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12/05/2014

PALINODIES

 

 Il s'était toujours posé beaucoup de questions, toujours et toujours les mêmes, dès qu'il avait commencé à parler et ses parents trouvaient qu'il avait le don de poser celles auxquelles ils n'avaient pas envie de répondre, pas du tout, sur eux, la nourriture, l'école, les filles, le sexe, Dieu, la guerre, la musique, surtout la musique quand il avait commencé à chanter et ses parents à déchanter parce que ça commence à bien faire et qu'on n'a pas les réponses à tout voilà Jérôme c'est comme ça. Il avait donc entrepris de répondre tout seul aux questions qu 'il posait à lui-même, en trouvant rapidement la réponse à quelques questions épineuses, Dieu par exemple ou les filles, rapidement expédiées, surtout les filles et les problèmes qui vont avec du genre tu veux ou tu veux pas. Par contre, goûts, penchants, appétences et autres entichements furent rapidement exprimés.

Mais depuis quelque temps, les choses sont en train de changer, imperceptiblement ou brutalement avec plein d'indices révélateurs. On passe rapidement sur les goûts culinaires depuis la tendre (pas si tendre) enfance, les oignons et surtout les poireaux, putain les poireaux foutus légumes favoris des deux grands-mères, puis, ado, l'attrait pour les filles brunes et popotelées, le peu d'entrain-train pour les sports à part le basket pour la main au panier, on passe on passe, la rigolade pendant les retransmissions d'opéra à la télé en noir et blanc (le Trouvère, lalala le trou vert hihihi mort de rire avec mon pote Alain), les fringues à la zazou, à la hippie, à la con (surtout), le cinéma et les films ringards (le plus ringards possible, la meilleur occase pour s'occuper des nénettes puis des nanas), la lecture des romans policiers bas de gamme, on passe on passe, et une découverte en forme de clarinette et de saxo soprano : Sidney Bechet, ce qui allait complètement bouleverser la vie de Jérôme avant qu'il fasse connaissance de la fille des voisins Branlon-Lagarde, la voluptueuse tueuse, la fameuse Muriel. Tout pouvait basculer très vite sans prévenir, changer du tout au tout, renier ce qu'on a aimé la veille, rire pour rien, pleurer pareil, dauber sans cesse, dénigrer, rabrouer, faire son mariolle ou détruire sa réputation si on en avait une qu'elle soit bonne ou mauvaise peu importait dans la posture ou l'imposture au choix, envoyer balader tout en ballade sans ou avec emballement, attirer le chaland dans l'indolence, bazarder les bizarreries, enfin… quand apparut Muriel tout a basculé, au début avec de l'intérêt pour la nouveauté, puis le désarroi devant le répondant, son assurance altière voire hautaine impressionnante, l'attente haletante devant son air altier, affecté, apprêté, âpre mais nom de dieu d'bordel de merde tellement craquant, tellement tellement que Jérôme était prêt à tout, à confier son âme au diable auquel il ne croyait pas pour l 'instant pas plus qu'à dieu sans majuscule quitte à y croire de nouveau aussitôt dans la seconde qui suit s'il le fallait, il allait tout lâcher, la famille, les copains, le boulot, la firme, le fric, la dope, la bière, les bagnoles, les voyages, oui TOUT en majuscule quand elle lui dit entre deux effets de ses cheveux d'or et quelques battements de cils d'un noir profond supplémentaires :

- Jérôme, et si avant d'aller au cinéma comme prévu, on allait d'abord directement au lit, non ?… et le cinoche après ?.

Interloqué, il ne put que répondre par : heu, ben, oui, pourquoi pas.

Au pieu, contrairement à son habitude, il fut plutôt piteux avec un résultat calamiteux… ce qui n'empêcha pas leur histoire d'amououour de débuter… et de durer jusqu'à ce jour... soit de la catastrophe au triomphe, du désastre à la victoire et puis l'apothéose...

Comme quoi.

Quoi ?

 

© Jacques Chesnel

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04/05/2014

LE PALAIS DE LA RATATINE

 

 

Putain c’est pas vrai l’ascenseur est encore en panne trois fois dans le mois soit trois fois 208 marches soit 6240 pour trente jours ouvrables et encore en aller simple je vous dis pas en AR ça commence à faire si bien qu’à chaque fois que je prends cette cage à lapin qui pue le parfum bon marché et la soupe à je sais pas quoi je me demande si cette fois-là je vais pas rester coincé alors maintenant j’emporte mon portable où j’ai rentré le numéro du dépanneur qui arrivera en blouse blanche de préparateur en pharmacie avec quatre heures de retard alors tous les petits vieux et même les grands râlent sur les paliers je vous dis pas… alors là c’est le seul moment où il y a un peu de bruit dans l’immeuble sinon on se croirait à la morgue bon c’est vrai que c’est bien insonorisé quand il y en a tellement qui se plaignent d’entendre le monsieur d’à-côté péter fort toute la nuit et la voisine du dessus glousser au porno de Canal+ quand c’est pas un grand moustachu qui écoute du Bill Evans Peace piece toute la sainte journée ici silence total et bouche cousue tenez moi j’habite au treizième depuis le mois de février de cette année je n’ai entendu ni rencontré personne je m’en souviens c’est quand j’ai perdu Galipette ma petite chatte tigrée roux d’un cancer du foie mais j’y reviens bon sur mon palier un couple lui ancien cordonnier avec l’éternelle casquette vissée au crâne elle ancienne vendeuse rayon layette chez Monoprix la je sais pas combien vieillissante les cheveux tout bigoudinés et les guibolles flageolantes comme des allumettes genre mémés des dessins de Sempé je crois bien que la dernière fois que je leur ai dit bonjour ce doit être avant Noël donc l’année dernière ils m’ont tout juste répondu en vitesse en fuyant à cent à l’heure vers leur gourbi la porte vlan que j’ai même pas eu le temps de leur souhaiter quelque chose que j’en pensais pas un mot mais bon la convivialité hein alors voilà les ratatinés 1… juste de l’autre côté un couple enfin un grande bringue hommasse et lui un court sur pattes bas de plafond je leur apporte un paquet trouvé dans ma boîte au lettre je sonne la porte s’ouvre à deux à l’heure le mec terrorisé referme la porte je lui dis j’ai un paquet pour vous le facteur s’est gouré il m’arrache le paquet et referme la lourde brutalement en murmurant mercique j’entends à peine alors voilà les ratatinés 2… ratatinée 3 une créature parce que je me demande qui c’est avec une odeur sur elle pas possible de choux farcis au hareng-saur ou au fromage de chèvre de plus d’un an son éternel panier d’osier sous le bras comme si on allait lui piquer alors l’ascenseur après son passage la mort subite même avec une pince à linge sur le tarbouif… je ne vais pas énumérer tous les ratatinés des autres étages il y a pas mal de spécimen et spéciwomen la voisine du dessous dont je n’ose imaginer les dessous le pépé du neuvième l’air toujours hébété à la menthe ou hagard aux gorilles au choix qui soliloque et crache sur la météo de RTL (il dit encore Radio Luxembourg) qu’est jamais bonne bien fait t’as écouté autre chose pauv’ con une jeune vieille fille de je ne sais où qui ramène toujours un foulard invisible sur son cou grassouillet trop visible heureusement qu’il y a la préposée à l’entretien Madame Suzy et son beau sourire qui se marre sans arrêt et au rez-de-chaussée la petite étudiante qui prépare un master de je sais pas quoi elles relèvent si peu la moyenne d’âge ah si ya un autre jeune avec une boucle d’oreille qui me regarde avec la haine depuis que je lui ai dit au moment de la coupe de foot que je préférais le rugby et le tennis un jour où il avait daigné me parler… je voudrais que ça braille criaille martèle hurle que ça s’époumone Simone avec plein de décibels total barouf l’apocalypse de la pétarade partout big partouze de bruits je me demande des fois si je vais pas foutre un bordel monstre à fond la caisse dans ce cloître sépulcral je vais acheter une grosse caisse boum boum et deux sirènes de supporter vrooooon vruuuun et à minuit badababoum pour tous les rabougris et autres raccourcis du cerveau las ou de la cafetière ces ratatinés du Palais de la Ratatine aux abris comme en 40 et je continuerai fenêtres ouvertes avec Mingus à fond à faire trembler les murs et les planchers en béton désarmé à secouer les lustres en bois torsadé avec fausses bougies et fausses coulures oui du grand Charles de Oh Yeah le Hog callin’ Blues et les couinements de Roland Kirk en boucle vous en voulez encore de la musique de sauvages allez la Fire Music d’Archie Shepp encore plus tenez le Free Jazz d’Ornette Coleman c’est pas assez fort bon Le Sacre du Printemps deuxième partie Le Sacrifice plan plan plan plang nin nin nin ningça vous plaît pas vous préférez André Rieu et son violon dégoulinant de guimauve et de hein ? hé ben bernique… niqués… vous pouvez appeler les cognes ils vont en avoir pour leur argent avec le mec du treizième qui a pété les plombs à cause du silence éternel et plus si affinités…

est-ce que j’ai bien réveillé tous les recroquevillés de tous le âges ?

Le lendemain il y avait encore plus de silence que d’habitude dans ce foutu Palais de la Ratatine…

 

© Jacques Chesnel

22:38 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (1)

27/04/2014

LE CUL CUL CLAN

 

 On se faisait toujours un grand plaisir d'aller le voir, ce cher vieil oncle dans sa maison de retraite de luxe au milieu des bois. La joie des retrouvailles d'un côté comme de l'autre. Nous, pour son humeur, son humour, sa joie de vivre, ses bons mots, ses réflexions sur tout et sur rien, ses énormes éclats de rire, le tout à vous redonner la pêche à la fin de la visite. Lui, pour notre déférence discrète, notre attitude respectueuse mais parfois légèrement insolente, disait-il, avec son grand sourire sous sa belle moustache à la David Niven. On n'osait plus lui demander son âge dont il ne disait rien par coquetterie, lui si distingué, bien vêtu avec une élégance discrète, on lui donnait entre 75 et 80, parfois moins. Nous abordions tous le sujets, ceux du jour, de l'époque comme des temps anciens pour lesquels il n'affichait aucune nostalgie, sauf le chagrin à cause du décès prématuré de sa chère épouse, notre tante Marthe adorable et adorée.

