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31/05/2014

MON ÉTÉ 44

 

J. Chesnel 1944.jpg

 

L'année de mes 16 ans, juillet, le premier mois de liberté enfin retrouvée.

Je portais des lunettes, souvent des pantalons de golf, je terminais ma période zazou, je n'avais pas de moustache (car je n'avais pas encore rencontré le pilote de la RAF et son superbe attribut qui me servira de modèle jusqu'à aujourd'hui) j'étais maigre comme un clou, encore puceau, enfin presque, et je jouais de la clarinette en autodidacte ; la veille on avait répété de nouveaux morceaux pendant le bombardement du centre-ville, on avait l'habitude depuis le 6 juin au matin, on prenait depuis notre mal en patience et on attendait d'être libérés.

Les bombes qui tombaient sur le centre-ville étaient notre principale terreur ; j'allais chez un copain sur le toit-terrasse de sa maison et nous regardions les destructions à la longue vue, c'est ainsi que j'ai vu tomber le clocher de l'église Saint-Pierre, la mairie voler en éclats et des quartiers entiers disparaître en quelques secondes, boum !. Ce dont nous avions le plus peur ma famille et moi c'était des obus, ceux venant de nos libérateurs vers les forces d'occupation, du nord au sud, puis après la libération l'inverse, celles des repaires, planques et tanières de la wehrmacht vers les forces alliées et plus précisément des canadiennes basées près de chez nous, une pluie d'obus, puis des tirs soutenus ou sporadiques… 

Ce matin là du 9 juillet, dans notre quartier de Venoix, nous étions encore dans la cave parce que ça les bombes tombaient toujours quand, pendant une accalmie, un voisin nous appela, ils sont là, c'est moi le premier qui les ai vus, ils sont là ; nous sortîmes et au coin de la rue il y avait une chenillette avec trois soldats dedans qui nous font signe d'approcher et demande à mon père : « vous avez pas vu des allemands par là » avec un drôle d'accent (v'savez point vu d'allemins par lô) vous êtes qui ? demanda mon père, « des canadiens français, on est en patrouille », mon père fit le salut militaire, ma mère se mit à pleurer et mon frère et moi à rire bêtement, on ne comprenait rien. Lorsqu'ils sont repartis, mon père à dit ya plus qu'attendre la suite, c'est à dire cinq longs jours où toute une compagnie arriva et s'installa dans notre quartier, une partie devant chez nous… et c'est là que commence l'histoire de l'Indien 

 

Notre indien

D'abord, était-il Iroquois ou bien appartenait-il à la tribu de Mohawks ou des Hurons, nous ne le sûmes jamais, nous ne lui avons jamais demandé, c'était notre Indien à nous, pas besoin de savoir ; par contre, ça coiffure en « crête » ou « coupe mohawk », cheveux rasés sur les côtés nous intriguait ainsi que les quelques amulettes accrochées au ceinturon mais on n'a jamais voulu le questionner, cela faisait partie du mystère alors que je venais juste de terminer « Le dernier des Mohicans ».

Donc, notre Iroquois, incorporé dans une unité de l'armée canadienne avait débarqué mi-juin; nous le reçurent en héros dans notre famille ainsi que quelques autres soldats de la Belle Province, cousins très bavards avec leur accent typique alors que lui parlait rarement, quelques mots seulement avec le Capitaine Grégoire. Ma maman, fille de militaire (notre grand-père ancien aide de camp d'un Maréchal de la Grande Guerre) avait trouvé l'occasion de réaliser son rêve : être la cantinière du régiment, elle qui regrettait tant de n'avoir pu le faire en 14/18 car trop jeune. Nous faisions ripaille avec les boites de singe et autres rations du contingent, avec les légumes de notre jardin qui disparurent à une vitesse phénoménale ainsi que le beurre lait et camemberts que nous allions chercher mon frère et moi parfois sous la mitraille chez des fermiers voisins, nous dégustions aussi les tartes que la cantinière fabriquait en chantant comme on ne l'avait jamais entendu depuis ces années d'occupation. Les tablées étaient animées, joyeuses, les soirées interminables, tant d'événements à raconter, tant de choses à se dire avec parfois des moments de nostalgies quand les soldats nous montraient les photos des femmes, enfants, fiancées, parents 

Mais nous n'étions pas encore sortis des bombardements. En effet, un groupe de soldats allemands replié à quelques kilomètres dans une carrière avait installé une ou deux roquette(s) qui nous distribuaient généreusement et régulièrement quelques salves qui passaient en sifflant au-dessus du quartier avec une régularité inquiétante en espérant pouvoir échapper à l'une d'elles. Le Capitaine Grégoire estima qu'il fallait en finir et demanda un volontaire en regardant fixement notre Iroquois qui avait compris et se déclara prêt. Il dit quelques mots au capitaine qui demanda à mon père s'il pouvait avoir un peu de cette eau de feu qu'il appréciait tant qu'il but près de la moitié de la bouteille sous nos yeux ébahis. Il partit tout de suite, aux environs de 17 heures.

