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18/12/2009

LE BAISEUR

Après avoir vu au cinéma, enfin, Fenêtre sur cour et ensuite acheté le DVD, Julien, qui venait de gagner une paire de jumelles à Questions pour un champion, décida tout d'un coup de jouer à James Stewart mais sans jambe cassée et sans hélas Grace Kelly et d'aller espionner intimement ses voisin d'en face qu'il détestait tous sans savoir pourquoi. Bon, il matait déjà un peu le soir à travers le vasistas de la salle de bains, comme ça sans plus, mais avec les jumelles tout allait changer. Véronique lui demandait bien ce qu'il faisait dans la toilette, euh, je hume le temps de demain répondait-il, ce qu'elle m'agace pensait-il et elle il lui faut deux heures pour son foutu vernis à ongles sur les doigts de pied comme si elle en avait pas assez sur les mains.

Déjà à la télé quand l'animateur excité lui avait dit ah ah on porte le même prénom et ah ah vous avez été un excellent candidat il avait fallu se farcir ce con avec ses vannes qui suis-je... je suis je suis ? réponse :un connard !, il avait eu les dicos inutiles à ses yeux et la paire de jumelles pour ses yeux, qu'en faire ? la revendre ?.

Un soir, en allant mater le cinquième d'en face avec les jeunots en train de se bécoter devant la télé, Julien alla chercher la paire de grands yeux et là tout changea, plus de flou ou d'imprécision voire d'interrogations, on voyait même que les jeunots étaient scotchés à TF1 et ses programmes de et pour débiles ; il put même lire la marque du slip du mec qui séchait sur le radiateur de leur cuisine, é-mi-nen-ce, le caleçon des cardinaux. A côté, la petite vieille sans âge avait toujours son téléphone rivé à l'oreille droite , chaque fois qu'il matait, bingo, son oreille droite, peut-être la seule encore entendante, dommage que les jumelles n'aient pas de micro. Au-dessous, un couple, la cinquantaine, lui chauve et gros, elle maigre et échevelée, ils semblent s'engueuler sans arrêt, attitudes, gestes, empoignades, le tout suivi par des étreintes chastes interminables, le scénario classique quoi, quoique parfois des bousculades et des cris inaudibles. Mais celui qui l'intéressait le plus habitait un deux pièces avec balcon, un type a l'allure insignifiante plutôt moche l'air demeuré genre Bernard Menez ou  plutôt Jean Lefèbvre dans la scène de saoulerie des Tontons Flingueurs avec le fameux goût de pommes. Il défilait chez lui une kirielle de femmes ; il l'avait surnommé L'homme qui aimait les femmes sauf qu'il n'avait pas la classe de Charles Denner que Julien admirait tant comme tout le monde.

 

. Julien : - ce mec m'épate, je me demande comment il fait avec sa tronche de clown triste, sa démarche bancale, ah peut-être le fric, ou alors bankable, et tiens une nouvelle, une superbe rousse comme Maureen O'Hara dans L'homme tranquille oh celle-là elle laissait pas le bonhomme tranquille toujours à l'asticoter continuellement que par moment il la repoussait et

. Véronique : - Julien, t'as fini dans la toilette ?, tu te pomponnes ou quoi

. Julien : - j'me pomponette pas, je prends une douche, j'ai le droit

. Véronique (elle hurle) : - j'entends pas l'eau couler

. Julien : - je la mets tout doux, tu veux bien me lâcher...  faut que je pense à me mettre de l'eau de toilette

. Véronique : - tu as encore piqué dans ma trousse

. Julien : - j'ai rien piqué du tout et tu me gonfles, Véro

. Véronique : - ouais c'est ça t'es encore en train de looker l'autre, peut-être même que tu te branles mon amououour

. Julien : -non mais avec le nombre de fois qu'on baise, je pourrais si je voulais

