30/03/2013
L’ATTIRANCE
Pendant qu’elle dormait paisiblement à côté de lui avec un léger ronflement qu’il trouvait plutôt amusant, Jérôme se demandait ce qu’il avait pu trouver à cette Muriel, sa compagne depuis maintenant cinq ans. Il se posait la question de l’attirance, cette force qui l’avait conduit à jeter son dévolu sur cette fille qu’il trouvait jolie sans plus, pas très maligne sans plus, un peu maniérée sans plus mais avec tellement de, comment dire, charme, oui un charme fou à ses yeux, à ses oreilles (quelle voix !), à son cœur qui cognait comme un fou. Il avait donc ressenti un irrésistible attrait pour cette grande gigue un peu trop dégingandée, qui lui souriait gentiment pendant qu’il lui faisait des yeux qu’elle repéra si doux, ça commençait bien. Maintenant, elle se retournait brusquement en lui donnant un léger coup de pied dans ce lit étroit pour personne seule. Il eut subitement envie de lui embrasser ce peton dont il avait déjà fait plusieurs fois le tour avec jubilation (fétichisme du pied ?, tiens !). Pendant longtemps Jérôme avait fonctionné sur le physique uniquement et avait obtenu de bons résultats autant que de cinglants échecs lorsqu’il était passé à la vitesse supérieure : les goûts et le couleurs, les affinités exposées ou secrètes une fois la séduction évacuée. Il repensait à la liste assez impressionnante de ses aventures sans lendemains pas plus loin que la semaine en cours, sur tant de désirs assouvis ou refoulés. Et puis Muriel s’était pointée sans prévenir, par surprise, par effraction, avec le choc qui s’ensuivit, boum. Il croyait pourtant être blasé, aguerri et suffisant du genre on ne me le refera plus, j’ai déjà payé et basta. Tenez, prenons le cas de Claire que certains d‘entre vous ont bien connue, elle était bien plus jolie que Muriel, bien plus intelligente, bien plus drôle, bien plus que cela et pourtant… Jérôme avait tout entendu, tout lu sur l’art de la séduction et de la stratégie des grands séducteurs, sur la signification du baiser, le rituel érotique, l’embrasement et l’embrassement amoureux, sur les phéromones, la passion son labyrinthe ou ses méandres, tout, mais il ne comprenait toujours pas cette fascination subite qu’il avait eue pour la personne qui ronflait doucement à ses côtés, il avait ressenti comme un appel, un signe, un déclic, un flash immédiat, une attirance foudroyante et non contrôlable. Ses parents lui avaient raconté leur première rencontre semblable à la sienne, il admirait la durée de leur amour, cinquante ans de mariage, il s’étonnait de les voir s’embrasser souvent, c’était, disaient-ils, un des clés de leur bonheur perdurant, s’embrasser pour un oui pour un non pour rien pour tout, n’importe où n’importe quand n’importe. Il avait essayé avec Muriel, attention on nous regarde, oh ça va pas non, c’est pas le moment, arrêteueu, mais têtu il s’était entêté et maintenant elle en redemandait, alors il ne rechignait pas, il y allait de bon cœur, à cœur joie, la cœur à l’ouvrage, à vot’ bon cœur m’sieur dame, elle répondait la diablesse comme maintenant tandis qu’elle dormait ou somnolait, elle lui donna une petite tape de remerciement, elle se réfugia et se lova dans ses bras murmurant d’une voix ensommeillée encore encore Jérôme embrasse-moi encore, il est quelle heure déjà c’est pas vrai…
- Chéri, j’ai rêvé ou tu étais en train de m’embrasser ?
Et que croyez-vous qu’il fît, que croyez-vous qu’ils firent, que croyez-vous qu’ils font,
là, tout de suite, maintenant…
© Jacques Chesnel
11:03 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (0)
25/03/2013
UN PROBABLE DUO
A voir la façon dont elle regardait avidement le piano, puis ensuite quand elle pausa ses mains sur le couvercle pour l’ouvrir précautionneusement avec une sorte de gourmandise affichée dans ses yeux une fois assise sur le tabouret qu’elle avait rehaussé fermement, cette façon aussi de se jeter sur les touches d’un seul coup pour produire un unique accord somptueux qui fit pétiller ses yeux et frémir d’un léger spasme son corps si gracile et tellement impatient, tout cela étonna et enthousiasma celui qui avait choisi un autre instrument moins encombrant, plus transportable, se promettant de lui faire une cour assidue pour former un duo original et qui émit brusquement un hoquet de surprise difficile à réprimer devant tant de grâce et d’énergie conjuguées. Il ne savait comment lui faire cette proposition car leurs univers musicaux étaient si dissemblables ainsi que les œuvres se rattachant à leur instrument respectif. Elle le regarda et lui demanda avec un sourire en coin si il aimait les pièces pour piano de Gabriel Fauré, vous connaissez ses Préludes… et les « voicings » de Bill Evans ?.
