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27/10/2008

CASA ALCALDE

(À quelques inconnus de là-bas)

 

La toute première fois où je découvris l’Espagne, ce fut sous la dictature du Caudillo, l’innommable Franco, en 1953. Le train s’arrêtait à Hendaye, sévère vérification d’identité par les sbires de la Guardia Civil d’alors, puis changement de convoi à la frontière jusqu’à ma première destination, San Sebastian. Découverte de cette ville superbe, de sa baie la célèbre Concha avec la petite île en forme de tortue au milieu, le Monte Igueldo sur la gauche. Après un tour de plage où je remarquai une jeune fille se faire traiter de pute  par les soldats puis se faire embarquer tout ça parce qu’elle portait un bikini, je commençai une virée dans les bars de la vieille ville, un chiquito dans l’un la même chose dans l’autre una pesata le petit verre à fond plat et très vite je trouvai mon port d’attache dans un bar de la calle trenta y uno de agosto, la Casa Alcalde. Une fois franchie la porte d’entrée un énorme brouhaha enfumé une foule compacte assourdissante le long d’un long bar au-dessus duquel pendaient des outres en peaux de chèvre enduites de poix à l’intérieur (pellejo) contenant ce vin corriente si épais et fort. Que des hommes, peu de jeunes, langue parlée fort le castillan ou très bas le basque car interdit, la gentillesse de l’accueil au francès de donde ah de Normandia en el Norte hombre, l’impossibilité de payer son verre le premier comme les suivants coño et ce chorizo comme on n’en fait plus maintenant et les guindillas piments verts qui vous embrasent le gosier feu qu’on éteint avec un chiquito uno mas por favor. Au bout de trois jours le Santiago de Normandia avait plein de potes hola que tal amigo on ne savait pas trop quoi se dire moi dans mon castillan approximatif mais avec l’accent qui me faisait comprendre donc pas de politique surtout car il y avait des mouchards pas de femmes ni de curés alors on parlait de cinéma de Cantinflas comique mexicain autorisé par la censure ou de la beauté et des charmes aussi de la débutante Sara Montiel et surtout des toros ah ! les Miura les autres ganaderias celle de Victorino Martin des toreros de Manolete le plus grand de la rivalité avec Belmonte de Pamplona et les fêtes de la San Fermin et les encierros après le deuxième cohete Hemingway et Antonio Ordoñez les frères Gijon Dominguin et Chamaco les cris de la foule en délire quand il faisait el telefono au cours de sa faena toutes ces histoires entre mecs…

J’y suis retourné plusieurs fois avec l’amour de ma vie et le passage à la Casa Alcalde était obligé j’y ai retrouvé quelques anciennes connaissances alors on ne se quittait plus et on pouvait enfin parler toute la nuit car le Franco tant haï n’était plus là mais le nationalisme basque commençait à faire parler de lui. Une année au printemps 1981 je crois peu importe j’étais venu seul pour un congrès de trois jours sur l’architecture et il m’arriva une aventure singulière. Alors qu’on m’avait averti de la présence de plus en plus nombreuse de pickpockets dans le vieux quartier attirés par les touristes eux aussi de plus en plus nombreux, je garai ma voiture non loin et décidai de laisser mes papiers et mon argent dans le coffre de ma voiture mais étourdi par le voyage d’une traite et impatient de peut-être retrouver des connaissances, je rangeai portefeuille passeport et porte-monnaie avec les clés de la voiture et… fausse manœuvre… c’est au retour de la Casa Alcalde que je compris que je ne pouvais pas ouvrir ni les portières ni le coffre putain !!! rien sur moi tout dépensé tout les précieux documents à l’intérieur. Attroupement devant mon automobile discussion interrogations les gardes civils armés s’approchent je leur explique clés dans coffre pas pouvoir ouvrir vous papiers moi papiers dans coffre méfiance défiance les premiers attentats on eut lieu récemment on part téléphoner une voiture arrive enfin avec quatre renforts armés jusqu’aux dents tous autour de l’auto et dégagement du groupe écartez-vous ho vous allez pas exploser ma bagnole calla te hombre discussion menaces et je me retrouve encadré fusils pointant pendant examen approfondi de l’extérieur du véhicule qu’on va embarquer où quand un gros bonhomme fait une suggestion là sur le côté de la grande vitre un petit déflecteur pourquoi pas essayer conciliabule oui c’est cela faire sauter délicatement le déflecteur et le chef me demande mon identité si c’est pas bon au poste immédiatement et la suite hum… quelques minutes plus tard opération réussie tout rentre dans l’ordre si on peut dire car ma voiture était mal garée je devais payer une amende avec un immense soulagement et on retourna tous sauf la flicaille fêter ça à la Casa Alcalde tassés comme des sardines dans le même brouhaha haha…