Alors, Jean-Pierre, raconte-nous ta quinzaine depuis notre dernière visite. Et là, ses yeux bleus pétillèrent de satisfaction, c'était la question qu'il attendait.- Elles on recommencé, nous dit-il en se tortillant dans son fauteuil. Nous nous regardâmes, on allait avoir du nouveau car sur le sujet il était intarissable. Le sujet : le cul cul clan, c'est-à-dire la douzaine de donzelles qui gravitaient autour de sa personne et qui, coïncidence, portaient toutes des prénoms se terminant en « ette » et qui rivalisaient pour essayer de le séduire ou de s'attirer ses bonnes grâces, comme il disait. 

L'accorte Antoinette, la brunette Bernadette, la coquine Colette, la gamine Georgette, la hardie Huguette, la jolie Juliette, la louvoyante Lucette, la mutine Marinette, l'obsessionnelle Odette, la piquante Paulette, la séduisante Suzette, la volontaire Violette et la yéménite Yvette étaient ses admiratrices et lui vouaient un véritable culte, à lui le seul homme digne de leur intérêt. Possédées par ce qu'on appelle pudiquement le démon de midi, plus exactement en ce qui les concerne, le démon de l'après-midi en raison de leur âge entre 60 et 70 ans, la plupart de ces dames étant encore agréables à regarder, coquettes, gracieuses, distinguées certes, mais bavardes, cancanières, persifleuses, portées sur les commérages, potins et autres ragots, persiflage et papotage… qui faisaient le bonheur de notre cher tonton, surtout lorsque cela tournait autour de son sujet de prédilection : le sexe, la gaudriole, le grivois, la bagatelle et la polissonnerie, en un seul mot qui résume tous les autres : le cul. Et c'est ainsi qu'il appela cet aréopage féminin : son cul cul clan ahahahah, mais attention pas le porno, mes enfants, non non, pas des histoires de baise, dit-il en se passant la langue sur ses lèvres purpurines, du cul de classe avec des mots choisis, pénis plutôt que bite ou quéquette, l'abricot plutôt que la chatte, l'anus plutôt que le trou du cul, les seins plutôt que les nibards ou les nichons, les gaillards d'avant, les boulettes de Vénus, les fruits de la passion, se faire chevaucher la chosette plutôt que se faire enculer, se faire reluire le berlingot et gâter le matou, se faire sucer la moule ou croquer la frite, s'astiquer le minaret, se taper un silencieux plutôt que de se (faire) branler, toutes ces choses agréables, vous voyez les enfants, toutes ces gentes dames sont intarissables sur la chose, le sexe féminin dit aussi le lippu, l'ombrageux, le berceau du pape ou le chemin du paradis, le masculin comme l'étendard, le laboureur, le petit voltigeur, le onzième doigt, le turlututu, le fusil à deux coups ou la tige des merveilles… L'une de ces dames, la gaillarde Suzette à l'air lubrique si évident pour ces 69 printemps, organisait parfois dans sa chambre des séances de vidéo un peu olé olé disait-elle avec des films tels que L'enfileur des anneaux, Ma queue Donald, Autant en emporte le gland, Full métal quéquette, Total rectal, Blanche fesse et les sept mains, Ingrid bite en cours, Il faut sauter la sœur de Ryan, Quai des burnes ou Laisse tes mains sur mon manche... et tout ce petit monde riait mais alors riait…

Ah ! Voilà une de ces donzelles qui rapplique en tortillonnant du popotin et regardant amoureusement le fringant parent, bonsoir mon cher JP, ah sont-ce vous petits-neveu-nièce qui sont si mignons ça me rappelle… Et maintenant, elles arrivent en devisant, pimpantes et souriantes et entourent notre tonton qu'on sent de plus en plus frétillant, nous nous éclipsons discrètement, un petit signe de la main, il est déjà ailleurs, entre les mains de ces dames du clan cul cul, toujours prêtes à deviser gaiement sur leur sujet favori, vous venez ce soir nous avons concocté un nouveau programme alléchant qui devrait vous plaire... 

En sortant de la propriété, nous nous retournons et regardons la plaque de cuivre sur la droite à côté du porche : 

L'ESCAPADE ENCHANTÉE

 (Pour votre Retraite Heureuse) 

Tu parles ! … Et comment, hein, le tonton ? 

© Jacques Chesnel 

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21/04/2014

LA PORTION INCONGRUE

 

( hommage à Raymond Devos )

 

Papa dit qu’il trouvait la mer vraiment belle comme d’ailleurs la mère qui quasi nue dans son maillot de bain attendant près d’une grosse dame qu’elle soit revenue pour se mettre à l’eau qui paraît-il était bonne ce jour-là mais un peu agitée car elle avait de qui tenir.

Allo allo disait un type dans une cabine téléphonique et publique puisque ouverte à tous les vents à l’eau à l’eau braillait mon père en donnant des claques paf paf sur ce qu’il appelait les avantages de la mère qui ne voulait s’y couler dedans que quand elle serait revenue avec la marée ainsi que le disait la grosse dame qui ne se baignait pas car c’était la première fois qu’à son âge elle la voyait autrement qu’en carte postale et en noir et blanc parfois coloriée pour les vagues ; le type continuait à alloter comme un sourd Papa à claquer tout pareil le postérieur de la mère qui regardait l’eau revenant à son grand émoi et à son point de départ… et moi pendant ce temps je louchais vers le marchand de glaces installé pas si bête devant l’entrée du Casino qu’était en glace parce que Papa m’en avait promis une pendant qu’il forçait la mère à y aller franco et à reculons plus la mer revenait plus Papa claquait paf paf parfois loupé puf sur les avantages de Maman qui reculait faisant mine de peur il a envie de vous y voir dans l’eau disait d’emblée la grosse pendant que l’autre dans la cabine faisait toujours ses allo allo parlant fort comme vous et moi avec une main devant où qu’on parle pour pas qu’on écoute quand même… c’est que moi aussi c’est la première fois dit la mère en tortillant de ses protubérances pour éviter la main de Papa qui têtu claquait alors dans le vide en rigolant ce qui le fatiguait quand l’eau toucha la Maman elle dit en frissonnant hou elle est de glace alors je me précipitais vers Papa pour lui demander mes cinq francs en lui montrant le casino auquel il manquait une lettre on lisait Cas no tout en prenant la claque à la place de la mère bing je hurlais pour alerter Maman dans l’eau jusqu’aux chevilles poussant ses petits cris d’or frais parce qu’elle était si froide de la vraie glace et moi que je voulais la mienne car j’avais été sage dans le car malgré mes hauts le cœur comme promis… le type avec son air de ne pas en avoir faisait des signes chut chut parce que je gueulais comme le goret qu’on égorge pour que la mère elle entende bien en émiettant des houhouhou qu’elle est froââââde et le père avait enlevé ses godasses et chaussettes retroussant ses pantalons tâtait la mer du grosorteil qui revenait jusqu’à la grosse bonne femme quittant son pliant pour ne pas sentir l’eau tais-toi imbécile entonna Papa à mon edgard plusieurs fois et que l’olibrius qu’était dans la cabine publique jusqu’à côté de la nôtre qu’on avait louée pour la journée gesticulait avec de drôles de gestes le bras plié au milieu et l’autre tapant au milieu que c’en était un vrai bras d’horreur comme Papa le faisait souvent sur son tracteur à un salopard de 75 de parigot… le père s’égosillait de me taire tirant la mère la bretelle du maillot partie haute pour qu’elle aille pas trop loin la mer étant revenue ou presque disant qu’elle était un peu trop grosse et qu’elle ne savait pas bien nager… il vit le type qui beuglait toujours alloallo et tout avec ses gestes il dit bougre de saligaud de 75 tu perds rien pour attendre et moi qu’attendais toujours mes yeux orientés vers la porte en glace du Cas no où se tenait le marchand avec son stand marqué Lopez en gros LOPEZ GLACES en lettres vert millon et décorées de cornets et marrons en gros itou pour l’hiver aujourd’hui c’est les glaces qui marchent… le type lâcha l’écouteur qui tournicota au bout du fil et plouf la mère tomba dans la flotte avec un grand cri car Papa en se démenant face au 75 avait fait craquer la bretelle des avantages que Maman prenait à deux mains en suffocant avec des petits cris moins forts que ceux de Papa continuant ses tu vas voir au parigot qui remettait une pièce pendant que la dame me donnait mes cinq francs pour me taire et que je la trouve moins grosse pour promener son petit clébard parce qu’ils sont interdits sur la plage et que les gardes arrivaient à cause des cris ils avaient tout vu à la jumelle qu’étaient deux réglementaires marqués CRS sur le maillot bleublancrouge et le slip aussi… la mère était à genoux à deux mains sur ses avantages criant que si elle avait peur c’est parce qu’elle se trouvait trop grosse enfin un peu trop et que les vagues allaient saler sa misenplis toute neuve les gardes accouraient le chien tirait sur sa laisse en direction ô bonheur des glaces de Lopez les maillots CRS entendirent alors les alloallo du 75 et le père qui montrait maman à genoux dans l’eau sans son bout de tissu à fleurs qu’elle avait perdu à cause de cette foutue mer et de Papa les deux types très courageux plongèrent croyant la mère se sentant pas bien avec ses avantages à l’air libre qu’étaient interdits sur la plage avec les chiens même tenus en laisse et que celui de la pas si grosse dame aboyait après le 75 qui criait plus fort que papa qu’il avait loupé son train de sa faute alors Papa s’arrêta de faire la nique au gars et dit aux deux marqués CRS que c’était pour de rire qu’elle savait un peu barboter malgré le drapeau rouge que le car était dans une demi-heure mais qu’on avait nos billets… les maillots firent stop et repartir en arrière comme à la télé et dirent à Papa ça va vous coûter un max alors que telle Vénus sortant de l’ombre Maman arrivait en sautillant avec ses avantages à travers ses mains qui débordaient… Papa piteux car il ne savait pas ce qu’était un max dit ben alors si on pouvait plus rigoler et avec sa légitime en plus que tout ça c’était à cause du bitenique celui de la cabine publique d’à côté qui refaisait mine de rien son geste à Papa pendant que les deux maillots biglaient la mère rentrant dans notre cabine en tortillant encore plus de ses avantages que c’est pas tous les jours qu’on rencontre de ces types si bronzés qu’on dirait des réclames comme dans Jours de France dans la salle d’attente de notre dentiste… alors Papa cria salaud les deux types sursautèrent raides comme à la parade croyant qu’il avait vu leurs manigances et leurs yeux lubriques sur les avantages de la mère qui fermait la porte un brin flattée tout de même… la dame appelait son clebs et moi à l’autre bout car elle quittait son pliant trouvant que ça sentait le roussi ou le poulet ou les deux le chien partant au galop et je lâche tout c’est le moment ou jamais pour ma glace où qu’y avait personne justement qu’est-ce qui vous arrive Monsieur on vient pour sauver votre petite dame d’une mort affreuse et c’est comme ça qu’on nous remercie non non dit Papa pas fier c’est l’autre là-bas çui de la cabine avec ses alloallo ses gestes et ses manies et tout les maillots ne virent personne le gus avait filé car il avait loupé son train et qu’il avait plus de monnaie pour l’appareil… c’est le moment que malin Papa choisit pour s’apercevoir de mon absence et de gueuler tout en tournant dans tous les sens que j’étais disparu sûrement enlevé par ce type avec sa barbe comme ils en on tous les jeunes qui ne veulent plus rien foutre et les maillots dirent oui c’est bien vrai plus aucun ne veulent saluer le drapeau que c’en est la faute du hache que fument ces poilus de Lorient et la mère qui ressort de la cabine avec ses cheveux qui dégoulinent sur la robe du dimanche qui met Papa dans tous es états par rapport aux avantages qu’y dit…

