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20/08/2013

UN CHANGEMENT

 

 

Le grand type avait changé, incontestablement, et pourtant il semblait toujours le même, il ME semblait toujours pareil, comme la première fois que je l’avais vu dans ce jardin d’enfant où il retournait souvent, où cette fois il n’y avait pas encore d’enfants, pas de cris, personne. Il marchait d’un pas irrégulier, à l’amble comme certains chevaux, il déambulait seul dans sa bulle sans but précis apparemment, à l’aveugle. Je l’ai suivi un moment avant qu’il se dirige subitement vers un des nombreux arbres de ce lieu et qu’il s’arrête devant un gros chêne dont il prit le tronc à bras le corps dans un geste théâtral, qu’il étreignit soudain comme le corps d’une femme, avec vigueur mais aussi précaution, posant sa tête sur l’écorce dans une attitude de soumission à son contact. Jérôme avait entendu à la radio le jardinier en chef du château de Versailles dire qu’il fallait parler aux plantes et aux arbres et là il était vraiment surpris de voir le grand type le faire devant lui. Il n’osait s’approcher, il voyait de loin ses lèvres remuer, il en était sûr, il parlait à l’arbre ; que pouvait-il, que voulait-il lui dire ?.

 On s’était moqué du Prince de Galles, le Charles Windsor aux grands oreilles quand il avait déclaré à la presse qu’il entretenait des relations particulières avec ses plantes en devisant souvent avec elles, qu’il attendait et entendait leurs réponses ; c’était aussi la théorie du psychologue expérimental allemand Gustav Theodor Fechner et de quelques autres personnes qu’on trouvait, comment dit-on, un peu bizarres, fêlées du ciboulot, non ?

Mais la question que se posait Jérôme de plus en plus curieux était ce changement qu’il ne savait expliquer. Le grand type lui semblait toujours identique à celui qu’il avait connu penché dans ce même jardin, en position oblique et pourtant… J’ai eu l’impression un moment que le chêne répondait aux embrassements du grand type, comme un frémissement/frissonnement dans les feuilles ou était-ce simplement un léger coup de vent, que le tronc s’épanouissait grâce à son enlacement, que se dégageait quelque chose d’indéfinissable dans cet accouplement insolite. Y avait-il un rapport avec le yoga dont il était professeur, un lien ésotérique entre cette pratique issue de la philosophie indienne, cette méditation/médiation entre le corps et l’esprit, ici entre l’humain et le végétal, était-ce cela ce changement que percevait intuitivement Jérôme ou n’était-ce qu’une simple illusion, une vue de l’esprit comme on dit trop rapidement, trop simplement.

Cela dura quelques minutes. Le grand type se détacha comme à regret du tronc, m’aperçut, vint lentement vers moi, me regarda longuement et sans un mot me prit dans ses bras me transmettant ainsi directement une énergie tellurique venant de la grande nuit des temps que l’arbre lui avait insufflé.

C’est au moment où les enfants entrèrent dans ce jardin en criant que soudain Jérôme se mit à pleurer… tandis que le grand type s’éloignait rapidement.


© Jacques Chesnel

 

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14/08/2013

JOUR D’ENNUI

 

 

Il y a des jours comme celui-là où je m’ennuie à mourir et je me demande si la mort ce n’est pas le maximum de l’ennui sauf qu’aujourd’hui je serais plutôt du côté des allez au pif soixante pour cent voire un chouia plus, ya encore de la marge, n’empêche. Et le pire, il me semble qu’il n’y a aucune raison apparente, d’ailleurs c’est toujours apparent voilà le problème, tout baigne donc, Muriel est revenue plus belle que jamais à croire que ses escapades lointaines mais bon, pas de factures, aucune dette, les parents vont bien, seul le cousin Charles, mon infortuné parrain fortuné, a des problèmes avec sa vésicule biliaire ou autre chose de plus grave dont personne ne parle mais lui fait comme si et je trouve qu’il a raison, la Volvo ronronne aussi fort que notre matou  qui va moins vite et le soleil fait comme dans la chanson d’hier, il brille brille brille, ce qui fait que je ne m’ennuie pas, je m’emmerde, j’ai beau essayer tous les trucs connus ou inconnus, j’ai coupé du bois déjà coupé , repeins la porte du garage qui n’en avait pas besoin, j’ai lu un tas de bouquins dont L’ennui de Moravia qui n’est pas si ennuyeux que ça, je me suis promené avec Anna Karina en criant comme elle que je ne savais pas quoi faire moyennant quoi je me suis engueulé avec Bébel, j’ai pissé dans un violon, regardé mon pouce plutôt que la lune, baillé à m’en décrocher les corneilles, branlé trois fois de suite dans les chiottes sans prendre aucun plaisir, trituré des plans sur la commère, paradé devant le taureau du voisin espérant que mais rien, pensé à la mort de Louis 16 qu’est clamsé couic le jour de mon anniversaire ce con, crié Jérôme 120 fois de suite à m’égosiller l’égo, j’ai traversé la rame sans la Manche, prié tous les saints seins dessins et  desseins à travers et à tort Totor, j’ai écouté tous mes CD (15) de signé Furax (là j’ai ri, faut quand même pas pousser), imaginé que je devenais transsexuelle, que je lisais Le Figaro (là j’ai pris un coup de sang) et La Croix (je roulais une pelle à François une fois seulement car), j’ai pété plus haut que la sous-ventrière de location, rameuté et affolé le village en criant Vive Poutou, Besancenot au poteau, Branlon-Lagarde à Matignon, sauté à pieds joints dans la fosse nasale à purin du fermier voisin qui vote FN, fait la course avec une tortue qu’est arrivée avant moi, monté au clocher pour me faire une sueur froide, taillé la haie qui n’existe plus depuis toujours, relu le blog de Popol Eden pour m’exciter un peu avec les annotations oh ! merci Popol, démoli le caisson de décompression, sauté de la marche avec entrain, rembobiné toutes les bobines débobinées et débibonées (sacré boulot), attaqué l’Everest sur la couverture endommagée de Géo, arrosé les plantes arrosées la veille (Jérôôôôme !!!), battu tous les sentiers du conformisme des cons (énorme boulot), refait l’histoire en sens inverse, essayé de sortir de mes gonds avec des gants, fait un bouclier de mon cor sans corps à corps,  pouffé sur tous le poufs de la maison …

