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20/12/2009

LA MENDIANTE ET L'ABAT-JOUR

Cela faisait déjà quelque temps qu'il l'avait répérée, il ne savait rien d'elle qu'il voyait accroupie ou assise sur un petit banc très bas dans le parking du grand magasin, proche de la porte d'entrée, toute recroquevillée, avec en évidence un carton sur lequel était mal écrit mais sans faute : je suis sans travail avec deux enfants à élever, c'était tout, cela en disait long mais hélàs pas grand-chose aux yeux des chalands indifférents car sa sébille qu'elle tendait timidement était souvent vide ; à chaque fois, il glissait une pièce d'un euro et obtenait un merci dans un souffle avec un léger accent indifinissable, balkans ?.

Le soir, après un dîner léger dans sa cuisine minuscule, Jérome passait dans son salon/salle-à-manger pour regarder un film à la télé sur la centaine de chaînes grâce au câble ; depuis le départ de Myriam, il ne sortait plus se contentant d'un film par soir et après au lit avec un somnifère pour ne penser à rien. Dans l'immeuble d'en face, au sixième étage, le même que le sien, il y avait un abat-jour déjà allumé lorsqu'il se vautrait sur le canapé et de temps en temps il jetait un œil sur la fenêtre et l'abat-jour toujours allumé, un abat-jour assez volumineux d'aspect plutôt ancien qui lui rappelait celui d'une voisine chez qui il prenait des leçons de piano lorsqu'il avait quinze ou seize ans, un objet avec un gros nœud rose qui trônait sur une cheminée factice, il profitait d'ailleurs de ces leçons pour lorgner dans le décolleté de Madame Agathe, si généreux et si profond.

Ce jour là, il n'y avait pas beaucoup de monde, Jérôme lui demanda si ça va ? oui, répondit-elle en rougissant, vous ne pouvez pas entrer dans le hall ?, non, eux pas vouloir, une conversation s'amorça devant les clients à l'air étonné ou méprisant

- vous logez où ?

- chez une madame, une chambrrre

- les enfants vont à l'école

- oui un peu

Avec le doigt Jérôme lui montra son alliance qu'il portait encore

- vous ?

- oui marrri restè pays sans travail

- quel pays ?

- là-bas

- vous avez des papiers ?

- papiès... non

- attendez, moi aller voir direction

A la direction qui le fit poireauter car ce n'était pas pour acheter, on lui expliqua que vous comprenez si on en autorise un ils vont tous rappliquer et alors la clientèle je vous dis pas... et puis on ne sait pas d'où ils viennent, mais je suis un client, moi monsieur... et cela ne vous dérange pas de laisser une femme dans le froid les odeurs et les gaz d'échappement ? mais vous c'est pas pareil... évidemment.

Tous les soirs, le rituel était le même, allumer la télé, s'affaler sur le divan, regarder par la fenêtre et l'abat-jour toujours allumé. Jérôme aurrait bien demandé au gardien qui habitait dans cet appartement, un homme une femme une personne seule comme lui, il pensait à une femme dont le mari était parti et qui se retrouvait tous les soirs devant sa télé et sa centaine de chaînes, comme lui. Quand le film était fini, et après un coup d'oeil aux infos, il allait à sa fenêtre dans l'espoir d'en voir et d'en savoir plus ; rarement, l'abat-jour était éteint et il se posait tout un tas de questions sans réponse, heureusement le lendemain la lumière était revenue.

Maintenant, Jérôme avait droit à un sourire en plus du merci, elle avait un petit haussement d'épaules lorsqu'il s'excusait de ne pas avoir de monnaie, elle lui disait bonjourrrr et au rèvoirrr ; il s'était inquiété de ne pas l'avoir vu deux mardis de suite, il fut soulagé de la revoir et devant son air interrogatif enfant malade hospitâââl avoua-t-elle, Jérôme lui sourit et doubla son obole, il ne voulait pas employer le mot aumône qui lui rappelait trop cette religion imposée qu'il avait rejetée il y a si longtemps ; il lui demanda si elle n'avait pas de problème avec la police, elle regard autour d'elle et fit non de la tête et dit moi courirrrr ce qui prouvait son angoisse, elle devait avoir entendu des propos désagréables. De retour de voyage, répondant à l'appel désespéré de Myriam en pleine confusion, il la revit, elle était toujours là avec ses yeux qui brillaient quand elle apercevait Jérôme qui se posait des questions, était-il vraiment tombé amoureux ?, et elle, n'y avait-il pas dans son regard ?.

Depuis quelque temps, le problème des émigrés et des sans-papiers avait pris une ampleur qui inquiétait Jérôme, le ministère de l'immigration et de l'identité nationale dont il se demandait ce que cela pouvait signifier, les comportements et les propos racistes des ministres, la résurgence de la xénophobie, les tribunes dans les journaux et sur le net, les émissions et débats à la radio et à la télé, il avait pleuré et applaudi à la projection du film Welcome, rencontré des associations de défense des droits de ces paumés, participé à des discussions enflammées sur leur sort et notamment sur les exclusions, les rafles jusque dans les écoles, les expulsions vers un pays en guerre, les tracasseries administratives, signé des pétitions malheureusement restées sans réponse... mais pourquoi était-il à la fois révolté et incompréhensiblement heureux, peut-être parce que la mendiante était encore là, accroupie ou assise sur son petit banc et l'abat-jour toujours allumé...

... jusqu'à ce matin-là quand il apprit que la police était venue la chercher et l'avait emmenée, jusqu'à ce soir-là où il constata que l'abat-jour n'était pas allumé et que les feux d'une ambulance clignotaient au bas de l'immeuble.

 

©  Jacques Chesnel  (Miscellanées)

 

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CONVERSATION 14

- je sais plus très bien où j'en suis car j'y entrave que couic de nouveau

- allons bon décidément

- vous y connaissez quèque chose vous à la grippe cochonne  hache un naine un... et au tamis flou ce vaccin qui guérite

- j'avoue que je suis un peu comme vous

- ah ! et maintenant en plus cette taxe carbone à rats pour l'écho au logis, n'importe quoi

- bon soyons clair parce que avec toutes ces informations contradictoires y en a qu'une seule chose de certain... va falloir encore cracher au bassinet comme des pauvres pékins de chinois qu'on est

- attention ils veulent pas qu'on crache ailleurs que dans le bassinet... après tout  pourquoi pas si ça tue les microbes

- vous vous voyez avec un masque vert en plus

- remarquez pour Simone qu'est moche comme un pou ça se verra moins

- ben si tout le monde n'en n'a on se reconnaîtra plus et bonjour les qui à propos

- tenez... pas plus tard

On frappe à  la porte

- ça doit être Maurice, ENTRE

Cris d'horreur, hurlements

- mais... mais... qui... qui êtes vous ?