quioioioioi dit-elle sur un ton qui ne manquait pas d’air ON A ENLEVÉ NOT’ GAMIN  et de se mettre à rameuter tout le quartier car c’était maintenant l’heure du car et le dernier justement dans cinq minutes moi chez Lopez j’avais pris la plus grosse de la fraise et du vert qui débordait du cornet en plastoc et je voyais planqué dans l’entrée en glace de casino qu’avait retrouvé son i à l’intérieur une affiche du ciné  qui jouait le dernier tango à Paris  avec une queue de cinquante espectateurs tous des hommes ou presque avec deux femmes qui disaient que c’était parce qu’elles aimaient beaucoup la danse et leurs maris aussi la langue en mettait un sacré coup sur la glace et la mère au loin avec une bouche ouverte comme une porte de grange à foin et tournicotant pareil au truc que parlait le 75 quand il pendait au bout de son fil le rose glissa un peu sur le vert et le vert sur mon p’tit chorte marron elle devait crier mon enfant mon petit pour faire chic devant le monde d’habitude elle dit le gamin mais moi je m’en balance une des dames de la queue dit encore des ploucs qui voulaient se rendre intéressants et que la bonne femme c’est-à-dire ma Maman on a volé mon petit je veux qu’on me rende mon enfant comme si je vous le demande on va enlever un gamin de plouc  je lui ai tiré une de ces langues vertes qu’elle m’a dit qu’est-ce que tu fiches ici c’est interdit aux mineurs de moins de dix-huit ans avec ma glace à trois francs que Lopez m’avait vendu cinq j’ai pris la taloche ma tête valdinguant sur une photo où qu’on voit un gros blond montrant son cul blanc à des danseuses maquillées comme des filles de mauvaise vie j’en perdais pas une goutte ça aide à enfiévrer mon imagination et le reste avec la main je n’en voyais plus la mer Papa Maman les maillots marqués CRS à côté de la queue qui avançait vers la caisse avec mes babines rosévertes et mon cornet maintenant vide j’étais vraiment ébaubi alors que venait de la salle toute proche des paroles bizarres que rien ne va plus noir impair et manque… je pensais bien que Maman devait être dans un de ses états elle s’affole pour un rien dix minutes de retard et le troupeau de vaches m’était passé sur le corps comme j’avais un peu mal au cœur et que la queue était rentrée dans le cinéma je cherchais la sortie quand j’entendis la sirène au milieu des rien ne va plus et de l’orchestre qui jouait l’air que chante Mireille Mathieu le matin sur Luxembourg qu’est la préférée de Papa et la jalousie de Maman l’ambulance passa en trombe et moi aussi à travers la porte en glace que j’avais pas vu parce qu’elle était en verre et pas teintée comme celle de la charcuterie chez nous baaaaoum ! que ça fit la tête la première  je me retrouvais sur le lac à dame les quatre fers en l’air et la tronche en compote le petit chien bondit sur sa propriétaire qu’était sur mon chemin ce qui la fit tomber comme un coing trop mûr en faisant splatch re-baoum en une seconde chrono les chutes les glaces les kaî kaî du médor les barrissements de la patronne la sirène de l’ambulance écrit à l’envers les braiments de ma mère les brames de Papa la sonnerie du téléphone dans la cabine publique le claquesonne du car qu’on aurait dû être dedans le ronron du monoplace dans le ciel traînant derrière lui un calicot pour les pellicules Kodak le directeur du Cas no qui se pointait y en a marre des attentats la caissière qui debout n’était pas aussi bien qu’assise et qui se lamentait le pauv’ garçon le pauvre petit pendant que je tournais de l’œil et même des deux haaa en même temps…

Quand je repris oui connaissance et conscience où ça ah dans l’ambulance qui sentait pouah qui sentait l’eau de toilette Splatch de Papa et les dessous de bras de ma Maman que j’avais le nez dessus la sueur des deux maillots marqués  CRS CRS quand je repris oui conscience dans le silence feutré de ce blanc corbillard qui mène parfois à un train d’enfer ponctué de sirènes au corbillard noir ce fut pour voir la pièce de monnaie que Papa me mettait sous le nez pour un autre glace promise entre les avantages de la mère que j’avais jamais vu de si près oh Maman ah Maman ne me quitte pas ton Jacques est revenu bobo là oh oui je sus à cette seconde que jamais non jamais je ne pourrais oublier ce voyage mon premier à la mer que papa trouvait si belle ainsi d’ailleurs que la mère qui oui toute nue dans son maillot de bain attendant près d’une grosse dame oh oui…

mais je donnerais volontiers toute cette infime portion de ma vie le voyage en car le mal au cœur la mère dans l’eau la grosse dame au chien le 75 dans la cabine les cinq francs de Papa les maillots marqués CRS la glace Lopez la caissière du cinéma du Cas no les images du dernier tango l’ambulance et même le reste rien que pour retrouver la Marina dans les glissades sur les meules de foin nos embrassades et autres pelotages hardis qui me manquent tellement aujourd’hui trente ans après rien n’a changé la mer est toujours là mais plus Maman ni Papa ah si le Cas no a retrouvé son i à l’extérieur le marchand de glaces s’appelle maintenant Garrido il n’y a plus de cabine téléphonique avec tous ces portables à l’oreille les dames sont moins grosses et les CRS ne sont plus en maillot les chiens sont plus petits quant à Marina…

 

©  Jacques Chesnel  

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07/04/2014

LE VOISIN D'EN DESSOUS

 

 On ne le connaissait pas, seulement de vue, entr'aperçu une fois de loin si c'était bien lui pas sûr pasque la silhouette...

- ya une voiture de flics sur le parking, annonça Muriel en regardant par la fenêtre

Pour être tranquille en dessous, ça il l'était mais de jour seulement car la nuit quand ça le prenait c'était parfois intenable et plusieurs fois Jérôme avait envisagé de descendre pour lui dire que basta puis s'était ravisé pour ne pas avoir d'histoire. On ne l'avait jamais vu ni dans l'ascenseur ni dans le hall quand on allait au courrier, devant les boîtes aux lettres là où papotaient les petites vieilles avec des regards vicieux envers les djeunes de l'immeuble. Ce soir-là, vers dix heures trente-onze heures, il y avait vraiment un des ces baroufs, on aurait dit comme un déménagement ou une dispute pire une  bagarre avec coups et dégradations allez savoir et

- la voiture est toujours là avec ses feux qui clignotent, le pépé du cinquième a du les prévenir lui qui ne supporte rien ni personne hormis son clébard à la con qui aboie pour rien, affirma Jérôme

Muriel a sursauté à un choc vraiment violent dans le mur qui résonna comme dans une église, là il exagère, tu devrais aller voir.

Il y avait eu des papotages fielleux, des insinuations vachardes, des rumeurs rapportées par la femme chargée du nettoyage, li paraît qu'il ramène des putes, il fait du trafic de drogue, son appart' est une vraie bauge, il fait des crises de délirium très mince, il ceci il cela, il... Sa boite aux lettres était mystérieuse, le nom, la lettre M en majuscule suivie du patronyme comportant plus de consonnes que de voyelles, illisible, encore un de ces étrangers, oh lala, on n'est plus chez nous, toutes ces conneries.

Les flics sont encore toujours là, ça doit être grave, se lamenta Muriel qui donnait des signes évidents de fatigue quand on sonna à l'interphone : vous êtes bien les habitants du septième ?, voui...c'est la police, vous pouvez descendre dans le hall s''il vous plait... j'arrive, gémit Jérôme qui regarda Muriel déjà inquiète, pourquoi nous ? 

Dans le hall, beaucoup de monde, surtout des policiers et le gardien agité s'expliquant avec de grands gestes d'impuissance et au milieu une vieille femme comme hébétée et agrippée à son déambulateur. On demande alors à Jérôme s'il reconnaît cette dame qu'il n'a jamais vue et pourtant c'est votre voisine d'en dessous avertit un policier barbu à l'air rébarbatif est-ce que vous portez plainte ?... 

Convoqué le lendemain au commissariat, Jérôme connut le fin mot de l'histoire, si on peut dire : la vieille dame était la maman du voisin du dessous en cavale depuis plusieurs mois, recherché pour trafic de drogues et d'organes ; elle ne parlait pas un mot de français, était ravitaillée la nuit par des coreligionnaires membres d'une secte inconnue pratiquant la nuit des cérémonies à caractère sabbatique avec chants, danses et pratiques bizarres ou douteuses, rien que cela... comme quoi dit le commissaire on ne se méfie jamais assez de ses voisins en ces temps troublés.... surtout ceux d'en dessous, ajouta Jérôme.