… et quand j’en ai eu bien marre, je me suis mis à lire les Nouvelles de Julio Cortázar. Je peux vous assurer que là j’avais trouvé le bon remède à mon ennui subitement totalement disparu.

-       Jérôme, tu savais que Julio aurait eu cent ans l’année prochaine.

Muriel est au courant de tout, comme dans la famille Branlon-Lagarde. Comme quoi.


©  Jacques Chesnel

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10/08/2013

OBLIQUES

 

Le grand type restait penché, en avant, bizarrement, sans bouger, comme ces automates dans les jardins publics pour attirer les enfants et les curieux. Je l’observais, le vent faisait trembler un peu le bas du manteau de cette silhouette immobile, je m’approchais doucement et lui demandais si ça allait, s’il y avait un problème, il me regarda en souriant et me répondit : « je penche donc je suis ». Nous partîmes tous le deux d’un franc éclat de rire, libérateur pour moi qui avait eu un court instant une pincée d’inquiétude, un peu goguenard en ce qui le concerne. C’est un truc qui me réussit quand je me pose des questions, me dit-il, je n’ai rien trouvé de mieux, de plus rassurant en ce qui me concerne, j’évacue, je me libère dans cette position, la seule qui jusque-là me réussit. Je pense comme je fuis également, ajouta-t-il, pour me débarrasser rapidement de mes soucis, de mes problèmes de mes emmerdes. Je n’osais lui en demander plus quand il me dit essayez, vous verrez peut-être qu’à vous aussi. Il devait avoir dans les trente trente-cinq ans et ressemblait à Romain Duris dans L’écume des jours, le film de Michel Gondry que je venais de voir il y a peu, coïncidence, sa barbe était seulement un peu plus fournie, son sourire toutefois aussi ironique, ses yeux également malicieux. Il restait toujours penché pendant ce début de conversation et me répondait d’une voix grave détonant avec ce sourire ou ce rictus, je ne savais plus quoi en penser. Allez faites un effort penchez-vous là encore un peu voilà. J’avais le sentiment de devenir un peu idiot en obéissant à son injonction mais je me suis tout de même penché comme lui en regardant autour de moi pour voir si… Ce mec se fout de moi et comme un con voilà que j’obéis, Jérôme que t’arrive-t-il ?. Je dois vous dire, continua-t-il, que si les grands philosophes avaient pensé à se mettre plus souvent dans cette position au cours de leurs recherches et réflexions, je suis certain que la face du monde aurait changée ; et je m’imaginais alors Socrate, Aristote, Spinoza, Descartes, Bergson et Derrida (tiens pourquoi ceux-là, vous les voyez, vous ?) dans cette posture, cette attitude plutôt étrange en ce lieu, ce petit jardin public rempli des jeux et des cris de ces enfants qui semblaient ne rien voir de ces deux messieurs penchés, un peu ballots, pénétrés de l’esprit de tous ces grands penseurs à l’allure niaise et vraiment bizarre dans leurs penchants. Bon je sens que la plaisanterie ne va pas encore durer longtemps mais je ne me redressai toujours pas, lui non plus, quand Muriel à qui j’avais donné rendez-vous là s’approcha de nous et nous aborda en ces termes : « Eh bien les garçons qu’est-ce qui vous arrive ?, vous vous prenez pour la tour de Pise en double ? ». Chut, argumenta Romain Duris ne nous troublez pas, je vous prie, c’est en train de venir, n’est-ce pas Jérôme. Imaginez ma surprise, ainsi Muriel connaissait ce quidam qu’elle retrouvait en ma compagnie. « Je te présente Rodolphe, mon génial prof de yoga et de tai chi dont je t’avais parlé, dit-elle avec son sourire craquant, je constate avec étonnement que vous avez fait connaissance sans moi ». Nous quittâmes alors notre position oblique et une fois redressés, Rodolphe révéla comme une évidence : « Le principal, lors de cet exercice, est bien de ne pas tomber du côté où l’on se penche et où on se pense, n’est-ce pas Jérôme ». Autour de nous, les enfants criaient de plus en plus fort.

© Jacques Chesnel

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29/07/2013

LETTRES PROMISES

 