La dernière fois que nous y sommes allés douze ans après ce fut pour nous comme une désolation, la façade avait été refaite, pas en mieux, à l’intérieur les outres avaient disparues remplacées par d’affreux tonneaux, le chorizo n’avait plus de goût de même les guidillas tout cela à cause des règlements de Bruxelles disait gravement le nouveau jeune propriétaire, du rock à l’espagnol au lieu du flamenco ou des chants basques des sandwiches au lieu des tapas des pâtisseries trop sucrées le vin devenu de la bibine sans compter l’omniprésence du coca-cola ou du fanta…

Nous ne sommes pas revenus à San Sebastian ni à la Casa Alcalde… sauf certains soirs en Normandia là-bas en el Norte de Francia avec l’amour de ma vie et le souvenir des outres en peaux de chèvre qui pendent des guindillas des tapas et des chiquitos trinqués avec des inconnus qui parlent fort coño et qui ne veulent pas que je paie hombre…

 

©  Jacques Chesnel  (l’amour de ma vie)

20/10/2008

LE FACTEUR

Tous les jours ou presque le facteur passait toujours ou presque à la même heure midi et demi on entendait le couinement des freins de la voiture jaune défraîchie et alors vite à la boîte au bout du chemin… parfois un recommandé et donc l’occasion de parler un peu et d’ouvrir une bouteille de Tariquet première grives évidemment… grand lecteur de littérature Ferdinand le facteur n’oubliait jamais de lever son verre à la mémoire de René Fallet et Louis Guilloux qu’il avait découvert à la fin de la guerre avec aussi René-Louis Laforgue le chanteur poète et les films de René Clair paix à leurs belles âmes disait-il… un jour de courte tournée il avait confessé un autre de ses penchants avouables, jouer de l’orgue à la messe le dimanche matin avec la bénédiction du curé qui était au courant bien sûr de son athéisme… il se souvenait aussi que pendant sa parisienne jeunesse il allait écouter Olivier Messiaen à l’église de la Trinité le dimanche puis Eddy Louiss au Caméléon avec Ponty et Humair dans les années 60 j’avais sympathisé avec deux amateurs maousse-costauds Mick Tanner et Marcel Québire je me souviens de leurs noms et des discussions… j’étais fasciné je n’entendais pas beaucoup de différence entre eux à part le rythme peut-être et maintenant j’étudie les partitions je travaille sur du Bach que c’est vraiment difficile pour moi car je n’ai pas beaucoup de technique et par contre un peu d’arthrose alors ma femme me dit oh c’est pas de l’art rose hein ? et attention à tes jambes avec le pédalier tu vas devenir de la pédale elle me taquine la Suzanne… ah tiens j’ai pas une bonne nouvelle pour vous monsieur Axel je crois bien que c’est le tiers provisionnel ils ne vous ont pas oublié… vous avez cinq minutes je vais vous faire écouter un vieux Larry Young de derrière les fagots son disque Unity et on reste une heure à s’en mettre plein les oreilles parce qu’on va replacer le 33 tours plusieurs fois de suite… là il y a des drôles d’harmonies un peu espéciales non ? il est connu ? il a joué avec Miles Davis ah ! ça me tue tous ces types et en plus d’improviser ils ne savent souvent pas lire la musique même que moi j’ai vraiment du mal… bon c’est pas le tout hein mais faut que j’y aille finir la distribution à la revoyure…

 

Toute la petite bande d’amis s’était prise d’intérêt pour ce gaillard d’avant qui avait un mot gentil pour tout le monde et dont personne n’aurait osé se moquer pourquoi donc, incollable sur le fameux  Aristide Cavaillé-Coll et son oeuvre, sur le répertoire de J.S.Bach, Haendel, Vivaldi, Couperin, César Franck, Messiaen pour Ascension, La Messe de la Pentecôte, ses organistes favoris surtout Marie-Claire Allain et Michel Chapuis, des grands maîtres, il avait lu la méthode de Jean-Jacques Grunewald, la petite histoire de l’orgue de Nelly Johnson, il évoquait les douleurs musculaires et osseuses des organistes devant un auditoire attentif et intéressé…

 

… et puis l’année dernière plus de Ferdinand oui il a fait valoir ses droits à la retraite il doit vous manquer oh on va l’écouter de temps en temps il est appliqué mais il joue bien au fait vous savez maintenant pour compléter ses revenus et pour son plaisir de génial bricoleur…

…il est redevenu facteur, facteur d’orgue pour entretien et petites réparations dans les églises d’alentour, il se défend bien paraît-il…on attend toujours le couinement des freins vers midi et demi cela nous manque répondîmes nous tous en cœur…

 

©  Jacques Chesnel  (Jours heureux à Belavit)

 

 

01/10/2008

CONVERSATION 1

 

 

- Comment en est-on arrivé là ?