 

© Jacques Chesnel

11:25 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (2)

01/04/2014

ORSON WELLES

 

Cette année-là, j’avais été accueilli non pas par une, mais par des trombes d’eau, des avalanches de pluie drue et froide pour un mois de juillet, bref le déluge. Pas d’arrêt au parking déjà encombré (il devait y avoir pas mal de monde, remarquai-je), plutôt directement et provisoirement devant l’entrée principale… ça commençait bien !, contrairement aux années précédentes si ensoleillées et chaudes à Belavit. Des signes amicaux de la main des occupants derrière les fenêtres, contradictoires, venez vite pour les uns, attendez pour les autres, c’est ce que je comprenais, putain de flotte… et en plus d’après la météo, l’été serait pourri, certains paysans disant toujours oh ben vous savez dessus c’est tout sec et dessous c’est tout pourrrrrri avec encore plus de rrrrrrroulement… bon on était prévenu ; il y avait de quoi assurer chez nos hôtes question alimentation et ce qui va avec, pour les longues soirées aussi, le piano ½ queue, des partitions, des tonnes de livres, de disques 33 tours et CD et autre lecteur de DVD pour les amateurs de cinéma que nous étions tous ou presque… j’avais choisi et emporté quelques sélections de célèbres pointures, Bergman, Buñuel, Carné, Scorsese, Truffaut, Visconti et pour moi le plus grand d’entre tous, le génie à l’état pur, Orson Welles…

 

J’avais sagement poireauté une bonne heure, débarqué dans la gadoue, reçu comme une altesse royale et bu un thé suivi de quelque chose d’irlandais de plus corsé ensuite… la fête pouvait commencer, les agapes aussi, cela continuait en fanfare… Pas question de terrasse par ce temps là, nous étions presque entassés dans la grande cuisine, table géante, bonnes bouteilles et saveurs prometteuses, oublié le déluge et à la tienne Etienne je veux mon neveu tu parles Charles, ce genre de conneries… Le repas fut copieux et animé comme d’habitude, blagues, rires, toasts, encore un peu de fromage quelques fruits, rires niais… pas le temps de dire ouf, champagne brut de décoffrage, allez la veuve Cliquot, encore une tite goutte, oui, ma voisine (la ricaneuse, toujours la même blonde) wouah rota-t-elle ça réchauffe pas vous… et hop, on débarrasse la table, tout au lave-vaisselle et tout le monde au salon… où comme d’habitude de petits groupes se formèrent pour finir la soirée et commencer la nuit… de la musique, Chet Baker avec Mickey Graillier, amateurs de jeux divers et pour d’autres le cinoche en réduction devant la télé et le choix du premier film… bon alors aux voix, un Buñuel, va pour Le charme discret de la bourgeoisie, quelqu’un railla oh on est entre nous n’est-ce pas, très drôle dit un autre et chut ça commence… commentaires en cours, rires ou grincements… fin. Bon dis-je, il est trop tard pour un autre ? non alors un Welles (j’avais apporté les trois shakespeariens, Macbeth, Othello et Falstaff) allez comme tu veux tu choises, va pour Othello, ôtez l’eau y reste pas grand chose suggéra un invité déjà imbibé… personne ne connaît ? 1952, palme d’or à Cannes, vous allez pas être déçus les p’tits gars…moteur, départ.

 

Aussitôt tous scotchés par le noir et blanc, éclairage et cadrage superbes, Orson le Maure de Venise impérial, la délicate Desdémone interprété par la canadienne Suzanne Cloutier qui remplaça Cécile Aubry initialement prévue, un Iago retors à souhait, Iago ah le salaud diffusant le poison de la jalousie, qui complote, magouille, soudoie, corrompt, puis décide qu’il faut supprimer le brave Rodrigo… la scène du meurtre dans l’établissement de bains (tournée dans le hammam d’Essaouira, l’ancienne Mogador) où il plante son épée à travers les lattes de bois à la recherche de la victime, et que je te transperce avec une incroyable fureur au hasard là, là puis encore là, le voilà, une incroyable sauvagerie, les chairs meurtries, égratignées, lacérées, écorchées, déchirées, écartelées, tailladées, déchiquetées par la dague, et maintenant tout s’emmêle inexorablement c’est Lady Macbeth qui tend les poignards à un Macbeth halluciné pour tuer, massacrer, égorger, éventrer, fouailler, dépecer, dépiauter le roi Duncan, Macbeth et ses poignards ensanglantés, dégoulinant du sang royal et alors voici Falstaff caché pendant la terrible bataille de Shreasbury avec ces centaines de soldats dans la brouillasse et la bouillasse, la piétaille sauvagement mutilée hurlant sous les ordres, cris de guerre et plaintes des mourants à fendre l’âme, ces blessés agonisant, cadavres dans la fange innommable, les nobles en armure ferraillant dans leurs armures cling cling gling montés sur des chevaux apeurés, hennissant et piaffant, aux yeux exorbités pendant que Iago s’acharne sur Rodrigo qui s’effondre désarticulé, la béance des plaies et Macbeth hébété, son épouse, va tue aussi les garrrrdes Macbeth tue les, tous ces cris déchirés et déchirant, ceux des trois sorcières piaillant vociférant, la prédiction, la forêt de Dunsinane qui avance, Macbeth hagard, Othello errant, Orson démiurge shakespearien aux yeux déments et revoilà Iago ladre assoiffé de ce sang qu’il fait gicler, flot continu, torrent pourpre, avalanche carmine, cascade de magenta et déluge d’amarante qui se répandent partout sur moi, il faudrait que je me protège mais comment…non non arrêtez…et et et…

oh oh hé l’ami réveille-toi bon dieu, calme toi, ces bras qui me secouent, secousse encore, une petite claque, une grande baffe ça va hein ça va dis, répond nous… c’est quoi ce sang ? oh ! tu était dans un tel état, une telle agitation… à nous faire vachement peur, tu sais… qu’est-ce qui s’est passé, dis…

… alors camarades, ce film, hein ? formidable, non ?...

 

© Jacques Chesnel 

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21/03/2014

LE TÉLÉPHONE SONNE TOUJOURS TROIS FOIS OU LE RETOUR À QUIMPER

 

 D’abord des rumeurs comme il y en a tant et tant dans le monde du cinéma ou dans les autres microcosmes vous savez quoi il paraît qu’Ingmar a envie de tourner un thriller non c’est pas vrai si un polar tu rêves Bibi dit que si même que l’action se passerait comme d’habitude sur sa chère île de Farö Max en fait une tête il voudrait bien faire partie de la distribution mais le patron peut lui préférer Gunnar au visage plus lisse Eva est convaincue qu’elle sera en bonne place sur l’affiche ; je cherche à dire la vérité sur la condition des hommes ; j’éprouve un besoin incoercible d’exprimer par le film ce qui, de manière toute subjective, se forme quelque part dans ma conscience avait-il déclaré à une revue française tout y était cela collait parfaitement tu connais plus noir que Bergman toi…

Il fallait que la nouvelle tombe à la une du Dagens Nyheter : « BERGMAN SOLLICITÉ PAR HOLLYWOOD POUR UN FILM POLICIER et voilà le tout-cinéma suédois en effervescence et les interrogations allait-il emmener ces comédiens favoris ses techniciens habituels on ne sait jamais avec ces syndicats corporatistes américains lui imposerait-on les vedettes à la mode de là-bas les Brando Bogart Cooper Hayworth Turner Tierney… l’affaire faisait grand bruit vous voyez notre homme passé à la moulinette Zanuck ou happé par le lion de la MGM ou par les autres grands producteurs des non moins célèbres studios laisserait-il lui le père la rigueur sa copie aux trafiquants de pellicule aux maniaques du ciseau aux monteurs sans scrupules à la solde des affairistes aux ligues de vertu sourcilleuses baisers et scènes de sexe…

Ingrid tournait en France sous la direction d’un metteur en scène dont il n’arrivait pas à se souvenir du nom imprononçable pour lui les extérieurs étaient filmés en Bretagne. Avant de partir aux USA , son grand ouest à lui, Bergman se dit que découvrir ce pays de légendes dont la Thulin lui décrivait sites coutumes et personnages serait une occasion unique. C’est ainsi qu’il arriva à Quimper pendant les grandes fêtes de Cornouaille par un après-midi ensoleillé qui le surprit. Ingrid avait réservé une chambre au Grand Hôtel et ils retrouvèrent toute l’équipe du film à l’Auberge Ty Coz, les deux jours avec elle furent l’occasion de visiter la rue Kéréon les jardins de l’Evêché et de descendre l’Odet en bateau ; il lui parla de son projet américain espérant qu’elle pourrait vite le rejoindre dès les extérieurs terminés ; il se sentit vraiment seul à l’aéroport de Pluguffan quand il ne vit plus son mouchoir en bout de piste ; l’aventure américaine allait bientôt commencer on allait voir ce qu’on allait voir…

 

Quand il arriva à Hollywood personne ne l’attendait à l’aéroport, pas de limousine avec représentant de la prod, pas de suite réservée à l’hôtel convenable sans plus… après trois jours à tourner en rond dans sa chambre du Garden of Allah Hotel (là où avait séjourné le génial Scott Fitzgerald qu’il avait découvert après la guerre traduit dans un mauvais suédois) Bergman reçut enfin un coup de téléphone du studio, il devait se présenter le lendemain à la MGM à Culver City, une voiture l’attendrait à 15 heures tapantes pour une entrevue avec le big boss… Sûr que pendant ce temps les ragots avaient couru bon train dans les somptueuses chaumières de Beverley Hills vous connaissez son intransigeance sa méticulosité enfin à ce qu’on dit et avec ses actrices moi ma chère je ne pourrais jamais c’est d’un triste une telle vulgarité tous ces gens qui batifolent entre eux en se triturant les méninges comme dans attendez j’en ai vu dix minutes pas plus cette histoire de fraises avec un vieux bonhomme au nom impossible Victor Sjöj quelque chose comme ça.