Des fois le mec avait du mal à s'en dépêtrer tellement elles lui collaient comme cette belle noire avec sa coiffure ancienne à l'afro des années 70, une autre menue, on aurait dit une gamine habillée comme dans La petite maison dans la prairie, à peine arrivée elle s'étendait sur le canapé et lui allait chercher un verre peut-être du remontant. Julien admirait sa santé, son tempérament, sa vigueur, lui dont les rapports avec Véro s'éloignaient de plus en plus, en cause les ragnagnas, la migraine, la fatigue, le changement d'heure, le stress, et puis j'ai pas envie Julien, tu comprends pas envieeeeu. Une fois Julien était allé flaner sur le parking pour voir le baiseur quand il sortirait de chez lui, holà, le forniqueur était habillé comme un clochard, mal rasé, bon c'est la mode mais quand même, il doit en avoir une longue et sévère, pensait Julien en rapport à la sienne qu'il trouvait trop petite et chagrine. Il croisa une grande bringue en manteau de fourrure qui sortait d'une mini Cooper violette et se précipitait vers le baiseur en criant chéri chéri deux fois et lui, goujat, lui répondre désolé je sortais et elle tu vas pas me faire ça et lui bon mais alors vite fait hein, que Julien en restait bouche bée en fixant le pare-brise de la bagnole à côté. Il en défilait de plus en plus chez le baiseur, des créatures de rêve des soies de vedettes, des Monica Bellucci, Scarlett Johansson, Penelope Cruz, Isabelle Carré, sans compter les plus belles d'entre toutes, Gene Tierney dans Laura, Lauren Bacall dans Le port de l'angoisse et Alida Valli dans le Senso de Visconti, rien que des canons.

Julien se demandait parfois s'il n'était pas victime d'une addiction banale ou d'un syndrome évident car l'emploi des jumelles pour s'en mettre plein les mirettes le tracassait. Véronique s'en fichait pas mal apparemment car elle était de moins en moins à la maison le soir à cause de ses cours de perfectionnement en langues vivantes, surtout le russe et le chinois. Ce qui l'obsédait le plus se résumait ainsi : comment ce cupidon du deux pièces avec balcon s'y prenait pour séduire et se taper autant de femmes, des canons pas des boudins, des girondes pas des cageots, comment ? Il avait consulté des bouquins à la biblio municipale, n'osait pas consulter un sexologue tous des charlatans lui affirmait son oncle Charles Hatan, ce qui n'était pas une blague, comment expliquer cette nécessité de mater le coquin d'en face qui assurait autant avec de multiples partenaires alors qu'avec Véronique c'était Véro sans nique...

Tiens, justement, Véronique semblait avoir des règles perpétuelles et de plus en plus de cours; Julien prenait son mâle en patience et avait le temps de lorgner de plus en plus, il avait maintenant non seulement de l'admiration pour les performances du chaud lapin mais se posait des questions sur sa propre libido qu'il n'arrivait pas à satisfaire autrement qu'à reluquer le freluquet. Il avait remarqué plusieurs fois qu'il y avait quelquefois chez le baiseur un petit chien qui ressemblait bigrement à Astuce sa chienne fox-terrier  frétillant de la queue avec ardeur, il n'en voyait pas plus d'une petite minute parce que le rideau se fermait aussitôt et rapidement.

Ce soir là, Julien, encore seul, est à son poste, devant son vasistas favori avec sa paire bien en main, tiens ! on dirait qu'il va y avoir un  événement, lumière tamisée, bougies, bouteille de champ' dans son seau et arrive le petit chien qui saute après lui et et derrière lui... VÉRO !.

 

Épilogue

Pour son merveilleux film La belle équipe tourné en 1936 avec Viviane Romance, Jean Gabin, Charles Vanel et Aimos, le cinéaste Julien Duvivier proposa deux fins possibles, l'une heureuse, l'autre dramatique.

On peut envisager ici la même éventualité.

. Fin heureuse : Véronique se retourne alors vers le vasistas où elle sait que Julien épie, elle lui fait un signe, lui envoie un baiser, le baiseur se gondole, le téléphone sonne : « j'espère, mon chéri, que cette petite blague saura te rendre plus amoureux désormais ». Julien et Véronique redécouvrirent l'amour tandis que chez le baiseur le défilé continuait de plus belle, jamais interrompu.

On ne connut jamais le sort des jumelles...

. Fin dramatique : Véronique quitta Julien ; ils divorcèrent quelques mois après ; un soir, Julien attendit le baiseur sur le parking et l'abattit froidement de plusieurs balles de pistolet, tout le chargeur.

Il déposa la paire de jumelles au pied du suborneur.

 

©  Jacques Chesnel  (Miscellanées)

 

00:23 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (0)

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