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27/11/2010

DE LA COULEUR ROSE

 

- euh chère Ginette, dites-moi pas que j’ai les mirettes en compote, la berlue aggravée ou un navécé pervers qui rend le cervau lent, mais vous auriez pas fait une couleur par hasard ?

- encore heureux que vous êtes tout à fait plus que normale et en bonne santé, ma chère, sauf que c’est pas ce qui était prévu par nasard aussi

- comment ça ?

- à force de voir toutes ces pubs à la con à la télé à la con sur les shampoings colorants à la encore plus con, Maurice m’a dit pourquoi pas toi ça changerait un peu et j’aime la novation… j’ai été interloquetée pasque question changement Maurice par exemple pour le pyjama c’est tout les deux mois au moins et j’vous parle pas des slips et des caneçons, alors il m’avait dit faut pas laver trop souvent les vêtements pour pas perdre les couleurs même quand elles sont blanches, il a de ses théories que parfois j’vois pas où il va chercher tout ça mais n’empêche, et maintenant il veut que j’me colorise les tifs que j’y entrave plus que couic, bon alors j’vais chez Mado la coiffeuse à la mode, vous avez entendu parler de la naine qui travaille montée sur un nescabeau, bon au moment de la coloration elle doit se gourrer de tube et paf me v’là toute rose comme ma première chemise de nuit en nylon de chez Jacques Tati pour not’ première nuit d’noces, j’vous raconte pas la tronche à Momo au retour, (elle hurle) : c’est pas c’que j’avais prévuuu on avait dit châtain claireu quelle conne cette freluquette en plus elle est bigleuse que c’est pas vrai…

- eh ben dites donc, il était remonté vot’ bonhomme

- faut pas grand-chose pour qu’il monte sur ses grands chevaux depuis son service dans l’armée de la cacavalerie ça lui est resté mais là on peut dire que pour mes p’tits cheveux y avait justification, j’veux pas que ma femme elle a l’air d’une binebo comme ces perruches qui tortillent du croupion plus pour un oui que pour un non sur nos nécrans de télé, allez hop on y va on retourne chez la Mado qu’était descendue de son néchelle qu’on la voyait même pas derrière la caisse train de ranger les biffetons d’euros de toutes les couleurs, le salon est fermé qu’elle clame et Maurice braille lui aussi, il sait faire : « eh ben yaka le rouvrir pasque je vais pas passer la nuit avec une bonne femme comme la mienne qui ressemble tellement à une telle créature » et pan !

- is’démonte pas facilement, remarquez le mien, Roger, c’est le contraire, un taiseux qui roumionne dans son coin en grinçant des molaires que sa tête fume comme une cocotte-minute allumée qui chuinte à la vapeur

- le mien il a le taux de la nadrénaline qui grimpe style varappeur en folie alors vous pensez… Mado refait surface en roulant de ses yeux de merlan frite et dit, dites à vot’ mari de se calmer sans ça ça va… et Maurice lui répond du talc au talc bon bon vous fâchez pas elle va revenir demain mais faudra arranger ça hein sans ça vous m’entendez euh… et nous voilà dehors avec un mari penaud tout chamboulé, tu vas bien que j’lui demande, cette bonne femme enfin ce p’tit bout de femme j’peux bien te l’avouer elle me fait comme pitié dans son métier pasque elle est pas à la bonne hauteur pour trouver les bons tubes de coloration elle doit se gourrer facilement en mêlangeant toutes les canules et les pipettes même avec un nescabeau et c’est sans doute pour ça que t’es toute rose et on devrait lui conseiller d’aller voir un nopticien, quand j’pense naine et naveugle enfin peut-être presque, j’vois pas c’qu’on peut faire autrement que compatir sauf que pour les prix c’est pas donné…

- manquerait plus qu’a soye paralytique en plus

- c’est marrant, Maurice m’a dit la même chose en rigolant sauf que c’est pas drôle

- vous voyez, quand les grands esprits se rencontrent

- et qu’on voit la vie en rose, enfin moi… avec mes cheveux

- vous y retournez quand ?

- demain à la première heure, en principe, si Maurice change pas d’avis d’ici là

- ah bon !