Hello Inggy mon cher vieux content de vous voir ah ah ah tenez voilà votre script du cousu main comme on sait le faire ici well nous avons des équipes de scénaristes formidables des types épatants carte blanche pour les artistes of course des vedettes hein des noms de chez nous et internationaux oh Inggy je peux vous présenter une jeune protégée à moi très très bien comment dire very sexy ahahahah ok Inggy voyez ma secrétaire pour l’avance bye Inggy ; Bergman lut le scénario enfin ce qui ressemblait à un scénario passa par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel son teint restant au violet pendant de longues minutes tout juste bon pour la poubelle encore fallait-il qu’elle soit immense pour ramasser ce tas de conneries lieux communs situations éculées personnages débiles ce genre de choses contre lesquelles Lubitsch Fritz Lang Stroheim Chaplin tous ces européens de génie avaient dû se battre en y laissant pas mal de plumes… un policier à la scandinave on allait voir ce qu’on allait voir…

 

Le survol de Quimper lui revint en mémoire quand il décida brusquement qu’il avait faim et besoin de voir du monde pour se changer les idées ; au restaurant il aperçut un homme corpulent au rire énorme en compagnie d’une femme qu’il reconnut de suite de : Marlène Dietrich ; elle fit les présentations Orson Welles Ingmar Bergman ah oui Icebergman rugit-il prenez donc un verre avec nous ; il savait depuis longtemps que Welles l’affublait de ce sobriquet et il lui demanda pourquoi : hey vos films brûlent comme la glace mon vieux ; après quelques verres Bergman s’effondra sur la table pendant que les martinis explosaient dans sa tête et que Welles hurlait Icebergman Icebergman Iceberg…

Ce qu’il aimait le printemps à Stockholm son Dear Old Stockholm dans sa version préférée celle de Chet Baker et Gerry Mulligan, il revoyait dans sa dérive alcoolique ses déambulations dans ce vieux Gama Gatan les flâneries au Djurgarden les rencontres inopinées sur la Kornhamnstorg la virée avec Ingrid et ce cinéaste français dont il ne pouvait retenir le nom à Pont-Aven et le repas au Moulin Rosmadec le homard grillé le canard au cassis lui revenaient en mémoire et à la bouche non pas les aigreurs de ces foutus martinis mais la saveur des rotmos och fläsklägg le tout accompagné d’une blonde kall pilsner oh les joies de sa découverte de Strinberg et de son Röda Rummet son livre préféré les premiers films de Victor Sjöström vieux maître ami cher que les gens d’ici appellent Seastrom les œuvres du voisin danois Carl Dreyer les soirées avec Asa et Staffan les amis d’enfance qui lui firent connaître Cocteau Renoir Feyder et le cinéma américain ah America mon Grand Ouest à moi où tout va si vite… trop vite pour lui affalé sur son lit d’hôtel où Welles l’avait fait déposer il allait attraper un rhume avec cet air conditionné on allait voir ce qu’on allait voir…

 

Il faudrait téléphoner à Ingrid là-bas cette carte postale du port de Concarneau aïe ma tête et aussi à … les rires sans fin de Birgit dans son petit appartement de Gyllenstiernsgatan quand elle se trémoussait dans ses sous-vêtements commandés à Paris les visites à Mariefred chez Lars et Marianne dans la vieille Saab essoufflée les conversations interminables avec le compositeur Erik Nordgren au sujet de la musique de Törst les binious et bombardes à Locronan devant la chapelle du Pénity le visionnage des prises de Sommarnattens Leende en compagnie d’Ulla Jacobson Eva Dahlbeck Harriet Anderson Bibi et ce cher Gunnar Björnstrand qui nous apportait des tartes de sa grand-mère les crèpes de l’auberge de Toulföen à Quimperlé les répétitions au Dramatten Teatren tous ces souvenirs d’enfance et ce voyage en Bretagne dont je pourrais faire un film on allait voir ce qu’in allait voir…

 

Nom de dieu ces gens qui s’injurient dans le chambre voisine il me faudrait un alka-selzer prendre une douche froide Welles n’y était pas allé de main morte avec ses martinis il m’ennuyait avec son iceberg ce gros ourson sympathique quand même quelle claque quand j’avais vu Kane pour la première fois j’avais fait le coup de poing pour lui dans le cinéma quelle bagarre il faudra que je lui raconte aimait-il mes films brûlants de glace mais où est cette sonnerie bordel la recherche d’une chambre sur la route de Quimper c’est complet M’sieur-Dame juste une chambre minuscule je m’en souviens Kervéoc’h ce qu’on avait ri avec Ingrid répète après moi Ker Kervé Kervéoc’h cela se prononce ok n’est-ce pas ce scénario écrit par une bande de rigolos nous avons des gars formidables Inggy tu parles ces personnages stéréotypés cette violence gratuite pas étonnant que Faulkner ait claqué la porte que et maintenant ce téléphone boum qui tombe Monsieur Icebergman est absent et allez vous faire foutre je vais vous en écrire un moi de scénario un détective fils de pasteur pacifiste sobre et impuissant rencontre un tueur antimilitariste laid et non ils voulaient de l’inédit dans le sordide une odyssée calamiteuse une danse de mort de paumés Inggy je voyais Ingrid courant sur la plage de Fouesnant et me faisant de grands signes viens Ingmar viens promenons-nous un peu viens on allait voir ce qu’on allait voir…

et maintenant des odeurs des images floues de nouveau ma mère glissant dans ma poche de petits gâteaux secs ces peparkakor que j’aimais tant grignoter sur le chemin de l’école le grand nœud de taffetas rose de la petite-fille des voisins que j’accompagnais mes parents chez des amis proche de la place Östermalmstorg mon premier travail d’assistant la première revue porno que je déchiquetais fiévreusement après maintes lectures qui ne me rendaient pas sourd mon premier baiser d’amour avec Greta Garbo dans un rêve récurrent le sourire timide de cette jeune fille en bigouden à Rosporden vous êtes réellement Ingmar Bergman vous savez j’ai vu trois fois Le Septième Sceau le silence glacé du public à la fin de Till Gladje oui et maintenant ce garçon d’étage qui me secoue are you mister Bargmen are you ok le téléphone sonne c’est pour vous non pas maintenant cela vient de France je crois ne criez pas si fort de France mister j’ai envie de vomir allo Ingrid au secours ta main sur mon front en feu là là tes lèvres si fraîches caresse-moi les épaules oui comme ça doucement oh Ingrid il fait très beau à Quimper Ingrid toi on allait voir ce qu’on allait voir…

 LE TÉLÉPHONE SONNE TOUJOURS TROIS FOIS.jpg

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La voix de la femme aimée l’avait réconforté presque guéri demain il allait revenir à Quimper ; le coursier prit l’enveloppe voilà pour le big boss dedans une lettre désolé impossible tourner voilà votre chèque votre scénario et voici l’histoire que j’aurais pu écrire et signer Icebergman…

 LE TÉLÉPHONE SONNE TOUJOURS TROIS FOIS

 Une chambre ; grande, tapissée de bleu

 Richard a une spécialité ; il tire trop la couverture sur lui ; on avait tout juste éteint la lumière que même moi au milieu du lit je n’avais plus rien sur le pyjama ; Margarita à cause de la chaleur dormait à poil et cherchait désespérément à se couvrir ; à trois sur notre paddock on se sentait plus serrés que des sardines dans une boîte d’allumettes ; il avait insisté pour que je couche au milieu je me demande bien pourquoi ce n’était pas le genre de mec pour Rita qui avouait un certain penchant pour Mark que moi je ne trouvais pas si terrible que ça… j’avais enfin récupéré un peu du drap quand le téléphone grésilla pour la première fois, Rita dégaina plus vite que moi en grommelant mit son déshabillé vert tilleul et décrocha

- c’est pour toi, la dame à la voix haut perchée

je le secouai avec vigueur tout en restant sur mes gardes et il émergea au bout de cinq minutes avec des allumettes entre les paupières

- allo yes that’s me… et commença une longue conversation ; il n’avait pas l’air dans son assiette à quatre plombes du mat’ ; je compris qu’il injuriai doucement la gonzesse avec une violence distinguée ; il raccrocha une pichenette sur le combiné et nous fit un signe de la main que c’était rien, il but une rasade de J&B alluma une clope et se repieuta en pétant, Rita haussa les épaules et se retrouva de nouveau nue dans la minute qui suivit dans un silence de mort à couper au couteau ; je retombai dans les bras de Morphée en me faisant tout petit car il s’était couché en chien de faïence et je regardai cette carte postale du port de Concarneau sur le mur en essayant de me rendormir quand cette connerie de téléphone retentit à nouveau, cette fois j’enjambai la bonne femme qui me fit toc toc avec le majeur dressé d’abord bien droit sur sa tempe platinée ensuite

- ouais, euh, c’est pour qui… euh, il dort, attendez je vais voir

il mit beaucoup plus longtemps à émerger que la première fois et les poutres avaient un mal de chien à tenir ouvert ses yeux bouffis ; on avait compris moi et Rita qu’il devait s’agir de la même cinglée car dès le début le débit de Richard s’enflamma et les jurons fusèrent plus vite que les V2 sur London en 43 il brailla qu’elle le faisait plus que chier que Hawks était un génie et elle une pauvre conne minable et que merde… l’écouteur partit comme une flèche et valdingua sur la porte de la salle de bains fraîchement repeinte orange amère

- non mais il est con ce mec ou quoi vociféra Rita sortant des vapes comme après une bonne cuite

- hé mec cette emmerdeuse te souhaite la bonne nuit bailla Richard qui s’envoya deux rasades à tuer un bison avant de s’écrouler sur moi avec la délicatesse d’un quinze tonnes tombant dans le ravin…

la troisième fois nous restâmes Rita et moi cloués sur le satin et médusés par la vitesse avec laquelle cette fois notre camarade s’échappa du pucier en faisant un détour vers la chaise où s’avachissait son vieux trench mastic virant gris plomb je crus qu’il allait se jeter un autre gorgeo quand je vis son mauser dans sa pogne et que celui-là ne sortait pas du magasin des accessoires de la MGM il ne prit pas le temps de viser cligna seulement des yeux avec une lenteur effrayante tira trois fois tandis que Rita hurlait et que je mouillais le drap enfin récupéré le sang giclait à flots ininterrompus du récepteur du téléphone et commença d’envahir rapidement la chambre et que Richard dansait une danse du scalp effrénée et grotesque tandis que Rita en femme d’intérieur avisée se demandait avec angoisse où on pouvait trouver rapidement des gilets de sauvetage car à la vitesse où ça coulait on allait bientôt…

 

FIN

 

Voilà le genre de scénar que j’allais lui servir à l’autre connard de producteur avec ses Inggy… on allait voir ce qu’on allait voir.