Pendant deux jours, ces fumiers de boches continuaient à nous asperger et on redoutait la prochaine bordée de leurs saloperies qui serait pour nous… dans la nuit du deuxième jour, le silence nous inquiéta d'abord, et si c'était pour mieux repartir et cette fois de plus en plus fort, à moins que… au matin du troisième jour, toujours ce silence mais le capitaine regarda mes parents avec un sourire qui en disait long ; au moment de se mettre à table à midi, il y eut comme un raffut parmi les soldats et notre Indien arriva toujours aussi digne mais paraissant plus décharné que jamais dans son uniforme poussiéreux et déchiré, regarda mon père qui comprit immédiatement et ressortit la fameuse bouteille dont notre héros vida le reste d'un coup. D'un signe éloquent, le Capitaine Grégoire sollicita une explication et notre Iroquois fit le chiffre 3 avec sa main droite avec laquelle il fit semblant de se trancher la gorge. Il partit se coucher discrètement au milieu des cris des hourras et des larmes. Plus tard, nous apprenions par ses camarades qu'il avait repéré les engins grâce au tracé des obus, localisé l'endroit dans cette carrière de pierres, rampé pour y arriver en attendant la nuit, aperçu les trois soldats qu'il avait égorgé un à un après avoir pratiqué des feintes autrement dit des ruses de Sioux bien qu'il fut Iroquois comme on le croyait. 

Quelques jours après, le bataillon devait partir pour suivre l'évolution du front. Après des adieux que l'on dit à juste titre déchirants tant d'amitiés s'étant affirmées, la troupe nous quitta avec force embrassades et promesses de s'écrire après la fin de la guerre et peur-être se revoir là-bas chez Sasseville ou Lêvèque nos meilleurs copains… À l'heure du dîner, ma mère appela mon frère plusieurs fois dans la maison sans résultat, je partis à sa recherche dans nos aires de jeux habituelles aux glissades notamment, pas de frère, personne ne l'avait vu depuis le départ de la troupe ; à la tombée de la nuit, une chenillette nous rapporta mon frère qui s'était caché dans un camion et voulait continuer la bataille avec eux. Je revois encore le visage énigmatique de notre Iroquois et enfin son franc sourire lorsqu'il embrassa Maman en lui remettant en mains propres son petit guerrier furieux de revenir. 

 

La douche écossaise

Il y a quelques jours, je suis tombé, façon de parler, sur un article dans un journal au sujet de la douche écossaise que prend tous les jours un ministre du gouvernement, alors je me suis précipité, façon de parler, sur mon Robert des expressions et locutions, j'y ai trouvé ceci : traitement fortement contrasté, où l'on est alternativement bien ou mal traité… la douche écossaise étant donc une hydrothérapie par jets d'eau alternativement chauds et froids, l'expression datant de la fin du XIXième siècle, fin de citation. Je m'étais toujours demandé pourquoi le fait de prendre une douche me faisait immanquablement penser au sifflement des bombes ou des obus, il devait bien y avoir une explication logique ou pas… était-ce pour cela que je ne prends que des bains depuis si longtemps… pour ne pas entendre le sifflement de ces satanés explosifs ?. Je passe vite sur les gros problèmes dudit ministre pour vous conter ce qu'est pour moi une véritable douche écossaise, telle que je l'ai vécue quelques jours après le débarquement de juin 44.

Je ne peux maintenant préciser le jour exact mais l'heure, oui, vers dix heures ce matin-là. Nous avions passé toute la nuit dans la cave de notre maison récemment construite avec des planchers en béton armé ce qui nous rassurait un peu, quoique, il y avait eu quelques tirs mais au matin cela recommença de plus belle (façon de parler) et cela sifflait fort au-dessus de nos oreilles, (il y avait des poches de résistance de l'armée allemande)… quand nous avons entendu une musique qui semblait se rapprocher, ce n'était donc pas la radio qu'on aurait oublié d'éteindre ; surmontant notre peur, nous montâmes à l'étage pour voir arriver un groupe de soldats (une vingtaine) marchant en rangs, en kilt et calot à rubans, serviette de bains sur l'épaule, avec à leur tête un joueur de cornemuse qui jouait : des soldats écossais allant prendre leur douche à l'établissement de bains tout proche, indifférents au tintamarre et au danger tandis que les obus allemands passaient au-dessus d'eux sous une pluie d'orage étouffante et battante… Je ne me souviens plus de les avoir entendu repasser ; par contre, j'ai encore et toujours dans la tête la musique du cornemuseux, la vision de ces hommes imperturbables sous les rafales, puis plus tard le bruit énorme d'un obus tombant sur la maison d'en face, pas la nôtre, comme quoi le béton armé…