 - ben oui, il dit qu’il commence à s’y habituer, alors… tenez, hier dans l’journal, j’ai vu qu’y en avait une dans le midi qui coiffait à demi à poil, on s’demande jusqu’à où on va à c’train-là 

- vous savez, on finit par s’habituer à tout, tenez, moi par exemple, avec Roger, pas plus tard qu’hier hier soir…

 

 

©  Jacques Chesnel

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20/11/2010

IDYLLE CONTRARIÉE

 

Thelonious Chernoy rencontra Sandra Cardosa de Terra Nove y Nueve au Ronnie Scott’s Club de Londres le 2 août 1980 à l’occasion du dernier passage du Bill Evans Trio dans ce lieu magique, trois mois avant la disparition de ce grand pianiste de jazz.

Thelonious était le fils de Lord Jack Chernoy-Bornburn, Comte de Nowhere and Everywhere, distingué par la si distinguée Jarretière de la Reine d’Angleterre, personnage politique influent pendant le second conflit mondial et ayant contribué à l’effort de guerre dans la fabrication des repas pour les soldats, les fameuses « rations » au concombre à la framboise et oignon à la menthe so british, si appréciées de la valeureuse soldatesque. Au moment où débute cette histoire, il a soixante-huit ans, en paraît dix de moins, bois toujours comme un trou son whisky pur malt venant de l’île de Isaly (prononcer Aïlou, enfin bref quelque chose comme ça) où il possède quelques tonneaux entiers, dédaigne sa femme confite en dévotions et dévote en confits, experte en confiture, il course sans arrêt après les servantes énamourées (il est si beau, si vigoureux, so Lord, avec une bite si énorme que ça nous rendait toute chose, comme disait Véro la femme de chambre française experte en la matière), joue toujours au golf le matin à neuf heures trente avec les mêmes partenaires qui perdent toujours et avoue  avec force une détestation principale : le jazz. A la naissance de son fils unique, il lui donna le prénom de Archibald que le garçon devenu adolescent changeat sans prévenir en Thelonious, hommage à Monk, autre pianiste et grand compositeur de cette musik de sauvage abominable que son père trouvait inaudible, à part Petite Fleur qui lui rappelait une aventure torride avec une cigarettière dans les toilettes d’un club parisien où il s’était aventuré par mégarde, chargé de boisson comme un mulet qu’il était alors. Lady Margaret était plus que moche, hautaine, prétentieuse, empêtrée dans ses chaudrons en cuivre pour la fabrication de confitures de citron-citrouille-ciboulette et si-tout-ça qui firent néanmoins beaucoup pour sa notoriété tandis que l’étoile de Sir Jack faiblissait de jour en jour dans les bras des filles de salle et salons compatissantes ou vénales, sa présence à la Chambre des Lords étant réduite à la portion (euh pardon, ration) minimum.

Sandra Cardosa de Terra Nove y Nueve s’appelait en réalité Marjorie LaRuelle et personne ne sut (pas plus que l’auteur de ces lignes qui a quand même une petite idée mais confuse) comment elle devint celle que Thelonious rencontra et dont il tomba illico amoureux au point qu’en cet état il se fit un immense choc émotionnel au cerveau ; après qu’il se soit présenté, elle lui répliqua de suite en énonçant tout de go sa nouvelle identité ibérique et bidon, ce qui le troubla après qu’ils se furent bousculés à l’entrée du club. Ils avaient été placés à une table, pur hasard, devant celle de Stan Getz venu écouter son ami musicien, en compagnie d’un couple dont il courtisait ouvertement la femme. Thelonious et Sandra voyaient les mains se chercher, les pieds se frôler, leurs regards se croiser avec flamme et tout excités tous les deux commencèrent à en faire timidement puis hardiment autant qu’en face, sans qu’il y eût aucun mari à côté d’eux tandis que penché/couché sur le clavier, sous l’œil attentif de Marc Johnson et Joe LaBarbera, dans un silence respectueux, Bill Evans jouait Turn Out The Stars. Sandra et Thelonious se regardèrent enfin les larmes aux bords des yeux tandis que leurs doigts tricotaient et détricotaient dans leurs profondeurs corporelles et sensorielles. Au cours de My Romance, Getz devant eux commençait à fourrager sous les jupes de sa voisine, bientôt suivi par les nouveaux amoureux décidés à ne pas demeurer en rade ; à la fin du set, avec cette merveilleuse interprétation de But Beautiful, leurs ébats de dessous table atteignaient un point presque culminant, il s’en fallait de peu que cela aboutisse enfin aaaah ; durant l’acclamation finale, ils eurent beaucoup de difficulté à se maîtriser et à retrouver un peu de dignité dûe égard à leurs rangs qui était au deuxième dans la salle. Ils allèrent souper dans le restaurant indien face au club et rejoignirent la Bentley paternelle empruntée en catimini pour l’occasion. A l’intérieur, leurs ébats reprirent de plus belle sous l’œil intéressé du chauffeur qui, au bout de quelques minutes, sortit du carosse pour se soulager mano et manu militari tant la vue rétrovisuelle l’avait mis dans un état si inconfortable de raideur inhabituelle qu’il le fallait bien, difficile de conduire ainsi. Les amoureux n’avaient qu’une seule idée en tête : conclure au plus vite.