- ben c'est moi, Maurice, bordel

- hou ! tu nous a fait une de ces peurs avec ce masque on t'aurait dit Jacques Villeret dans le navet de la soupe aux chou

- ils nous ont obligés au bureau, tout le monde n'en porte, c'est la consigne

- t'enlèves ça vite fait... ici on est pas au bureau et y a pas de signes de cons

- ouf... je respire un peu mieux et ça donne soif ce machin là, des fois que ce serait un coup des publicitaires genre ce gars-là à la Rolex pour nous faire picoler plus

- va savoir... comment vous faites pour vous repérer au bureau

- on a tous des pancartes à la boutonnière, tenez regardez

- y en a pas qui triche ?

- comment voulez-vous, on a embauché un contrôleur

- un contrôleur de masque ?

- ils reculent devant rien

- et à la cantoche ? pour bouffer ?

- ça pose un problème, on est plus qu'un seul par table obligatoire... alors il y a la queue forcément et ça rouspète sec surtout Monique qu'est rousse et qui pète souvent

- ah ! c'est malin, si t'as que ça comme plaisanterie Momo tu peux repasser

- nan, mais d'abord tout le monde rigole

- et ben pas nous parce que cette cochonne de grippe

- on en a vu d'autres

- vous pensez à l'espagnole

- il y a tellement de virus de partout maintenant alors espagnole ou d'ailleurs

- et les antibiotiques qui ne font plus rien

- tenez l'aut' jour à la pharmacerie, le réparateur nous dit de toutes façons soyez tranquilles il y aura des milliers de morts

- putain, je remets mon masque

- hé on est pas contagieuses et tu vas foutre la trouille aux gamins

- avec allo ouine et tout le tintin ils ont pus peur de rien

- ils vont interdire les matchs de foot qu'y paraît

- et pourquoi pas le tennis

- parce que y a que deux joueurs par match

- n'empêche et dans le public

- c'est un jeu de chochottes et un public de tantes alors qu'au foot c'est du lourd des costauds

- et au rugby avec leur calendrier de balèzes où qu'y font tenir leur serviette avec leur gourdin du matin vous trouvez ça correct

- de toute façon ce cochon de virus y fait pas de différence

- comme l'autre là le chique au goujat ragnagna à la Rénunion

- et cette salope de mouche qui fait tusais tusais que les gens s'endorment sans même le savoir

- et si qu'on s'attrape les deux en même temps

- avec le cancer, le sida, almisère ou parkingson en plus on n'en sort plus ils savent pas quoi inventer

- on a intérêt à se protéger... Maurice court nous acheter des masques, pasque je me sens pas bien tout d'un coup et mouche-toi dans ton coude quand même

- et demandez si ils auront assez de tamis flou en cas des épis et demi.

 

©  Jacques Chesnel  (Conversations)

 

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18/12/2009

LE BAISEUR

Après avoir vu au cinéma, enfin, Fenêtre sur cour et ensuite acheté le DVD, Julien, qui venait de gagner une paire de jumelles à Questions pour un champion, décida tout d'un coup de jouer à James Stewart mais sans jambe cassée et sans hélas Grace Kelly et d'aller espionner intimement ses voisin d'en face qu'il détestait tous sans savoir pourquoi. Bon, il matait déjà un peu le soir à travers le vasistas de la salle de bains, comme ça sans plus, mais avec les jumelles tout allait changer. Véronique lui demandait bien ce qu'il faisait dans la toilette, euh, je hume le temps de demain répondait-il, ce qu'elle m'agace pensait-il et elle il lui faut deux heures pour son foutu vernis à ongles sur les doigts de pied comme si elle en avait pas assez sur les mains.

Déjà à la télé quand l'animateur excité lui avait dit ah ah on porte le même prénom et ah ah vous avez été un excellent candidat il avait fallu se farcir ce con avec ses vannes qui suis-je... je suis je suis ? réponse :un connard !, il avait eu les dicos inutiles à ses yeux et la paire de jumelles pour ses yeux, qu'en faire ? la revendre ?.

Un soir, en allant mater le cinquième d'en face avec les jeunots en train de se bécoter devant la télé, Julien alla chercher la paire de grands yeux et là tout changea, plus de flou ou d'imprécision voire d'interrogations, on voyait même que les jeunots étaient scotchés à TF1 et ses programmes de et pour débiles ; il put même lire la marque du slip du mec qui séchait sur le radiateur de leur cuisine, é-mi-nen-ce, le caleçon des cardinaux. A côté, la petite vieille sans âge avait toujours son téléphone rivé à l'oreille droite , chaque fois qu'il matait, bingo, son oreille droite, peut-être la seule encore entendante, dommage que les jumelles n'aient pas de micro. Au-dessous, un couple, la cinquantaine, lui chauve et gros, elle maigre et échevelée, ils semblent s'engueuler sans arrêt, attitudes, gestes, empoignades, le tout suivi par des étreintes chastes interminables, le scénario classique quoi, quoique parfois des bousculades et des cris inaudibles. Mais celui qui l'intéressait le plus habitait un deux pièces avec balcon, un type a l'allure insignifiante plutôt moche l'air demeuré genre Bernard Menez ou  plutôt Jean Lefèbvre dans la scène de saoulerie des Tontons Flingueurs avec le fameux goût de pommes. Il défilait chez lui une kirielle de femmes ; il l'avait surnommé L'homme qui aimait les femmes sauf qu'il n'avait pas la classe de Charles Denner que Julien admirait tant comme tout le monde.

 

. Julien : - ce mec m'épate, je me demande comment il fait avec sa tronche de clown triste, sa démarche bancale, ah peut-être le fric, ou alors bankable, et tiens une nouvelle, une superbe rousse comme Maureen O'Hara dans L'homme tranquille oh celle-là elle laissait pas le bonhomme tranquille toujours à l'asticoter continuellement que par moment il la repoussait et

. Véronique : - Julien, t'as fini dans la toilette ?, tu te pomponnes ou quoi

. Julien : - j'me pomponette pas, je prends une douche, j'ai le droit

. Véronique (elle hurle) : - j'entends pas l'eau couler

. Julien : - je la mets tout doux, tu veux bien me lâcher...  faut que je pense à me mettre de l'eau de toilette

. Véronique : - tu as encore piqué dans ma trousse

. Julien : - j'ai rien piqué du tout et tu me gonfles, Véro

. Véronique : - ouais c'est ça t'es encore en train de looker l'autre, peut-être même que tu te branles mon amououour

. Julien : -non mais avec le nombre de fois qu'on baise, je pourrais si je voulais