- Oh, ben moi vous savez je

- Oui bien sûr mais quand même

- C’est à dire que

- Et bien moi c’est pareil

- La première fois je me suis dit

- On dit toujours ça

- Vous savez moi les on-dit

- Ya des moments on ne sait plus quoi penser

- Tenez par exemple le

- Qu’est-ce qui bloque comme ça à cette caisse

- Ah c’est encore quelqu’un qui veut payer en francs

- Oh ça arrive encore tenez hier

- Mon voisin du quatrième pareil il compte encore en

- Y en a même qu’ont pas de chéquier que du liquide alors

- Moi je ne prends que de l’eau en bouteille

- Voui mais les bouteilles en plastique méfiance pasque

- Vous y croyez vous au bio

- C’est logique

- Bon alors ça avance c’est pas trop tôt

- Et cette bonne femme devant ses cheveux aux burnes

- C’est une teinture à l’eau Réale

- N’importe quoi pour augmenter les prix

- On sait plus quoi inventer

- Ah pour gagner plus ça

- Avec les retraites qu’on a tenez moi

- Moi je fais attention même les pâtes à la maison on

- Ne bousculez pas derrière avec vot’ chariot

- Le pépé devant y recompte sa monnaie

- Hé là-bas vous oui on poireaute faudrait pas

- Ma fille me disait hier

- La mienne elle veut plus venir elle prétend que

- Mais pourtant les étiquettes

- Ça va être à vous

- Les caissières sont aimables ici

- Moi je fais attention je choisis laquelle non pas la blonde là

- Avez-vous de nouvelles de Madame Deux

- Oh elle va pas bien

- Qu’est-ce qu’elle a ?

- On lui a trouvé un sein drôme

- Vous voulez dire drôle

- Non non un sein drôme même que

- Ils l’ont pas trouvé à la mamiegraphie ?

- Nan c’est plus sérieux elle passe des tests

- Des tests de quoi

- Elle a le délire des sosies

- Quoi des sosies ? comme les sosies de Strasbourg ?

- Je les connais pas

- Elle reconnaît plus personne ?

- Au contraire elle prend tout les hommes pour Claude François

- Et elle pour une Claudette non ?

- Son mari n’en peut plus vous pensez et Claude par-ci et

- Et ça se guérit comment

- Y savent pas trop… des piqûres peut-être

- Des piqûres contre les sosies

- Y essaient tout maintenant

- On connaissait pas tout ça avant

- C’est à cause du relâchement des nurses qu’on a dit à RTL

- Ah celles-là… j’écoute plus la radio

- Vous la saluer pour moi… si elle vous reconnaît

- C’est que…ah enfin à moi… bonjour un pack de Cristalline

- Mon bonhomme y dit que c’est de l’eau soviétique

- Oh ! ben ça alors

- Parce que pour lui l’eau crie Staline

- Hihihi il a le sens de l’humour le mien bof

- J’ai un ticket de réduction… quoi il est pas valable ? la date est pé

- La pub maintenant faut se méfier

- Je paie par carte bleue pourtant

- Ya eu des problèmes récemment des fraudes

- Quoi mon code ?

- Vous avez oublié de valider sur la touche verte

- Hein ? j’ai pas appuyé assez fort

- Yen a des caissières qui carottent dit-on

- Avec le salaire qu’elles ont tenez chez

- Vous m’attendez… bonjour un pack d’Evian et

- Y ont retiré les bonbons devant

- A cause des gamins qui barbotent

- Ouf un quart d’heure de queue aujourd’hui

- Faut pas venir le vendredi

- Pourquoi ?

- C’est jour de marché avec les paysans

- Moi pour les légumes je préfère mon épicier

- Attendez hé ya une erreur sur mon ticket

- Vous allez pas refaire la queue quand même

- Dites c’est quoi là beurre au sel de Guérande j’ai pas demandé ça

- Ya des fois elles disent que c’est la machine des codes de Barre

- Quoi faut appeler un contrôleur mais j’ai

- Bon mais c’est pas tout ça faut

- J’inspecte toujours mon ticket

- Moi aussi on ne sait jamais y font tout pour nous couillonner

- C’est pas la question d’ça mais vous comprenez

- Tout à fait raccord

- Tenez une fois 35 centimes de trop

- Ça fait quand même en francs heu

- Au prix où est le gaz maintenant

- Et le gazouale quand même

- Je ne fais plus de cuisine

- Pareil des surgelés et hop au micro-ronde

- Y paraît que ça conserve les vitamines

- J’ai le lu dans ce Femmes de maintenant à la con

- Ah voui celui avec la photo de la princesse de

- Qu’est-ce qu’elle a grossiiiiii dites

- Elle attendrait pas un autre gamin

- Ben vous pensez elles ont rien à foutre alors

- Ah vous avez fini enfin

- J’aime pas leur musique de maintenant

- Moi je préfère quand c’est Mike Brante

- Ou Adamo moi tous ces chanteurs modernes

- On revient au disco c’est mon mari qui va être con

- Houlà faut que je conserve mon ticket sans ça le mien

- Bon ben c’est pas trop tôt… ya du monde aujourd’hui

- Vous avez vu les nouveaux faux cheveux de machin à la télé

- A son âge tout ça pour les minettes et ses œillades oh

- C’est pas à moi que ça arriverait dame

- J’ai assez du mien il en veut toujours plus encore

- Vous avez de la chance le mien c’est tous les 36 du mois

- Des fois je lui mets du bromure en douce

- Et alors ?