Arrivés devant les grilles de l’imposante demeure seigneuriale dans le quartier cossu de Hampstead, Sandra/Marjorie fit part de sa surprise, de son étonnement.

- Que venez-vous faire ici Thelonious, dit-elle tandis que le chauffeur tapait sur le digicode.

- Mais nous rentrons chez moi, ma chère, vous êtes mon invitée dans mes appartements, pour continuer et finir ce que nous avons si bien commencé avec Bill Evans chez Ronnie

- Je ne peux pas entrer ici, c’est absolument impossible, Thelonious, je

- Mais pourquoi, pourquoi, Sandra ?

Blottie dans un coin, elle commençait à s’agiter puis voulut ouvrir sa portière bloquée par le chauffeur sur un signe de son compagnon. Elle poussa un énorme soupir et déclara :

                - Je vais tout vous dire, laissez-moi aller jusqu’au bout, je vous en prie : lorsque je vous ai vu, je vous ai presque reconnu immédiatement, vous vous prénommez Archibald, né Chernoy-Bornburn, et moi je ne suis pas Sandra mais Marjorie, je n’appartient pas à une noble famille espagnole, ma mère écossaise était employée au service de la reine d’Espagne après l’avènement de la monarchie, avant de venir en Angleterre suivre mon marin de père inconnu… à la fin de mes études, sans trouver de travail correspondant à mes capacités,  à mes diplômes de Cambridge, je me suis incrite dernièrement à un job center et on m’a proposé de devenir chambrière à la demande d’une éminente personnalité, j’ai répondu aussitôt à la convocation… et (elle soupire de plus en plus fort) je suis arrivée ICI, Archibald, dans la résidence de votre père, il y a une semaine de cela et immédiatement votre plus ou moins vert géniteur m’a poursuivi de ses assuidités de plus en plus pressantes, cherchant à me coincer partout, à me pourchasser jusque dans les combles en hurlant ma petite ma petite chérie my darling honey sugar mon chou ma caille ma jolie puce puis devant mon refus de céder à ses avances comme les autres, de me traiter de salope, traînée, prostituée, fille de pute… (elle se met à pleurer)… jusqu’au coup de pied que je lui envoie dans ces nobles c… (elle n’ose prononcer le terme, elle s’effondre), et de m’enfuir dans le parc à moitié nue, dépenaillée, apeurée… ce vieux machin (elle crie), cette vieille peau, votre père, Thelonious chéri, (elle hurle) VOTRE PÈRE… je me suis sauvée, je suis restée chez moi pendant une semaine à sangloter, à haïr cette canaille lubrique, je suis enfin ressortie décidée à me venger et me voilà par pur hasard dans vos bras, Archie, vous qui voulez me faire entrer dans la maison de votre salopard de papa, ce si vénérable Lord, quelle horreur !