Des fois le mec avait du mal à s'en dépêtrer tellement elles lui collaient comme cette belle noire avec sa coiffure ancienne à l'afro des années 70, une autre menue, on aurait dit une gamine habillée comme dans La petite maison dans la prairie, à peine arrivée elle s'étendait sur le canapé et lui allait chercher un verre peut-être du remontant. Julien admirait sa santé, son tempérament, sa vigueur, lui dont les rapports avec Véro s'éloignaient de plus en plus, en cause les ragnagnas, la migraine, la fatigue, le changement d'heure, le stress, et puis j'ai pas envie Julien, tu comprends pas envieeeeu. Une fois Julien était allé flaner sur le parking pour voir le baiseur quand il sortirait de chez lui, holà, le forniqueur était habillé comme un clochard, mal rasé, bon c'est la mode mais quand même, il doit en avoir une longue et sévère, pensait Julien en rapport à la sienne qu'il trouvait trop petite et chagrine. Il croisa une grande bringue en manteau de fourrure qui sortait d'une mini Cooper violette et se précipitait vers le baiseur en criant chéri chéri deux fois et lui, goujat, lui répondre désolé je sortais et elle tu vas pas me faire ça et lui bon mais alors vite fait hein, que Julien en restait bouche bée en fixant le pare-brise de la bagnole à côté. Il en défilait de plus en plus chez le baiseur, des créatures de rêve des soies de vedettes, des Monica Bellucci, Scarlett Johansson, Penelope Cruz, Isabelle Carré, sans compter les plus belles d'entre toutes, Gene Tierney dans Laura, Lauren Bacall dans Le port de l'angoisse et Alida Valli dans le Senso de Visconti, rien que des canons.

Julien se demandait parfois s'il n'était pas victime d'une addiction banale ou d'un syndrome évident car l'emploi des jumelles pour s'en mettre plein les mirettes le tracassait. Véronique s'en fichait pas mal apparemment car elle était de moins en moins à la maison le soir à cause de ses cours de perfectionnement en langues vivantes, surtout le russe et le chinois. Ce qui l'obsédait le plus se résumait ainsi : comment ce cupidon du deux pièces avec balcon s'y prenait pour séduire et se taper autant de femmes, des canons pas des boudins, des girondes pas des cageots, comment ? Il avait consulté des bouquins à la biblio municipale, n'osait pas consulter un sexologue tous des charlatans lui affirmait son oncle Charles Hatan, ce qui n'était pas une blague, comment expliquer cette nécessité de mater le coquin d'en face qui assurait autant avec de multiples partenaires alors qu'avec Véronique c'était Véro sans nique...

Tiens, justement, Véronique semblait avoir des règles perpétuelles et de plus en plus de cours; Julien prenait son mâle en patience et avait le temps de lorgner de plus en plus, il avait maintenant non seulement de l'admiration pour les performances du chaud lapin mais se posait des questions sur sa propre libido qu'il n'arrivait pas à satisfaire autrement qu'à reluquer le freluquet. Il avait remarqué plusieurs fois qu'il y avait quelquefois chez le baiseur un petit chien qui ressemblait bigrement à Astuce sa chienne fox-terrier  frétillant de la queue avec ardeur, il n'en voyait pas plus d'une petite minute parce que le rideau se fermait aussitôt et rapidement.

Ce soir là, Julien, encore seul, est à son poste, devant son vasistas favori avec sa paire bien en main, tiens ! on dirait qu'il va y avoir un  événement, lumière tamisée, bougies, bouteille de champ' dans son seau et arrive le petit chien qui saute après lui et et derrière lui... VÉRO !.

 

Épilogue

Pour son merveilleux film La belle équipe tourné en 1936 avec Viviane Romance, Jean Gabin, Charles Vanel et Aimos, le cinéaste Julien Duvivier proposa deux fins possibles, l'une heureuse, l'autre dramatique.

On peut envisager ici la même éventualité.

. Fin heureuse : Véronique se retourne alors vers le vasistas où elle sait que Julien épie, elle lui fait un signe, lui envoie un baiser, le baiseur se gondole, le téléphone sonne : « j'espère, mon chéri, que cette petite blague saura te rendre plus amoureux désormais ». Julien et Véronique redécouvrirent l'amour tandis que chez le baiseur le défilé continuait de plus belle, jamais interrompu.

On ne connut jamais le sort des jumelles...

. Fin dramatique : Véronique quitta Julien ; ils divorcèrent quelques mois après ; un soir, Julien attendit le baiseur sur le parking et l'abattit froidement de plusieurs balles de pistolet, tout le chargeur.

Il déposa la paire de jumelles au pied du suborneur.

 

©  Jacques Chesnel  (Miscellanées)

 

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17/12/2009

APÉRO / OPÉRA / PARÉO

Au cours d'une réunion informelle dans un bar entre collègues à la sortie du bureau, Julien but plus que de coutume. Oh, rien d'excessif mais il s'aperçut qu'il ne tenait pas ou plutôt plus la distance comme dans sa pas si lointaine jeunesse : trois whiskys sur glace mais attention rien que du bon et le voilà dans un état d'excitation inhabituel. Il était tard sans qu'il le sut car il ne portait plus de montre depuis heu... enfin depuis... mais il voyait bien les collègues s'en aller un à un et lui de commander un nouveau verre alors que...

Julien aimait bien ce bar, le Clinton, dénommé ainsi par la patronne admiratrice du grand Bill le cavaleur, enseigne détournée par de mauvais esprits en Levinsky ou Le cigare, cosy sans plus, chicos sans moins, bières, vins et alcools de super qualité. Donc, en sirotant son dernier Balvenie PortWood, Julien se retrouva avec deux types qu'il connaissait un peu sans vraiment savoir quelque chose d'eux sinon qu'ils étaient amateurs d'opéra alors que lui à part Pavarotto non ce Pava-rôti entendu à la radio... l'opéra au moment de l'apéro, pourquoi pas disaient les spécialistes, alors allons-y pour le pur malt et Les Noces de Figaro, la couleur ambrée et la Callas chantant Tosca, les arômes d'orange et de miel de Cécilia Bartoli dans Les Noces de Figaro, une gorgée de ce nectar et la touche de tourbe de Placido Domingo dans le Don Quichotte de Massenet, la dominante de genévrier avec Pavarotti dans Rigoletto de Verdi, Madama Butterfly du grand Puccini et l'interprétation (la pointe de chêne au sherry) de l'émouvante Mirella Freni...