Il n’était pas peu fier de son biniou, pensez donc, un Buffet-Crampon acheté aux puces de Saint-Ouen, un basson peut-être des années 50 mais sans date précise de fabrication, état excellent, prix à débattre, il avait débattu et était reparti avec son trésor sous le bras. Commencée par la clarinette à cause de son admiration pour Sidney Bechet et Benny Goodman, sa carrière s’était poursuivie par l’étude du basson après avoir entendu Pascal Gallois interpréter les « Sequenza XII » de Luciano Berio et le jazzman Illinois Jacquet au Ronnie Scott’s Club de Londres. Sa réputation s’était affirmée après son adhésion à l’association « Les fous de basson » et sa performance remarquée au festival d’Angoulême. Aujourd’hui, devant cette charmante jeune femme, il se demandait si une collaboration, une association pourrait être envisagée, il y avait un répertoire, limité certes, mais on pouvait certainement proposer quelques chose de particulier, d’inédit, voire de sensationnel, notamment des compositions de leur cru, à elle, à lui, à…. Et vous, vous connaissez Sarabande et cortège de l’immense Henri Dutilleux ?
Les voilà donc tous les deux réunis par des amis communs dans ce vaste salon où trône un rutilant et piaffant grand Steinway et où il sort son basson de sa housse avec une extrême précaution. Ils se mirent d’accord sur la première pièce à interpréter, la merveilleuse Sonate pour basson et piano en sol majeur, op.168 de Camille Saint-Saens, continuèrent avec les Trois Pièces de Charles Koechlin. Ils se regardèrent en souriant, paraissant plutôt satisfaits du résultat étant données les difficultés surmontées et, suite à un regard complice, enchainèrent immédiatement une improvisation un peu dingue à partir d’un medley comprenant Les feuilles mortes et The Man I Love pendant une dizaine de minutes. A la fin, tous les deux partirent d’un énorme éclat de rire à la stupéfaction ou la perplexité des rares amis présents qui tous se posèrent cette question pour la suite : un probable duo ou improbable duetto ?
© Jacques Chesnel
12:50 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (1)
17/03/2013
LA TROISIÈME FOIS
La première fois, j’ai rencontré mon espagnole Boulevard des Italiens, on s’est baladés dans Paris grâce à un taxi conduit par un chinois et sous une pluie battante nous sommes arrivés rue Serpente dans un restaurant grec. Toutes les tables étaient occupées par des personnes seules lisant le même journal dont nous n’avons pu voir le titre, il y avait cependant un brouhaha continuel, des conversations intérieures, les hommes plutôt débraillés étaient les plus nombreux, les femmes rajustaient constamment leurs robes avec prudence, quelques toux discrètes insolentes et isolées, la chaleur étouffante, les odeurs de cuisine en ballade, les pas endormis des serveurs sur un parquet mal ciré, il est treize heures vingt-huit à la pendule murale de guingois, deux éternuements saccadés, quelqu’un se mouche de traviole, un journal s’échoue lentement tandis que son lecteur ricane et que sa compagne renâcle fortement, un quidam entre rageusement, on ne sert plus à cette heure désolé, une petite fille dissimulée réclame les toilettes manman pipi t’as qu’à te retenir elle pleure, cette fois un client sort précipitamment, on le rappelle monsieur votre parapluie ah oui merci, maintenant on m’apporte l’addition que je n’ai pas demandée, heu vous prenez la carte bleue ?.