Thelonious-Archie était abasourdi, certes il avait entendu des bruits, des galopades effrénées, des cris parfois mais il n’osait imaginer son géniteur en satyre s’échinant après les demoiselles et pourtant... Il lui fallait prendre une décision tandis qu’il contenait Sandra-Marjorie dans ses bras pour la consoler. La voiture avait dépassé de peu la grille d’entrée restée ouverte, Andrew le chauffeur, grillait une cigarette à côté ; d’un seul coup, Marjorie se dégagea des bras d’Archie, ouvrit la portière débloquée et partit en courant comme une folle dans la rue… où venait à vive allure une voiture n’ayant qu’un seul phare allumé, le gauche. Le choc fut inévitable, violent. Arrivé près de son corps désarticulé, Archie put l’entendre dire entre deux halètements, des bulles de sang sur ses lèvres :

 - désolée… on n’a… pas pu finir…ce qu’on avait… heu… commencé, ce seraaa… pour une… jeee…

                 Elle meurt avec un demi-sourire gêné sur son visage tuméfié, défiguré, tandis qu’on entend, dans la radio du véhicule accidenté, les dernières notes de ‘Round Midnight, le thème le plus célèbre du génial compositeur Monk, prénom Thelonious.

 

©  Jacques Chesnel

 

11:16 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (0)

12/11/2010

CONSIDÉRATIONS

 

- vous auriez pas un nouveau p’tit coup d’mou vous ?

- pas trop d’mouvous quoiqueu, en neffet, j’ai seulement des douleurs dans les jambes avec toutes ces manifs que sam suffit amplement

- on en a fait de ces kilomètres hein ? que c’est du boulot pour les cordonniers si on en trouve pasque maintenant c’est comme pour les collants, un de filé et hop à la poubelle, pour les godasses, un trou dans la semelle et hop dans le vide-ordures, alors les bouifs vous pensez… tous en voie de dispersion

- heureusement qu’on était beaucoup, j’ai jamais vu autant de pépées et même des mémés sans compter les nanas les plus virulentes qui braillent à s’en négosiller les cordes vocables

- j’ai vu aussi quelques bourgeoises en tailleur Chesnel couleur Bordeaux, elles avaient dû se gourrer de cortège ou alors elles sont masos ou

- remarquez, yen a aussi qui font la gueule quand on leur parle de ça, tenez la Moréno qui vocifère tant que faut s’y faire, la Bachelot qui promène en laisse son sourire niais et ses crocks roses que c’est quand même quelque chose et la NKM avec son air de madone des sleepings, Maurice l’appelle « l’use tant cils » tellement elle papillonne des paupières que ça l’énerve, et MAM avec ses toujours « c’est la question pour laquelle » des questions qu’on ne sait plus pourquoi et quoi qu’elle cause, et l’autre là euh, P quelque chose et ses mimiques de chochotte qu’on devine pas très bien ce qu’elle combine à part de la lèche en penchant de la tête

- heureusement qu’ya la Rama jamais à la ramasse, elle relève un peu le niveau comme poil à gratter là où qu’c’est qu’ça fait mal même que le Sarko y supporte plus tellement à c’qu’il paraît qu’on peut alors se d’mander que si elle était pas noire il l’aurait déjà virée rapido mais

- tout ça c’est rien à côté de la Lagarde, la madame je sais tout, je connais tout et son contraire, qu’elle nous embobine tellement que Maurice en a le tournis et qui dit vaudrait mieux que le Sarko il ne se la garde à vue pas vite fait

- et voilà que maintenant elle parle de la libido et de la tête à Stérone que personellement je connais pas c’te gars-là, tout ça pour nous enfumer, et là je suis polie si vous voyez c’que j’veux dire, encore plus, non mais de quoi je me mêle, elle est pas sexologue encore que ça se saurait

- quant à Mimi…

- qui Mimi ?

- ben oui, Mitterand le Fredo à tonton

- ben aussi… c’est pas une femme, non ?

- nan, mais son bouquin il est resté au travers de la gorge de plus d’un et de plus d’une, malgré sa cote des ventes dont il se vante

- je l’ai pas lu mais d’après c’qu’on m’a dit c’est pas à mettre entre toutes les p’tites mains innocentes, mais comme ya pus de césure on coupe plus rien et yen a qu’aime ça

- telle que j’vous connais, vos yeux seraient sortis de vos orbites

- oh !, il m’en faut plus que ça, et puis question bite en or celle à Maurice me suffit amplement, de toutes façons avec ma ménopause qui fait pas d’pause, j’me plains pas tellement

- tiens pendant qu’j’y pense, êtes-vous t’y pour la réouverture des bordels qu’on en parle toujours ?