Quand Jérôme annonça à Muriel qu’il se mettait à écrire, elle lui répondit en souriant : super, comme ça tu vas pouvoir m’adresser les lettres que tu m’as promises il y a si longtemps. Depuis son licenciement récent, il s’était trouvé une sorte de passion pour son vieil ordinateur et son traitement de texte qu’il appelait souvent sa thérapeutique de sexe en compensation des fois. Il avait aussi farfouillé sur le net et découvert l’existence des blogs, ce qui l’avait littéralement scotché. Il y en avait vraiment de toutes sortes et pour tous les goûts à ne savoir quoi en penser en tant que pensums avec ces délires, affabulations, démonstrations, exaltations, excitations, confusions, aberrations, fureurs, parti pris et prises de partis, pamphlets, fanatisme, intolérances, satires… à vous donner le tournis… et Muriel qui intervient : « arrête Jérôme, tu vas encore te faire du mal avec toutes ces conneries ! , tu vas t’énerver pour rien comme d’habitude». Et puis, la découverte qui le laissa ébahi, éberlué et plus encore : les blogs littéraires, quelques-uns plus littéraires que les autres ou à connotations idoines dont il fit un jour l’énumération sans doute partielle mais en fonction de ses choix à une Muriel sidérée et si prompte à s’emballer rapido : le clavier cannibale, l’autofictif, le tourne-à-gauche avec les superbes photos de Dominique Hasselmann, les confidences de la délicieuse Clopine Trouillefou, La République des Livres de Pierre Assouline (ses textes et les centaines de commentaires sur ou hors sujet), Terre de Femmes, Blandine Longre (pour la poésie), celui de Jean-Pierre Longre (Notes et Chroniques), les panissières ou une autre façon de conter l’histoire, papiers d’arpèges et helenablue… le plus comique étant celui d’un ancien chroniqueur du mensuel La Virgule signant Pierre-Yves Jarrette dit PYJ ou Quislapète, blog consacré presque exclusivement aux écrivains d’un autre temps, d’une autre époque avec ressassement évident de vieux clichés, affichant son dédain et son mépris de/pour la littérature d’aujourd’hui (il n’est de bon écrivain que mort), engoncé/pétrifié dans ses certitudes, délivrant quelquefois avec condescendance ses appréciations et surtout ses rejets et bannissements, soutenu par une douzaine de commentateurs dont un fidèle Christian, constant et ponctuel, avec toujours une opinion dans le sens du poil de PYG, ses commentaires (comment taire ?) dit thyrambiques d’une écriture qui se regarde écrire, parfois pathos grand et diloquant, prêchi-prêcha, bla bla bla… Jérôme était intervenu plusieurs fois et s’était fait rabrouer tout autant et avait donc abandonné la lecture épisodique de ce magasin d’antiquités sentant fortement le formol et la vieille dentelle aux odeurs de moisi.

Maintenant, il était tenaillé par l’écriture, par le fort désir de s’exprimer et pour commencer se demandait s’il n’allait pas se mettre à rédiger toues les lettres promises à Muriel et qu’elle attend impatiemment depuis si longtemps…

Ma chérie,

Aujourd’hui, je t’adresse cette première lettre sur mon nouveau blog pour te dire  que…

© Jacques Chesnel

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09/07/2013

JE NE MANQUE PAS D’AIRS

 

A vrai dire, je ne sais pas tellement où j’en suis question musiques et ce depuis le début de l’année, peut-être parce que je n’ai pas rencontré de grands emballements à part le premier CD de PING MACHINE Des trucs pareils et le dernier JARRETT/PEACOCK /DeJOHNETTE Somewhere. J’ai envie de revenir aux fondamentaux, oh entendons-nous bien, pas de retour vers les débuts du Jazz, le blues, le gospel, le New, le Swing, les grands orchestres, ces styles que je respecte infiniment mais qui sont d’un passé révolu dont je garde néanmoins un souvenir ému… non, plutôt vers ce qui a déclenché véritablement mon engouement et mon adhésion totale à la sortie de l’adolescence, le bebop, le cool, le Jazz West Coast, le hard-bop, la bossa-nova, Django, les quintettes de Miles, les débuts du jazz-rock, Wayne Shorter… Je ne sais plus tellement où j’en suis avec ces nouvelles musiques improvisées proches ou éloignées du Jazz que j’écoute avec intérêt certes mais qui n’arrivent pas à me contenter totalement.

Par contre, ce dont je suis absolument certain, c’est mon gout de plus en plus prononcé pour la mélodie, le chant et, pour employer un terme emprunté à la musique classique, un AIR, mot que mon dictionnaire définit ainsi : suite de sons musicaux formant une mélodie et donne comme exemple : « je me souviens des paroles de cette chanson, mais j’ai oublié l’air ». Eh bien, moi, tous ces airs sont profondément ancrés dans ma mémoire à un tel niveau qu’il n’est plus besoin de mettre les disques ou alors rarement pour pallier un manque, une faute d’attention.

Longtemps, nous nous sommes endormis Muriel et moi ‘Round Midnight puis réveillés le dimanche matin avec My foolish heart que je chantais  fortissimo ce qui nous redonnait des forces pour recommencer nos galipettes, le nombre de fois où j’ai fredonné ces Nuages envahissants, murmuré The shadow of your smile en contemplant le visage adoré,  je psalmodiais Birdland en compagnie de Jaco Pastorius, je vocalisais Fly me to the moon aux côtés de Frankie Sinatra accompagnés par l’orchestre de Count Basie, je braillais et pétais en même temps que Screamin’ Jay Hawkins un Constipation blues bienfaisant, j’ai épuisé toute ma réserve personnelle de larmes avec Sarah Vaughan et Misty, Slim Gaillard et Slam Stewart et bibi fricoteur avons fait le cot-cot-cot de Chicken rhythm, je me suis surpris à bredouiller The creator has a master plan avec Pharoah Sanders et jodler en duo avec l’ébouriffant Leon Thomas connu à Montreux ainsi que le cornemuseux Rufus Harley, son Bagpipe blues et The cutting edge du grand Sonny qui m’avait littéralement sonné, avoir ressenti de grands frissons à l’écoute de Mimi Perrin (A ballad) que j’essayais d’assister en vain, susurrer I love in vain à Dame Anita O’Day… oui j’ai tout cela et tant tant d’autres (oui, par centaines) enracinés dans un grand coin de ma mémoire… ce qui fait dire parfois à Muriel « tu sais, Jérôme, je vais finir par croire que tu as un drôle d’air avec tous ces airs sans en avoir l’air, j’espère bien que tu ne vas pas me le pomper, à la fin, hein ?».