 

Tout en suçant le reste de ses glaçons, Julien se posa la question de l'influence de l'apéro sur le comportement de l'écoute de l'opéra et quelles seraient les différences avec un autre liquide, tiens le martini par exemple ou la vodka-orange ou le gin alors opéra séria, bouffe, baroque, comique, moderne, contemporain; l'opéra italien, français, allemand, russe, quelles autres sensations indicibles, informulables, vers quels ailleurs, voyages, rêveries, fantasmes avec un marc de Bourgogne, un floc d'Aquitaine, un cocktail sophistiqué, alexandra ou brandy sour et même pourquoi pas un vin, Rioja, Casal Garcia sublime vinho verde, Haut-Brion, Châteauneuf du pape, Valpolicella, Tokay... et pourquoi pas entamer et entonner, comme le fait maintenant Julien, le Nessum dorma de Turandot qu'il avait entendu chanter par son père à son mariage... devant les trois pochtrons agglutinés au comptoir et médusés que ce soit plus beau que ce que braille leur idole le fameux vieillard Johnny optic 2000... quand la patronne déboule attirée par le barouf mais ayant oublié de revêtir quelque chose sur son mini-paréo couvrant une poitrine impressionnante... qu'est-ce que c'est que ce bordel, éructa-t-elle, car elle ne supportait que les goualantes de  La chance aux chansons et encore pas toutes que Georgette Lemaire ou Isabelle Aubret alors vous pensez... Julien sidéré par l'apparition se tut, puis ricana devant la taulière qui lui rappelait Suzy Delair dans Gervaise de René Clément le film préféré de sa mère qui l'avait vu à sa sortie le jour de ses fiançailles le 6 septembre 1956 le soir où Papa en avait justement profité pour crac... vous avez un sacré beau brin de voix lui dit Suzy vous devriez chanter de l'opéra mon garçon tenez comme Luis Mariano dans Violettes Impériales que j'ai vu à Mogador en ça fait longtemps...

et Julien approuvant se dit que chanter de l'opéra à l'heure de l'apéro devant une femme en paréo, ça valait quand même la peine d'essayer, non ?. Ce qu'il fit. Écoutez.

 

©  Jacques Chesnel  (Miscellanées)

 

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DESCENTE

Descente.png
DESCENTE

Cela faisait longtemps qu'on avait envie de visiter le Portugal en long en large et en travers on s'est décidé en vitesse le temps d'acheter un guide et un petit dico parce que nous à part l'espagnol et comme il ne faut pas le parler là-bas... comme on les comprend ne pas confondre... on a dit qu'on commencerait par le nord et qu'on descendrait jusqu'à Lisbonne parce que le sud très peu pour nous l'amour de ma vie et moi préférons depuis toujours les villes plutôt que les plages et les monuments plutôt que la bronzette. Agréable traversée de la Castille jusqu'à sa perle la magnifique Salamanca, étape à notre hôtel favori (dont l'enseigne, Los Reyes Catolicos, nous faisait toujours sourire, nous qui ne sommes pas royalistes et encore moins catolicos) choisi loin du centre à cause des bruyantes festivités nocturnes permanentes sur la plus parfaite Plaza Mayor de toute l'Espagne, en tous cas notre préférée. Un peu avant d'arriver à Valladolid nous nous arrêtâmes pour sourire à un jeune berger avec un walkman sur ses oreilles et dansant devant son troupeau de moutons. Nous avons rejoint Braga notre ville de base pour visiter la région du Minho et se régaler du vinho verde (surtout le Mateus) que nous avions découvert ... en Guinée-Bissau, ancienne colonie portugaise, lors d'un voyage africain. La veille de notre départ pour Porto, la réceptionniste de notre hôtel nous demanda si nous étions allés au Bom Jesus... heu nous pas du tout heu... vous savez il y a une très belle vue sur Braga et les environs... alors en route pour le Bom Jesus do Monte à cinq kilomètres pour voir le plus étonnant sanctuaire catholique du Portugal avec son escalier de 600 marches, la Via Sacra et sa vingtaine de chapelles. Nous laissons la voiture au parking encombré de cars touristiques et l'amour de ma vie décide de prendre le funiculaire, merci, pour le retour on descendra les marches. Pendant le trajet l'amour de ma vie se serre encore plus contre moi par jeu ou parce qu'elle a peur des quelques ratés du transport qui crapahute, la cabine est bondée nous sommes apparemment les seuls à ne pas parler portugais alors on se sourit tous un peu bêtement et alors je la serre encore plus...

C'est vrai que la vue est superbe malgré un léger brouillard et que nous passons vite sur les bondieuseries et autres attrape-nigauds touristiques. Après quelques sandwiches et boisson, l'heure de la descente est venue étant convenu qu'il fallait prendre son temps sur ce bel escalier que certains pénitents eux montent à genoux lors de grandes fêtes, nous allons nous le descendre à pied... chacun ses goûts. Sous le soleil maintenant revenu nous descendons donc à notre main si l'on peut dire quand arrivés presque au milieu retentirent des appels insistants de klaxon venus du parking et que déboule derrière nous à grande vitesse une petite femme perchée sur ses hauts talons qui s'adresse à nous en portugais heu nous français vous parler plus lentement ah vous franchèche moi bien connaître France avé Juan (elle prononce Juan et non pas Rouanne comme les espagnols) nous habiter Montbéliard usine Peuchot lui ouvrier en ouchine moi femme de ménage pendant vingt et un ans nous retourner Portugal maintenant à Evora oui nous connaître avons visité pour les fortifications de Vauban patrimoine Unesco moi travailler dour yé faichais les toilettes les lavabos les véchés huit ores par your dans années 70 mais bon Juan et moi enfants retraite et le bus ouoooong ouooong nous dépêcher moi vouloir vous voir Juan content parler franchéche avé vous enfants restés Montbéliard venir dans grande maison constrouite par Juan et vous retraite auchi ? Portugal très joli pour voyage nous aimer beaucoup Porto le bus ouoooong encore plus fort faut che dépêcher et nous descendons plus rapidement elle sur ses talons aiguilles et moi avec la main de l'amour de ma vie dans la mienne qui serre toujours fort le parking en vue des silhouettes qui font de grands signes voilà voilà et elle se précipite et parle à un grand gaillard qui nous regarde voilà des franchèches alors il retire sa casquette vient vers nous souriant embrasse ma chérie et me prend dans ses bras tandis que tous les occupants du bus une amicale d'anciens de chez Peugeot sortent et nous congratulent rires embrassades et poignées de main énergiques tapes dans le dos aïe malgré le chauffeur du bus qui remonté refait ouoooong tout le monde rentre dans le véhicule qui part aussitôt avec dedans des grands gestes d'adieu jusqu'au tournant et l'amour de ma vie émue me regarde avec son si beau sourire et me murmure tendrement alors on remonte là-haut ?... ouooooong !.


©  Jacques Chesnel (l'amour de ma vie)


 

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16/12/2009

IMPATIENCE

J'ai commencé très tôt, tout de suite; je me souviens, à peine sorti du ventre de ma mère je voulais déjà tout tout tout sans le savoir vraiment. Je ne vais pas en faire des tartines sur mes premières grandes impatiences de bébé, d'enfant, d'ado, de jeune homme, je n'ai pas tout mémorisé, je n'ai pas envie de faire de tels retours en arrière inutiles ou bien alors si vous le désirez trouvez une camionnette voire un cinq tonnes; donc je ne vous raconte pas les trépignements, piaffements, précipitations, énervements, agitations, crispations qui se sont succédés… jusqu'à la rencontre avec l'amour de ma vie qui a su immédiatement calmer mes pulsions par son calme et sa douceur, sa gentillesse, pour tout dire son amour… oh, il y avait des résurgences, des rappels plus ou moins contrôlés, tenez…

A peine parti en voyage je voulais être déjà arrivé, au cinéma j'attendais fébrilement la fin depuis le début, pareil pour un livre ou un disque, aux repas vite au dessert dès l'entrée, au lit, sauf pour l'amour, à peine couché déjà l'envie d'être debout… je pourrais  aligner des centaines d'exemples mais petit à petit j'ai commencé à me détendre…

Je vais vous narrer ma dernière grande impatience.