Ingrid l’attendait à l’aéroport de Quimper-Pluguffan ; quelques heures plus tard ils descendraient de nouveau ensemble l’Odet en bateau… en attendant le retour au pays pour écouter Dear Old Stockholm.

  

© Jacques Chesnel

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14/03/2014

IL SUFFIT PARFOIS D'UNE LETTRE OU PLUS ...

 

Aujourd'hui, je trempe mon nuien comme je pneu en ne faisant bien du bout je maîlle aux borneilles, je me ttrague loudoureusement, je naudeguabe dans la saison, ça paraît riducile mais c'est gomme ça, tout va de guiguette à la va-comme-j'te-tousse, il a fusil que Muriel s'en bêle pour que ça banque de moirer brave ou tutti cantique, ya des fours où le bonde va si mâle et qu'on se met à feindre peutisement pour un oui pour un nom je vous fais pas un bessin, ça lavait pourtant bien bétuder au rébeil avec de frais câlins du patin me foutant une crique du diable à pendre loujax le pieu Van qui en connait un crayon en la manière, le p'tit déneujer comac avec du pus d'aronge pio, des céraèles et flacons d'ovianes et maisins de cinrothes, des donrelles de vain barré vrillé, un frais vestin du patin comme à l'hetôl, j'en haie ripres feux dois à m'en pêcher les babouines, on est renourter au plamurd et berelote carc carc le bied pleu l'axeste le rapadis le narvina qui fait tonmer Muriel au flapond ... C'est èpras que cout à féroi, j'ai pélou mon sub taré le motré, arriévi en terard au rubeau et que le pontra m'a sim à la potre mes dansit ça teup plus ruder souv naez aunuc sens (ha ah) de l'axectutide et j'en ai ramme vrague valoi, rivé vous êtes rivé Jôreme leugue le cem tout goure de locère...et je suis trenré chez roi la euque casse débolarisé en me sandit que décédiment c'était vrenmait nue néjoure de dreme... ya des menmots comme ça à se guinfler mais ça ari miuex medain, c'est joutours ce qu'on tid dans ces sac-àl, av voirsa !.

 

© Jacques Chesnel

21:55 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (1)

07/03/2014

MADELEINE ET MADELAINE

 

Je n’avais pas souvent évoqué quelques souvenirs de mon enfance à l’amour de ma vie et cette nuit là après avoir raconté les petits faits du quotidien, échafaudé des projets plus ou moins lointains, juste avant les derniers câlins, allez savoir pourquoi me sont revenus ces souvenirs, ces images, ces personnages, ces parfums, ces…

 

Madeleine, quarante ans, asthmatique grave, était mariée avec Raymond, gazé sérieux en 17, c’était une cousine germaine, j’avais dix ans quand je suis tombé amoureux d’elle, enfin un amour de gamin tout naturellement ; ils tenaient une ferme dans un petit bourg de l’ouest normand. Ce fut pendant les vacances d’été que tout a commencé quand les parents nous confièrent mon frère et moi à ce couple pendant trois semaines, mes premières plus belles vacances… En plus de ma période mystique (je voulais être prêtre et jouais à dire sérieusement les offices en chasuble avec le frangin qui prenait des beignes en qualité d’enfant de chœur indiscipliné), j’avouais une autre passion… pour les vaches de la ferme… ah ma belle brunette normande, la tendresse humaine de ton regard et ton souffle chaud sur mes mains caressantes ; j’aimais bien conduire le troupeau aux herbages et le raccompagner à l’étable, sans coup de bâton, rien qu’à la voix… oh, oh là hoo… on faisait les foins aussi, perchés haut sur les charrettes remplies ras bord, fiers comme deux Artaban des villes, et ces glissades ensuite…

L’odeur du pain grillé nous accueillait le matin et, surtout, le gentil sourire et le halètement inquiétant de Madeleine toujours en blouse fleurie de petites marguerites que l’on comptait dans son dos pour la taquiner qu’y sont malicieux mes garçons (elle n’avait pu avoir d’enfant), çavati té mon Paulo, çavati té mon Jâââcquot arrgh ffh, alors et cette bonne nuit, hein, arrrgh ffffhh… le bol de chocolat est prêt le beurre de ce matin est sur la table pour mes petits… et ce carillon qui sonne tous les quarts d’heure au début c’est insupportable mais quand il s’arrête ça nous manque, se laver maintenant dans l’arrière-cuisine en pompant dur l’eau à la main dans le broc sous la réclame des outils et nouvelles machines agricoles Alfa-Laval rutilantes d’un rouge vif présentées par une dame un peu dévêtue de la poitrine, ah ça alors… allez vite à la messe dans le jardin, une baffe à mon enfant de chœur et hop à l’étable, puis aux champs…belle journée en perspective...

Raymond prit un air mystérieux de vieux roublard à qui on ne la fait pas et nous emmena devant la porte d’une grange fermée à double tour… bouches bées, nous contemplâmes une vieille guimbarde Renault décapotable décapotée et fort défraîchie qu’il nous présenta comme son taxi de la Marne, son trophée de guerre, sa Rolls des campagnes… le démarrage fut poussif, toussoteux, pétaradant, enfumé et puant, mais se pavaner ensuite dans le village comme des Artaban de campagne quel plaisir, et ces envieux devant la merveille, seule automobile du village à cette époque…

Cela dura un petit mois et prit fin quand dans les champs sous un soleil comme il n’en existe plus guère aujourd’hui apparurent deux silhouettes en habits noirs du dimanche, nos parents, qui se précipitèrent sur nous en pleurant, nous aussi, Madeleine aussi, pas Raymond ému quand même les yeux rougis... le lendemain, nous apprenions le drame, la raison de tous ces sanglots… la perte d’un petit frère mort-né… les vacances étaient terminées…

 

Rentrés, nous avions la permission d’aller au stade-vélodrome où tous les dimanches il se passait quelque chose de passionnant, ah ces Harlem globe-trotters qui cachaient le ballon de basket sous leur maillots en prenant des airs étonnés en regardant le ciel, et au foot, t’as vu le dribble de Kopa, et cet arrêt de René Vignal le Serge Lifar du ballon rond… mais celui qu’on préférait parmi nos préférés, c’était un coureur cycliste sur piste, Madelaine, on n’a jamais su son prénom on a jamais voulu savoir il n’y avait que la première lettre un R (Raymond ?), une belle gueule bronzée sous son casque en bourrelets de cuir à la Robic avec son vélo flambant neuf en alu, une selle pointue en vrai cuir et des cale-pieds réglables, le guidon sport enroulé avec du chatterton, le super luxe quoi… et puis c’était lui le plus fort, il était imbattable, en sprint, en poursuite, en américaine, par élimination, invaincu en vitesse pure, roi du ralenti, seigneur du plongeon du haut de la piste vers le bord en dangereux piqué vlouf … il nous faisait quelques fois un petit signe de la main, il nous avait repéré on criait les plus forts vas-y Madelaine vas-y Madelaine, notre pistard à nous… un jour il y eut un championnat avec des grosses primes annoncées au micro par le spiqueur, il avait mis un nouveau maillot, un rouge avec une barre verticale jaune son dossard avait le numéro 7, c’était lui le plus beau, le plus fort, oui, il gagna la course la plus belle, la plus richement dotée, un réfrigérateur Machin…

le jour de la victoire de notre coureur favori, nous apprenions en rentrant à la maison la mort de Madeleine, elle n’en pouvait plus de son asthme, elle s’était ouvert les veines dans sa baignoire… nous ne retournâmes jamais à la ferme ni au vélodrome, on ne revit jamais Madelaine, celui avec deux a… et ne plus me parler de Madeleine…

 

parlez-moi plutôt de l’amour de ma vie qui cette nuit là fut encore plus tendre que d’habitude si c’est possible…

 

© Jacques Chesnel

19:26 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (2)

28/02/2014

L'APRÉS DE L'AVANT OU L'INVERSE

 

. La pluie avant qu'elle tombe (Ian McEwan)

. La fumée avant le feu

. Dieu avant qu'il existe

. Le plein gré avant son insu

. La porte avant de la prendre

. La source avant qu'elle coule

. L'histoire avant qu'elle commence

. Le rire avant qu'il s'étrangle

. Le siège avant le saint

. La faute avant l'orthographe

. Les abois avant la biche

. Tuer avant le ridicule

. L'escampette avant la poudre

. Le remplissage avant le trou

. Partir avant la faim

. Rendre son pied avant de le prendre

. Déployer sa gorge avant de rire

. Mettre les roues avant le bâton

. La bulle avant le pape

. L'objet avant cet obscur désir (Luis Buñuel)

. Le jeu avant la règle

. Le pire avant le pire et le rire

. L'étalon avant le mètre

. Se gratter avant le poil et avant le nombril

. Le carosse avant la cinquième roue

. Le pipi avant le chat

. Le Niagara avant les chutes

. Le son des bois avant le cor du soir

. Rigoletto avant de rigoler tard

. Le crépuscule avant le boulevard (Billy Wilder)

. L'escadron avant les gaités (Courteline)

. La glace avant les seins

. Le papillon avant la minute

. Les sens avant le plein

. Le saut avant la carpe

. Korsakov avant Rimski

. La routourne avant Ribéry

. Le pinson avant Mimi

. Camille avant les cinq sens

. Damoclès avant les pépées

. La loi avant les tables

. L'orgasme avant le coït

. Le reflet avant la glace

. Le temps perdu avant la recherche (Marcel)

. La cicatrice avant le bistouri

. La moelle avant l'os (Pierre Dac)