©  Jacques Chesnel

 

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02/07/2013

INATTENDU ENTENDU

 

On s’est tous fait insulter ou injurier un jour ou l’autre du moins je suppose, moi le premier et je me souviens comme si c’était hier ou demain de mon premier imbécile, c’était le soir du bac après une méga teuf on est parti dans les champs et les fourrés à côté du lycée, on s’est jeté dans les meules de foin, on entendait d’abord des rires, puis des soupirs, puis une grand claque que j’ai pris en pleine poire avec imbécile en prime parce que j’avais entrepris de soulever la robe de ma conquête trop tôt à son gout ou à son attente ou en raison de mon impatience, de ma fébrilité, de mon désir d’attirer à mes fins sans passer par la case préliminaires, ce que beaucoup d’entre nous ignoraient à cette époque en l’absence d’éducation sexuelle. Auparavant j’avais eu ma dose de toutes ces petites injures sympathiques comme andouille, taré, trouduc, plouc, pédé, raclure, abruti, débile, minable, pignouf, crétin, duconnot et autres gracieusetés dont je vous fais grâce. J’ai eu droit à mon premier salaud de la part d’un pote à qui j’avais chipé sa copine qui m’avait dragué et à laquelle je n’avais pas pu et su résister, je me souviens comme si c’était il y a un instant de mon premier connard venant de la part d’une grosse Mercedes qui n’acceptait pas d’avoir été doublée par ma petite MG décapotée dans laquelle trônait une Muriel resplendissante qui se vengea par un bras d’honneur vigoureusement bien dressé tu l’as vu celui-là ?, j’ai encore en mémoire la prononciation de ce « connard » suprême, la façon d’appuyer et de faire durer la seconde partie du mot, un p’tit con bref suivi d’un naaaard traineux et méprisant de la part d’un type rougeaud gonflé d’orgueil et puant de bêtise. J’ai souvenance aussi d’insultes à  caractère sexuel, petite bite, casse-couilles, trépané des burettes, grosse conasse, augmentés de vieille merde ou jeune fiente et autres délicatesses qui firent florès au fil du temps mais quand un soir j’évoquais ces mots doux devant mon grand-père en visite, il s’exclama ah ! de mon temps j’ai moi-même pratiqué faquin, malotru, polisson, gredin ou fripon ça avait une autre allure, non ?.

Le lendemain en sortant dans la rue j’ai failli renverser un cycliste en traversant la rue, il s’écria alors : tu peux pas faire attention espèce de « sacripant »… J’ai eu l’impression de prendre soudainement un coup de vieux.

©  Jacques Chesnel

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24/06/2013

LE NUAGE ROUGE

 

-       Sept heures vingt-neuf, le temps

Le radio-réveil vient de s’allumer sur France-Inter et c’est la voix de Patrick Cohen qui prononce ces mots en ce jour de premier mai 2023. Chouette, Joël Collado annonce du beau temps sur tout l’hexagone et, en général, ce météorologue ne se trompe pas. Tant mieux parce qu’aujourd’hui une balade est prévue de bon matin pour se dégourdir un peu les gambettes. Vite, une douche, on se fringue rapido, le petit dèj’ à donf et hop c’est parti. Dans l’ascenseur le bonjour aux voisins qui font la gueule comme dab’, sourires crispés crispant et enfin libre. Collado a raison, le ciel est d’un bleu… à part ce gros nuage rouge tout seul dans l’azur, tiens ce n’était pas prévu mais personne ne semble le remarquer, personne la tête en l’air, personne le doigt levé vers le ciel, personne non plus pour regarder le doigt, tout le monde vaque ou va vaquer à ces occupations et moi courir bien que du coup je reste sur place, que se passe-t-il ?. Personne autour de moi n’a l’air affolé surtout pas ma petite voisine qui court tout le temps même quand elle n’est pas pressée et qui me dit un bonjour déjà essoufflé, je lui montre le nuage, elle hausse les épaules et s’enfuit en riant. Je mets une main devant mes yeux en alternance, est-ce une illusion d’optique, le début d’une maladie, un mirage, un reflet, un phénomène météorologique que Collado n’aurait pas prévu et vu de moi seul, un signe, une prémonition, un avertissement, ce n’est pas Jacques Kessler qui m’aurait fait ce coup-là. Hier soir, je suis allé sur la chaîne météo par précaution, le petit bonhomme perpétuellement agité n’a rien envisagé de tel, il a fait tous ses gestes convenus, repoussé les vents, évacué les tempêtes, attiré le soleil, annoncé les températures qui seront clémentes pour la saison, alors j’ai foncé chez Louis Bodin avec son sourire chauve qui a fait des pronostics identiques, alors ? Je fonce au centre de soins le plus proche, demande à voir le médecin de garde qui me raccompagne rassurant et moi pas rassuré car en sortant le nuage est toujours là, seule la forme informe n’est pas changée et le rouge toujours aussi rouge flamboyant, je cours, je cours toujours de plus en plus vite à perdre haleine et la laine, je fonce dans le tas et le vide, j’essaie d’échapper à ce gros nuage qui me court après, je décide de changer de parcours et entreprend de rentrer chez moi à toute blinde en changeant d’allure, épuisé mais curieusement de moins en moins inquiet car je viens de prendre une décision, oui, nuage ou pas, rouge ou pas, je m’en fous royalement, il n’y a pas d’explication, bon, de toutes façons je me suis toujours foutu de toute explication et merde je hais les explications, j'ai toujours préféré les mystères et c’est pas demain la veille que… et s’il était encore là, demain ?