- ah bon ! pasqu’ils sont fermés… si vous voyez ce qui s’passe à côté de chez nous, vous vous poseriez pas la question

- alors ce sont des clandés pas nautorisés à cause de la loi des richards… par contre, y paraît qu’à Berlin yen a des centaines et qui bossent dur, même qu’on refuse du monde et qu’on fait des prix spéciaux pour les chômeurs et les seniors qui font la grosse queue comme tout l’monde

- ces allemands ils sont les premiers partout maitenant, les bagnoles, les navions, la fête de la bière, la chandelière, les saucisses… et les bordels, nous on a l’air malin, s’pas ?

- oui, mais on a la retraite à 62 ans, alors…

- ça nous fait une belle jambe

- remarquez, c’est toujours ça d’pris

- encore un truc à nous que les russes n’auront pas comme au bon vieux temps de la guerre froide de la chaussure au gros Croute-chef

                - c’était aut’chose, ya pas à r’gretter, tout bien considéré.

 

                ©  Jacques Chesnel

20:40 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (0)

05/11/2010

LA FLAMME DU BOULANGER

 

LA FLAMME DU BOULANGER

                                                LA FLEMME DE LA BOULANGÈRE

 

On aurait pu croire à un rimaique ricain ou à une version remaniée ou édulcorée ou même un peu chamboulée genre franchouillarde façon série télé du film de Pagnol La femme du boulanger, celui  avec le grand Raimu et la parfaite et troublante Ginette Leclerc (soit une esPagnolade, en quelque sorte !) ; on reprendrait alors le thème en le mettant au goût du jour (les nouvelles technologies de fabrication du pain, quelques scènes de panpan cucul pas trop hard quand même, versions multi-lingues et pour mal-entendants), on ferait appel à Julia Roberts et à Anthony Hopkins… et cela aurait pu repartir dans les années 2010 au lieu de 1938, dans une quelconque grande ville du nord au lieu d’un petit village du midi, avec en plus le génial Galabru dans le costume du non moins grandiose Charpin et hop, financement, production, tournage, promotion, distribution, le tour est joué, succès assuré… et pourtant… rien de tout cela :

Bien avant sa sortie de l’école, Jeff rêvait de devenir boulanger comme son oncle préféré qui, disait gentiment ce dernier, lui avait refilé le virus de la boulange. Libéré des études primaires, il entra à quatorze ans dans un lycée professionnel, passa avec brio tous les examens, CAP, BAC pro de boulanger-patissier et à la mort de son oncle s’installa dans la boutique que celui-ci lui avait léguée. Il avait vingt-trois ans. Travailleur acharné, il était apprécié de la clientèle autant pour la qualité de ses pains et de sa patisserie que pour son affabilité et son sens du commerce. Il rencontra Mélanie dans un bal grâce à des collègues, ce fut le coup de foudre et ils se marièrent rapidement, la clientèle de plus en plus nombreuse fut attendrie par le beau couple qu’ils formaient, lui au labo, elle derrière son comptoir ; en somme un cliché bien de chez nous.

 Cela prit une autre tournure quand notre beau boulanger (j’avais oublié de vous informer que notre gaillard était d’une beauté du genre George Clooney pour faire rapide avec en plus un corps d’athlète), suite à une émission sur la boxe à la télé qu’il regardait le ouiquainde, décida de s’inscrire dans une salle d’entraînement de boxe près de chez lui, pour voir, disait-il, rien que pour voir… on allait bientôt voir qu’il se mit à fréquenter ce lieu assidument au point de négliger son travail : il avait attrapé un autre virus, celui  de la boxe, à vingt-six ans. Non seulement, il commença par s’entraîner tous les jours, ses professeurs étant étonnés de sa faculté à apprendre, à encaisser les coups et surtout à en donner, mais maintenant il voulait devenir champion.

