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07/03/2014

MADELEINE ET MADELAINE

 

Je n’avais pas souvent évoqué quelques souvenirs de mon enfance à l’amour de ma vie et cette nuit là après avoir raconté les petits faits du quotidien, échafaudé des projets plus ou moins lointains, juste avant les derniers câlins, allez savoir pourquoi me sont revenus ces souvenirs, ces images, ces personnages, ces parfums, ces…

 

Madeleine, quarante ans, asthmatique grave, était mariée avec Raymond, gazé sérieux en 17, c’était une cousine germaine, j’avais dix ans quand je suis tombé amoureux d’elle, enfin un amour de gamin tout naturellement ; ils tenaient une ferme dans un petit bourg de l’ouest normand. Ce fut pendant les vacances d’été que tout a commencé quand les parents nous confièrent mon frère et moi à ce couple pendant trois semaines, mes premières plus belles vacances… En plus de ma période mystique (je voulais être prêtre et jouais à dire sérieusement les offices en chasuble avec le frangin qui prenait des beignes en qualité d’enfant de chœur indiscipliné), j’avouais une autre passion… pour les vaches de la ferme… ah ma belle brunette normande, la tendresse humaine de ton regard et ton souffle chaud sur mes mains caressantes ; j’aimais bien conduire le troupeau aux herbages et le raccompagner à l’étable, sans coup de bâton, rien qu’à la voix… oh, oh là hoo… on faisait les foins aussi, perchés haut sur les charrettes remplies ras bord, fiers comme deux Artaban des villes, et ces glissades ensuite…

L’odeur du pain grillé nous accueillait le matin et, surtout, le gentil sourire et le halètement inquiétant de Madeleine toujours en blouse fleurie de petites marguerites que l’on comptait dans son dos pour la taquiner qu’y sont malicieux mes garçons (elle n’avait pu avoir d’enfant), çavati té mon Paulo, çavati té mon Jâââcquot arrgh ffh, alors et cette bonne nuit, hein, arrrgh ffffhh… le bol de chocolat est prêt le beurre de ce matin est sur la table pour mes petits… et ce carillon qui sonne tous les quarts d’heure au début c’est insupportable mais quand il s’arrête ça nous manque, se laver maintenant dans l’arrière-cuisine en pompant dur l’eau à la main dans le broc sous la réclame des outils et nouvelles machines agricoles Alfa-Laval rutilantes d’un rouge vif présentées par une dame un peu dévêtue de la poitrine, ah ça alors… allez vite à la messe dans le jardin, une baffe à mon enfant de chœur et hop à l’étable, puis aux champs…belle journée en perspective...

Raymond prit un air mystérieux de vieux roublard à qui on ne la fait pas et nous emmena devant la porte d’une grange fermée à double tour… bouches bées, nous contemplâmes une vieille guimbarde Renault décapotable décapotée et fort défraîchie qu’il nous présenta comme son taxi de la Marne, son trophée de guerre, sa Rolls des campagnes… le démarrage fut poussif, toussoteux, pétaradant, enfumé et puant, mais se pavaner ensuite dans le village comme des Artaban de campagne quel plaisir, et ces envieux devant la merveille, seule automobile du village à cette époque…

Cela dura un petit mois et prit fin quand dans les champs sous un soleil comme il n’en existe plus guère aujourd’hui apparurent deux silhouettes en habits noirs du dimanche, nos parents, qui se précipitèrent sur nous en pleurant, nous aussi, Madeleine aussi, pas Raymond ému quand même les yeux rougis... le lendemain, nous apprenions le drame, la raison de tous ces sanglots… la perte d’un petit frère mort-né… les vacances étaient terminées…

 

Rentrés, nous avions la permission d’aller au stade-vélodrome où tous les dimanches il se passait quelque chose de passionnant, ah ces Harlem globe-trotters qui cachaient le ballon de basket sous leur maillots en prenant des airs étonnés en regardant le ciel, et au foot, t’as vu le dribble de Kopa, et cet arrêt de René Vignal le Serge Lifar du ballon rond… mais celui qu’on préférait parmi nos préférés, c’était un coureur cycliste sur piste, Madelaine, on n’a jamais su son prénom on a jamais voulu savoir il n’y avait que la première lettre un R (Raymond ?), une belle gueule bronzée sous son casque en bourrelets de cuir à la Robic avec son vélo flambant neuf en alu, une selle pointue en vrai cuir et des cale-pieds réglables, le guidon sport enroulé avec du chatterton, le super luxe quoi… et puis c’était lui le plus fort, il était imbattable, en sprint, en poursuite, en américaine, par élimination, invaincu en vitesse pure, roi du ralenti, seigneur du plongeon du haut de la piste vers le bord en dangereux piqué vlouf … il nous faisait quelques fois un petit signe de la main, il nous avait repéré on criait les plus forts vas-y Madelaine vas-y Madelaine, notre pistard à nous… un jour il y eut un championnat avec des grosses primes annoncées au micro par le spiqueur, il avait mis un nouveau maillot, un rouge avec une barre verticale jaune son dossard avait le numéro 7, c’était lui le plus beau, le plus fort, oui, il gagna la course la plus belle, la plus richement dotée, un réfrigérateur Machin…

le jour de la victoire de notre coureur favori, nous apprenions en rentrant à la maison la mort de Madeleine, elle n’en pouvait plus de son asthme, elle s’était ouvert les veines dans sa baignoire… nous ne retournâmes jamais à la ferme ni au vélodrome, on ne revit jamais Madelaine, celui avec deux a… et ne plus me parler de Madeleine…

 

parlez-moi plutôt de l’amour de ma vie qui cette nuit là fut encore plus tendre que d’habitude si c’est possible…

 

© Jacques Chesnel

19:26 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (2)

Commentaires

Waouh c'est super cette évocation : merci,Jacques, encore !!!

Écrit par : Clopine Trouillefou | 08/03/2014

vrai souvenir où l'on "voit" la campagne comme elle existe peut-être encore, par quelques endroits cachés...

Écrit par : Dominique Hasselmann | 14/03/2014

Les commentaires sont fermés.