Cette année-là, 1990, nous avions décidé d'aller à Prague, puis de visiter les villes d'eau surtout Mariánské Lázné, la Marienbad d'autrefois et film d'Alain Resnais que nous avions aimé. Ce fut un émerveillement constant, à Prague, le Pont Charlles

 

Pont Charles.png

évidemment, le Château et la cathédrale Saint Guy, l'église Saint Nicolas à l'intérieur si baroque (nous logions en face chez l'habitant, une gentille dame dont le mari opposant au régime communiste avait été déporté (nous arrivions à nous comprendre en charabia franco-allemand-anglais-dico), le quartier Mala Strana sur le bord de la Vltava où nous aimions flâner, la place de la vieille ville et le vieil hôtel de ville où nous assitâmes à un mariage (on embrassa les mariés), le cimetière juif, le Kaffee Kafka et le Musée Mozart dans la villa Bertramka, le piano sur lequel il joua et où je pus poser mes doigts pendant que l'amour de ma vie faisait le guet… ah ! vous vous impatientez de connaître ma dernière grande impatience ?...

Marianské Lazné.png

attendez donc la fin notre séjour à Márianské Lázné, la centaine de sources d'eaux ferrugineuses (on pensa à Bourvil, l'alcool, non!), la somptueuse architecture de la colonnade de 1889, les promenades, le retour à l'hôtel 3*** merdique et son restaurant où le maître d'hôtel ressemblait tant à Olivier Stirn notre député qu'on avait du mal à ne pas pouffer… visite ensuite à Karlovy-Vary et Ceské Budéjovice avant dernière soirée au restaurant et dîner aux chandelles ; en rentrant notre logeuse nous apprit que c'était bientôt la libération de l'occupation russe discrète mais là quand même et le lendemain nous partions vers l'Autriche pour le retour… et c'est à la frontière qu'eut lieu cette fameuse dernière impatience :

Il y avait une bonne vingtaine de voitures d'étrangers devant nous et nous voyions la barrière de contrôle se lever et s'abaisser régulièrement après vérifications des papiers quand alors qu'il restait huit voitures la barrière ne s'ouvre plus, on attend cinq puis dix minutes et là je commence à transpirer grave, bordel, que se passe-t-il ? ne t'énerve pas chéri, non mais quand même, juste quand c'est presque à nous boum rideau c'est pas croyable, ils le font exprès non, je klaxonne, devant on lève les bras d'impuissance, je sors de la voiture ainsi que les autres occupants devant nous, quand nous voyons tous les gardes s'en aller un à un derrière le batîment du contrôle et entendons un bruit épouvantable de moteur qui hurle, nous nous approchons et suivons les derniers contrôleurs : tout le monde regardait le dernier char de l'armée russe qu'on tractait dans une remorque pour son départ au milieu des hourras et de bravos… LE DÉPART DU DERNIER CHAR RUSSE… cela valait bien la peine de s'être impatienter ; depuis ce jour, je suis beaucoup plus calme.

 

©  Jacques Chesnel  (L'amour de ma vie)

 

15/12/2009

CINÉODEURS

CINÉODEURS

Bon, l'amour de ma vie et moi aimons le cinéma et on ne s'en prive pas. Dès qu'on peut y allez hop une toile et pas besoin des conseils de machin ou des recommandations de truc des critiques de téléramoche ou des cahiers du cinéma ou d'autres revues depuis le temps qu'on y va au cinoche ça fait bien une bonne quarantaine d'années avec l'amour de ma vie quand nous fréquentions le ciné-club un peu blabla et baba aussi mais reconnaissons-le c'est quand même là qu'on a découvert Eisenstein Bergman Visconti de Sica Rossellini  Orson Welles le plus grand et Buñuel et Renoir et Truffaut et Resnais et Malle alors que le trio Godard-Chabrol-Pialat nous passait très loin au-dessus de la tête sans qu'on sut vraiment trop pourquoi ah si A bout de souffle et Pierrot le fou super après bof Chabrol plouf pas une toile pour sauver l'autre et alors ces discussions on découpait la pellicule en quatre tout y passait l'histoire la technique les acteurs parfois ça frisait l'engueulade la mauvaise foi l'admiration ou le rejet inconditionnels nous les premiers je me souviens avoir défendu un film que je n'aimais pas rien que pour rallumer la discussion il y avait un grand mec qu'avait toujours la pipe au bec éteinte et voyait tout politique un autre qui flippait sur les starlettes le côté glamour et disait que le cinéma c'était pour assouvir des fantasmes surtout les siens il draguait même les spectatrices enfin les plus jolies sans aucun succès alors qu'un autre affirmait que Visconti faisait des films pour antiquaire et traitait Bergman de pasteur intégriste Renoir de gros cochon un dernier qui voyait des plan-séquences partout même quand il n'y en avait pas ça a duré un certain temps puis après on a fréquenté les salles art et essai avec les nouvelles sorties des plus grands cinéastes révélés par le festival de Cannes un peu trop tapis rouge et montée des marches cérémonie pompeuse et pompière on a bien rigolé quand Machine s'est pris les pinceaux dans le tapis ahahah et en 68 ahahah avec l'amour de ma vie ce fut la découverte des cinémas d'URSS et des pays de l'Est avec une préférence pour Milos Forman et ses films tchèques Les amours d'une blonde et Au feu, les pompiers, de l'Inde de Corée de l'Afrique le cinéma indépendant les festivals où on ne pouvait pas aller nos goûts étaient identiques sans concertation jamais une discussion n'a dégénéré il y avait parfois des détails sujets à ergotage de vaines chicanes sur untel ou unetelle...

On ne se souvient pas exactement quand cela est arrivé.

Quoi ?; les odeurs. Peut-être après voir lu je ne me souviens plus où un article intitulé Les odeurs peuvent-elles modifier nos comportements ? écrit par un aromaticien et un spécialiste en analyses sensorielles. Et c'est dans une salle de cinéma puis une autre que les muqueuses olfactives de l'amour de ma vie et les miennes se sentirent agressées par notre voisinage immédiat. Les senteurs d'haleine et de rot du gamin d'à côté, les effluves provenant des aisselles de la dame du fauteuil d'en face, les émanations des pieds de celui de derrière, le fumet d'un péteur récidiviste proche, les exhalaisons de mauvaise digestion d'un quidam, les remugles d'entrejambe d'un pantalon ou d'une culotte mal lavés non identifiés, bref je passe sur les différentes fragrances que nous ne pouvions plus supporter ; nous avons essayé toutes les salles, tous les programmes, toutes les heures, rien n'y faisait alors nous nous sommes résignés au home cinéma, le cinoche à la maison avec nos DVD et l'écran raplapla ; s'il nous arrivait d'être parfois incommodé, ce serait au moins avec nos propres odeurs, les nôtres à nous.


