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27/10/2008

CASA ALCALDE

(À quelques inconnus de là-bas)

 

La toute première fois où je découvris l’Espagne, ce fut sous la dictature du Caudillo, l’innommable Franco, en 1953. Le train s’arrêtait à Hendaye, sévère vérification d’identité par les sbires de la Guardia Civil d’alors, puis changement de convoi à la frontière jusqu’à ma première destination, San Sebastian. Découverte de cette ville superbe, de sa baie la célèbre Concha avec la petite île en forme de tortue au milieu, le Monte Igueldo sur la gauche. Après un tour de plage où je remarquai une jeune fille se faire traiter de pute  par les soldats puis se faire embarquer tout ça parce qu’elle portait un bikini, je commençai une virée dans les bars de la vieille ville, un chiquito dans l’un la même chose dans l’autre una pesata le petit verre à fond plat et très vite je trouvai mon port d’attache dans un bar de la calle trenta y uno de agosto, la Casa Alcalde. Une fois franchie la porte d’entrée un énorme brouhaha enfumé une foule compacte assourdissante le long d’un long bar au-dessus duquel pendaient des outres en peaux de chèvre enduites de poix à l’intérieur (pellejo) contenant ce vin corriente si épais et fort. Que des hommes, peu de jeunes, langue parlée fort le castillan ou très bas le basque car interdit, la gentillesse de l’accueil au francès de donde ah de Normandia en el Norte hombre, l’impossibilité de payer son verre le premier comme les suivants coño et ce chorizo comme on n’en fait plus maintenant et les guindillas piments verts qui vous embrasent le gosier feu qu’on éteint avec un chiquito uno mas por favor. Au bout de trois jours le Santiago de Normandia avait plein de potes hola que tal amigo on ne savait pas trop quoi se dire moi dans mon castillan approximatif mais avec l’accent qui me faisait comprendre donc pas de politique surtout car il y avait des mouchards pas de femmes ni de curés alors on parlait de cinéma de Cantinflas comique mexicain autorisé par la censure ou de la beauté et des charmes aussi de la débutante Sara Montiel et surtout des toros ah ! les Miura les autres ganaderias celle de Victorino Martin des toreros de Manolete le plus grand de la rivalité avec Belmonte de Pamplona et les fêtes de la San Fermin et les encierros après le deuxième cohete Hemingway et Antonio Ordoñez les frères Gijon Dominguin et Chamaco les cris de la foule en délire quand il faisait el telefono au cours de sa faena toutes ces histoires entre mecs…

J’y suis retourné plusieurs fois avec l’amour de ma vie et le passage à la Casa Alcalde était obligé j’y ai retrouvé quelques anciennes connaissances alors on ne se quittait plus et on pouvait enfin parler toute la nuit car le Franco tant haï n’était plus là mais le nationalisme basque commençait à faire parler de lui. Une année au printemps 1981 je crois peu importe j’étais venu seul pour un congrès de trois jours sur l’architecture et il m’arriva une aventure singulière. Alors qu’on m’avait averti de la présence de plus en plus nombreuse de pickpockets dans le vieux quartier attirés par les touristes eux aussi de plus en plus nombreux, je garai ma voiture non loin et décidai de laisser mes papiers et mon argent dans le coffre de ma voiture mais étourdi par le voyage d’une traite et impatient de peut-être retrouver des connaissances, je rangeai portefeuille passeport et porte-monnaie avec les clés de la voiture et… fausse manœuvre… c’est au retour de la Casa Alcalde que je compris que je ne pouvais pas ouvrir ni les portières ni le coffre putain !!! rien sur moi tout dépensé tout les précieux documents à l’intérieur. Attroupement devant mon automobile discussion interrogations les gardes civils armés s’approchent je leur explique clés dans coffre pas pouvoir ouvrir vous papiers moi papiers dans coffre méfiance défiance les premiers attentats on eut lieu récemment on part téléphoner une voiture arrive enfin avec quatre renforts armés jusqu’aux dents tous autour de l’auto et dégagement du groupe écartez-vous ho vous allez pas exploser ma bagnole calla te hombre discussion menaces et je me retrouve encadré fusils pointant pendant examen approfondi de l’extérieur du véhicule qu’on va embarquer où quand un gros bonhomme fait une suggestion là sur le côté de la grande vitre un petit déflecteur pourquoi pas essayer conciliabule oui c’est cela faire sauter délicatement le déflecteur et le chef me demande mon identité si c’est pas bon au poste immédiatement et la suite hum… quelques minutes plus tard opération réussie tout rentre dans l’ordre si on peut dire car ma voiture était mal garée je devais payer une amende avec un immense soulagement et on retourna tous sauf la flicaille fêter ça à la Casa Alcalde tassés comme des sardines dans le même brouhaha haha…

La dernière fois que nous y sommes allés douze ans après ce fut pour nous comme une désolation, la façade avait été refaite, pas en mieux, à l’intérieur les outres avaient disparues remplacées par d’affreux tonneaux, le chorizo n’avait plus de goût de même les guidillas tout cela à cause des règlements de Bruxelles disait gravement le nouveau jeune propriétaire, du rock à l’espagnol au lieu du flamenco ou des chants basques des sandwiches au lieu des tapas des pâtisseries trop sucrées le vin devenu de la bibine sans compter l’omniprésence du coca-cola ou du fanta…

Nous ne sommes pas revenus à San Sebastian ni à la Casa Alcalde… sauf certains soirs en Normandia là-bas en el Norte de Francia avec l’amour de ma vie et le souvenir des outres en peaux de chèvre qui pendent des guindillas des tapas et des chiquitos trinqués avec des inconnus qui parlent fort coño et qui ne veulent pas que je paie hombre…

 

©  Jacques Chesnel  (l’amour de ma vie)

Commentaires

Vous ne trouvez plus, hélas, de chiquito pour moins de 45 ou 50 centimes (80 pesetas), je me souviens moi aussi du temps des vins rouges à 3 pesetas. cela s´est presque perdu.On y boit du vin, mais c´est du Rioja à 1,50 € le verre (au moins), du cosechero (vin de l´année) à 1€.les guindillas existent toujours et les pintxos sont devenus une attraction turisto-gastronomique, on est devenu plus bourgeois

Écrit par : s | 28/10/2008

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