Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

24/02/2013

JUSQU’AU BOUT…

 

On était à peine parti pour cette ballade, en rando comme disait Muriel, que j’en avais déjà plein les bottes dans mes pataugas neuves qui me compressaient les arpions, c’était mal barré. Malgré la météo annoncée, le temps était exécrable, trop froid avec une bise de nord-est qui me faisait pester contre ce temps de merde. Le grand-père de ma copine nous avait bassiné quelque temps sur ce lieu où il était allé dans sa jeunesse après la guerre avec sa bande de copains. Nous avons donc laissé la voiture au parking en route pour ce voyage dans le passé et le présent, dans l’entre- temps.

Cela faisait maintenant quatre heures que nous marchions dans ce no man’s land, tantôt désert, tantôt foret et maintenant le soleil nous accablait, on commençait à se poser des questions, en me retournant je ne voyais pas une Muriel mais plusieurs silhouettes au loin derrière et je me demandais si c’était bien moi ce vieillard chancelant et essoufflé qui marchait à mes côtés et à côtés de ses pompes qui me faisaient autant souffrir ; je me trouvais totalement dépaysé et dépersonnalisé et cela ne me plaisait pas tellement. Je me demandais même ce que nous allions faire dans cette galère qui tournait à la galéjade avec un sens du ridicule évident sans avoir d’explications rationnelles à se mettre sous la dent alors que j’avais déjà épuisé tout ce qu’il y avait comme casse-croûte dans ma musette. Les silhouettes de Muriel se faisaient encore moins nettes, une sorte de flou artistique qui commença à m’inquiéter moi qui ne panique jamais ou pour si peu. J’aurais bien aimé faire une pause mais une sorte de précipitation me poussait à aller toujours de l’avant sans but précis, en un mot il faut y aller quoiqu’il en coûte et je n’ai pas un seul centime sur moi, allons bon. J’avais l’impression d’être attendu au tournant alors que le chemin restait désespérément droit tout en se rétrécissant et devenait de plus en plus caillouteux ; je n’avais plus aucune vue et nouvelles de Muriel ni de ses silhouettes ou de ses ombres, m’avait-elle abandonné ou ne pouvait-elle plus me suivre, c’était pourtant une bonne marcheuse. Maintenant que se présente un croisement, plus de ligne d’horizon, tout semble bien bouché, sur les panneaux les indications de direction sont identiques, cela ne laisse donc aucun choix possible ; je ris sous cape en pensant à celui qui lira cela, il cogite, suppute, estime, fait des plans sur la comète, s’interroge : où l’auteur veut-il nous embarquer, vers quelle destination, allez allez donc un peu d’effort, vous avez bien une petite idée qui pourrait m’éclairer alors qu’on commence à ni voir goutte et que quelques-unes se mettent à tomber n’importe comment merde je n’ai pas pris de parapluie et d’ailleurs qu’en ferais-je ?.

Au croisement donc, je prends la sente de gauche n’ayant jamais bien senti la droite, question d’habitude cette mauvaise maladie. Je regarde ma montre subitement disparue, je ne connais pas l’heure et plus la date, j’ai également perdu mon horloge interne, je suis hors du temps et pourtant je me dépêche, j’ai le feu au cul et cela ne m’excite pas, je ne comprends plus rien de moins en moins, je suis comme Robert Le Vigan dans Quai des brumes « je cherche à peindre les choses derrière les choses » sauf qu’il n’y a pas de choses à peindre ou à dépeindre, j’ai l’impression de reculer tout en avançant, de paraitre et disparaitre en même temps, de devenir transparent, je parais, je transparais, je fais le plein de sensations diverses alors que le vide m’envahit, j’en arrive à douter de mon existence tandis que je me sens de plus en plus vivant, ces états m’exaspèrent mais je garde un calme olympien ce qui est inhabituel chez moi avec ma tendance à m’énerver pour un oui pour un non, sans repère j’avance maintenant à tâtons, point de lumière en vue, pas de point d’ancrage, j’ai comme l’impression que mon radar perso me lâche ainsi que mon disque dur existentiel et mon dernier logiciel de personnalité mis à jour, aurais-je perdu la boussole, celle qui dans ma tête guide toujours mes pas, mais subitement tout devient plus calme même mon pouls un temps affolé reprend la bonne cadence, le rythme adéquat, je retrouve mon souffle, la saine respiration…et maintenant j’en arrive à me demander tout simplement si je n’étais pas en train de faire une poussée d’onirisme ou pire : peut-être une crise d’oniromancie ; manquerait plus que maintenant je tombe dans la dysphorie, mais ce n’est pas le genre de la maison. Alors ?

