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30/06/2014

LES RETOURS IMPOSSIBLES

 

Oui parlons-en de Benidorm ou plutôt ne m’en parlez plus à moi à l’amour de ma vie quand on a connu le Benidorm des années 60 et ce qu’on voit maintenant sur Google Earth parce que pas question d’y retourner déjà la dernière fois en 1972 on ne reconnaissait plus grand chose car le général rondouillard et miséricordieux qui envoyait au garrot les salopards de rouges avec sa bénédiction avait commencé la distribution des permis de construire n’importe où n’importe comment à ses copains de la phalange et aux affairistes alors vous pensez aujourd’hui tiens regardez donc édifiant non ?...

 On était fauché on était en camping avec une petite tente et un peu de matériel de cuisine on a débarqué un beau chaud matin de juillet au camping Los Olivos parce que l’amour de ma vie aimait bien les oliviers. On a choisi un coin isolé qui restait et on a ouvert la tente face à la clôture pour être tranquille… on l’est pas resté tranquille, à peine installé un gamin de cinq ans avec un short deux fois trop grand et une casquette à l’envers comme les rappeurs d’aujourd’hui se planta devant nous et nous regardait qu’est-ce que tu veux riengg dit-il bon alors reste mon gars et on entend sur la gauche une voix Martingg viensgg ici laisseu le monsieur et la dameu tranquilleu Martin ne bouge pas allez va ta maman t’appelle elle se couche votre maman dit-il voyant l’amour de ma vie disposer les matelas pneumatiques Martingg tu viensgg et Martin part en courant flottant dans son short… le lendemain au réveil rebelote bonjour Martin et une jolie jeune femme arrive et nous dit il vous embête pas au moinss non il est gentil il ne dit rien parce que s’il vous embête oh d’où vous venez on a regardé votre numéro d’immatriculationgg c’est dans le Nord non ? oui boudu et vous venez jusqu’ici nous on habite Toulouse c’est moins loinsgg… on avait bien vu en arrivant une grande tente avec devant un poteau et un panier de basket des sportifs alors que moi plutôt genre Churchill mais l’amour de ma vie avait pratiqué le sport alors hé bé si vous voulez venir prendre l’apéritif ce soir on vous attend allez viens Martingg… on était venu pour trois ou quatre jours on est resté quinze… nous qui étions venus pour nous isoler un peu on est devenus copains avec toute la rangée français espagnols de partout anglais hollandais allemands tous des potes alors l’apéro je vous dis pas et les soirées à parler de tout baragouiner rigoler bouffer picoler sans excès sans dispute sans embrouille et Martin qui venait tous les jours et les parents et les autres… la veille du 14 juillet nous nous étions réunis les quatre couples de français et avions décidé d’organiser une fête les femmes avaient également décidé que ce jour là elles faisaient grève de vaisselle au bac collectif ou alors grève de l’amour comme Lysistrata nous dit le prof et tête de l’opulente hollandaise quand nous la vîmes passer non no nein pas lavage aujourd’hui pas vous mari faire et mari rappliquer rigolard et désemparé hahaha… nous partîmes de bon matin à la recherche de cohetes ces petits pétards-fusées de tradition mexicaine pour faire une maxi-fête avec animations tout les français étaient d’accord spectacle total les jeunes les vieux les enfants les autres et à minuit grand feu d’artifice comme chez nous les grands soirs alors on a eu droit à des blagues sketches histoire imitations chansons tout les français avaient joué le jeu et presque tous les gens du camping en redemandaient jusqu’à l’apothéose notre feu d’artifice final avec les cris habituels d’admiration car notre copain de Toulouse avait fort bien combiné le spectacle totalement emballant dans le ciel espagnol… jusqu’à l’arrivée en trombe de quatre oui quatre voitures de l’armée avec un bonne vingtaine de soldats armés oui armés un peu de panique et les responsables c’est nous l’autorisation écrite on en a pas alors arrestations et embarquement attendez attendez et les espagnols du camping de prendre notre défense c’est la fête de la république en Francia ici ce n’est pas une république en España et il faut une autorisation pour toute manifestation bon après palabres interminables avec un gradé bombant le torse papiers des trois responsables dont moi passeports confisqués convocations demain matin à la police et à la mairie sinon… ça avait jeté un sacré froid… le matin on arrive penauds attente interminable chef local de l’armée chef de la police municipale puis direction mairie explications avec toujours le même refrain toute manifestation est interdite sans autorisation préalable menaces discours sur l’ordre et le désordre glorification du père de la nation le sauveur du pays le croisé antibolchévique lui le petit bedonnant pas bidonnant le copain d’Hitler et de Mussolini le confit en dévotion tout y passa devant nous confondus piteux et inquiets et… donc nos excuses mille fois répétées on ne pouvait pas savoir chez nous chez vous c’est comme vous voulez chez nous comme on veut et on ne discute pas c’était mal barré à midi on était toujours dans une petite salle puante merde pisse sueur peur vomi fumée cafards mouches en attente des autorités locales départementales régionales nationales peut-être pontificales pour violation et manquements graves à l’ordre régnant sur la grande Espagne pour tout dire on n’en menait pas large ça oui bon on a fait nos recherches examiné vos cas personnels vous êtes libres mais sous surveillance et à la prochaine incartade claro… retour à pied quatre kilomètres sous chaleur accablante accueil à la fois chaleureux et modeste l’assistance soulagée gueule de bois et tête à l’envers j’avais retrouvé l’amour de ma vie les copains de Toulouse tous les autres on avait remonté la tente l’ouverture sur l’allée quelques jours encore trop calmes après la fiesta et au moment du départ on promis de se revoir l’année prochaine sans feu d’artifice et… sans personne car on ne retourna jamais à Benidorm.... avec ce qu’on voit maintenant sur Google Earth…