©  Jacques Chesnel  (l'amour de ma vie)


 

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14/12/2009

LES LÉGIONS ET LES LÉSIONS DANGEREUSES

LES LÉGIONS ET LES LÉSIONS DANGEREUSES

Par Collabo de Lenclos

Conte médiéval,Traduction du vieux français par J.Chesnel


Un olifant sonne à la porte du château tutututututtturluuuuute

- Qui c'est ?, claironne Adélaïde de Mars du haut de sa tour d'ivoire principale du château en pierre de taille

- C'est moi, Parchemal Jehan Vit de Giers, ton mari de retour des croisades ; il avait failli dire : c'est le plombier, un beau serf que son épouse appréciait beaucoup pour sa vigueur

- Déjà de retour ?

- Ben dame, ça fait déjà trois ans, la quatrième a été plus longue

- J'aaaarrive, dit Adélaïde en reboutonnant son corsage puis dit au plombier, dérobe-toi par la porte dérobée, tout en rajustant sa robe froissée par l'assaut furioso.

Fier dans l'armure qui ne l'a jamais quitté depuis tout ce temps, Jehan, du haut de sa monture fatiguée, fait un signe à son serviteur Valère Derrien de tendre bien haut son oriflamme.

- J'ai comme l'impression qu'elle ne m'attendait pas de sitôt

Valère, muet de naissance branla du chef et leva les yeux au ciel en montrant l'orage qui arrivait, bigre

- Bon, ho ! vous abaissez le pont-levis oui ou merde

- On a une panne de machinerie qui est grippée, brailla un garde, on en a pour dix minutes, chef.

C'était le temps qu'il fallait au plombier pour déguerpir, toute la garde étant au courant qu'à cinq heures la patronne s'envoyait en l'air avec le plombier ou un autre en cas de panne du préféré. Léandre ledit plombier exerçait par ailleurs les fonctions de serrurier dans toute la région depuis que les hobereaux étaient partis prendre la galette aux sarrasins, byzantins et autres hérétiques sous prétexte de délivrer les lieux saints en Palestine, la raison étant qu'il avait fallu trouver quelqu'un pour décadenasser les ceintures de chasteté de leurs épouses et maîtresses qui trouvaient le temps trop long, surtout leurs zigouigouis échauffés par le stupre, l'absence de fornication et le métal trop froid ; le gars Léandre avait du boulot d'autant qu'avec ses charmes il savait comment consoler ces dames, d'abord les plus belles, ensuite les plus gourmandes en plus grand nombre et il y en avait tellement... même qu'il avait trouvé la parade quand les plus moches voulaient se libérer : la serrure était grippée ahahah ou bien il n'avait pas la bonne clé hihihi, quel dommage, j'ai fait ce que je pouvais.

- Foutre que c'est long, s'impatientait Jehan tandis que la jument renaclait de plus belle et que le muet exhorbitait tout autant.

Enfin le pont-levis se leva lentement avec difficulté en grinçant, Jehan franchit le portail et poussa un ouf de satisfaction, ouououfouf nous voilà revenu. Avec son air de faux-cul énamourée plus visible que d'habitude l'Adélaïde se précipita au devant de son héros

- Mon Jehan, mon Jehan dit-elle deux fois, enfin, c'est pas trop tôt

- Attention, j'ai pas enlevé mon armure, d'ailleurs je ne peux pas , elle bloquée, bordel de merde (ndt: traduction contemporaine de son juron)

- Ah, dit-elle, j'ai ce qu'il te faut, je connais un serrurier qui va te débloquer tout ça, Léan-an-andreu, cria-telle, viens, messire Jehan a besoin de tes services...

Celui-ci, qui avait eu le temps de remettre ses chausses dans le bon ordre, se précipite avec ses instruments à la main et devient blême devant ce tas de ferraille à dégager et au vu de la mine horrifiée de Valère qui faisait des grands signes de muet de sa main valide. Jehan avait participé, en sa qualité de chef de sa légion de mercenaires, à toutes les batailles dont celle de Constantinople, le siège de dix jours, le tombé du mur, l'assaut final aux côtés de son copain bien connu, Robert de Cléri, il avait été témoin de tous les massacres, carnages, férocités, atrocités. Le problème est qu'étant parti avec son armure et ayant reçu tellement de coups pendant tellement de jours qu'elle était cabossée de partout et que depuis ce temps il n'avait jamais oser ou pu la retirer ; cela lui posait pas mal de problèmes, notamment en ce qui concerne les évacuations corporelles quotidiennes d'autant que les trappes dévolues à ces besoins ne fonctionnaient pas pareillement : si la trappe fessière dite "trappacaca" ne présentait pas d'inconvénient, la trappe avant dite "trappapipi" était restée bloquée l'obligeant à se pisser dedans avec écoulement par des trous pratiqués dans le soleret pour la protection du pied, et le contraignant à la chasteté (commme la fameuse ceinture), noblesse oblige ; il s'était néanmoins habitué à cette prison de fer mais n'avait qu'une hâte en rentrant chez lui : comment s'en débarrasser, mais comment ?, putain de merde (ndt: traduction approximative) et au plus vite.

A la vue du profond décolleté et de la superbe poirtine de sa fidèle épouse (il avait des doutes sur son serment conjugal mais bon avec la ceinture, hein ?), il ressentit au tréfonds de lui une émotion qui se manifesta douleureusement  quand son érection ne put se développer totalement à cause de ce foutu assemblage de métal qui bloquait tout. Depuis quelques temps les douleurs avaient sensiblement augmenté et il se demandait comment son corps allait réagir quand il se trouverait enfin à l'air libre. Il savait bien qu'il avait moult blessures, fractures, contusions, bleus, hématomes, meurtrissures, coquards et ecchymoses, voire coupures et entailles on ne sait jamais, bref de si nombreuses et profondes lésions dont il se demandait bien ce qu'il allait en advenir, morbleu.