- Queue dalle !

- Heureusement qu’y a Pernaut le midi pasque lui au moins

- Y nous prend pas la tête avec

- Bon c’est pas tout ça mais bon

- Quand faut y aller s’pas faut

- Allez à la prochaine pas vendredi hein à cause des ploucs

- Voui c’est noté… au fait de quoi qu’on devait parler aujourd’hui…

- On a tellement de choses à se dire…

 

© Jacques Chesnel (Conversations)

10/06/2008

PÊCHEUR

Quand les nouveaux arrivants débarquèrent à Belavit je ne sais plus qui a dit ces deux là font la paire ni qui répliqua à part ça ils ont l’air vraiment tartignolle… la suite montrera qu’il ne faut jamais se fier à la première mauvaise impression… ce qui intrigua d’abord ce sont des longs tuyaux sur la galerie de sa voiture un break… les tuyaux étaient des cannes à pêche quatre ou cinq ou plus alors que la rivière la plus proche est à une dizaine de kilomètres faut vraiment avoir envie proclama un autre pas taquineur du goujon du tout à ce qu’il paraît enfin bon… le pêcheur avait quand même (pourquoi quand même ?) belle allure dans son accoutrement, sa compagne aussi d’ailleurs mais son accoutrement nettement plus affriolant quoique pour la campagne enfin bon…

 on alla tous voir le déballage de la galerie ouah impressionnant tout ça pour un gardon ricana l’un vite foudroyé du regard gardon toi même… alors là à table je vous dis pas et je ne dirais rien sur l’étalage de ses connaissances sur la poiscaille de rivière et de mer il me faudrait des heures et des pages que ce serait fastueusement fastidieux mais je l’avoue très intéressant mais bon… ils étaient en civil comme nous on pouvait pas se douter très conviviaux plein d’humour euh vous chère madame la pêche aussi non non et vous faites quoi dans la vie mon mari est gestionnaire en informatique et moi je m’occupe d’une O.N.G. ah bon… greenpeace ? médecins sans frontière ? ni putes ni soumises ? handicap international ? non non défense des animaux contre les vivisections et expérimentations animales bien dit l’un nous voilà rassurés hihihi… ça a commencé vers 1 heure du matin d’abord des soupirs grognements halètements oui oui oui non pas ça non oh oui ça oui aaaaaaah et cris divers on était tous avertis bien que les cloisons entre les chambres soient insonorisées… dans la matinée l’un d’entre nous affirma avoir vu des menottes sur les montants supérieur du lit en cuivre de leur chambre dont la porte était restée ouverte ahah sado maso et tout le tintouin  bigre alors…le pêcheur était parti de bon matin sa compagne téléphonait sur son portable dans le jardin toute fraîche et pimpante un vrai teint de pêche semblait-il  le genre Bernadette Lafont dans Une belle fille comme moi de François Truffaut enfin bon…

…vers dix-sept heures Francis notre pêcheur revint avec une musette apparemment pleine et l’air réjoui qui allait avec alors maître tenez regardez truites tanches et carpes au menu les amis et Bernadette qui lui saute au cou… au repas qui s’ensuivit bien arrosé d’un p’tit blanc sec comme Adèle notre Francis fut intarissable et on se demandait bien avec le regard quelle serait la suite cette nuit… on attendait le raout et on ne fut pas déçu… à peine minuit et boum c’était reparti inutile de vous faire un dessin ou alors très compliqué comme les poupées et dessins d’Hans Bellmer avec en plus paroles, cris, musique lascive et vicelarde si vous voyez ce que je veux dire enfin bon…

le lendemain Francis et Bernadette qui s’appelait Nicole arrivèrent au petit déjeuner à l’heure habituelle vers onze heures la mine défaite les yeux en compote jusqu’au menton traînant la jambe et le reste à l’avenant… ils ne furent guère causants car ils n’avaient plus de voix ni de… devant nos regards mi-amusés mi-curieux mi-interrogatifs et mi-encore plus ce fut Nicole qui se décida à avouer : Francis que ce soit à la pêche ou au lit il a toujours la gaule et c’est pas près de s’arrêter vous savez il change tout le temps d’hameçon pour varier les plaisirs !...
tu parles…on lui avait pourtant rien demandé enfin bon…  

©  Jacques Chesnel  (Jours heureux à Belavit)

03/06/2008

EXPLICATION

- mazette, m’exclamai-je

- qu’est-ce qu’elle a ta zézette ? me demanda Martin

- j’ai pas dit zézette, j’ai dit mazette

- c’est quoi ta zette alors

- Martin, je ne parle pas d’une zette, je dis mazette qui est une interjection qui marque l’étonnement ou l’admiration

- on peut dire sa zette alors

- non c’est invariable mazette un point c’est tout

- pourquoi un point sur ta zette

- arrête Martin tu m’agaces

- c’est quoi ta gace alors

bon c’était mal barré avec Martin quatre ans sa bouille de poulbot et sa gapette de rappeur et ce disque de Jarrett qui me bouleverse tant cette façon de réinventer les ballades tiens Never Let Me Go putain et I Love In Vain il va me lâcher ce gamin