Six ans plus tard nous nous retrouvions avec nos toulousains à Ametlla de Mar petit port de pêche peu touristique en 1967 ; nous étions venus avec une caravane comme nos amis avec nos enfants comme nos amis Martingg avait eu un petit frère on parlait de Benidorm avec émotion les souvenirs les péripéties le fameux feu d’artifice nous avions un peu vieilli l’amitié était intacte. Nous avions installés les caravanes près des oliviers que l’amour de ma vie aimait tant et nos trop courtes vacances se déroulaient comme des vacances heureuses apéro-sieste-pétanque-apéro et tendresses câlineries et plus si tous les soirs… on avait retrouvé une ancienne connaissance qui nous faisait tordre de rire avec ses histoires idiotes nos baignades nos jeux le matin à cinq heures on entendait le doug-doug-doug des bateaux de pèche qui partaient puis leur retour vers onze heures on allait aider les pêcheurs à débarquer le poisson les mollusques ah les percebes oh les civelles et la sangria se buvait mieux que du petit lait… vers midi préparant le déjeuner j’entendis un cri dans notre caravane l’amour de ma vie m’appelait elle venait d’entendre à la radio la nouvelle qui nous crucifia : on annonçait la mort de John Coltrane c’était le 17 juillet 1967.

Pourquoi revenir encore une fois à Ametlla de Mar ?… on avait trop peur d’apprendre une mauvaise nouvelle de plus…

 

©  Jacques Chesnel

09:58 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (2)

24/06/2014

ENCORE LE GRAND TYPE

  

Nous n'avions pas eu de nouvelles du grand type depuis un bout de temps, quand un soir au téléphone il demanda à parler à Muriel qui me fit non de la main mais qui finalement prit le bigorneau et me dit après avoir raccroché : «cette fois, il a vraiment merdé ».

Plusieurs fois, en revenant du yoga, Muriel avait raconté avoir eu connaissance de drôles comportements de son prof, étranges, bizarres, inexplicables, voire intrigants ou inquiétants, elle ne voulait pas en dire plus mais Jérôme voyait bien qu'elle était choquée, elle pour qui il en fallait beaucoup pour… Elle avait même avoué qu'elle se demandait si elle allait continuer à suivre ses cours… Jérôme, curieux de nature, restait étonnamment muet pour ne pas en rajouter, il avait su par une copine qu'il y avait eu des retards, des annulations, des absences injustifiées, des escapades avec la directrice du gymnase (ce qui avait fait jaser quand on connaissait la bougresse du genre éléphante woumane pour les nuls), des remarques libidineuses sur des jeunes stagiaires étranges et étrangères un peu surexcitées façon « girls » des séries télé américaines aux tenues extravagantes trop fluo et shorts trop courts, rien de bien méchant mais de quoi faire jaser quand même. Rodolphe s'était accroché avec deux garçons qui, disait-il, foutaient la pagaille en faisant les guignols que personne trouvait drôles à part certaines ricaneuses, à part celui qui l'imitait derrière son dos et qui faisait pouffer l'assistance par ses mimiques exagérées mais bien copiées, rien de bien méchant ; il s'était fait surprendre à fumer des joints dans les toilettes avec la technicienne de surface que tout le monde détestait sans savoir vraiment pourquoi ah ! si elle sentait fort des pieds et crachait de gros glaviots noirs dans un gobelet en carton pendant à son cou décharné au bout d'une ficelle, il avait embouti plusieurs bagnoles en voulant se garer complètement bourré et proférer des menaces incompréhensibles bon, on arrête là la liste de reproches et jérémiades.