De son côté l'Adélaïde qui, grâce à Dieu et au bon Léandre avait pu se payer du bon temps et assouvir sa nymphomanie galopante, se demandait dans quel état se trouvait ce mari parti avec ces légions bien-pensantes combattre les infidèles dans des contrées si lointaines. Par contre, lui, l'avait-il été fidèle ? Avait-il forniqué autant qu'elle pendant tout ce temps ? Cela l'excitait de le savoir. Elle ne comptait plus ses amants, au dernier recensement l'an passé, trois cent quarante huit, d'après sa dame de compagnie qui ne rechignait pas à la besogne à sa suite avec tous les gars bien membrés du canton, de la province et au-delà, de force ou à l'insu de leur plein gré, morte-couille (ndt: juron d'époque ). Et maintenant, il fallait vite trouver un stratagème pour remettre cette satanée ceinture avant la nouvelle nuit de noce qu'elle subodorait fiévreuse et tout. Elle fit un clin d'œil significatif à Léandre que Valère prit pour lui, ça va pas recommencer quand même se dit le muet qui avait réussi jusque-là à échapper à la furia sexuelle de la patronne avant de partir, il aurait plutôt voulu profiter du patron mais que dalle.

Avec beaucoup de difficultés et avec l'aide de son valet, Jehan descendit péniblement de cheval avec précautions utiles, eut un étourdissement passager et vit s'avancer Léandre avec ses instruments dont un qui ressemble fort à un forceps, il se mit en garde.

- Hola, doucement l'ami, ne nous précipitons pas si vite

- Mais mon aimé, dit Adélaïde frissonnante, vous ne pouvez pas rester dans cet état

- Que nenni, mais il faut trouver la façon de faire car je suis tout cassé de partout à l'intérieur de cette carapace.

Cela donnait du temps à la maîtresse de maison qui devait trouver le prétexte pour se ceinturer de nouveau avant de...

- Heu, mon Jehan, je te laisse dans de bonnes mains pour te décarapaconner de cette forteresse, je vais aux cuisines pour faire préparer le festin de ce soir en l'honneur de ton retour si attendu.

Et elle s'enfuit, tandis que Léandre tournait autour de son seigneur ne sachant par quel bout commencer rapport aux fameuses lésions qui occupaient le corps d'icelui quand sans prévenir Valère reprit l'olifant et se mit à souffler comme un fou, les gardes étant morts de rire devant les efforts pour sortir un son valable pouët ; dans le frou-frou de sa robe, Jehan aperçut un peu de ses chevilles, il eut comme un éblouissement du cerveau/raidissement de son sexe aïe et faillit tomber dans les bras de Léandre pris au dépourvu. Pourvu que cela s'arrange avec toutes ces fractures, repensa-t-il en se redressant à peine avec peine, toujours coincé. Il avait connu là-bas un chevalier, le général en chef de toutes les légions, qui en se défaisant trop vite et imprudemment de son armure s'était littéralement répandu en mille morceaux façon puzzle, qu'il avait fallu le récupérer à la pelle à cause de toutes ces lésions si dangereuses qu'avaient toutes cédé en même temps, ça avait fait pschiiiiiiiiit, mort... on appelait cela le "syndrome de l'armure". Léandre tournait et retournait tout autour du seigneur et ne savait vraiment pas par quel bout commencer d'autant qu'il n'y avait pas de bout, un bras peut-être et puis ce muet qui braillait humhumhumhum en tournicotant, un vrai moulin à vent, couché !.

Tiré de sa sieste par les gens d'armes du château pliés en deux faute de mieux, voilà qu'approchait en sautillant comme d'habitude le gentil bouffon Nicolas Talon d'Achille dit le Crapaud ou Talonnette dont dame Adélaïde vantait tant ses services dûs à la vigueur de ses étreintes répétées, de ses fréquents assauts, de la longueur de son sexe inversement proportionnelle à sa très petite taille, c'est dire. Contrairement à Valère qui était muet tendance homo, lui était sourd à force d'avoir trop tiré sur sa nouille tendance hétéro, les deux faisant la paire courtepatte et patachon (ndt: approximatif, Laurel et Hardy n'étant pas encore nés).

- Keskispasse, hurla le gnome dans l'oreille du laquais lequel lui répondit par un bras d'horreur et s'exprima

-                (ndt: réponse intraduisible)

Pendant ce temps insupportable, Adelaïde courait dans tous les sens même les plus interdits pour mettre la main sur la fameuse ceinture qu'elle savait plus du tout où elle avait pu bien la planquer, dame, depuis le temps, mais où mais où, dans cette pièce dans celle-là, dans combles, caves ou bien ces écuries qu'elle préféraient pour sentir le souffle et entendre les ruades des chevaux mis en rut par ses cris de jouissances répétées plus ou moins d'or frais et d'orfèvre (ndt: pas mieux), gémissements et autres ahahahanements  chevalins, mais où mais zou sous les tables de la cuisine ? non, à la sacristie de la chapelle ?, pas dans le confessionnal quand même avec ce prêtre lubrique qui la lutinait si bien, pas plus, mais où mais où alors...

Léandre restait dubitatif devant ce bonhomme de fer, son seigneur et maître qu'il devait délivrer et qui commençait à s'impatienter à cause de sa rigidité dardillonnante de plus en plus douloureuse se répercutant dans chacune de ses nombreuses lésions. Une idée aussi sotte que grenue traversa l'esprit du larbin-plombier : et si je le flanquais par terre comme ça badaboum par inadvertance et voir ce qu'il en adviendrait ?.

Est-ce par un effet mimétique que Jehan se remit en garde pour prévenir et pourtant ce faisant fit un faux-pas et cogna le Nico qui chuta avec un braiement à réveiller tout le monde alentour, Jehan tombant aussi lourdement dans un bruit de ferraille insoutenable blaaaaaaamcliiiiiiqpouffff (ndt: non traduit) tant et si bien que la carcasse se disloqua et se brisa d'un coup, que les lésions éclatèrent puiiiittt toutes ensemble et que le Maître semblant s'évaporer se rendit tout de go au royaume des cieux rejoindre ses copains des légions croisadières alléluia ici ou ailleurs.

-  Aaaaarghhh, Nico m'a tuer, exprima-t-il en expirant.

Alertée par les cris, Adelaïde, qui n'avait toujours pas retrouvé sa ceinture, arriva et devant le désastre (!), prononça ces paroles inoubliables en guise d'oraison:

- alefa jacta est, mon Léandre et vous tertous, on va pouvoir reprendre nos galipettes comme avant, foutredieu, comme le Seigneur là-haut en a décidé...allez hop hop, ambroisie pour tout le monde !.


©  Jacques Chesnel  (Miscellanées)


 

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CONVERSATION 5

CONVERSATION 5


- c'est vraiment impressionnant

- on voit que vous savez pas ce que c'est qu'une fuite

- dites je sais ce que je sais quand même

- d'autant qu'il y en a de toutes sortes

- ça dépend des cas

- et aussi des personnes

- ah vous voulez parler des urinaires

- par exemple

- faudrait pas confondre

- il y a fuite et fuite

- ou bien on se lâche

- ou bien se retient et pfuittt

- les geysers ou le goutte-à-goutte

- les chutes du Niagara ou le manneken-piss

- ça fait rire mon mari

- et pourquoi donc

- ben il travaille dans les renseignements généraux

- les RG ou la DST

- les deux c'est kif-kif

- ah évidement les fuites ça le connaît

- si vous saviez

- mon fils est plombier et lui ça ne le fait pas rire

- il doit pas manquer de boulot

- ni d'occasions d'ailleurs

- vous voulez insinuer de quoi

- de toutes sortes de choses

- évier baignoire chasse d'eau concierge virago hétaïre rombière

- rombière ?