- tudieu, me rexclamai-je

- pourquoi tu veux tuer quelqu’un, Grandpa

- mais personne

- pourquoi tu veux tuer le monsieur Dieu

- c’est une vieille expression

- pourquoi c’est pas une interjection alors

faut pas que je me crispe vivement que sa mère rentre bordel elle est encore en retard

- Martin mon p’tit chou j’ai dit mazette et tudieu parce j’aime beaucoup le musicien qu’on écoute que je le trouve formidable voilà écoute bien et que je m’exprime enfin euh voilà

- comment qu’y s’appelle le monsieur que tu veux tuer alors

- mais je ne veux tuer personne d’abord le monsieur est un pianiste un grand pianiste et il s’appelle Jarrett Keith Jarrett

- pourquoi s’il est quitte tu dis que tu l’arrêtes alors qu’y joue encore

- MARTIN on écoute tu me lâches enfin merde on frappe voilà voilà j’arrête le disque

- pourquoi tu veux frapper le monsieur que tu arrêtes

- ah te voilà enfin c’est pas trop tôt

- excuse alors il a été sage mon ange

- Grandpa y dit que des gros mots et y veux tuer un monsieur lalalère

- qu’est-ce que c’est que cette histoire faut toujours que tu lui racontes n’importe quoi je vais hésiter à te le confier Papa tu n’es pas raisonnable à ton âge et le disque s’arrête et Martin me regarde je veux bien revenir Grandpa mais tu mettras plus de musique j’veux des dessins animés à la télé ou Chantal Goya en dévédé comme chez Maman alors

- mazette !

©  Jacques Chesnel

29/04/2008

CHEVAUCHÉE

Oui, j’y étais ; à l’Espace Cardin en 1974 quelques jours après la première de la création de la pièce La Chevauchée sur le Lac de Constance avec accrochez-vous Jeanne Moreau, Delphine Seyrig, Michaël Lonsdale qu’on prononçait Michel, Samy Frey et Gérard Depardieu presque débutant au théâtre… il venait de tourner dans les Valseuses et était qualifié de Marlon Brando français… gros succès de cette pièce de Peter Handke mise en scène par Claude Régy un peu de scandale aussi trop intellectuel abscons lire les critiques de l’époque… j’y étais allé pour Jeanne Moreau dont j’étais amoureux de loin dont je suis toujours amoureux d’aussi loin je la trouvais je la trouve encore fascinante dans les Amants Jules et Jim Ascenseur pour l’échafaud la déambulation de Florence sur les Champs-Elysées et la musique de Miles même que Mina me faisait me fait toujours des crises de jalousie vous voyez le genre qu’est-ce qu’elle a de plus que moi mais rien et tout ma chérie c’est elle Jeanne la grande Moreau et toi c’est toi et je t’aime je sais Jérôme mais Jeanne quand même et ce texte cette chevauchée dont on ne parlait pas entre nous je me souviens qu’à l’époque j’avais été cloué sur mon fauteuil la voix et la diction de Seyrig la présence émouvante de Jeanne celle impressionnante de Depardieu son maquillage les maquillages les costumes d’Yves Saint-Laurent le décor plutôt son absence y avait-il un décor je ne cherchais surtout pas à comprendre seulement à me laisser emporter par le verbe les gestes poses et attitudes la noblesse de Samy Frey les acteurs jouant des acteurs et maintenant j’ai un doute un sérieux doute je me demande s’il n’y avait pas Bulle Ogier dans la distribution la petite et grande Bulle je me demande encore qui pourra me le dire qui ? c’est loin et c’est près à la fois c’est vague et précis tout autant j’avais lu le texte de présentation l’auteur s’était inspiré d’un poème du XVIIième siècle un chevalier sur le lac de Constance sa traversée du lac je voulais chercher le rapport avec cette mort qui erre l’atmosphère inquiétante de cette pièce énigmatique des spectateurs qui partent cette fin qu’a-t-il pu se passer ?...

… oui, j’y étais à ce concert de Bill Evans à Paris à l’Espace Cardin en 1979 là où cinq ans plutôt j’avais assisté intrigué médusé empoigné ligoté par ce spectacle j’y pensais fort sur ce même plateau où Bill après le concert et après un court instant de repos dans le brouhaha des loges s’était éclipsé pour rejoindre le piano qu’il trouvait si bien pour jouer seul pas longtemps bientôt entouré d’une dizaine d’admirateurs triés sur le volet par Francis dont il était l’hôte Bill était penché sur le clavier comme à son habitude et Jeanne était là avec nous avec moi sur le plateau dans son costume de scène et Michaël qu’on prononçait Michel et Delphine et Samy et Gérard et peut-être Bulle aussi je sentais fort leur présence à mes côtés Bill enchaînait Waltz for Debby I do it for your Love Laurie et je ne me rappelle plus très bien quels autres thèmes et cela durait depuis longtemps quand un machiniste entre deux brefs silences bon la récré est terminée on ferme messieurs dames et il coupe la faible lumière du plateau et Bill continue dans le noir ohé dites j’ai pas envie de louper mon dernier métro et Jeanne me prend la main et Francis va trouver le gars attendez attendez on va vous donner de quoi prendre un taxi tenez voilà cent balles alors là vous pouvez continuer autant que vous voulez et Bill persiste encore longtemps et puis Jeanne me lâche la main et le Chevalier repart sur le lac de Constance peut-être avec Bulle comment savoir qu’a-t-il pu se passer ? et cette fin…

