avez suivie avec l’attention qu’elle mérite, si vous voulez…car il commençait à nous emmerder sérieusement avec tous ces si vous voulez qu’on ne savait plus très bien comment s’en sortir… si vous voulez… parce que vous, vous le voulez bien et que vous le valez bien aussi. Alors, soit !                

 

 

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15/04/2016

QUI SE SOUVIENT…

 

         Arts & Lettres

 

. Qui se souvient de Maurice Baquet et de son violoncelle Cérébos

.  de Marguerite Moréno dans « La folle de Chaillot »… et de son auteur, Jean Giraudoux

. Qui se souvient de Pierre Renoir, de Simone Simon, de Léonce Corne, de Suzanne Dehelly, de Pierre Trabaud, d’Henri Guisol, de Marcel Génin, de René Lefèvre, du Crime de M. Lange, de la belle Florelle

. des mois d’avril, des billets doux, de François Billetdoux et de Nicole Avril

. Qui se souvient d’Alec Siniavine, de Léo Chauliac, du pianiste d’Yves Montand dont je ne me souviens plus du nom… ah ! si : Bob Castella, je crois

. de Maria Casares dans « Les enfants du Paradis », de Louis Salou et de Lucien Coëdel

. Qui se souvient des clowns Footit et Chocolat (moi, avec mon grand-père Victor devant son poste à galènes), de Jacques Pills, de Ring Lardner, de Délia Garcès dans « El » de Luis Buñuel

. de Jane Sourza et de Raymond Souplex, de Gabriello et de sa fille Suzanne, de

. Qui se souvient de Roger Vitrac et de « Hector ou les enfants au pouvoir », de Roger Blin dans « En attendant Godot », d’Emile Ajar, de François de Roubaix, de Térésa Stratas dans la « Lulu » d’Alban Berg mise en scène de Chéreau

. Qui se souvient de « La loi » de Roger Vailland

. de Pierre Blanchar, d’Harry Baur, de Jean Servais, de Palau, de Madeleine Robinson et de Madeleine Sologne, de Marcel Lévêque et de la neige qui tombe à gros flacons

. Qui se souvient de « Pattes blanches » de Jean Grémillon et du rôle de Michel Bouquet

.  du grand orchestre du trompettiste Don Ellis au festival de jazz de Juan-les-Pins

. Qui se souvient de Marie Bizet, de Rina Ketty, d’Elyane Celys et d’André Claveau

. de Garcimore et de sa souris Tac-Tac décontrastée

. Qui se souvient d’avoir pleuré à la mort de Cora dans « Le dernier des Mohicans »

.  de Jean-Roger Caussimon acteur et chanteur

. Qui se souvient avoir entendu le glin glin de Roland Magdane la première fois à la radio

. Qui se souvient de Colette Darfeuil dans « L’escalier sans fin » avec Pierre Fresnay en 1943

. du rire crispé d’Alerme, de celui frémissant de Suzanne Flon, de Robert Destain dans « Les belles bacchantes »,   de Louis Arbessier dans « Quoat-Quoat » pièce de Jacques Audiberti

. Qui se souvient de Pierre Mingand, de Pierre Dudan, de René-Louis Lafforgue

.  de Damia, de Fréhel, de Lys Gauty, de Catherine Sauvage la superbe…

. Qui se souvient de Pierre Brasseur dans « Le partage de Midi » et d’Alain Cuny dans « Tête d’or », pièces de Paul Claudel, de la première de « Rabelais » par la compagnie Renaud-Barrault à l’Elysée-Montmartre en 1968

. de Lucien Raimbourg (cousin de Bourvil) dans « L’irrésistible ascension d’Arturo Ui » de Bertold Brecht, mise en scène de Roger Planchon au TNP

. Qui se souvient d’avoir été ému par « Dalva », personnage principal du livre éponyme de Jim Harrison

. de Robert Lamoureux, de « Papa, Maman, la bonne et moi »

. Qui se souvient d’avoir lu « Cronopes et fameux » et de « Nous l’aimions tant, Glenda » de Julio Cortázar

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08/04/2016

ALLOTROPIES ?

 

Nous avions constaté qu’il était unique dans sa façon de traiter ses affaires en qualité d’homme de ; aussi fûmes-nous surpris en apprenant qu’il était perdu quand son épouse avait mis ses affaires dans un autre placard.

Il jouait et gagnait souvent aux courses connaissant parfaitement les chevaux, par contre il était complètement perdu quand son épouse l’envoyait faire ses courses à la supérette, « t’es plus dans la course, chéri ».

Franc de nature, il allait toujours droit au but dans les discussions ; joueur de foot amateur, il avait souvent du mal à se diriger vers les buts.

En veillant au grain sous une petite pluie, il s’aperçut qu’il en avait vraiment un.

Il ne salua pas le bon entendeur

On lui reprochait quelquefois de ne pas en faire une rame ; par contre, aux avirons il était imbattable.

Quand elle voyait ses pattes d’oie dans son miroir, elle se félicitait de ne pas marcher au pas.

Il ne voulait jamais lâcher prise jusqu’au jour où il mit malencontreusement les doigts dedans.

C’est en voulant remplacer une ardoise qu’il prit la plus belle tuile de sa vie.

Dans un cabaret chic, au moment où il demanda la note, le violoniste en fit une fausse.

Lu dans son quotidien favori en trempant son sucre dans son café qu’il y avait un problème avec certains canards.

Il faisait toujours un tabac lorsqu’il cherchait sa blague.

C’est en lavant des vêtements de couleur qu’elle devint blanche comme un linge.

En gravissant cette côte, il ne put s’empêcher de se tenir aux siennes.

A la fin du premier acte, il comprit déjà la pièce dont il prit acte.

