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04/05/2014

LE PALAIS DE LA RATATINE

 

 

Putain c’est pas vrai l’ascenseur est encore en panne trois fois dans le mois soit trois fois 208 marches soit 6240 pour trente jours ouvrables et encore en aller simple je vous dis pas en AR ça commence à faire si bien qu’à chaque fois que je prends cette cage à lapin qui pue le parfum bon marché et la soupe à je sais pas quoi je me demande si cette fois-là je vais pas rester coincé alors maintenant j’emporte mon portable où j’ai rentré le numéro du dépanneur qui arrivera en blouse blanche de préparateur en pharmacie avec quatre heures de retard alors tous les petits vieux et même les grands râlent sur les paliers je vous dis pas… alors là c’est le seul moment où il y a un peu de bruit dans l’immeuble sinon on se croirait à la morgue bon c’est vrai que c’est bien insonorisé quand il y en a tellement qui se plaignent d’entendre le monsieur d’à-côté péter fort toute la nuit et la voisine du dessus glousser au porno de Canal+ quand c’est pas un grand moustachu qui écoute du Bill Evans Peace piece toute la sainte journée ici silence total et bouche cousue tenez moi j’habite au treizième depuis le mois de février de cette année je n’ai entendu ni rencontré personne je m’en souviens c’est quand j’ai perdu Galipette ma petite chatte tigrée roux d’un cancer du foie mais j’y reviens bon sur mon palier un couple lui ancien cordonnier avec l’éternelle casquette vissée au crâne elle ancienne vendeuse rayon layette chez Monoprix la je sais pas combien vieillissante les cheveux tout bigoudinés et les guibolles flageolantes comme des allumettes genre mémés des dessins de Sempé je crois bien que la dernière fois que je leur ai dit bonjour ce doit être avant Noël donc l’année dernière ils m’ont tout juste répondu en vitesse en fuyant à cent à l’heure vers leur gourbi la porte vlan que j’ai même pas eu le temps de leur souhaiter quelque chose que j’en pensais pas un mot mais bon la convivialité hein alors voilà les ratatinés 1… juste de l’autre côté un couple enfin un grande bringue hommasse et lui un court sur pattes bas de plafond je leur apporte un paquet trouvé dans ma boîte au lettre je sonne la porte s’ouvre à deux à l’heure le mec terrorisé referme la porte je lui dis j’ai un paquet pour vous le facteur s’est gouré il m’arrache le paquet et referme la lourde brutalement en murmurant mercique j’entends à peine alors voilà les ratatinés 2… ratatinée 3 une créature parce que je me demande qui c’est avec une odeur sur elle pas possible de choux farcis au hareng-saur ou au fromage de chèvre de plus d’un an son éternel panier d’osier sous le bras comme si on allait lui piquer alors l’ascenseur après son passage la mort subite même avec une pince à linge sur le tarbouif… je ne vais pas énumérer tous les ratatinés des autres étages il y a pas mal de spécimen et spéciwomen la voisine du dessous dont je n’ose imaginer les dessous le pépé du neuvième l’air toujours hébété à la menthe ou hagard aux gorilles au choix qui soliloque et crache sur la météo de RTL (il dit encore Radio Luxembourg) qu’est jamais bonne bien fait t’as écouté autre chose pauv’ con une jeune vieille fille de je ne sais où qui ramène toujours un foulard invisible sur son cou grassouillet trop visible heureusement qu’il y a la préposée à l’entretien Madame Suzy et son beau sourire qui se marre sans arrêt et au rez-de-chaussée la petite étudiante qui prépare un master de je sais pas quoi elles relèvent si peu la moyenne d’âge ah si ya un autre jeune avec une boucle d’oreille qui me regarde avec la haine depuis que je lui ai dit au moment de la coupe de foot que je préférais le rugby et le tennis un jour où il avait daigné me parler… je voudrais que ça braille criaille martèle hurle que ça s’époumone Simone avec plein de décibels total barouf l’apocalypse de la pétarade partout big partouze de bruits je me demande des fois si je vais pas foutre un bordel monstre à fond la caisse dans ce cloître sépulcral je vais acheter une grosse caisse boum boum et deux sirènes de supporter vrooooon vruuuun et à minuit badababoum pour tous les rabougris et autres raccourcis du cerveau las ou de la cafetière ces ratatinés du Palais de la Ratatine aux abris comme en 40 et je continuerai fenêtres ouvertes avec Mingus à fond à faire trembler les murs et les planchers en béton désarmé à secouer les lustres en bois torsadé avec fausses bougies et fausses coulures oui du grand Charles de Oh Yeah le Hog callin’ Blues et les couinements de Roland Kirk en boucle vous en voulez encore de la musique de sauvages allez la Fire Music d’Archie Shepp encore plus tenez le Free Jazz d’Ornette Coleman c’est pas assez fort bon Le Sacre du Printemps deuxième partie Le Sacrifice plan plan plan plang nin nin nin ningça vous plaît pas vous préférez André Rieu et son violon dégoulinant de guimauve et de hein ? hé ben bernique… niqués… vous pouvez appeler les cognes ils vont en avoir pour leur argent avec le mec du treizième qui a pété les plombs à cause du silence éternel et plus si affinités…

est-ce que j’ai bien réveillé tous les recroquevillés de tous le âges ?

Le lendemain il y avait encore plus de silence que d’habitude dans ce foutu Palais de la Ratatine…

 

© Jacques Chesnel

22:38 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (1)

Commentaires

Le matin, ne pas oublier d'appeler Dame Tartine (et ça peut lui muscler ses jambes un peu maigrelettes)...

Écrit par : Dominique Hasselmann | 06/05/2014

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