 

© Jacques Chesnel

 

13:29 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (1)

18/02/2013

PETIT JEU AVEC NOMS & PRÉNOMS

                                        

Elle est au nord  /  Jus liens  /   Benne et dicte

Berne hard  /  Berne à dette  /  File hip  /   Natte à lit

Clef ment  /  Nique colle /  Mot nique  /  Miche elle

Auguste teint  /  Halle banc  /   Cas cendre

On dîne  /   Math et eau  /   Aime A  /   Ça chat

Halle est-ce skis   /   Gaz part  /   Cul n’est gonde

Sa turne hein  /   Mât Ti as  /   Tarte en pion

Mir ah belle  /   Laid en Dreux  /  Mets Derrick

Mort hisse  /  Rome et eau  /  Âme et lit

Hante où âne  /  Des bords ah !  /  Laie au nard

Robe air  /  Hé dis  /  Halle fonce  /  Riz gobe air

Verre oh nique  /  Riche art  / Rets mont

Clos dîne  /  Vers singe et tort x  /  Mite riz datte

Marre selle  /  Mords anneau  /   Nico là Sarcle aussi

Deux villes peintes  /  Gode froid  /  Suce âne

Vain sang  /  Pas de loup (Wolfgang)

Mie cas elle  /  Rafle à rien  /  Rein beau

Maux lierre  / Bout gros  /  Cul pie donc

Brune oh Le maire  /  Mords anneau

Elle lisse sa bête  /  Quai vain  /  Dors au thé

©  Jacques Chaîne elle

 

13:16 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (4)

11/02/2013

LA FEMME DU PATRON

                               

Les avis étaient partagés, certains la trouvaient vachement bien, les autres carrément moches ou pas loin de l’être malgré sa silhouette avantageuse avantagée par les fringues. Jérôme disait la femme du patron, Bernard qui se targuait d’anglicismes  la femme du boss, Alain la meuf du vieux, la gonzesse du taulier pour Paul notre marlou, tout le staff l’avait ainsi baptisée. Patron, boss, vieux ou taulier, tous le détestaient à cause du mépris qu’il affichait pour ses employés, des laquais, des serfs, des sous-merde. Et tous ou presque, à part Dominique qu’on croyait homo, n’avaient qu’une idée en tête, qu’on la trouve bien ou moche : se taper sa meuf et le faire savoir pour faire chier ce sale con qui justement se tortillait comme une fiotte quand il reluquait le Domi. Vue de loin, elle avait de l’allure et de l’allant, elle faisait illusion avec son port qu’elle croyait royal, son long cou orné de perlouses, ses cheveux de teinte indéfinissable suivant la lumière tout cela dû à son coiffeur particulier. Elle vous matait de son air hautain, clignant les yeux d’une façon ostentatoire genre use tant cils au mascara d’égout sans savoir quelque signification en donner, faisant la moue molle toujours de la même façon avec sa bouche fardée comme une stripteaseuse de bastringue. Ayant jeté son dévolu sur Jérôme (lequel raconte cette histoire), elle  le demandait pour satisfaire ses besoins personnels, entrant dans le grand bureau de l’étude et clamait devant tous les mecs plus ou moins extasiés, crispés ou plutôt rigolards « Jérôôôme j’ai besoin de vous » éructé de sa voix faussement haut perchée, c’était pour la conduire chez le merlan ou chez une copine du même acabit ou faire une course pour des achats, un boulot de larbin et le patron présent ne mouftait pas.