. Eve avant Adam : tout est à recommencer

. La fin avant le début

 

© Jacques Chesnel

12:44 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (4)

22/02/2014

L’INSTRUMENT

 

 Ça, on peut dire que je me fais tripoter par tous les doigts de toutes les couleurs des deux sexes mais surtout des hommes depuis mon dépucelage quand le premier m’a sorti de ma boîte doublée de velours rouge et que j’étais encore en plusieurs morceaux oh la belle sensation lors du premier assemblage ces mains qui tremblaient car ce fut un jeune homme qui eut l’honneur me faire sentir entière bien droite et fière ah ce premier son frisson après la pose de l’anche d’abord mal humectée maladroitement posée puis rectifiée et enfin bing bang bug pfuittt fausse note cela commençait bien hihihi…

Depuis ce moment quand même merveilleux cet épanouissement mon premier orgasme quand enfin maîtrisée mon initial amoureux s’envola… pour jouer au clair de la lune puis après quelques familiarités avec les gammes et un doigté douteux il entama un blues de sa composition plutôt décomposée faut bien commencer par là un jour certes mon acquisition était un cadeau de ses parents pour le bac avec mention quand voyant son impuissance à me faire vraiment jouir il décida avec l’accord des parents de me revendre dans une boutique d’occase de renommée tout de même…

En raison de ma date de naissance, de mon pedigree, de mon état quasi neuf je ne fus pas longtemps à faire le poireau dans le magasin où se précipitent musiciens pro ou amateurs ou chevronnés débutants s’abstenir je passais donc entre quelques bonnes pognes et lèvres agréables sur mon joli bec quelques baveurs dégoulinants aussi qui négligeaient de me ramoner à l’écouvillon j’en profitais alors pour fausser ma justesse avec mon barillet bien fait j’ai même eu l’heur de plaire mais zoui à une vedette du jazz très connue un brin prétentieuse et plutôt chafouine qui donnait parfois le change en compagnie de musiciens classiques j’ai donc eu droit aussi bien à du jazz dit free qu’au concerto de Mozart aux applaudissements de smokings et de chemisesàfleurs de dames compassées et de jeunettes libérées vous pensez bien que tout ceci ne me laissait pas indifférente et puis paf disgrâce pour une concurrente complètement surfaite une étrangère et me revoilà cette fois acoquinée avec un jeunot qui me maltraite que je ne sais plus quoi penser de bien et de mal je suis un peu perdue tourneboulée c’est quoi son truc du folk du quoi de quoi mais il s’occupe tellement bien de moi propre et prévenant démontée rangée dans ma boîte doublée de velours rouge et puis un jour l’oubli non mais vous vous rendez compte une touche avec une groupie et me voilà sur le carreau dans un coin de l’estrade laissée pour compte comme une vulgaire savate et les gars de la propreté oh les mecs c’est quoi ce truc ouvre pas j’te dis c’est quoi putain un biniou c’est une clarinette dis donc Selmer qu’elle s’appelle ça vaut combien et me voilà repartie pas loin quand le jeunot rapplique et donne la pièce et me reprend et me jure son amour éternel… avant quelques temps après de choisir de se mettre au saxo le traître quelle fin de vie sur le haut de l’armoire que je me languis j’ai pourtant plein de sons à dire encore au secours quelqu’un peut m’aider ? vous ? oui vous, là !...

 

© Jacques Chesnel  

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01/02/2014

RUGBY, MY DEAR

 

 Nous étions tous les trois venus de régions différentes, Alan breton bretonnant, Antoine albigeois de souche et moi Ahmed pur beur de Normandie, pour suivre nos études à l’école supérieure de journalisme à Lille ; après un round d’observation partagée nous étions devenus copains comme cochon suivant l’expression consacrée. Chacun y allait de son pays critiquant ou glorifiant, le plus virulent étant le cathare qui ne chômait pas sur le sport régional, le rugby, un art de vivre se plaisait-il à dire citant Jean Giraudoux, Mac Orlan, Antoine Blondin, Samuel Beckett et évoquant sourire au coin des lèvres les valeurs de ce sport de voyous joué par des gentlemen comme on dit depuis toujours et non l’inverse hein… les hommes de l’ouest que nous sommes en apprirent tellement au cours de nos soirées que nous devînmes incollables sur les règles, les joueurs mythiques, les grandes équipes, le rugby britannique, les relations entre joueurs, les coachs et préparateurs, les troisièmes mi-temps, tout sur ce sport de combat que d’aucuns pratiquent comme une religion cong… Comme à Lille le rugby est une langue étrangère on se rabattait sur la télé on avait trouvé un bistro sympa avec le patron total fan et canal +, hors saison on passait des cassettes vidéo de matches enregistrés ; alors je peux vous dire qu’on en savait un maximum surtout sur les joueurs de ces cinquante dernières années : Serge Blanco, Jean-Pierre Rives dit Casque d’Or, Philippe Sella, Castaignède dit le petit Mozart de l’Ovalie, les Blacks avec Jonah Lomou et le fameux et terrifiant haka, les anglais nos meilleurs ennemis avec Jonny Wilkinson, les irlandais et leur fighting spirit et Ronan O’Gara, chez nous les gars de Toulouse et du Stade Français ou de Biarritz et Clermont, Vincent Clerc et Wesley Fofana et leur pointe de vitesse, les virevoltes de Cédric Heymans, les percées de Poitrenaud, les plaquages de Serge Betsen, les coups de pied à suivre et les drops de Juan Martin Hernandez et d’Elissalde, Jauzion, Skrela, Damien Traille, Emanol Harinordoqui, Dimitri Yachvili, les courses folles de Rougerie, celles de Yoann Huget et Sofiane Guitoune, la furia de Vermeulen l’Elvis du ballon ovale, on pourrait vous citer des pages et des pages, vous raconter les vestiaires et les après matches mais bon… on avait acheté en commun le Dictionnaire amoureux du rugby de Daniel Herrero le poète au bandeau rouge, lu Lacouture, je crois bien qu’on était devenu un peu fou à tel point que nous avions complètement changé les suites à donner après la fin des études, Alan ne voulait plus essayer d’entrer à Libération, ni moi au Monde diplomatique, Antoine voulait plus que jamais écrire pour Midi Olympique, bref nous voulions tous les trois devenir chroniqueurs sportifs spécialisés, c’était bien parti… De mon côté, je les avais initié au jazz, les grands musiciens, mes favoris et deux fois par semaine, je leur faisais écouter mes CD favoris et je les avais convaincu sur Coltrane, Miles Davis, Mingus et Monk que nous vénérions tous les trois.

Alan nous présenta un soir une créature de rêve rencontrée à Carhaix bénévole au festival des Vieilles Charrues et qui travaillait à Lille dans une boutique de mode ; elle s’intégra rapidement au trio ; nous étions naturellement admiratif et jaloux du succès de notre copain ; Manon, ah ! son prénom, s’était découvert une passion pour le chant et suivait des cours du soir au conservatoire, elle commença à nous parler des chanteuses qu’elle aimait, des musiciens qu’elle admirait et pendant ce temps on oubliait le rugby oh pour un temps parce que… Alan nous invita un soir dans une petite boîte de nuit où des amateurs se produisaient et nous vîmes avec stupéfaction notre Manon monter sur scène s’emparer du micro, se tourner vers le pianiste et annoncer sa chanson : du grand compositeur et pianiste Thelonious Monk je vais vous chanter RUGBY, MY DEAR … elle avait adapté de nouvelles paroles sur la géniale mélodie ; on en resta pétrifié, bien sûr, on applaudit à tout rompre avant et surtout après sa prestation plus qu’honorable et lorsqu’elle revînt elle nous confia : depuis le temps que je vous entends parler de rugby, il fallait bien que je vous fasse un petit signe à ma façon…

Bien entendu, cette fameuse composition de Monk était devenue notre hymne, il ne nous a jamais quitté et quand on y repense maintenant tous les trois dans nos métiers respectifs, Antoine au Midi Olympique, Alan éleveur de porcs dans sa Bretagne et moi cadre dans une entreprise de travaux publics (le pont de Normandie, autrement dit le viaduc de Millet, c’est moi !) cela nous émeut toujours, je le sais, ils me l’ont dit ; surtout moi et quand je réécoute Ruby, My Dear pour la millième fois, je n’oublie jamais d’embrasser très fort Manon, devenue mon épouse… pour son si beau cadeau… avec ce G, en trop. 

© Jacques Chesnel  

10:20 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (1)

23/01/2014

L'ARRÊT PUBLIC

  

C'est un pays où on aimait beaucoup aller pour nos vacances... avant le coup d'état il y a tois ans... quand c'était encore un pays libre, une république alors que maintenant... Muriel a dit alors on n'y va plus ?, Jérôme a répondu si, ce ne sont pas ces connards qui vont nous en empêcher quand même... 

Le coup d'état avait surpris tout le monde et lorsque la Maréchale prit le pouvoir après un référendum truqué favorable à l'extrême-droite avec l'appui de l'armée, du parti conservateur et des syndicats, ce fut un vrai coup de tonnerre, d'autant qu'avec son compagnon comme premier ministre (ancien officier de marine) et toute la clique de vieux réacs revanchards, on savait à quoi s'attendre et ça n'a pas tardé, le pays s'était refermé sur lui-même après avoir mis les barbelés aux frontières, rétabli sa vieille monnaie dévaluée, mené une campagne de privatisation des services publics et des grandes entreprises, supprimé les libertés individuelles, installé la torture et restauré la peine de mort ; tel était la situation après ce soit-disant aggiornamento (!) mené de main de fer par cette blondasse haineuse, vindicative et vengeresse. Il y avait eu un peu de résistance, quelques émeutes réprimées dans le sang et tout était redevenu calme et bouclé. Le pays fut immédiatement mis au ban de l'Europe démocratique. Au bout de quelques mois, la situation intérieure s'étant dégradée notamment plus de tourisme, une de ses ressources prinicpales, la Maréchale (autoproclamée) dû se rendre à l'évidence : il fallait lâcher un peu de lest comme l'avait fait à leur époque ses chers modèles Salazar, Franco et Musso. 