Depuis ce temps fort lointain, je sais vraiment ce qu'on entend par « douche écossaise », moi qui ne prend que des bains pour éviter d'entendre le sifflement des obus…

 

Un soldat allemand, un blondinet

J'ai aussi un autre souvenir que je vais conter sous la forme d'un témoignage où se mêlent réalité (ce qui m'est arrivé) et la fiction (le récit imaginé de ce soldat bien réel) :

J'avais 18 ans et l'armée m'avait envoyé sur le front de Normandie quelques jours après le débarquement des alliés ; Hitler affolé menait à l'abattoir les vieux, les jeunes, tous ceux qui pouvaient défendre sa fureur guerrière à l'agonie. Mon arrière-grand-père était mort pendant la guerre de 70, mon grand-père trois jours après l'armistice de 1914 car la nouvelle n'était pas parvenue dans certaines tranchées éloignées, mon père avait été tué au début de ce conflit, foudroyé le deuxième jour, mon frère se trouvait maintenant sur le front russe et moi j'arrivais exténué dans les environs de Caen, à l'aéroport de Carpiquet ou où l'armée en déroute avait enterré et camouflé les tanks pour les dissimuler face à l'aviation britannique qui pilonnait sans cesse, avec comme mission impossible de repousser la prise de la ville en attendant des soutiens qu'on n'espérait plus. Les forces ennemies, britanniques et canadiennes se trouvaient déjà dans les villages environnants, nous avions du mal à les cerner sous la pluie continuelle de bombes, je n'avais pas mangé depuis trois jours, pas dormi d'autant… je frappais à de nombreuses portes de maisons vidées de leurs occupants, je mâchonnais quelques racines dans les jardins à l'abandon, des fraises sous des colonies de fourmis… je flottais dans mon uniforme et mes armes, fusil et grenades me semblaient peser des tonnes, une sorte de fièvre me donnait des hallucinations, j'entendais gémir les mourants, je voyais des morts partout… je ne croisais personne dans les rues ou sur les routes, parfois une chenillette roulant à toute allure, les nuits sentaient la poussière, la poudre, la mort… en pillant une cave je trouvais une bouteille cachée derrière un tas de fagots, de l'alcool que je bus en deux heures avec ensuite des moments interminables de vomissements et brûlures… j'étais comme un cauchemar à l'intérieur d'un cauchemar, j'errais à la recherche de mes compagnons, à la recherche de je ne savais plus quoi… aux portes de Caen, un soir au coucher de soleil de juin, je frappais à coups de crosse au hasard des portes, alors que je ne me faisais plus d'illusions, quand une porte s'entrouvrit… un jeune garçons, blondinet de 15 ou 16 ans se trouvait devant moi, il essaya de refermer la porte que je repoussais le plus vigoureusement, « Papa, Papa, appela-t-il, il y a un bo… un soldat allemand »… le père furieux arriva d'une pièce où cela sentait la cuisine et où on entendait la radio, « à manger tout de suite ou bien je fais sauter la maison» dis-je avec mon épouvantable accent français en lui montrant une grenade, une femme inquiète vint ensuite en disant nous n'avons rien non, rien, je répétais « manger maintenant ou... »… le jeune garçon dit  « attendez », alla dans la cuisine et revint avec un œuf dur et un morceau de pain, « c'est tout ce que j'ai à vous donner, c'est mon repas »… je suis parti comme un voleur sans rien dire… vers mon destin… avant que je me rende ou que... 

Oui, ce blondinet, c'était moi, quelques heures avant que n'arrive la fameuse chenillette de nos premiers libérateurs.

 

J. Chesnel trompette.jpg

© Jacques Chesnel

22:25 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (3)

26/05/2014

DERRIÈRE LA PORTE



. Il referma la porte aussitôt, brutalement, avant qu’un pied ne vienne s’interposer. Il avait eu le temps de voir le visage. Celui qu’il ne voulait plus voir ; celui qu’il n’avait pas du tout envie de revoir…

. Jérôme regarda par la fenêtre la pluie qui commençait à tomber, drue. 

. Il avait eu le temps de s’apercevoir que, derrière le visage, il pleuvait, que le vent faisait trembler les grands saules du jardin.