La deuxième fois, j’aurais aimé rencontrer mon italienne Boulevard des Espagnols ou dans la rue Goya sous un soleil éclatant mais ce fut rue Serpente en sortant d’un restaurant chinois quasiment vide à part les quelques serveurs âgés lisant des journaux aux titres différents, le silence était glacial, les mouches pouvaient voler malgré le souffle pénétrant de la climatisation ébouriffant les rares cheveux de la compagnie, on sentait un désodorisant permanent fort désagréable comme pour effacer la malpropreté invisible, quelques chuchotements de casseroles venus de la coquerie, un rire hennissant lointain vite réprimé, il n’est que douze heure vingt-huit signalées par un veille horloge branlante dans un coin, le service s’impatiente fébrilement car c’est bientôt l’heure de la fermeture et on ne paie pas les heures supplémentaires alors on s’affaire, la porte des toilettes claque trop fort, un petit garçon sort hébété et fait un pied de nez à la caissière plongée dans ses additions, le patron dit quel garnement et le papa hausse courageusement les épaules. Nous sommes sortis, maintenant il fait beau.
La troisième fois, il y a longtemps, j’ai rencontré une femme sur le Boulevard du Crime, c’était Garance dans Les Enfants du Paradis ; il y a toujours une troisième fois et c’est tant mieux car maintenant il n’y a plus pour moi que le cinéma et peu de films comme celui-là, un véritable chef-d’œuvre comme on n’en fait plus. Depuis Garance et moi, on ne s’est jamais quittés malgré les Baptiste, Frédéric, le comte de Montray, Lacenaire et autre Jéricho… comme quoi les rencontres, restaurant grec ou pas !.
© Jacques Chesnel
12:33 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (3)
12/03/2013
ALORS ?
Jérôme : Tout était à refaire, à repenser d’abord, cela ne pouvait pas, ne devait pas continuer comme cela, il ne fallait pas que le doute s’installe encore plus car on serait dans l’intolérable et comme j’étais déjà passé par là, je ne voulais pas que cela recommence, je n’aurais pas pu le supporter, Muriel connaissait le problème, elle ne pouvait le résoudre et d’ailleurs elle n’était plus là, je ne savais même pas si elle me manquait. Nous étions sortis de la dernière dispute complètement anéantis, était-ce suffisant pour se perdre de cette façon ou pour mieux se retrouver d’une autre ; ces chamailleries finiraient pas laisser des traces en espérant qu’elles ne deviennent pas trop indélébiles. Nous étions tous les deux du genre soupe-au-lait qui ne demande qu’à déborder mais nous avions réussi à ne pas en venir aux mains, ce qui était rassurant jusque-là ; quant à justifier l’état dans lequel je me trouvais, un état indéfinissable et inconfortable… Etait-ce encore ce reproche permanent concernant ma liaison ancienne avec Claire avant notre rencontre, elle ne pouvait, ne devait pas m’en blâmer, par contre elle voulait passer l’éponge sur son aventure avec le footeux pendant notre union. Alors ?
Muriel : Il y avait autre chose, autre chose de plus profond, j’en avais eu la révélation lorsque j’avais lu la première phrase du livre qu’il m’avait offert, Le rabaissement de Philip Roth : Il avait perdu sa magie. L’élan n’était plus là. Son élan à lui, sa magie aussi, envolés petit à petit, paroles et expressions, gestes et comportements, comme s’il se dépersonnalisait, devenait un autre sans s’en rendre compte, un étranger maintenant que je ne le voyais presque plus parce qu’il marchait trop vite comme pour me fuir, petite silhouette voûtée perdue dans l’espace et comme hors du temps. Etait-il trop tôt pour parler de gâchis total et d’en chercher les causes mutuellement alors que le fil du dialogue s’était brusquement rompu. Oui, j’étais jalouse de Claire bien que ce fut avant, oui, je regrettais ce coup de folie avec ce qu’il appelait mon footeux. Etait-ce encore ces reproches permanents qui avaient entamé notre relation vacillante et pourtant tenace. Nous avions des amis qui avaient les mêmes problèmes, nous en parlions parfois mais, disait Jérôme, ce n’est pas pareil, si Jérôme, c’est identique. Alors ?
Je me demande encore pourquoi je leur avais dit d’aller là-bas, en ce lieu historique, ce souvenir de ma visite après la guerre. Grand-père, raconte-nous, m’avait demandé Jérôme, et après mon récit et ma description, il avait approuvé puis regardé Muriel et dit alors qu’en penses-tu on y va ?. J’étais gêné lorsque j’assistais à leurs disputes interminables, surtout minables et je pensais que cela finirait mal mais pas à ce point ; les torts étaient partagés, lui trop impulsif, elle rouée avec son air de ne pas y toucher, un côté machiavélique qui me chagrinait à chaque fois. Arrêtez ou alors allez faire vos chicaneries ailleurs, leur intimais-je, en pensant que tout ce foutoir inutile trouverait bien une solution avec un bon coup sur l’oreiller en fins baiseurs qu’ils sont. Depuis quelque temps, j’avais l’impression désagréable d’une accélération dans la destruction, je m’attendais à des blessures profondes, des choses dites qu’on ne pardonne pas… de là à imaginer qu’il pousserait brutalement Muriel du haut de cette satanée falaise…
© Jacques Chesnel
11:42 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (0)
04/03/2013
EN REVENANT DU CINÉMA
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Alors ?