 

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16/06/2013

LE SURSAUT D’UNE SURSITAIRE

 

Muriel pensait à tort ou à raison que cette brouille n’était pas une broutille et qu’il n’y avait pas que de l’herbe à brouter.

Jérôme, quant à lui, pensait à raison ou à tort que cela ressemblait à une déroute et se demandait vers quelles routes on allait se diriger, l’autoroute étant saturée.

Pris dans une sorte de piège, Muriel et Jérôme ne savent plus comment s’en sortir, comment quitter ce marasme dont ils ont marre, ils ne savent plus où et comment se tourner, se retourner ou se détourner. Pas question de compter sur les parents ou la famille, l’incompréhension est totale, le rejet de tout compromis définitif, aucune échappatoire possible « on n’a jamais vu cela dans une famille comme la nôtrepas de ça chez nous… ils n’ont qu’a faire des enfants… cela se règle sur l’oreiller». Même des amis proches comme le couple Julien / Myriam qui avait connu pareille mésaventure ne savent quoi dire ou quoi faire, les recours semblaient inutiles, les secours impossibles (médecin, psy, religion), seul, bien seul, Jérôme restait impassible alors que lentement Muriel dérivait vers des contrées inconnues d’elle-même et de tous.

Et puis tout à coup, rapidement, tout a basculé, du mauvais côté : Muriel  a refusé d’abord de manger, elle a perdu en un mois plus de vingt kilos, elle a tondu ses cheveux qu’elle avait d’abord colorés de toutes les couleurs absentes de l’arc-en-ciel, les changements de fringue continus, ensuite elle ne voulait plus voir personne ni sortir de la chambre dont elle avait chassé Jérôme, puis du jour au lendemain elle se mit à dévorer tout ce qu’elle pouvait trouver, elle reprit son poids initial qu’elle augmenta de vingt kilos, d’anorexique elle devint boulimique, de Muriel elle passa à Twiggy puis de Twiggy à Gossip en quelques semaines, puis ce fut la parole ininterrompue, le flot, la déclamation, les proclamations, les cris, les hurlements, les vociférations interminables éructées au cours de déambulations sans fin, et brusquement changement d’attitude et de cap, Muriel sort et ne rentre pas, reste plusieurs jours introuvable, fugue, escapade, disparition, mauvaises rencontres, toutes ces hypothèses font frémir d’inquiétude un Jérôme aux abois…

…quand un matin Muriel rentre, l’air abattu, le regard vide, et sans un mot se jette sur son lit… Jérôme reprend alors espoir, follement, est-ce un sursaut ?... peut-on attendre un nouveau départ ?, comme les autres fois ?


©  Jacques Chesnel

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05/06/2013

NEVER LET ME GO

 

Tout le monde le sait, enfin presque, j’adore les ballades, ces chansons tirées des comédies musicales américaines des années 20/30 à Broadway et interprétées par les plus grands musiciens de jazz le plus souvent avec bonheur ; je connais les mélodies ainsi que les paroles, je les sifflote souvent, les chantent faux sous la douche et prends mon pied à chaque fois. Muriel ricane dans son coin, elle m’appelle alors son petit Tony car elle adore Antony Dominick Benedetto autrement dit Tony Bennett et ça me flatte même si c’est une vanne et s’en est une. Je connais également quelques interprètes (principalement féminines) de ces chansons avec la bouche en cul de poule ou en fesse de canard ou en forme de trou du cul- qui-pète autrement dit troufignon dénaturant ainsi autant la mélodie que les lyrics qu’elles rendent comiques à cause de l’excès, du surpoids de guimauve. Quelques hommes également qui en rajoutent dans la déclamation ou la pleurnicherie, les moins ridicules n’étant pas les crooners Bing Crosby, Dean Martin, Perry Como ou le plus légendaire d’entre eux : Frederick Austerlitz plus connu sous le nom de Fred Astaire.

Jérôme pensait à tout cela, se remémorant également cette ballade Never Let Me Go, superbe ballade de Ray Evans & Jay Livingstone souvent interprétée et dont il connaissait plusieurs versions, notamment celle du trio de Keith Jarrett et de Bill Evans en piano solo qu’il préférait nettement. Lui revenaient aussi les diverses déclarations entendues suite à son dernier accrochage, la dernière escarmouche avec Muriel :

-       Ça aurait pu être pire

-       Je ne le vous fais pas dire

-       On dirait qu’ils se complaisent à se faire mal

-       Et comment tout cela va se terminer pasque hein

Tout cela venant de membres de la famille autant que d’amis proches ou plutôt de ce qu’il en restait suite à la débandade. Il se souvenait également qu’après la dispute, les trépignements et les pleurs, Muriel l’avait longuement regardé, questionné, fouillé, scruté, exploré, cherchant une réponse dans ses yeux et lui avait alors murmuré : ne me laisse pas partir, never let me go, retiens-moi, Jérôme, j’ai l’impression de couler, ne me lâche pas, je t’en prie, never let me go… tandis que Bill Evans égrenait les dernières notes de cette mélodie qu’il avait su si bien sublimer… comme dans le disque où le pianiste dialogue avec le chanteur Antony Dominick Benedetto plus connu sous le nom de Tony Bennett que Muriel aime tant.