Il n’osait jamais ramener sa fraise pendant la cueillette.

Rester en plan en tirant sur la comète.

Prendre la peine pour ne pas rester au bout.

 

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03/04/2016

JAZZ À ANTIBES

 

                                                           

… ce soir là, il y avait au programme un organiste assez connu en trio avec un guitariste et un batteur, nous étions venus pour le guitariste qui n’était autre que George Benson pensez donc… dès le début, ça démarre mal avec l’orgue, Jack McDuff, car c’était lui, se penche à gauche, au milieu et à droite de son instrument, semble vouloir s’arrêter de jouer un instant pendant que Benson prend un solo, se retourne, voit et entend les difficultés de son compère, temporise en distribuant quelques notes en riffs qui font cot cot cot cot pendant que l’organiste disparaît totalement derrière sa machine pendant une bonne minute et toujours cot cot cot… alors un homme se lève parmi la foule des spectateurs et crie : il cherche l’œuf … c’était mon copain le peintre Jean Berthier… l’assistance hurle de rire et d’applaudir…

… je me souviens également de l’énorme bronca lorsque un présentateur annonça la chanteuse Sarah Vaughan en juillet 1963 : et voici Sarah Vos gants… elle en porte pas répliqua-t-on… mieux encore, toujours à Antibes, nous allions prolonger le festival dans un club qui recevait des musiciens… une nuit débarque une troupe de travestis venant du Pam-Pam d’en face après leur spectacle… les « filles » étaient vraiment splendides tout en décolleté jusqu’au nombril et minijupe aussi… à ne pas en croire les yeux… et l’un(e) de ces créatures entreprend alors de séduire (avec forces démonstrations, battements de cils géants, tiraillements de jupe ras le bonbon, remise en place de seins plus que généreux, ventilation de l’entrejambe avec un prospectus) un de nos plus célèbres musiciens européens qui mit longtemps à se défaire de cette tentative de drague tous ses copains daubant sur cette histoire… tu as un sacré ticket, mec… on sort de la boîte, il est cinq heures Antibes s’éveille, il fait déjà jour et soleil, on n’est pas pressé de rentrer dormir, on discute tandis que nos compagnes regardent les devantures des boutiques alors que s’approchent vers nous et nous reconnaissent deux des plus fameux musiciens de l’orchestre de Duke Ellington, Johnny Hodges casquette éponge vert pomme et Russell Procope la même en violet que nous avions interviewé la veille après la balance du concert hey men how are you doin'… euh dites vous savez où on pourrait trouver des putes nous demandent-ils, ben non nous pas d’ici du côté de la gare peut-être, haha vous ne pourriez pas voir avec les deux là… mais ce sont nos femmes… oh sorry, so sorry… revus le lendemain, ils n’arrêtaient pas de s’excuser… 

….avec mon copain Michel, nous allons à l’aéroport de Nice dans nos décapotables rouges chercher deux musiciens amis, et pas n’importe lesquels, Muddy Waters et Gato Barbieri qui nous attendent dans le hall, Muddy réclame sa bouteille de cognac à Mike et Gato me demande si je pouvais lui trouver some coke man je suis mort, désolé, mais je ne sais pas, le photographe Pierre Lapijover qu’on appelait Lapijobleue qui le mitraillait intervint moi je sais dit-il, part en courant et revient… brandissant avec fierté une bouteille de coca-cola… j’ai cru que Gato allait mourir… de rire ainsi que sa femme Michele…et moi aussi… Gato qu’on avait invité une autre fois ailleurs à jouer au foot avec nous équipe de journalistes contre équipe de musiciens, il avait enlevé ses lunettes de myope, galopait dans tous les sens, Gato hop à toi le ballon arrivait sur sa droite et notre Chat dribblait… sur la gauche…

et encore, voilà Siné en 68 : on s’était retrouvé, nous les journalistes, au cocktail de presse au Château de La Brague (qu’on appelait de la Braguette évidemment) pour un buffet somptueux avec le maire, le gratin antibois et la plupart des musiciens programmés. Le soir, concert de Pharoah Sanders. Le coin dévolu à la presse, sur le côté gauche de la Pinède derrière le plus imposant des pins d’icelle, ne permettait pas aux accrédités de bien voir toute la scène ; alors à l’entracte, Siné me propose de venir s’installer avec lui au premier rang et en plein milieu d’icelui ; nous voilà donc installés confortablement, les jambes bien allongés quand la deuxième partie annoncée (la prestation exceptionnelle du Pharaon), le maire d’Antibes arrive et veut reprendre sa place.

Dialogue entre Siné et monsieur Delmas :

- je vous demande pardon, Monsieur, mais vous êtes assis à ma place

- je vous demande pardon, Monsieur, mais je suis assis à ma place

- je regrette cette place est la mienne

- je regrette aussi car cette place est bien la mienne

- non, cette place est celle du maire d’Antibes et je suis le maire

- non, car le maire d’Antibes, c’est moi

- vous plaisantez

- je ne plaisante pas

- dans ce cas je vais être obligé d’appeler le service de sécurité

- ce n’est pas la peine car je vais le faire moi-même

et Siné de se lever et d’appeler haut et fort les CRS qui, dois-je le rappeler étaient fort nombreux

- messieurs, il y a quelqu’un qui veut prendre ma place de maire

 moi, j’étais dans mes petits souliers et ne pipait mot car je ne savais pas comment cela pouvait évoluer; quelques CRS arrivent et monsieur Delmas leur explique… et nous nous levons et partons dans un grand éclat de rire, et c’est ainsi que cette histoire se termine… il y en tellement d’autres…

 

©  Jacques Chesnel

15:59 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (0)