. Jérôme remarqua qu’il n’y avait pas beaucoup de voitures sur le parking à cause du ouiquainde. 

. Il entendait un vague bruit de moteur, le visage était donc venu en auto.

. Jérôme, qui frissonna, se demanda dans quel genre de récit il s’était embarqué, sans plan précis. 

. Il sursauta aux trois coups secs qui résonnèrent derrière la porte « ouvre, ne fais pas l’idiot » dit le visage d’une voix étouffée.

. Jérôme pensa que l’automne arrivait vraiment trop vite. 

. Il tressaillit car maintenant ce sont des coups plus forts, certainement de pieds, trois également, « ouvre, imbécile ».

. Jérôme regarda le clavier de son ordinateur qu’il trouva soudain hostile et poussiéreux. 

. Il se tranquillisa quand les coups cessèrent, les pas semblaient s’éloigner.

. Jérôme pensa à prendre une tasse du thé vert qu’il avait acheté hier et qui l’apaisait si rapidement. 

. Il se dit qu’heureusement les volets étaient fermés parce que avec ce type on ne savait jamais.

. Jérôme, revenu de la cuisine après avoir bu lentement le breuvage, reprend le récit 

. Il pense que ce n’est pas dans ses habitudes de fuir.

. Jérôme pensa que c’est mal barré, faudrait mieux que j’arrête. 

. Il entend sonner le téléphone dans la chambre, ce doit être Muriel, à moins que.

. Jérôme regarde sa montre, vingt heures vingt. 

. Il entend la voix du visage « ne raccroche pas, écoute-moi, mais écoute-moi, nom de dieu ».

. Jérôme trouve bizarre que Muriel n’ait pas encore appelé.

. Il écoute cette voix qu’il reconnaît malgré le son déformé, il doit téléphoner de sa voiture, de son portable.

. Jérôme protège son peu de texte sur l’ordi et se lève. 

. Il trouve le débit plus posé, la voix plus claire « il faut absolument qu’on se voit, on ne peut pas régler cela par téléphone, ouvre-moi, je t’en prie, il le faut ».

. Jérôme compose un numéro, entend le timbre, c’est le répondeur « laissez votre message après le bip sonore » dit une voix féminine anonyme. 

. Il trouve la fin de phrase suppliante, comme plus conciliante, il a dit « je t’en prie, il le faut… »

. Jérôme n’a plus tellement envie de continuer, il devient nécessaire de remettre la suite à plus tard, stop. 

. Il écoute avec plus d’attention, la voix dit « je n’ai pas d’intentions agressives, Jean-Paul, arrête ta parano, nous devons parler d’homme à homme, il n’y a pas d’autre solution, crois-moi ».

. Jérôme trouve étonnant le silence de Muriel, elle devait appeler tous les soirs avait-elle dit. 

. Il fait un effort pour répondre « je ne suis pas parano, je te connais trop, tu n’as pas changé et ».

. Jérôme décide d’aller se coucher, le sommeil le gagne, ça ira mieux demain. 

. Il perçoit de l’agacement dans le ton « tu ne veux pas te rendre compte de la situation, cela ne peut plus durer, arrêtons cette hypocrisie ».

. Jérôme se déshabille lentement en regardant intensément la photo de Muriel avant de se mettre au lit. 

. Il entend comme un hoquet ou un pleur qui ne vient pas de la voix du visage.

. Jérôme a malgré tout du mal à s’endormir, le silence de sa femme l’inquiète, ce n’est pas dans ses habitudes. 

. Il y a quelqu’un à côté de lui dans l’automobile, il en est certain, ce sanglot ou ce hoquet.

. Jérôme se souvient du départ de Muriel, son regard gêné, fuyant, son embarras, « j’ai besoin de réfléchir, Jérôme, j’ai envie d’être seule quelque temps ». 

. Il croit vaguement entendre une conversation en sourdine comme si on avait éloigné le téléphone.

. Jérôme se retourne dans son lit, ne trouve pas le sommeil. 

. Il dit bêtement « allô allô je ».

. Jérôme dort maintenant, il rêve, revoit les jours heureux de son union, leur rencontre, le premier baiser, la première étreinte, le voyage à Biarritz, Muriel dans son maillot de bain, l’escapade à Zumaya et le regard admiratif des espagnols et… 

. Il écoute le silence ou sont-ce des bruits sourds dans l‘auto.

. Jérôme entend une sonnerie de téléphone, c’est dans mon rêve pense-t-il, il s’en amuse, il sourit. 

