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20/10/2008

LE FACTEUR

Tous les jours ou presque le facteur passait toujours ou presque à la même heure midi et demi on entendait le couinement des freins de la voiture jaune défraîchie et alors vite à la boîte au bout du chemin… parfois un recommandé et donc l’occasion de parler un peu et d’ouvrir une bouteille de Tariquet première grives évidemment… grand lecteur de littérature Ferdinand le facteur n’oubliait jamais de lever son verre à la mémoire de René Fallet et Louis Guilloux qu’il avait découvert à la fin de la guerre avec aussi René-Louis Laforgue le chanteur poète et les films de René Clair paix à leurs belles âmes disait-il… un jour de courte tournée il avait confessé un autre de ses penchants avouables, jouer de l’orgue à la messe le dimanche matin avec la bénédiction du curé qui était au courant bien sûr de son athéisme… il se souvenait aussi que pendant sa parisienne jeunesse il allait écouter Olivier Messiaen à l’église de la Trinité le dimanche puis Eddy Louiss au Caméléon avec Ponty et Humair dans les années 60 j’avais sympathisé avec deux amateurs maousse-costauds Mick Tanner et Marcel Québire je me souviens de leurs noms et des discussions… j’étais fasciné je n’entendais pas beaucoup de différence entre eux à part le rythme peut-être et maintenant j’étudie les partitions je travaille sur du Bach que c’est vraiment difficile pour moi car je n’ai pas beaucoup de technique et par contre un peu d’arthrose alors ma femme me dit oh c’est pas de l’art rose hein ? et attention à tes jambes avec le pédalier tu vas devenir de la pédale elle me taquine la Suzanne… ah tiens j’ai pas une bonne nouvelle pour vous monsieur Axel je crois bien que c’est le tiers provisionnel ils ne vous ont pas oublié… vous avez cinq minutes je vais vous faire écouter un vieux Larry Young de derrière les fagots son disque Unity et on reste une heure à s’en mettre plein les oreilles parce qu’on va replacer le 33 tours plusieurs fois de suite… là il y a des drôles d’harmonies un peu espéciales non ? il est connu ? il a joué avec Miles Davis ah ! ça me tue tous ces types et en plus d’improviser ils ne savent souvent pas lire la musique même que moi j’ai vraiment du mal… bon c’est pas le tout hein mais faut que j’y aille finir la distribution à la revoyure…

 

Toute la petite bande d’amis s’était prise d’intérêt pour ce gaillard d’avant qui avait un mot gentil pour tout le monde et dont personne n’aurait osé se moquer pourquoi donc, incollable sur le fameux  Aristide Cavaillé-Coll et son oeuvre, sur le répertoire de J.S.Bach, Haendel, Vivaldi, Couperin, César Franck, Messiaen pour Ascension, La Messe de la Pentecôte, ses organistes favoris surtout Marie-Claire Allain et Michel Chapuis, des grands maîtres, il avait lu la méthode de Jean-Jacques Grunewald, la petite histoire de l’orgue de Nelly Johnson, il évoquait les douleurs musculaires et osseuses des organistes devant un auditoire attentif et intéressé…

 

… et puis l’année dernière plus de Ferdinand oui il a fait valoir ses droits à la retraite il doit vous manquer oh on va l’écouter de temps en temps il est appliqué mais il joue bien au fait vous savez maintenant pour compléter ses revenus et pour son plaisir de génial bricoleur…

…il est redevenu facteur, facteur d’orgue pour entretien et petites réparations dans les églises d’alentour, il se défend bien paraît-il…on attend toujours le couinement des freins vers midi et demi cela nous manque répondîmes nous tous en cœur…

 

©  Jacques Chesnel  (Jours heureux à Belavit)

 

 

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