Il s’intéressa également à l’histoire de ce sport et à ses grandes figures, devint incollable sur les mythes incontournables que furent Jack Johnson (1878 -1946), premier champion catégorie poids lourds de couleur et sa victoire historique le 4 juillet 1910 (il avait aussitôt acheté le disque de Miles Davis qu’il écoutait sans arrêt) sur Georges Carpentier et Marcel Thil dans les années 20 -30, sur Joe Louis autre illustre boxeur noir (il se souvenait de l’histoire d’un pote à son père qui lui racontait que Joe lui avait offert son premier disque de jazz quelques semaines après le débarquement en 1944 lorsqu’il faisait des combats de démonstration pour les troupes américaines), sur Tony Zale, Rocky Graziano, Jack LaMotta et principalement Marcel Cerdan (bientôt ses camarades en voyant l’expression de son visage lorsqu’il combattait le surnommèrent « Serre – Dents »), sur Sugar Ray Robinson le danseur, Mohamed Ali, Carlos Monzon, Mike Tyson et Oscar de la Hoya dit Golden Boy, il connaissait tout des leurs combats, de leurs victoires, de leurs défaites, tout. Je suis habité par une sorte de flamme, disait-il, qui me brûle à l’intérieur et il faut que je m’en libère par la boxe.

Son travail s’en ressentit, il dut faire appel à deux mitrons, les clients ne retrouvèrent pas la qualité de ses pains… et Mélanie fit les frais de sa fatigue dûe à son entraînement continuel, leur union connut quelques fissures qui allèrent s’aggravant. Leurs explications, scènes et autres engueulades envenimèrent leurs rapports, ni l’un ni l’autre ne voulant rien savoir, lui sur son entêtement, elle sur la pérennité de leur couple qui battait singulièrement de l’aile. On aurait pu penser que les premiers combats tous victorieux ainsi que les compte-rendus élogieux qui s’ensuivirent allaient arranger les choses, que nenni, Melanie s’enfonçait dans une forme de passivité/apathie ponctuée de brèves et violentes colères, je suis habitée par une sorte de flemme, disait-elle, et je ne sais pas comment m’en libérer.

 Pendant que son mari tambourinait comme un malade dans le sac de sable et principalement sur le corps de ses adversaires, elle sortait de plus en plus souvent et après une soirée de gala de danse classique elle se retrouva au lit avec le danseur-étoile qui avait la réputation d’un tombeur plutôt à vapeur qu’à voile et qui lui montra qu’il pouvait assurer des deux côtés. Pour Mélanie, ce fut une révélation, pas seulement l’aspect sexuel inattendu de la chose, non, mais la danse classique, tutu et ballerines. Avec autant de flamme que Jeff pour la boxe, elle commença à prendre des cours sur la recommandation de l’étoile de passage et devint incollable sur la technique, les pas, attitudes, mouvements et positions ainsi que sur les grands noms de la danse classique, de la Pavlova à Sylvie Guilhem, d’Isadora Duncan à Margot Fonteyn, de Noureïev à Barychnikov , de Serge Lifar à Roland Petit, jusqu’à Maurcie Béjart et Philippe Découflé sans oublier le premier d’entre tous Nijinsky (elle alla se recueillir sur sa tombe à côté de celle de Stravinsky au cimetière de Venise sur l’île de San Michele) et les mondes étranges de Maguy Marin et de Pina Bausch. Ses progrès furent aussi considérables qu’inattendus et elle fut rapidement intégrée dans une troupe régionale de grande notoriété. Elle aimait dire alors : je suis habitée par une sorte de flamme qui me dévore intérieurement et c’est par la danse que je me libère.

A la boulangerie qui continuait tant bien que mal grâce au personnel (de nouveaux apprentis et vendeuses), les affaires n’étaient plus aussi florissantes ; la clientèle se détournait, tout allait de mal en pis. Les sévères défaites des derniers combats affectèrent gravement le moral de Serre-Dents tandis que Mélanie volait de succès en succès comme ce cygne qu’elle dansait si bien. Lui avait pris une petite chambre près du gymnase, elle vivait dans un hôtel luxueux payé par la troupe, ils ne se voyaient plus, les problèmes du magasin étant réglés par un gérant. Maintenant tout allait de plus en plus mal très vite pour Jeff qui baissait trop rapidement la garde et manquait d’énergie, désormais le succès grandissait rapidement pour Mélanie devenue tête d’affiche adulée du grand public comme une grands vedette. Peu de temps après son ultime combat, battu par « arrêt de l’arbitre » (pire, pour tous les boxeurs, qu’on k.o.), Jeff confia à son manager : je suis maintenant la proie d’un sorte de flemme et je ne sais pas comment m’en sortir.