. Il perçoit comme un déplacement furtif, un frôlement de vêtements, puis une voix : Muriel « Jean-Paul, c’est moi, je suis avec lui, dé-fi-ni-ti-ve-ment, tu n’as pas voulu comprendre, on aurait pu s’expliquer de vive voix mais », il raccroche vivement, l’appareil tombe.

. Jérôme n’en peut plus de ce boucan, il se réveille, va vers le bigophone qui n’en finit pas avec tous ces drrrring « allô, Jérôme, c’est moi, Muriel, je voulais te dire, je suis avec Lucie, oui, pour-tou-jours, on aurait pu en débattre, mais tu… », il n’a pas la force de raccrocher… on frappe à la porte, fort. 

 

© Jacques Chesnel

 

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17/05/2014

MIMILE’S BAR

  

Un homme entra dans le bar ; chez Mimile, un bistro ; il commanda un demi le but à moitié ; ce mec était à moitié plein comme une outre son verre à moitié vide et moi j’étais à moitié vidé et mon Martini aussi j’étais dans un bel état Marion était en cure du moins l’affirmait-elle avec trop d’assurance…

- et vous, demanda le mec, qu’en pensez-vous

- de quoi de qui oh et puis je m’en fous allez

- alors allez vous faire foutre, aboya le mec en machouillant un cigare à cinq balles

Le patron Mimile un brave type abattit ses battoirs sur le zinc qu’était en plastique foudroya le miché du regard de son œil unique et expulsa d’un rictus dégage ringard !

Dans son treillis façon para taché de flashball il faisait très rescapé de la 7ième compagnie en déroute façon juin 40 l’air en pétard il sortit vite fait une pétoire Mimile plongeant sous le comptoir la patronne qu’était pas loin sautant sur le téléphone se gourait de numéro puis ayant trouvé le bon les pompiers dirent on arrive  le treillis ricana et dit avec l’accent amerloque (tiens au fait pourquoi ?) : poisson d’avril (on était en octobre tiens au fait pourquoi ?) Mimile avait décomptoiré rapido et lui balança deux mandales une sur le revolver à eau l’autre sur la tronche du treillis ce qui le secoua tellement que les taches de camouflage se retrouvèrent par terre et à mes pieds stupéfaits

- aïe, dit-il deux fois ce qui fit aïe aïe aîe en battant des bras en moulinet dans le vide et dans le bide de la serveuse qui passait à l’improviste avec une soupe à l’ail et une glace à la fraise écrasée de douleur par l’imprévu coup tandis que la Girl from Ipanéma et Stan Getz se taisaient dans le juke-box elle tomba le pif dans la soupe – aïe, dit-elle qu’elle était allergique à l’ail et aux coups mélangés ensemble le treillis marmonna (ce qui me fit croire qu’il était mormon ou normand ou les deux à la fois possible)  hum… beaucoup alors qu’en réalité il dégommait hum… beau cul car en tombant la serveuse avait ramené la minijupe au menton qu’elle avait beau aussi mais comme elle l’avait écrasé dans la fraise on pouvait pas s’en apercevoir elle ressemblait un peu à Juliette Binoche et lança un c’est moche ce que vous avez fait là en essayant de se dégager pour rabattre la jupette et dissimuler ainsi sa culotte saumon modèle catalogue la redoute référence 352 ; 0334 taille 46 montée sur élastique fendue sur le côté d’une manière coquine et bordée d’un jour échelle fond doublé coton page 275 du catalogue hiver 96 – 97 qui ne se mariait pas trop avec l’écrasement de la fraise qui coulait du menton vers l’arrière-train culotté et pourtant à l’air libre non loin de la mixture à l’ail destinée au marchand de bestiaux qui se payait un plat exotique et gueula à pierre fendre – j’en ai soupé de vos conneries que Mimile excédé lui rétorquait que si il était pas content qu’il aille se faire cuire un œuf alors le marchand commanda une omelette bien baveuse – et à l’ail, suggéra Mimile avec une pointe d’humour tout en lorgnant le postérieur de la serveuse qu’il osait pas coincer derrière le comptoir vu que sa femme l’avait quitté un jour pour moins que ça mais qu’était revenue dard-dard dès qu’elle avait su qu’il avait hérité du pas-de-porte et du magot de l’oncle Max depuis elle aussi avait fait un héritage plus important que celui de Mimile ce qui fait que quand elle était colère elle lui balançait devant la clientèle

 – oublie pas, Mimile c’est moi qu’ai le fric !