Ce fut le dernier concert que Bill donna à Paris. L’un de ses plus beaux, le plus prémonitoire de sa fin prochaine ? et cette fin…

©  Jacques Chesnel

09/04/2008

TIGRES

Belavit, c’est comme un pèlerinage, laïque, of course, amical surtout, un besoin de se ressourcer au contact d’amis très chers, de passer un moment toujours trop court mais plein ras-bord d’événements prévus ou imprévisibles, le pied quoi, bleu de surcroît… comme ce ciel d’été.

Outre l’accueil fraternel des hôtes, leurs chats jumeaux Gérald et Gérard, difficiles à identifier, pelage roux, bien tigrés une petite visible différence, une queue plus petite oh deux centimètres pas plus mais suffisant. Me reconnaissaient-ils d’une année l’autre, un peu de méfiance la première journée quelquefois moins, le temps que les méninges remettent les souvenirs en place… et alors que je te frotte sur le pantalon, que je saute sur les genoux à la moindre occasion de s’asseoir, et la turbine du ronronnement à fond vitesse supérieure volume maxi… et de violents coups de tête dans le menton, le pétrissage du pain sur la cuisse nue, doux d’abord, les yeux qui se ferment (ouverts on dirait des yeux de femme, Ava Gardner pour Gérald, Audrey Hepburn pour Gérard, de quoi craquer, non) aïe, le con mais il me griffe, une petite perle de sang, comment le chasser, faut savoir endurer… c’est tellement beau l’amuuuur !... et que j’te gâtouille hein mon coquin, qu’il est mimi et ses petites roubignolles pour les donzelles hein petits salopards de matous tigrés…

Au dîner, du monde et du beau, de la bouffe et de la bonne comme la fumette qui suit au dessert, et ces bouteilles à peine débouchées déjà vides, du château kèkechose bien gouleyant… et hop, purée lequel est-ce qui me saute dessus, ce n’est plus de l’amour c’est de la rage mais et je m’en fous ils sont vaccinés alors… dis donc tu as la cote me glisse ma voisine, ton parfum peut-être sans doute, ricane t’elle… me ferais-je draguer, il y a tant de nouvelles façons… bon, au fait 23 heures 32 (j’ai un goût prononcé pour les palindromes horaires, ainsi le matin réveil à 8 :08, déjeuner à 12 :21 et le soir…) excuses m’sieur-dames mais quand c’est l’heure, bonne nuit et bonne bourre à tertous…

Je me dirige un peu allumé vers ma chambre dans le noir, suivi par l’un des deux tigrés, dans l’obscurité lequel, Géqui ?, baaaah, je baille, je rote, je pète, je digère et je dis gère aussi… et rentre avec le greffier qui se faufile pffffffffffft avec un miaulement bizarre… je me déshabille en maugréant et sombre dans le lit et dans le sommeil du juste… ô pas longtemps car vers 1 heure 01, je me réveille en sursaut et impossible de replonger… alors en désespoir et en bonheur de cause, je pris un livre, un de ceux qui ne me quittent jamais, cette fois le Gîtes d’un de mes nombreux auteurs favoris, Julio Cortázar et allez savoir pourquoi je tombais au hasard des pages sur la nouvelle Bestiaire dans laquelle il est question d’un tigre dans une maison, tiens donc !... et un peu plus tard, sans doute vers 2 :02, je replonge avec Morphée accompagné du feulement d’un des deux G…

… maintenant je nage dans un bain de sang, le ventre labouré de coups de griffes monstrueuses, multiples… et ces hurlements provenant d’une cohorte d’innombrables tigres roux qui s’acharnent en une sorte de bacchanale sur mon abdomen que je protège à deux mains pour éviter la dispersion de mes viscères si chers non non c’est à ma poitrine que les nombreux monstres roux, des TIGRES énormes, s’attaquent ensuite, déchirent, écartèlent, furieuse sarabande non non pas mon cœur pas ma gorge et tout cette rivière de sang, ce déballage de tripes, de caillots…ah !  non non pas les yeux pas mes yeux… et pourtant si, les yeux… ahahah NON…

je suis réveillé par de doux ronronnements oh le tendre regard de Géqui, ses yeux d’Ava Hepburn ou ceux d’Audrey Gardner et ce pain caressant sur mon torse, délicieux petit tigre roux super minou et ce soleil par la fenêtre si jaune si roux aussi… une belle journée commence à Belavit… une de plus…

©  Jacques Chesnel (Jours heureux à Belavit)