J’avais été surpris lors de mon engagement dans cette grande étude notariale par le fait qu’il ne s’y trouvait aucune femme, tous les postes étaient tenus par des hommes triés sur le volet du type mannequin, même le standardiste ; c’était à qui serait le plus mignon, moi en premier bien sûr, sauf le stagiaire japonais Akira qu’on appelait Kurosawa qui était plutôt laid mais si sympa et faisait les courbettes qui plaisaient au vieux schnock émoustillé. J’attendais avec appréhension et délectation cumulées le moment où la vieille bique entrerait en gueulant Jérôôôôme, ce qui n’allait pas tarder, tiens, que vous disais-je

-       Aujourd’hui, mon chou, les grands magasins pour les soldes de lingerie, ça vous dit, hein mon lapin, et qu’ça saute, hihhi

Dans le BMW, elle se regarde dans le miroir de courtoisie, se passe la langue sur ses lèvres outrageusement maquillées et me dit go on y va et c’est parti, elle me guide, se marre, hennit une fois ou deux quand j’accélère ou double, doucement les basses, tu as la trouille manman alors encore un p’tit coup et tu vas voir vroum vrouououm ; la légitime de notre négrier poussa un soupir de soulagement quand nous entrâmes dans les entrailles du magasin, le parking débordant de bagnoles de luxe. Maintenant dans le noir éclairé des phares, en cherchant une place, elle gloussait d’une intrigante façon, d’une inquiétante manière quand ayant enfin trouvé une place libre, la voiture arrêtée, elle prit ma main droite, retroussa sa robe et en me disant tu vas voir enfin mon petit chéri me mit illico la main entre ses cuisses…

Nous avions pris l’habitude à la sortie du bureau de nous retrouver quelques-uns dans un bar proche. Le soir de cette aventure, on ne manqua pas de demander comme d’habitude : alors ?, raconte

-       Eh bien, les mecs, vous voulez vraiment tout savoir ?...ben,  la femme du patron… c’est … comment dire …un travelo.

Le lendemain, dans son bureau, le patron m’informa que j’étais viré séance tenante sans plus d’explication. Jérôôôôme !

 

© Jacques Chesnel

11:53 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (1)

03/02/2013

L’ONCLE TROMBONISTE

                      

La lettre venait de Cherbourg ; écrite par tante Yvette.

Mon cher Jérôme,

Ton oncle Raymond va bientôt avoir quatre-vingts ans, dans quinze jours, il est en bonne santé et j’en remercie Dieu tous les jours. Hier, il a demandé de tes nouvelles parce que tu ne nous écris plus depuis longtemps et tu ne viens plus nous voir. On sait que tu as beaucoup de travail mais un petit mot à défaut de ta visite nous ferait le plus grand plaisir. Nous espérons que tu vas bien ainsi que ta dernière compagne ; est-ce toujours Muriel ? a demandé ton oncle qui se souvient toujours de la première, la Cécile qu’il aimait bien mais il y a longtemps.

En espérant ta venue prochaine, nous t’embrassons très fort

Ta tante Yvette

Le numéro de téléphone n’a pas changé

A la lecture de cette lettre, Jérôme eut un sentiment de culpabilité, ce qui n’était pas son genre. Il ne se souvenait  pas beaucoup de ce vieil oncle, de sa carrière de tromboniste de jazz (il en était fier bien que pour lui la musique, bon, c’était pas son truc) et qui avait arrêté de jouer  suite à une alerte cardiaque à soixante-douze ans puis s’était retiré dans les environs de Cherbourg.