entre eux c’était donc le con sans suce ou quelque chose d’approchant des fois quand il en avait gros sur la patate le Mimile passait presto sous le comptoir descendant à la cave s’enfermait à double tour avec une bonbonne de Montrachet peu importe la date et ne ressortait qu’en hurlant l’Internationale lui qu’était membre actif du Parti des Forces Nouvelles pas assez à droite toute on avait remis la Girl from Ipanéma dans le juke-box avec Stan Getz qui…

La porte s’ouvrit brutalement sous la puissance du jet dans le vacarme et le tohu-bohu personne n’avait entendu la sirène des pompiers le treillis cria au feu au feu et se mit à plat ventre imité en cela par la multitude qui ne se le fit pas dire deux fois le pompier principal celui qui dirigeait le jet lâcha brusquement son instrument à la vue du postérieur de la serveuse qu’avait pas eu le temps de rabattre et – Gisou – Gisou – ma Gisou (elle s’appelait Giselle) car il l’avait reconnu aux rondeurs et à la culotte qu’il avait commandé au catalogue voir plus haut et offert à elle pour sa majorité avant de s’engager sur un coup de tête dans la marine pour trois ans parce qu’il ne voulait pas mettre de capote et qu’elle avait peur de se faire machiner puis dans les pompiers par la suite car il aimait bien l’eau et que la capote était pas obligatoire et qu’il avait de la suite dans les idées c’est le moins qu’on puisse dire… pendant ce temps le treillis sans tache avait vainement essayé de repousser l’eau du jet du pompier avec son pétard à eau à lui qui ne réussissait qu’à faire pouet-pouet-pchi-pchiit le jet sur le juke-box avait fait le même bruit et Stan Getz aussi pendant son solo Mimile s’était recomptoiré les autres clients aussi y compris le marchand de bestiaux faisant une vraie marée humaine au raz du plancher qu’était en carrelage la serveuse avait reconnu Alphonse car c’était bien lui et se mit à pleurer doucement entre les gouttes qui aspergaient son rosé minois

– Alphonse, parvint-elle à articuler à se faire entendre malgré le boucan mon Alphonse car c’était bien lui toi enfin depuis le temps ils tombèrent dans les bras l’un de l’autre glissèrent sur le sol inondé le jet débitant toujours comme un manneken-piss géant et parvinrent à se mettre debout Alphonse puis retombèrent criant  arrêtez arrêtez en se tournant vers la porte et ses collègues zélés et impassibles continuaient d’arroser copieusement le chef intima un ordre autoritaire et le jet mourut en un dérisoire pipi goutte-à-goutte à la satisfaction de la foultitude qui se rajustait et se précipitait vers les toilettes où y avait maintenant la queue tandis que le treillis sans tâche mais les yeux exorbités regardait le couple Gisou-Alphonse ou Alphonse-Gisou au choix se mit à pleurnicher et hoquetant dit

- mon fils Alphonse mon petit hihihi

nous nagions en plein méli-mélo et surtout en plein mélo convenons-en chers amis inconnus quelles retrouvailles pensez donc Alphonse s’était fâché avec popa ou plutôt son popa l’avait renié parce qu’il s’était engagé dans la marine et pas dans les para Alphonse étant vertigineux renié oui viré avec perles et fracas sans désespoir de retour mais bordel de le voir là vaillant sous l’uniforme fit vibrer sa fibre paternelle et de grosses larmes jaillirent et coulèrent sur ses joues alors il chuta sans para lui aussi entourant de ses bras le couple médusé tous les trois pleurant à la qui-mieux-mieux tandis que Mimile dégoulinant dit qu’il y avait assez de flotte comme ça dans son magasin que c’était pas la peine d’en rajouter que tout le monde se mit à rigoler car il en loupait pas une…

… le spectacle de cette trinité larmoyante intriguait les rescapés de l’inondation trempés et maintenant transis Mimile s’apprêtait à dire « on ferme » au besoin manu militari aux quelques traînards quand on entendit la sirène le marchand de bestiaux lucide tonitrua « putain les flics » lui qui avait eu affaire à eux puisqu’il était un peu truand et s’appelait Antoine dit le Tony avec i grec

- qu’est qui viennent foutre ici, déclama Mimile qui ne savait pas que le charcutier d’en face était une grande folle spécialiste du boudin antillais vivant le grand amour avec son commis dit Etiennette comme le susurrait les mauvaises langues un indic qui avait prévenu les cognes par ligne directe tandis qu’Alphonse avait remis la Girl from Ipanéma et que Stan Getz avait repris le même solo encore plus beau que d’habitude…

 

©  Jacques Chesnel 

15:42 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (1)

12/05/2014

PALINODIES

 