 

© Jacques Chesnel

 

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24/05/2013

FAUT QU’ON PARLE

 

Il se fait tard

Dans leur salon, Muriel et Jérôme écoutent en boucle I want to talk about you par John Coltrane dans la version « Live at Birdland ». Muriel se lève et arrête l’audition du disque juste avant le solo de McCoy Tyner :

-  Faut qu’on parle

C’était bien la petite phrase que Jérôme redoutait le plus d’entendre et il fallait que Muriel la dise aujourd’hui alors que tout semblait aller, semblait oui, seulement voilà faut qu’on parle. La journée avait plutôt bien commencé, elle semblait être dans de bonnes dispositions avec ce sourire au réveil qui le faisait craquer pendant toute la journée faut qu’on parle. Jérôme craignait le pire, une nouvelle fois comme les autres, s’étourdir de mots réels, s’estourbir de maux imaginés, avait-elle choisi ce disque intentionnellement, cette question avec ce faut qu’on parle qui commençait déjà à le gonfler sérieusement, qu’on parle de quoi de qui de tout de rien, nouvelle parlote, bavardage verbeux, verbiage incessant, baratin insipide, logorrhée interminable, bagout fadasse…

Cette fois, Muriel est surprenante, calme, enfoncée/lovée dans son fauteuil favori, elle commence, pas un mot plus haut que l’autre, la voix posée, un débit fluide et contrôlé, la prononciation parfaite, le discours structuré contrairement à son habitude, elle regarde Jérôme comme si c’était la première fois ou bien la dernière ou entre les deux, il s’attend au pire car cela a l’air d’être très sérieux ce qui lui met le moral et le mot râle plus bas que les chaussettes… et tout cela, au bout du conte, pour s’entendre dire… qu’on n’avait plus rien à se dire…

Tu parles !

Hé, vous n’allez tout de même pas la contredire… tiens, et si on remettait le Coltrane au début I want to talk…

© Jacques Chesnel

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20/05/2013

MARIE LÀ-HAUT

 

Cela fait déjà un moment qu’elle est là, que je l’aperçois dès le lever du store de ma chambre, jusqu’au dernier coup d’œil avant de le rabaisser au moment du coucher. Je la vois aussi subséquemment au cours de la journée quand je mate dehors pour voir le mauvais temps qu’il fait. Tiens, le temps justement ne lui fait pas peur qu’il vente, qu’il pleuve ou qu’il fasse beau, seule sa position change un peu, on dirait qu’elle tourne un peu sur elle-même avant de reprendre une position qu’on dirait normale. Au début, j’étais intrigué par toute cette ferraille, cet emprisonnement dans ces tubes de fer de treillis et de longerons dans cette longue flèche en porte-à-faux reliée par un câble à la tour où son nom apparaissait, resplendissant : MARIE  dans un petit panneau avec les lettres majuscules peintes d’un beau bleu à quelques mètres de hauteur, l’équivalent de 12 étages d’immeuble à vue de nez à une distance d’environ 30 mètres au pif face à l’immeuble érigé devant le mien. Elle avait dû arriver quand je n’étais pas là, elle avait dû apparaitre en quelques jours sans prévenir mais combien de temps allait-elle rester perchée là-haut… Réponse : le temps des travaux de construction de ces nouveaux logements car vous avez compris que MARIE est une grue de chantier. Grande fut ma déconfiture lorsque j’appris par les ouvriers que la grue n’avait pas de prénom pas CE prénom, c’était seulement le nom de l’entrepreneur pour se faire de la pub, marquer son territoire, Monsieur Marie, patron de la « Société de Construction Roméo Marie et Fils », que j’ai rencontré sur le tas tard, je lui pose alors la question sur le quiproquo, ç’aurait pu être le prénom de votre femme, non ?, non, ricana-t-il, elle se prénomme Juliette.

-  Vous aussi, hein, vous avez fantasmé sur Marie, comme tout le monde dans l’coin, me dit, goguenard, le gros rubicond très con qui en réalité se prénomme Edmond, si vous saviez, même mes ouvriers, alors je les laisse dire

Ce matin, on est en train de démonter Marie ; je commençais à m’y habituer… malgré Juliette… comme les autres dans le quartier, sans doute.


© Jacques Chesnel, déçu

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16/05/2013

IL SUFIT PARFOIS D’UN RIEN

 

Dans la rue, un matin

.Jérôme et Muriel se croisent, ils échangent un regard, quelques pas et Jérôme se retourne, Muriel ne se retourne pas

. Muriel et Jérôme se croisent, ils échangent un regard, quelques pas et Muriel se retourne, Jérôme ne se retourne pas

. Jérôme et Muriel se croisent, quelques pas, ils ne se retournent pas et continuent leur chemin

. Muriel et Jérôme se croisent, ils ne se regardent pas, font quelques pas et ils se retournent tous les deux en même temps puis courent l'un vers l'autre : leur histoire d’amour vient de commencer

Comme quoi il suffit parfois d’un rien.


© Jacques Chesnel, retourné

21:15 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (2)

13/05/2013

LES ACCOUTUMANCES DISPARATES

 

Muriel avait un peu appréhendé, le séjour chez une personne âgée ne serait-ce que sa tante Ginette avec ses 77 balais de printemps pouvait lui poser problèmes, conflit de générations dit-on, même provisoire même pour quinze jours. Elle avait accepté son invitation car elle avait gardé une bonne impression lorsqu’elle l’avait rencontrée la dernière fois lors d’un enterrement d’une cousine, elles avaient bien rigolé pendant les remerciements t’as vu la bonne femme là-bas avec son galurin de traviole, cette grenouille qui trempe son cul dans le bénitier et s‘envoie notre curé et celui-là avec son air bonasse qui mate les enfants de chœur en aube, si tu savais ma pauv’ petite tout ce monde de pervers et de faux-culs tu sais la Yolande qu’est dans l’trou c’était une sacrée rapide pour faire la fête et maintenant c’est râpé ici mais elle va leur en faire voir là-haut hihihi, un vrai souk pire que celui de Marrak-lèche elle avait une de ces pêches la tata Ginou… voilà des signes qui ne trompaient pas, mais toute une semaine…