On ne savait pratiquement rien de sa vie privée sinon qu'il avait été marié et divorcé depuis longtemps avant son arrivée au gymnase, on ne lui connaissait pas de liaison réelle ou imaginée mais on avait constaté un sérieux changement de comportement dernièrement, il était devenu aigri, renfermé ou au contraire trop exubérant, ce qui faisait dire au dirlo qu'il virait bipolaire, coléreux aussi pour des riens, des petites fautes des élèves. Et là, Muriel dit un soir à Jérôme : « bon cette fois il a vraiment merdé ».

Cela faisait trois semaines qu'on était sans nouvelles, il avait pratiquement disparu sans crier gare, mais ce qui était le plus inquiétant c'était également l'absence de Laura à ses cours, une gamine de quatorze ans inscrite depuis le début de l'année. La coïncidence était évidente, deux disparitions simultanées et si… jusqu'à cette photo de la gamine parue dans la presse à la demande de sa mère qui vivait dans la région de Colmar et qui, inquiète, avait prévenu la police , laquelle avait lancé un avis de recherche. Au bout d'une dizaine de jours, on avait reçu des autorités espagnoles une annonce que le couple avait été signalé et localisé à Ibiza. Jusqu'ici, une banale affaire comme on en voit souvent, un séducteur qui s'éprend d'une jeunesse qui s'embéguine pour son séduisant professeur et qui décide de partir avec pour vivre une folle aventure… sauf que, on le découvrit à l'enquête, Laura était sa propre fille née peu après son divorce et dont son ex-épouse lui avait caché la naissance.

- Putain, c'est pas vrai ce que me racontes-tu là, Muriel, on dirait le scénario du prochain film de Pedro Almodovar  ou quoi?, demanda Jérôme, abasourdi.

- Si tu crois que t'es le seul à penser au cinéma.

 

© Jacques Chesnel

18:59 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (1)

15/06/2014

HUGUETTE, WILLIAM et CESARE

 

 Cela avait été très rapide. En quelques heures, les trois quarts de la ville avaient disparu sous les bombes, plus rien ou presque, si peu. La plupart des commerçants s'étaient donc expatriés dans la partie restée presque intacte ou dans des baraquements de fortune si l'on peut dire.

 J'avais pu trouver rapidement un petit boulot  dans le reclassement des archives de la mairie détruite en attendant de reprendre mes études quand la fac rouvrirait on ne savait quand. Parmi les magasins de la rue principale non démolie, il y avait  une grande vitrine de verre rafistolée par endroits avec du chatterton de récupération, quelques livres étaient présentés sur une table en devanture: une librairie. Un soir en rentrant du travail, je m'arrête devant les bouquins et aperçois la silhouette d'une jeune fille qui me regardait, je lui souris, elle détourna son regard ; le manège continua plusieurs fois, elle me rendit enfin son sourire, gagné !. Il me fallut attendre quelques jours pour surmonter ma timidité de gamin de dix-sept ans, alors j'entre dans la boutique bonjour et regarde les livres dans les rayons et la jeune fille qui ne souriait plus. Le libraire ressemblait comme deux gouttes d'eau à Henry Miller dont j'avais vu une photo dans la revue Arts, Henry Miller qui me regarde en souriant. Je pris l'habitude d'entrer régulièrement dans cette librairie pendant toute une semaine quand Henry Miller me demanda enfin avec un air malicieux vous cherchez quelque chose jeune homme oui la jeune fille faillit sourire de nouveau je bafouillais heu non enfin oui un livre mais je bon laissez moi vous conseiller quels sont vous goûts littéraires ben heu enfin j'ai bien aimé Jean-Paul Sartre j'ai lu Le Mur c'était bien mais. H.M. se leva et alla prendre un bouquin tenez cela devrait vous plaire, j'ai pu le sauver du bombardement… c'était Sanctuaire de William Faulkner, la jeune fille souriait de plus en plus.