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Bof !
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Quoi bof, ça ne t’as pas plu ce film
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C’est pas mal
Déjà, cela me rappelait quelqu’un que j’aime bien, pas mal donc bien, sinon nul égal pas bien. Muriel était comme cela depuis notre rencontre, des jugements évasifs quitte ensuite à se contredire, c’était vachement bien mais celui-là ?. Comme nous étions tous les deux dingues du septième art, nous avions nos films ou, surtout, nos cinéastes préférés, souvent les mêmes sauf que nous avions aussi nos inimitiés et alors là, ça bardait quelque fois. Tenez, on prend le cas de Woody Allen (j’en connais déjà qui sourient ou font la grimace), elle aime beaucoup les premiers de la veine dite comique exemple Guerre et Amour, moi les plus bergmaniens comme Stardust memories ou Une autre femme, par contre nous étions raccord et emballés pour La rose pourpre du Caire ou Match point ainsi que sur le cas de Le rêve de Cassandre que nous trouvions bien mineur. Orson Welles et Buñuel pour l’un, Luchino Visconti et George Cukor pour l’autre, on faisait équipe pour La nuit du chasseur et Certains l’aiment chaud. Kif-kif pour les acteurs et les actrices, des ah ! pour Cary Grant et Pierre Brasseur, des oh pour Ingrid Bergman et Charlize Theron, à chacun ses préférences qui se rejoignaient souvent en mélangeant le cinoche et le cinéma, le passé et le présent, exercice réjouissant et périlleux.
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Ce que j’aime moins, tu vois, c’est son utilisation trop fréquente des panoramiques, ça fait trop technique genre ce qu’on apprend à la Fémis, hein ?
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Oui, mais son choix des chefs op et la fréquence des ellipses, c’est quand même quelque chose, son style, non ?
Par moment, on se croyait revenu à ce que nous racontait le grand-père de Muriel sur les discussions de ciné-club dans les années 60 quand on décortiquait un film pendant des heures avec des engueulades épiques du genre Bory/Charensol. Ce que Jérôme trouvait intéressant était la possibilité de refaire le film selon lui, selon ses goûts et avec ses interprètes à lui. Il y avait bien des intouchables, pas question de bricoler ou de bidouiller sur Casablanca ou La soif du mal mais sa liste impressionnait Muriel qui était plutôt du genre à ne toucher à rien car elle avait peur de l’effet papillon cinématographique. Alors on continuait à s’extasier sur films ou des interprètes, tenez comme Ricardo Darin, l’acteur argentin vedette de Dans ses yeux avec la sublime Soledad Villamil ou encore Vincere de Marco Bellochio et son interprète époustouflante Giovanna Mezzogiorno, les réalisations de James Gray avec Joachin Phoenix ou de Wes Anderson (La vie aquatique) et George Clooney (Les marches du pouvoir) ; il n’y a avait pas beaucoup de français dans leurs choix ou alors des anciens comme Carné/Prévert, les deux Jean, Renoir et Grémillon ou plus récemment les œuvres de Robert Guédiguian avec ce Jean-Pierre Daroussin qui faisait craquer tout le monde ainsi que les films dont Vincent Lindon et Karin Viard étaient les vedettes…
Une petite bande de cinéphiles s’était réunie autour de Muriel et de Jérôme, on refaisait le monde et celui du cinéma en particulier lorsqu’un soir, presque au matin, nos deux amis annoncèrent à l’assemblée stupéfaite la nouvelle suivante : ils avaient en chantier un film qui serait constitué uniquement d’extraits de leurs pellicules préférées (sans modifications) en ayant acquis leurs droits respectifs car tout le monde de la profession était emballé, ils avaient même déjà trouvé le titre :
EN REVENANT DU CINÉMA (3 heures 12)
La sortie est prévue en 2014, on compte sur vous.
11:24 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (6)