Tenez voilà par exemple le déroulement d’une journée à la mode 24 heures du Mans dans le petit appart’ de la tantina biarrote : elle, lever à sept heures, moi onze, elle déjà pimpante, moi la tête dans l’cul, elle petit dèj’ copieux avec céréales, moi un caoua pas plus, elle les courses à fond la caisse chez les petits commerçants du quartier moi suivre en maugréant, elle déjeuner à midi alors que moi pas faim, elle bouffe bio régime crétois moi McDo merdo, elle sieste obligatoire moi désœuvrée à part la télé, elle reçoit ses copines pour bavarder et jouer à la canasta moi cherche bouquins rien que des études et essais philosophiques peu de romans, elle cinq heures rituel du thé vert sans sucre moi un Coca-cola, elle oh quelle horreur comment tu peux boire ça, elle les infos sur FR3 moi sur M6 dans ma piaule, elle à sept heures elle hurle à table moi j’ai pas fini de digérer, elle bon on se fait un film moi je préfère les variétoches débiles, elle ah Danielle Darrieux moi oh Jean Dujardin, elle déjà 10 heures hop au lit moi je sors à peine des limbes et du reste je vous fais grâce de la suite…

Quelquefois, Ginette se mettait à marmonner du genre : bon, c’est pas tout ça, on ne panique pas et on ne nique pas non plus car question bagatelle et autres cabrioles ben calme plat depuis la mort de ton oncle Albert, médecin de son vivant, malgré les réminiscences qui me chatouillent encore parfois et parfois je me retiens de enfin comme dit mon copain de lycée Jean-Pierre Marielle que j’adore, ya pas intérêt à m’faire chier ; d’autre fois, Suzanne veut que j’écrive un blog mais tu me vois raconter toutes mes conneries à des inconnus ou bien Yvette m’a dit que le petit Sarko veut refaire surface comme si il en avait pas assez avec sa chanteuse à texte et à phone ou encore ce matin ya le commis boucher qui m’a fait du gringue il doit être myope ou pervers ce jeune con, il faut que j’écrive à la météo parce que là ce n’est plus possib’ oh tu baisses le son de cette radio déjà que je supporte pas le rapt en anglais mais tante Ginette c’est Orelsan c'est en presque français j’men tape Albert aimait beaucoup André Verchuren un as de l’accordéon ainsi que la chanteuse Georgette Plana qu’est morte moi j’me pâmais à Georges Guétary qui chantait la main sur le cœur et la main leste et puis c’est pas maintenant qu’on va me faire changer mes accoutumances disparates pas à mon âge quand même, c’est quoi tata ton jargon toutes ces coutmances, ah je préfère ça aux habitudes différentes cela me démarque des copines bêcheuses le p’tit doigt en l’air, dis, on n’a pas sonné à la grille du portillon ?, tu jettes un œil…

  • Jérôme ! te voilà enfin, c’est pas trop tôt enfin, t’as fait bonne route ? t’as une petite mine, j’ai préparé du bouillon…

© Jacques Chesnel, arrivé



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03/05/2013

CHET BAKER SUR UNE AIRE D’AUTOROUTE

 

Le temps était superbe, soleil voilé, une petite brise par la glace légèrement baissée en plus de la clim’. Jérôme était parti de bonne heure ce matin-là pour rejoindre Muriel en séjour chez sa tante Ginette (de la branche Branlon) à Biarritz (la branche Lagarde se trouvant à Menton avec tonton Georges). Pas trop de monde, pas trop de cinglés à fond les manettes se prenant pour Senna, pas de doublettes en queues de poisson, quelques gros trucks vrombissant avec des inscriptions fluo sur le pare-brise « Juan », « Miguel », « Maurice », lesquels en débardeur dans la cabine et matant des pornos tout en conduisant. Jérôme, on le sait, n’était pas spécialement fou de bagnole, mais cette petite dernière décapotable et décapotée lui plaisait beaucoup, il n’en était pas peu fier. Bon, cela faisait trois heures maintenant que Jérôme roulait sur cette autoroute, il était temps de faire une pause ; ce fut d’abord un arrêt-pipi et bière sans alcool à l’aire dite L’Estalot avant la traversée de Bordeaux qu’il savait compliquée à cause du trafic. Reparti, il fouilla dans la boite à gants à la recherche d’un CD et trouva son préféré celui dans lequel Chet Baker chante Every time we say goodbye I die a little qu’il fredonna de concert, roulant décontracté et souriant au souvenir de sa dernière nuit plutôt hot avec Muriel qu’il allait bientôt revoir et zou ; il appuie sur la touche « repeat »…