02/04/2008

RENCONTRE

(en hommage à Cesare Pavese et Bianca Garufi)

 

- Entrez, dit-elle                                              Il entendit : « Entrez »    

Elle semblait irritée, sans raison                        Le ton lui déplut

La porte s’ouvrit, lentement                              Il ouvrit la porte, sûr de lui

- Jean, toi, ici, dit Marthe                                   - Bonjour Marthe, dit Jean

Il avait un drôle d’air comme déprimé                Elle paraissait lasse, enlaidie

Elle était étendu sur le sofa                                Affalée sur les coussins du divan

Marthe se redressa, mollement                          Immobile, figée

- Regarde-moi                                                 Regard inexpressif, comme vide  

Ses yeux étaient ailleurs                                  - Regarde-moi, dans les yeux  

Elle le trouva bouffi                                          Ses paupières lourdes, gonflées

Mou. Gêné, peut-être                                        Son teint jaune, fané

Marthe leva la main droite                                  Jean remua son bras, gauche

- Toi, enfin, pourquoi ?                                       - Moi, toujours, pourquoi ?

Un bruit dehors, loin                                           Un meuble craqua, tout près

Un sursaut ; elle inquiète, nerveuse                     Elle d’habitude si calme

- Tu vas bien, demanda Marthe                           - Oui, dit-il. Et toi ?

- Moi aussi, bien, merci, dit-elle                           - Bien merci. Elle mentait

Elle mentait, bien sûr                                          Cela se lisait sur son visage

Pouvait-il deviner…                                              Les soucis, évidemment

- Et… Jacqueline, hésita-t-elle                               Lui parler de Robert ?

Il ne me regarde toujours pas                              - Elle est chez sa mère, à Tours

- Robert est dans le sud, dans le Lot                     Il s’en foutait de ce type

Il a un travail fou                                                Un playboy, et sportif

Il s’en fichait pas mal                                           - Ah !, bon

                                 Ils se regardèrent enfin, quelques secondes

                                 Ils rougirent en même temps, tout d’un coup 

Elle se senti ridicule                                                Elle a dû s’en rendre compte

Il a rougi, il ne change pas                                     Tiens, cette rougeur

Si, il perd ses cheveux                                            Ce teint l’inquiétait

Le même teint de capitaine                                     Depuis longtemps depuis toujours

- Quel temps, remarqua Marthe                              On entendait la pluie, forte

Elle n’aimait pas cela                                              - Oui, un vrai temps de saison

C’est tout ce qu’il disait                                           Parlera-t-elle ?, maintenant 

                                 - Eh bien voilà, dirent-ils d’une même voix

                                 Ensemble, il éclatèrent de rire, tout d’un coup 

L’odeur l’incommodait                                               Il sentit son parfum

Infinity ? Cardin ?                                                      Je n’aime pas, du tout

Robert lui avait offert pour…                                     Un parfum, quelle idée !

Marthe avait comme un sourire                                Il fit un pas vers le divan

- Assied-toi, dit-elle                                                 - Merci Marthe, dit-il, soulagé

Elle se redressa sur les coussins                             S’asseoir un peu ; ouf !

Il croise toujours ses jambes                                    Sur le bord, comme cela

C’est une manie                                                        Son geste de la main, un tic

                                      Ils se toisèrent, ils sourirent 

Il va me demander si je suis…                                 -  Que dit le, ton médecin ?

- Tu sais comment ils sont                                        Elle lui cachait quelque chose

Ce médecin lui avait dit, tout                                     Tous pareils, enfin presque tous

- Tu veux boire quelque chose ?                               Il n’avait pas soif, pas tellement

- Un jus de raisin ?, un coca ?                                   - Je veux bien, merci, dit-il

Elle sonna, une fois                                                   Il se leva. – J’y vais

-Non, Adèle va venir ne te…                                      Il sortit, pour se détendre, un peu 

                                 La bonne et Jean se rencontrèrent dans le couloir

                                 Il connaissait le chemin, il revint avec le plateau 

Elle regardait la porte                                                 Il poussa la porte, du pied

- Pose-le là, sur la petite table                                    Le plateau plus grand que la table 

                                         Ils burent longuement, en se regardant 

- C’est frais                                                                  - Oui, c’est bon

- Tu te souviens ?                                                        - De quoi ?

- L’hôtel des Dunes, Pâques 78                                  - La Bonne Auberge , été 82

- Quatre jours de calme, la mer                                   - 7 jours de folie, la montagne

- Le maître d’hôtel joli garçon                                      - La petite serveuse, allumeuse 

                                                            - Oui 

Elle grimaça ; trop froid                                                Il but tout, d’un trait

Quelques gouttes sur le tissu                                       Jean la vit se crisper

La douleur revenait, oooooh                                        - Tu n’as besoin de rien

Il devrait partir, il le faut                                                Il se sentait bien maintenant

Qu’il ne me voie pas                                                     C’était comme avant, presque

- Non merci, tu es gentil                                                Marthe lui parût plus pâle

- Qu’il parte, mais qu’il parte                                         Il s’approcha, troublé

- Jean… non, n’approche pas                                       - Marthe, qu’as-tu, dis-moi

                                     Leurs gestes étaient comme suspendus

                                         Le temps s’arrêta, pour un temps

Marthe avait un malaise                                                Jean avait compris

Quelque chose comme…                                              Elle avait un malaise

Une douleur qui venait de…                                          Il devait faire quelque chose

Elle sonna, plusieurs fois                                              Appeler, sonner, quoi faire ?