 Il s'était toujours posé beaucoup de questions, toujours et toujours les mêmes, dès qu'il avait commencé à parler et ses parents trouvaient qu'il avait le don de poser celles auxquelles ils n'avaient pas envie de répondre, pas du tout, sur eux, la nourriture, l'école, les filles, le sexe, Dieu, la guerre, la musique, surtout la musique quand il avait commencé à chanter et ses parents à déchanter parce que ça commence à bien faire et qu'on n'a pas les réponses à tout voilà Jérôme c'est comme ça. Il avait donc entrepris de répondre tout seul aux questions qu 'il posait à lui-même, en trouvant rapidement la réponse à quelques questions épineuses, Dieu par exemple ou les filles, rapidement expédiées, surtout les filles et les problèmes qui vont avec du genre tu veux ou tu veux pas. Par contre, goûts, penchants, appétences et autres entichements furent rapidement exprimés.

Mais depuis quelque temps, les choses sont en train de changer, imperceptiblement ou brutalement avec plein d'indices révélateurs. On passe rapidement sur les goûts culinaires depuis la tendre (pas si tendre) enfance, les oignons et surtout les poireaux, putain les poireaux foutus légumes favoris des deux grands-mères, puis, ado, l'attrait pour les filles brunes et popotelées, le peu d'entrain-train pour les sports à part le basket pour la main au panier, on passe on passe, la rigolade pendant les retransmissions d'opéra à la télé en noir et blanc (le Trouvère, lalala le trou vert hihihi mort de rire avec mon pote Alain), les fringues à la zazou, à la hippie, à la con (surtout), le cinéma et les films ringards (le plus ringards possible, la meilleur occase pour s'occuper des nénettes puis des nanas), la lecture des romans policiers bas de gamme, on passe on passe, et une découverte en forme de clarinette et de saxo soprano : Sidney Bechet, ce qui allait complètement bouleverser la vie de Jérôme avant qu'il fasse connaissance de la fille des voisins Branlon-Lagarde, la voluptueuse tueuse, la fameuse Muriel. Tout pouvait basculer très vite sans prévenir, changer du tout au tout, renier ce qu'on a aimé la veille, rire pour rien, pleurer pareil, dauber sans cesse, dénigrer, rabrouer, faire son mariolle ou détruire sa réputation si on en avait une qu'elle soit bonne ou mauvaise peu importait dans la posture ou l'imposture au choix, envoyer balader tout en ballade sans ou avec emballement, attirer le chaland dans l'indolence, bazarder les bizarreries, enfin… quand apparut Muriel tout a basculé, au début avec de l'intérêt pour la nouveauté, puis le désarroi devant le répondant, son assurance altière voire hautaine impressionnante, l'attente haletante devant son air altier, affecté, apprêté, âpre mais nom de dieu d'bordel de merde tellement craquant, tellement tellement que Jérôme était prêt à tout, à confier son âme au diable auquel il ne croyait pas pour l 'instant pas plus qu'à dieu sans majuscule quitte à y croire de nouveau aussitôt dans la seconde qui suit s'il le fallait, il allait tout lâcher, la famille, les copains, le boulot, la firme, le fric, la dope, la bière, les bagnoles, les voyages, oui TOUT en majuscule quand elle lui dit entre deux effets de ses cheveux d'or et quelques battements de cils d'un noir profond supplémentaires :

- Jérôme, et si avant d'aller au cinéma comme prévu, on allait d'abord directement au lit, non ?… et le cinoche après ?.

Interloqué, il ne put que répondre par : heu, ben, oui, pourquoi pas.

Au pieu, contrairement à son habitude, il fut plutôt piteux avec un résultat calamiteux… ce qui n'empêcha pas leur histoire d'amououour de débuter… et de durer jusqu'à ce jour... soit de la catastrophe au triomphe, du désastre à la victoire et puis l'apothéose...

Comme quoi.

Quoi ?

 

© Jacques Chesnel

11:32 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (1)

04/05/2014

LE PALAIS DE LA RATATINE

 

 