Donc, ayant pris leur décision d'y aller malgré tout, Muriel et Jérôme commencèrent leurs démarches pour un séjour de 15 jours et durent surmonter des difficultés et problèmes à l'ambassde et au consulat après enquêtes minutieuses à leurs sujets (paperasses, queues et attentes interminables, interrogatoires...) et obtinrent enfin leurs visas au bout de deux mois. Partis !.A la frontière, rebelote, questions, papiers, fouilles... et nous voilà sur la route des vacances youpiiii... Premier constat, les routes privatisées ne sont pas entretenues, cabines de péage tous les vingts kilomètres sous le regard des soldats surarmés vigilants, peu de stations-service, rationnement de carburant... 

Jérôme, un œil dans le rétroviseur dit à Muriel ne te retourne pas on est suivi sur la route par une grosse voiture noire et sans doute par l'hélicoptère dont on entend le boucan infernal, on a encore plus de deux cents kilomètres putain c'est pas possible avec ces nids de poules...

Quelques pauses pipi sur des aires payantes quasiment désertes, toilettes abandonnées répugnantes... et la fin du cauchemar routier en vue, enfin la destination finale. On ne s'y reconnaissait plus, tout avait changé, peu de monde dans les rues, des magasins fermés rideaux de fer baissés, peu d'éclairage urbain, pas de panneaux de signalisation, le GPS ne fonctionnait plus, toutes les places de stationnement payantes et réservées avec arceaux de sécurité levés, après avoir déambulé pendant une demi-heure, on trouve un endroit pour s'arrêter et le vigile nous fait comprendre d'abord pas signes, puis vous pas stationner ici seulement « arrêt public », quoi ? oui arrêt public gratuit, Muriel rigole, la république, gratos ici ?, le vigile ayant enfin compris ou presque ne rigole pas du tout et devient menaçant, il gueule vous arrrrêter ici mais pas stationne... du vrai Kafka, en pire. Et Muriel de demander benoîtement, heu vous savez où on peut trouver un parking par là parce que... Le geste du gardien fut très explicite... Muriel ajoutant : et très républicain !. 

© Jacques Chesnel

12:05 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (1)

10/01/2014

L'ATTRACTION AVANT

 

On ne sait jamais quand cela arrive, quand cela vous arrive, le plus souvent à l'improviste et alors il faut vite faire fonctionner la boîte à rangements dans le cerveau pour pas que ça vous échappe, mais quand vous vient ces quelques mots comme aujourd'hui : l'attraction avant ? que peut-il se passer, qu'en penser...

Bon il y a bien quelques semaines que je m'étais égaré dans une manifestation concernant des vieilles bagnoles ressorties du garage où des vieux pépés lustrent et peaufinent les carosseries à s'en luxer les abattis, à caresser des formes avantageuses en aérodynamique qu'ils semblent préférer à celles de leurs mémés et font tourner le moteur avec réglages précis et précieux chaque jour un peu plus tous les jours en vue de la prochaine sortie du dimanche, du prochain concours pour frimer du genre regardez c'est moi qui possède la plus belle, la mieux conservée, toujours en état de marche vroum vroum et je vous raconte pas la fierté avec les mirettes en merlan frit et la bouche en cucul de poule pour vous en mettre plein la vue ; donc, nous y voilà une attraction, d'accord mais avant ?. Je me suis fait une de ces prises de tête, une monumentale, j'ai cogité sans arrêt buffet ou presque, je me suis trituré ce qui me reste de méninges après ma méningite à avoir la caboche jouant à la chaudière kalamazoo, à se cogner la tronche contre les murs (aïe) plutôt que l'avoir au carré ou mieux dans les étoiles, pauvre Gégé…

 

…en 1936, Papa qui avait eu de l'avancement à la compagnie des eaux et qui rêvait tous les soirs à la nouvelle Citroën, cette fameuse 7CV, la première traction avant construite en grande série à partir de 1934, s'était débrouillé avec un copain garagiste pour en acheter une d'occasion, une véritable affaire après un décès, au grand dam de Maman, Roger c'est de la folie, on va croire que t'as gagné à la loterie nationale, mais oui ma bonne Marthe j'ai gagné oh pas le gros lot mais assez pour je ne t'avais rien dit pour te faire une surprise et voilà comment mon frère Lucien et moi on paradait dans notre "trésor à roulettes" qui faisait des envieux comme les copains du Front Populaire qui traitaient Papa de richard et de vendu au grand patronat et aux deux cents familles ce qui était faux puisqu'il avait adhéré au Parti Communiste l'année précédente au re-grand dam de Maman qu'est-ce qu'on va dire dans la famille avec Pépé Auguste qui n'aimait pas les bolcheviques et préférait les Panhard… les premiers jours on a fait de courtes balades parce que il y avait des grèves et des fêtes tout le temps partout, des manifestations et des contres avec parfois de la bagarre avec les ligues nationalistes mais nous on suivait les drapeaux rouges  on entendait crier vive Léon Blum comme à la première Fête de la Jeunesse où on avait défilé avec le petit Lucien qui chantait plus fort l'Internationale mais encore plus faux et s'égosillait vive Boum vive Boum … les copains de Papa le charriait toujours en l'appelant l'amerloque mais ils étaient contents quand ils allaient à la pêche dans la traction avant qu'était devenue l'attraction du quartier… bientôt, Papa allait prendre ses premiers congés payés pour aller passer une journée à Trouville puis à la campagne pour aider des cousins à faire les foins, dans la voiture on avait expérimenté les fameux "coups de raquette" à l'arrière quand la route était mauvaise, on avait emmené Mémé Albertine qui avait une des ces frousses parce que c'était la première fois qu'elle montait dans une auto moderne vous roulez trop vite Roger disait-elle en se tenant à la poignée de la portière attention a pas ouvrir Mémé, on ne se moque pas Gégé me dit Maman tu verras plus tard mais je ne serais jamais vieux Maman qui pour l'occasion avait mis une rose dans le petit porte-fleur sur le côté du pare-brise, on était heureux ça allait durer toute la vie… ça a duré jusqu'à la guerre, jusqu'à l'exode quand on est reparti chez les cousins, cette fois on ne chantait plus et on se foutait pas mal des "coups de raquette" à l'arrière de la traction avant, on avait entendu les chevrotements du "sauveur de la patrie" à la radio et Papa avait dit attention méfiance avec ce gars-là il ne nous aime pas à cause du Front Popu… puis avec ses copains il était entré plus tard dans la résistance avec les F.T.P. dans le maquis du Vercors sans pouvoir emmener la voiture faute de carburant ; pendant l'occupation la voiture était restée immobilisée, cachée dans une grange chez les cousins pendant quatre ans enfin presque car on a appris qu'en juin 44, quelques jours après le débarquement, des collabos du coin bien renseignés et armés jusqu'aux dents avaient réquisitionné notre voiture qui, après quelques tentatives laborieuses de démarrage pétaradant, put finalement embarquer ces salopards on ne sait où en espérant qu'ils n'iraient pas très loin…

 

… et aujourd'hui j'entends encore à la libération Lucien dire à Papa en pleurnichant, j'espère qu'ils ne sont pas allés très loin avec les coups de raquette à l'arrière et Papa de répondre oui je le souhaite mais tu sais elle est vraiment increvable cette attraction avant là, hein ? Gégé, me dit-il en ajoutant un clin d'œil…

- la preuve, Papa, j'en ai encore vu plusieurs cette semaine, tous ces pépés en train de tripoter leurs machines vroum vroum... avant que ça fasse teuf teuf et pfttt ptffff...

©  Jacques Chesnel

12:46 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (2)

04/01/2014

LA CHAMBRE, LA LOGE

  

Quand Martial ouvrit la porte de la chambre après avoir frappé si doucement que je n’avais rien entendu, je tenais la main de Melinda, je la retirai doucement elle la reprit la serra fort en murmurant non. Martial s’avançait gauchement avec son bouquet de fleurs, des arômes dont l’odeur se mélangea rapidement avec celle écoeurante de tout hôpital. Il s’approcha du lit et se pencha vers Melinda disant non dans un souffle, nos regards gênés se croisant, drôle d’ambiance.

Je, dit-il

Non, reprit Melinda, rien ne dis rien et pars vite

Je, dis-je

Non, toi tu restes

Mais

Tu restes, dit-elle, m’étreignant la main qui me fit mal, craquement des doigts, surpris de sa force.

L’odeur devenait vraiment insupportable, je ne veux pas de tes fleurs et sors, vite

Mais

La porte s’ouvre alors, une blouse blanche entre affairée, bonsoir il est l’heure on va prendre sa petite température maintenant, si ces messieurs veulent bien sortir un minute, elle lâcha ma main, Martial haussa les épaules, l’infirmière secoua le thermomètre, un peu de musique maintenant non ?, elle mit la radio sur FIP c’était Paul Desmond…


Quand Paul Desmond ouvrit la porte de la loge, son premier regard fut pour la table, bon c’était la bonne marque de whisky ouf. Le verre était en carton il aurait préféré qu’il soit en verre mais bon.

Derrière lui, une blonde enturbannée façon Beauvoir s’approcha et lui mit la main sur les yeux qui c’est hein Marina nan perdu Melinda petit voyou qui attendais-tu petit voyou mais toi bien sûr. Derrière elle, un balèze gominé du genre gangster années 30 hé Paul j’ai un nouveau contrat pour toi au Vanguard tu piges okay mec bonjour Marina nan moi c’est Melinda spèce de connard Desmond lui pris la main non pas toi, dégage mec dit-elle au gommeux. Il me gonfle, et en plus je peux pas saquer son odeur on dirait celle de l’hôpital ou des arômes

Tu restes, bouge pas

Holà vous deux, dit le gangster, vous jouez à quoi, hein ?

Aïe mes doigts heu tu serres trop fort

La porte s’ouvre c’est à vous Paul dans deux minutes, les gars du MJQ sont prêts


L’infirmière sortie, je suis rentré seul dans la chambre, Martial m’avait dit dans le couloir je n’en peux plus de la voir comme cela tu te rends compte, Melinda me souriait elle avait l’air heureuse elle avait éteint la radio, elle aimait bien Paul Desmond, alors après c'était pas la peine de continuer...

 

© Jacques Chesnel

15:44 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (4)