Fébrilement, vite, vite                                                   Il sortit, rapidement 

                     Une infirmière et Jean se rencontrèrent dans le couloir

                                  - Pardon, Monsieur, Madame appelle

                                  Il restait là, planté ; l’infirmière courait 

Jean allait revenir, il le fallait                                         Quand il revint, il la vit

Robert était loin                                                            Lointaine, ailleurs

La douleur bougea en elle                                              La pluie tombait toujours

- Viens, dit-elle faiblement                                             - Viens, entendit-il, à peine

Il s’avançait                                                                  Elle lui souriait

- Ce n’est rien, tu sais                                                   - Bien sûr, je sais

- Je dois… garder la chambre                                        - Ne bouge pas, Marthe

- Je crois que je vais dormir                                            Elle fermait les yeux

- Tu … tu reviendra, Jean, dis ?                                      - Oui je vais revenir

- Au revoir, Jean                                                            - Adieu, Marthe 

                                              Le temps s’arrêta encore

                                                   Quelque temps… 

 

Il sortit comme un somnambule, quitta le trottoir, la moto fonçait sur lui. Il la vit, trop tard.

                                                 Le choc fut terrible.

                 Marthe, sur le sofa, souriait, le sommeil venait lentement 

- Jean, dit-elle, dans un souffle                                        - Marthe, expira-t-il, Mar…

 

© Jacques Chesnel

31/03/2008

CHAMBOULE-TOUT

Cette fête foraine n’était pas comme les autres, celles de maintenant, elle ressemblait à celles des camp agnes du siècle dernier et même de celui d’avant, une foire agricole surtout avec quelques manèges puis moins d’agricole et plus de manèges et aujourd’hui rien que des manèges mais pas les mêmes, maintenant plus sophistiqués et aussi plus dangereux… celle-là conservait ses manèges à l’ancienne à part les auto-tamponneuses et la chenille, on y poussait encore à la main avec des gars bâtis comme des Tarzan ; il y avait bien sûr les balançoires pour les petits et les balancelles pour les grands où les filles en robe ne payaient pas pour que les badauds reluquent leurs dessous ce dont ils ne se privaient pas, c’est d’ailleurs là que j’ai connu mes premières émotions de braguette, de plus en plus haut y avait une grande brune on aurait dit qu’elle le faisait exprès… mais ce que nous les jeunes d’alors on préférait ensuite c’était le chamboule-tout, on s’en donnait à cœur joie avec les balles enveloppées de chiffon pour taper et descendre les figurines représentant les gloires nationales ou locales, les politiciens, les maires, les vedettes à la mode et tout…qu’est-ce qu’on se marrait et pan sur machin et pan sur l’autre tiens pan dans la tronche… quand le fils a repris suite au décès du paternel, il a changé les gueules à démolir tous les ans, je me souviens des yé yé dans les années 60, on en foutait plein la tronche au Johnny, à la Sylvie , à Richard Anthony, Franck Alamo et Sheila la môme Chancel que sa figurine était toute déformée tant on tapait dessus on tapait … on y allait tous les soirs déchaînés qu’on était vas-y Jeannot vas-y Momo… et puis une année au début des années 80 je crois bien alors là on en revient pas encore dis donc, le fils allez savoir pourquoi ousqu’il avait pu pêcher cette idée il avait mis des musiciens des musiciens à nous des musiciens DE JAZZ tu te rends compte il y avait là les bobines d’Armstrong, Ellington, Coltrane, Monk, Miles Davis et Goodman bon Goodman on allait rien dire de trop, mais les autres on allait pas en rester là d’autant qu’on avait jamais vu autant de mecs se les bombarder, les cons ricanaient tiens dans sa gueule au négro et vlan vlan vlan… nous on faisait la gueule, on matait les gus avec leurs gueules de tarés on les repéraient ya le gars machin et celui qui sert de bedeau qu’y tapait comme un dingue sur Coltrane non on allait pas en rester là on ne pouvait pas en rester là… sans un mot on s’est retrouvé toute la bande sur le coup de deux heures du mat’ après que les gars de la sécurité soient partis on était cinq (Louis, le Duke, John, T.S. et moi Mimile) on a bousillé le stand mon vieux en dix minutes avec des marteaux et des manches de pioche on a tout mais alors tout cassé sauf les trombines des musiciens qu’on a emportés comme des reliques sauf Goodman qu’on sauva quand même in extremis un vrai champ de ruines hé ho hein toi le fils t’a compris on touche pas à nos idoles à nous pauv’ con.
© Jacques Chesnel