Dans l’auto pendant tout le voyage, Muriel fit la gueule parce qu’il ne voulait rien lui dire sur cette Cécile, c’était qui celle-là ? et c’était quand ? tu te prends toujours pour don Juan ? regarde la route merde fais attention quand tu doubles… Arrivés devant le pavillon en bord de mer, descendus de voiture, ils entendirent le son du trombone, ce n’est pas possible, c’est lui à son âge ? Reçus à bras ouverts par la tante toujours prompte aux effusions, ils virent l’oncle reposer son instrument et venir vers eux l’air heureux, Jérôme mon Jérôme enfin te voilà et avec cette fameuse Muriel, qu’il serra dans ses bras. Pendant le goûter (ah les petits gâteaux de la Tantyvette) l’oncle Raymond répondit à ma question : tu joues encore ? je joue toujours, nuance, une heure après la sieste tous le jours, seul ou avec des disques pour me maintenir en forme surtout le souffle, je fais de la gym respiratoire deux fois par semaine, les lèvres pas de problème, les bras les mains non plus. Il est intenable, dit Yvette avec son merveilleux sourire et un air entendu, je dois quand même le surveiller, à son âge, sinon…

-       Ne l’écoutez pas, elle voudrait que je me retienne mais il faut que je joue sinon je suis foutu, quand on est attaché comme moi à ce foutu biniou, c’est comme une drogue, voilà

A mon grand étonnement, Muriel détendue, lui posa toutes sortes de questions sur sa carrière de musicien ; il fut intarissable. Avec son instrument posé sur ses genoux, il raconta sa découverte du jazz avec le Hot Five de Louis Armstrong, puis la claque prise lors de l’écoute de l’orchestre de Duke Ellington avec Tricky Sam Nanton et sa sourdine wa-wa, ensuite Jack Teagarden, tout cela déclenchant sa vocation, il deviendrait tromboniste ; les études au conservatoire, sa montée à Paris, ses relations avec les musiciens français et ceux de passage, les bœufs dans les boîtes, son amitié avec Guy Paquinet qui lui donnera moult conseils en raison de son expérience dans l’orchestre de Raymond Legrand, la révélation/révolution du be-bop, son admiration pour Jay-Jay Johnson… avant sa rencontre avec Yvette qui venait de décrocher un boulot de secrétaire au Ministère des Affaires Etrangères… ce qui allait bouleverser leur existence après leur mariage quand elle décrocha un poste à l’ambassade de France aux Etats-Unis. Installés à New York où le jazz était en pleine effervescence, il trouva des engagements dans de grands orchestres qui jouaient dans les hôtels, fréquentant after hours les clubs de la 50ième rue. Il prit conscience de ses limites devant tous ces nouvelles vedettes et se contenta de rester un musicien de pupitre. Rentrés en France, ils s’installèrent dans la région parisienne ; il devint professeur dans une école de jazz et continua de jouer dans des orchestres en raison de ses qualités quand l’occasion se présentait. Un soir, il fit la connaissance du pianiste Georges Arvanitas qui lui proposa de jouer avec son trio lors d’un contrat pour une semaine dans un nouveau club dont il ne se rappelait plus le nom. Il avait eu de bonnes critiques et beaucoup d’engagements par la suite. Médusés, Jérôme et Muriel écoutaient cet oncle, dont ils ne savaient pas grand-chose jusque-là, égrener ses souvenirs avec gourmandise. Depuis son retrait forcé et la retraite de Tantyvette, il pensait, devant l’insistance de son épouse, raconter tout cela dans un livre qui s’intitulerait « De la coulisse aux coulisses », car disait-elle, il a pas mal de choses à raconter, ça en vaut la peine.

-       Et tu as quelques photos de tout cela, demanda Jérôme

-       Bien sûr, même celles de grands photographes, c’est dans une boîte à chaussure au grenier, faudra rechercher, hein, chérie

Quelques jours après leur visite, Jérôme reçut une grande enveloppe qui contenait une lettre et un cliché de l’oncle tromboniste avec le trio de Georges Arvanitas, photo signée Jean-Pierre Leloir ; celle-ci était attachée à la lettre… par un trombone.


© Jacques Chesnel

12:05 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (0)