Putain c’est pas vrai l’ascenseur est encore en panne trois fois dans le mois soit trois fois 208 marches soit 6240 pour trente jours ouvrables et encore en aller simple je vous dis pas en AR ça commence à faire si bien qu’à chaque fois que je prends cette cage à lapin qui pue le parfum bon marché et la soupe à je sais pas quoi je me demande si cette fois-là je vais pas rester coincé alors maintenant j’emporte mon portable où j’ai rentré le numéro du dépanneur qui arrivera en blouse blanche de préparateur en pharmacie avec quatre heures de retard alors tous les petits vieux et même les grands râlent sur les paliers je vous dis pas… alors là c’est le seul moment où il y a un peu de bruit dans l’immeuble sinon on se croirait à la morgue bon c’est vrai que c’est bien insonorisé quand il y en a tellement qui se plaignent d’entendre le monsieur d’à-côté péter fort toute la nuit et la voisine du dessus glousser au porno de Canal+ quand c’est pas un grand moustachu qui écoute du Bill Evans Peace piece toute la sainte journée ici silence total et bouche cousue tenez moi j’habite au treizième depuis le mois de février de cette année je n’ai entendu ni rencontré personne je m’en souviens c’est quand j’ai perdu Galipette ma petite chatte tigrée roux d’un cancer du foie mais j’y reviens bon sur mon palier un couple lui ancien cordonnier avec l’éternelle casquette vissée au crâne elle ancienne vendeuse rayon layette chez Monoprix la je sais pas combien vieillissante les cheveux tout bigoudinés et les guibolles flageolantes comme des allumettes genre mémés des dessins de Sempé je crois bien que la dernière fois que je leur ai dit bonjour ce doit être avant Noël donc l’année dernière ils m’ont tout juste répondu en vitesse en fuyant à cent à l’heure vers leur gourbi la porte vlan que j’ai même pas eu le temps de leur souhaiter quelque chose que j’en pensais pas un mot mais bon la convivialité hein alors voilà les ratatinés 1… juste de l’autre côté un couple enfin un grande bringue hommasse et lui un court sur pattes bas de plafond je leur apporte un paquet trouvé dans ma boîte au lettre je sonne la porte s’ouvre à deux à l’heure le mec terrorisé referme la porte je lui dis j’ai un paquet pour vous le facteur s’est gouré il m’arrache le paquet et referme la lourde brutalement en murmurant mercique j’entends à peine alors voilà les ratatinés 2… ratatinée 3 une créature parce que je me demande qui c’est avec une odeur sur elle pas possible de choux farcis au hareng-saur ou au fromage de chèvre de plus d’un an son éternel panier d’osier sous le bras comme si on allait lui piquer alors l’ascenseur après son passage la mort subite même avec une pince à linge sur le tarbouif… je ne vais pas énumérer tous les ratatinés des autres étages il y a pas mal de spécimen et spéciwomen la voisine du dessous dont je n’ose imaginer les dessous le pépé du neuvième l’air toujours hébété à la menthe ou hagard aux gorilles au choix qui soliloque et crache sur la météo de RTL (il dit encore Radio Luxembourg) qu’est jamais bonne bien fait t’as écouté autre chose pauv’ con une jeune vieille fille de je ne sais où qui ramène toujours un foulard invisible sur son cou grassouillet trop visible heureusement qu’il y a la préposée à l’entretien Madame Suzy et son beau sourire qui se marre sans arrêt et au rez-de-chaussée la petite étudiante qui prépare un master de je sais pas quoi elles relèvent si peu la moyenne d’âge ah si ya un autre jeune avec une boucle d’oreille qui me regarde avec la haine depuis que je lui ai dit au moment de la coupe de foot que je préférais le rugby et le tennis un jour où il avait daigné me parler… je voudrais que ça braille criaille martèle hurle que ça s’époumone Simone avec plein de décibels total barouf l’apocalypse de la pétarade partout big partouze de bruits je me demande des fois si je vais pas foutre un bordel monstre à fond la caisse dans ce cloître sépulcral je vais acheter une grosse caisse boum boum et deux sirènes de supporter vrooooon vruuuun et à minuit badababoum pour tous les rabougris et autres raccourcis du cerveau las ou de la cafetière ces ratatinés du Palais de la Ratatine aux abris comme en 40 et je continuerai fenêtres ouvertes avec Mingus à fond à faire trembler les murs et les planchers en béton désarmé à secouer les lustres en bois torsadé avec fausses bougies et fausses coulures oui du grand Charles de Oh Yeah le Hog callin’ Blues et les couinements de Roland Kirk en boucle vous en voulez encore de la musique de sauvages allez la Fire Music d’Archie Shepp encore plus tenez le Free Jazz d’Ornette Coleman c’est pas assez fort bon Le Sacre du Printemps deuxième partie Le Sacrifice plan plan plan plang nin nin nin ningça vous plaît pas vous préférez André Rieu et son violon dégoulinant de guimauve et de hein ? hé ben bernique… niqués… vous pouvez appeler les cognes ils vont en avoir pour leur argent avec le mec du treizième qui a pété les plombs à cause du silence éternel et plus si affinités…

est-ce que j’ai bien réveillé tous les recroquevillés de tous le âges ?

Le lendemain il y avait encore plus de silence que d’habitude dans ce foutu Palais de la Ratatine…

 

© Jacques Chesnel

22:38 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (1)