Un soir, il alla au théâtre voir le spectacle de ballets d’une troupe internationale dans lequel Mélanie était LA danseuse-étoile ; à la fin, après le triomphe et les innombrables rappels, il demanda à la rencontrer dans sa loge, elle ne le reconnut pas ; il la trouva transformée, métamorphosée, dans un autre monde, inaccessible.

 

De la flamme à la flemme et vice et versa, il n’y a qu’une voyelle ; c’est la différence et c’est ce qui change tout… forcément.

 

©  Jacques Chesnel

19:16 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (1)

01/11/2010

COMPTAGE

 

Je n’ai jamais su vraiment compter, j’étais et je suis toujours nul en mathématiques, bon évidemment je sais que 1 + 1 = 2 quoique il y en a qui ne sont pas tellement sûrs, on remet tout en question, alors… Depuis quelques temps, j’ai de plus en plus de doutes tandis que d’autres ont de plus en plus de certitudes… je n’ai jamais eu autant d’interrogations, oui, tenez, par exemple sur dieu là : contre 99, 99% bien que des rigolos de frangins aient vu son visage et qu’on voit trop souvent le leur partout… donc, j’ai 0, 01 % de doutes, sur mon orientation sexuelle 100% hétéro avec tendance à l’homo seulement avec les dames consentantes, rassurant, non ?... ce qui m’inquiète c’est quand même la différence de quantification significative, par exemple : syndicats, mouvements, regroupements, associations, congrégations, réunions, etc… et la police. Bon, maintenant avec les caméras de surveillance, les indics, les mouchards, certains fêlés du web et tout, on est repéré, fiché, coincé, biaisé, baisé, ok ?

Je me lève ce matin, fais quatre pas vers la salle de bain (deux selon la police), me regarde dans la glace (personne selon la police, je suis donc l’homme invisible), je perds quelques cheveux (faux, dit la police, ça me rassure) ensuite petit dèj’ quatre tartines comme d’hab’ (une seule selon les cognes ; chouette c’est mieux pour ma ligne), je vais à mon garage, je compte les pas comme ça pour voir : 48, donc 48 mètres (32 selon les flics), je vais faire mes commissions : au compteur kilométrique de ma bagnole : 9 kilomètres (rien, 0 selon la maison poulaga, car ya plus d’essence), à la caisse du magasin ma note est salée (dessalée par la police, ya du bon), j’appelle ma copine au téléphone allo Miche, j’arrive dans 5 minutes (2 selon la police, ya plein de voitures-escargot), en attendant je compte les dents qui me restent, soit 29 (22 selon les flics évidemment), des jeunes passent en rigolant, ils sont beaucoup (vous avez vu des jeunes, vous ?, selon les condés), à la radio ils sont plus de 30.000 (8.512 et demi selon les poulets), ya pas grand monde au bureau, on vote la grève, 28 pour sur 31 (32 contre sur 28 selon la volaille), enfin chez Miche, ouf, on tire not’ coup (nada, bernique, ceinture, que dalle, oualou, peau de zébi, selon les perdreaux), on va au cinéma voir 20.000 lieux sous les mers (12.222 selon la rousse), au bistro, deux cafés : 12 euros, 3 selon les cognes, chouette ça baisse enfin), ya moins de monde dans les rues (personne selon la police), on m’interpelle hé Maurice kèke tu fous par là, viens donc avec nous on va à la manif’ place de la Rèp’, hé Maurice, hé…

Je me réveille en sursaut, seul dans mon lit ; j’ai peur que selon la police, on annonce qu'on n’a trouvé personne.

 

©  Jacques Chesnel  (21 octobre 2010, selon la police)

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