Elle s'appelait Huguette, elle devint une amie, le libraire une relation indispensable qui me fit connaître d'abord tous les grands noms de la littérature des USA dont le grand Bill reste mon favori pour toujours.

 Dans la librairie nouvellement reconstruite j'avais retrouvé Huguette et le libraire qui ressemblait de plus en plus à Henry Miller avec sa tête de vieux moine bouddhiste malicieux bonjour Henry (il s'appelait Jean) ah tiens ! bonjour vous revoilà j'ai quelque chose pour vous qui devrait vous plaire, il me mit dans les mains Le métier de vivre de Cesare Pavese, livre dans lequel je relevai cette phrase : on ne se souvient pas des jours ; on se souvient des instants ; Huguette ne souriait plus, elle venait d'apprendre qu'une maladie  allait vite l'emporter.

Quelques années plus tard, avec l'amour de ma vie, nous avions envisagé d'aller visiter la ville de Jefferson et de retouver les traces du grand William, cela n'a pu se réaliser, nous nous sommes contentés d'entrer de nouveau par les livres dans son comté imaginaire. Par contre, en parcourant l'Italie, après un arrêt devant l'hôtel face à la gare de Turin où Pavese se suicida, nous sommes allés à Santo Stefano Belbo, son village natal. Nous avons cherché et trouvé sa maison sur laquelle nous avons posé nos mains : c'était comme si Huguette souriait toujours aux côtés du libriaire qui était devenu vraiment Henry Miller. La fête foraine battait son plein dans ce bourg non loin des collines que Cesare aimait tellement et sur lesquelles il écrvit. On a beaucoup ri dans un tour de manège à l'ancienne, puis on s'est bousculé un peu dans les auto-tamponneuses. Nous étions heureux.

 

 ©  Jacques Chesnel

23:16 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (3)

10/06/2014

LOGIQUE

                                                                            

Quand le patron l’a appelé dans son bureau, c’était pour lui dire qu’il était engagé en CDI

Quand le patron l’a rencontré dans l’atelier, c’était pour lui dire qu’il était content de son travail

 Quand le patron l’a appelé de nouveau dans son bureau, c’était pour lui dire qu’il avait une augmentation de salaire

 Quand il a croisé le patron dans la cour, c’était pour s’entendre dire que les temps devenaient de plus en plus durs

Quand il a rencontré le patron à la cantine, c’était pour lui affirmer que les charges patronales étaient vraiment  insupportables

Quand il a vu le patron dans son nouveau gros 4 x 4, il a pensé à faire la révision aux 200.000 kilomètres de sa voiture d’occasion

Quand le patron l’a encore appelé dans son bureau, c’était pour lui dire qu’il allait réduire les salaires de 15 %

Quand il a entendu que le syndicat se réunissait en catastrophe, il a compris qu’il y allait avoir de gros problèmes

Quand il demandé pourquoi on ne voyait plus le patron, on lui a répondu qu’il était en vacances aux Seychelles pour deux mois

Quand il a revu le patron tout bronzé, il a pensé à ses gosses qui n’avaient pas pu aller voir les grands-parents parce que c’était trop cher vu la distance

Quand il a vu la photo de son patron souriant dans Le Figaro, il s’est dit qu’il aimerait avoir la sienne dans Libération

Quand il a entendu le patron gueuler contre le syndicat, il a pensé que ça ne sentait pas bon

Quand il a rencontré le patron sur le parking, il a remarqué que celui-ci ne le saluait pas comme d’habitude

Quand le patron lui a encore une fois demandé de venir dans son bureau, c’était pour dire désolé mais je suis obligé de vous licencier comme tous vos camarades 

Quand il a vu le patron une dernière fois, c’était pour lui foutre une bonne paire de claques dans la gueule

Quand il est sorti de l’usine, il s’est demandé pourquoi il pleurait  parce que c’était pas son genre

Quand il est rentré chez lui, il a embrassé une dernière fois sa femme et ses enfants et s’est tiré une balle dans la tête

Quand il est arrivé au paradis (auquel il ne croyait pas), on lui a dit que son patron était déjà en enfer… il pensa alors qu’il y avait une justice.

 

©  Jacques Chesnel

16:57 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (1)