- le côté le plus dangereux

- vous lisez trop de romans

- ma mari le RGDST dit la même chose

- sur les fuites des rombières ?

- tenez pas plus tard qu'hier il part en mission avec un collègue un jeunot pour une affaire de renouvellement de passeport pas très clair à éclaircir ils sonnent et une vamp en déshabillé vaporeux les reçoit avec fume-cigarette d'un kilomètre et une flûte de champ' à la main ah vous êtes deux dit-elle avec un accent russe ou je sais pas trop quoi alorssss va falloir faire avec

- faire quoi ? avec quoi ?

- vous avez bien entendu

- c'est pas vrai

- si

- elle croyait avoir à faire à des plombiers

- mais ils n'étaient pas en salopettes ?

- maintenant les plombiers sont habillés comme vous et moi

- peut-être comme vous parce que moi

- alors la rombière leur montre la salle bain et enlève son machin et hop-là à poil

- oh ! elle avait le droit de faire ça ?

- mon mari ni une ni deux lui dit remettez ça madame mais elle se fourre dans la baignoire entrainant le collègue tout habillé lui et plouf

- c'est pas vrai

- et elle dit à Maurice alors coco tu te décides ou

- c'est repas vrai

- le collègue dit inspecteur je et la rombière dit quoi inspecteur ?

- alors j'en crois pas un mot

- montrez-moi vos papiers dit-elle à poil et le collègue qui ressort tout trempé avec du goutte-à-goutte sur le carrelage c'est moi madame qui demande votre passeport et ça ne va pas se passer comme ça alors la rombière se lève et se dirige vers le téléphone de la chambre décroche et dit Vladimirrrr ya des étrangers qui veulent me violèèèèr vous allez entendre parler de lui il est chef à l'ambassaaaade

- mon dieu

- pas question de dieu mais bien de son mari ambassadeur

- j'y crois pas j'ai vu ça au cinéma dans un film de et avec je me rappelle plus qui c'était en américain

- hé ben là c'est pour de vrai il se dégonfle pas et dit ambassadeur ou pas madame montrez-moi votre passeport elle répond moi pas avoir passeporrrrt marrrri venirrrrr vous allez voirrrr

- et alors dites

- ce sont des choses qui arrivent le jeunot s'était trompé d'étage le passeport c'était à l'étage au-dessous

- il aurait pas dû se renseigner ?

- avec tous ces remue-ménages dans les services maintenant

- on appelle ça une bavure

- oui ils en ont bavé

- et par la suite

- ben il y a des fuites on les a mutés et votre fils ?

- toujours dans la plomberie les vraies fuites ça le connaît on lui raconte pas d'histoires


©  Jacques Chesnel  (Conversations)



 

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CONVERSATION 6

CONVERSATION 6


- alors dis comment tu le trouves

- mieux que le précédent

- mais encore

- moins gros

- tu veux dire plus mince

- comme Belmondo dans Sous le soleil de Satan

- Bébel en soutane

- ça le changeait de Pierrot le fou hi hi hi

- oui bon mais comment tu le trouves mieux

- je lui trouve un air faux-cul

- le comble pour un prêtre non

- avec ou sans l'habit

- tu veux dire que ça ne fait pas le moine

- avec son petit air de

- attention le voilà qui vient vers nous

- bonjour monsieur le curé

- bonjour monsieur le curé

- faudra m'espliquer votre sermon

- à moi aussi j'ai pas compris grand-chose aux petits pains

- pour une boulangère quand même

- vous cherchez toujours un stand pour la kermesse ?

- confesse c'est toujours à dix-huit heures ?

- au revoir monsieur le curé

- tu as besoin de te confesser ?

- non juste histoire de faire la causette

- et tu as besoin d'un confessionnal pour ça

- ben où veux-tu toi

- chez toi

- quoi ? devant mon mari lui raconter que

- moi qui te croyait

- il est tellement soupçonneux

- ils sont tous pareils eux ont tous les droits et nous

- le revoilà

- c'est que

- oui comptez sur moi monsieur le curé

- hé ben dis donc il y va pas avec le dos de l'encensoir

- si je m'attendais à ça

- tu vas y aller ?

- je vais pas me dégonfler

- les gens vont jaser

- ils jasent déjà alors

- avec l'autre on avait pas ces problèmes

- quoique avec les enfants de chœur il paraît que

- les bruits courent... il y en même qu'on peut rattraper

- ya pas d'encens sans feu

- le principal c'est de pas avaler la fumée

- tu sais pas ce que ça veut dire

- oh tu me prends pour une gourde

- non mais ma vieille quand le vin de messe est tiré

- tu sais au fait Maurice a arrêté de boire

- c'est pas la première fois

- il te fait un signe avec la main on dirait que

- lâche-moi ou bien alors t'es jalouse ou quoi

- non mais ya des signes qui ne trompent pas

- je pense que c'est pour le pèlerinage... on projette un voyage en car à Lourdes en septembre il y aura peut-être Benoît

- tu crois qu'il sera en civil

- ça lui arrive

- et alors il toujours aussi beau

- devine... encore plus

- tu crois qu'il a des aventures

- on dit qu'avec la patronne de la supérette

- mais elle moche et neuneu

- elle a peut-être d'autres qualités

- oui elle aime le fric le reste je sais pas

- lui doit le savoir si vraiment

- ça m'en bouche un gros coin tu sais

- ya pas que les coins à boucher

- hé ben ma vieille on peut dire que tu te lâches

- à propos t'es au courant pour le jardinier

- le grand blondasson avec torticolis ?

- on murmure qu'il serait de la jaquette

- ah on murmure tellement maintenant

- peut-être mais là on l'a surprit en train de rouler une pelle

-  une vraie pelle ? vite vite... à qui ?

- devinette : il est grand il est beau il sent le saaable chaud

- ya pas de légionnaire ici

- non mais qui porte un costume à part lui

- nom de dieu... le curé

- à l'enterrement de Marinette à ce qu'on prétend

- je le crois pas c'est pas possible... qui t'as dit ça

- on me l'a pas dit je l'ai vu

- rouler une pelle à un jardinier rien de plus normal... non ?

- ah c'est malin

- t'aurais pas des berlues par hasard ou c'est la jalousie qui

- c'est pour ça que je veux aller me confesser

- pour tirer l'affaire au clair

- pour en avoir le cœur net

- tiens le revoilà... il est tout rouge

- avec tout ce qu'on vient de raconter ya pas de quoi être fier

- quelque chose qui ne va pas monsieur le curé ?


©  Jacques Chesnel  (conversations)






 

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