Chet chante toujours tandis que Jérôme décide de faire un nouveau break pour se détendre et entre sur une aire de la N 10 où est stationnée une seule voiture immatriculée GB. Une dame sort des toilettes en se tenant le ventre et en riant, dit quelques mots à son compagnon qui  s’esclaffe quand elle lui raconte sa mésaventure que Jérôme entend discrètement : en se baissant sur le WC à la turque, elle a craqué l’élastique de sa culotte qu’elle est en train de perdre. Il leur adresse un sourire gêné, ils lui répondent par un geste complice quand, soudain, une voiture vint se garer à côté de celle de Jérôme, un décapotable décapotée conduite par une ravissante jeune femme semblant s’échapper comme par miracle d’une nouvelle de Francis Scott Fiztgerald et qui écoutait Chet Baker chanter When I fall il love it will be forever, les deux chants se superposant ainsi. La coïncidence est troublante et fait penser à une séquence insolite, surprenante qui pourrait se trouver dans un film de Pedro Almodovar ou un mélo hollywoodien de Douglas Sirk, d’autant que la voiture est de la même marque que la sienne, une Austin mais d’un modèle plus ancien avec le volant à droite. Pendant que le british couple s’éloigne en leur faisant un signe d’adieu, les deux portières se frôlent lorsque Jérôme et la conductrice sortent conjointement de leurs autos ; ils se sourient puis éclatent de rire, se présentent Jérôme, Marjorie, et vous allez où comme cela ? à Biarritz retrouver ma compagne, et vous ? à Dax rejoindre mon mari médecin à un congrès de thalasso, pendant que Chet, infatigable, continue de chanter ses tristes histoires d’amour entremêlées, Every time we say goodbye I fall in love and I die a little forever…

Et pendant tout le temps que Jérôme et Marjorie devisèrent gaiement tout en flirtant sur leurs voyages respectifs, s’élevèrent enfin dans les airs la sonorité délicate et fragile de la trompette de Chet Baker ainsi que ses somptueuses envolées lyriques sur cette aire d’autoroute presque déserte.

© Jacques Chesnel, enchanté

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27/04/2013

NICÉPHORE RUTABAGA, Grand Couturier

 

Lorsque Jérôme prit connaissance du nom du grand couturier par l’intermédiaire des copines de Muriel, il voulut en savoir un peu plus…

Né à Buenos-Aires, fils unique de Luis-Miguel Ortega de Castro y Rutabaga et Iciar Martinez, il eut une enfance d’abord studieuse, puis se dispersa à son adolescence lorsqu’il découvrit le cinéma, le tango, le jazz et surtout la littérature grâce à son père diplomate et ami de Julio Cortazar, Jorge-Luis Borges et d’Adolfo Bioy Casares. Il se mit à tout lire, tout écouter de Carlos Gardel au free jazz surtout Archie Shepp, tout voir de Buñuel et Welles à Godard et Bergman, ah ! Harriett Henderson. Quand sa famille s’exila à Paris, il continua sa « dissipation » comme disait Luis-Miguel sous le tendre regard d'Iciar qui se mit alors à fréquenter les défilés des collections des grands couturiers de l’époque avec une préférence pour Balenciaga, le catalan génial. C’est à ce moment que Nicéphore (prénom attribué en hommage à Niepce dont son père admirateur avait honoré la mémoire à l’ambassade de France à B-A) fut surtout littéralement emballé quand il vit à la cinémathèque le film de Jacques Becker « Falbalas » avec Raymond Rouleau et la craquante Micheline Presles, choc absolu : décision irrémédiable, il allait être créateur de mode ; à cette annonce, sa mère s’évanouit et remercia le seigneur d’avoir exaucé un vœu secret, le papa haussant les épaules il ne manquait plus que cela coño de mierda, (l’équivalent en français de bordel de merde) d’ici qu’il nous tourne inverti.

Dans une chambre de bonne, Nicéphore commença à dessiner comme un fou puis se mit à assembler tous les morceaux de tissu qu’il pouvait trouver/glaner, et les disposant/assemblant sur d’imposants croquis, il devenait comme fou de travail cependant encouragé par Iciar littéralement bluffée ; elle se mit à en parler à des amies dont l’une lui trouva un stage chez le jeune Hubert de Givenchy, une autre chez Pierre Cardin où là il sut qu’il pourrait devenir quelqu’un dans le milieu jusqu’à sa rencontre avec le basque génial Cristobal Balenciaga deux ans avant que le  Maître se retire, fatigué. Cristobal fut impressionné par les combinaisons de formes et couleurs proposées par ce Nico, il ne pouvait pas prononcer son prénom, Nico, c’est bien, Nico c’est mieux, Nico guapo Nico tonto, disait-il affectueusement tou vas être oune grande si tou continoues comme ça hombre !. Nico décide alors de créer sa propre maison, ce qui lui fut facilité par les « connaissances » influentes de ses parents ; il s’installe rue St-Honoré, recrute et au bout de deux ans le succès est foudroyant, créant des jalousies dans ce petit monde fermé. Il n’en a cure car, comme on dit, Paris est maintenant à ses pieds et il chausse du 47.

Jérôme, de plus en plus curieux, apprit que Nicéphore était un grand séducteur amateur de femmes contrairement à beaucoup de ses confrères, ses conquêtes parmi les petites mains du cousu main  et clientes huppées pépées connues du grand monde furent innombrables alors que, sur le tard, Luis-Miguel, devenu coquin, découvrait de plus en plus de charmes aux assistants qu’il trouvait si mignons, provoquant quelques petits scandales vite étouffés mais n’échappant pas aux ragots qui faillirent nuire à la réputation désormais internationale de la maison. C’est en allant récupérer le papa Luis-Miguel en compagnie de travelos brésiliens dans une boite gay mal famée que Nicéphore rencontra deux ravissantes fliquettes, les fameuses Ava et Eva dont il tomba immédiatement raide dingue et qui devinrent par la suite ses modèles préférés, des mannequins vedettes connues mondialement, devenues des copines à Jérôme entre temps, comme quoi…

Si cette histoire vous semble un peu tirée par les cheveux sur  la soupe, demandez donc à Muriel Branlon-Lagarde, rien que pour voir… ou bien allez au prochain défilé du Nico mon coco, on en parle déjà comme le grand événement de cette année, pensez à réserver vos places, il y aura du monde,  rien que pour voir... ou être vu.

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