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22/07/2014

VOYAGE(S)

 

 

On dit qu’il faut savoir poser ses valises j’ai longtemps essayé jamais pu y arriver et voilà qu’avec l’âge je m’affole même pour une petite course. C’est pas la peine d’être allé partout ou presque sur la planète et avoir les jambes qui flageolent en prévoyance d’aller chercher le pain à côté on dirait que c’est comme pour une expédition et ça ne s ‘arrange pas avec l’amour de ma vie qui me tanne avec le cache-nez ou le parapluie hé oh je ne vais pas en Sibérie et la mousson est passée. A chaque fois que je prends l’ascenseur je me dis que cette fois la panne en plein milieu je ne vais pas y échapper  ah la porte s’ouvre je me suis encore trompé je suis au deuxième sous-sol avec la fumée d’un vieux diesel dans les narines, sacrées bagnoles. Bon ça continue le boulanger est fermé pour cause de mariage le prochain est où commence une sorte de trouille suivie d’un bref spasme intestinal quelle expédition pour une baguette un vélo qui roule sur le trottoir ohé vous ça va pas ta gueule vieux con je me retourne c’est pour moi je n’ai pas pris mon portable elle doit être encore chez la voisine du septième ciel et son chihuahua teigneux on m’appelle houhou la voilà à la fenêtre me faisant des grands signes fais-bien-at-ten-tion oui oui ça va je me débrouille un léger vertige frissons il fait de plus en plus chaud cela devient étouffant j’ai comme l’impression que et un nouveau paysage nous sommes en route pour Tabato petit village de Guinée-Bissau dans une vieille 404 avec notre chauffeur Ali qui cherche désespérément à éviter les fondrières de la route depuis Bissau en passant par Bafata un  jour de grand marché on avait remarqué un cochon braillard sur la galerie d’un vieux bus plein à craquer ce qu’on avait ri et les jeunes qui m’appelaient papa et l’amour de ma vie de plus en plus belle sous ce soleil de plomb nous allions retrouver les musiciens français de jazz qui avaient joué la veille une rencontre avait été organisée avec les hommes du village qui construisent dit-on les meilleurs balafons de tout l’ouest de l’Afrique il est six heures le village est désert aucun bruit hormis pépiements d’oiseaux et bêlement de chèvre quelques minutes un léger coup de klaxon un vieil homme apparaît dans une longue robe violette la tête coiffée d’une calotte le chef de village discussion des artistes français venus rencontrer des artistes guinéens il avait été prévenu mais ne se rappelait pas du jour exact il frappe dans ses mains et tout le monde sort des cases hommes femmes enfants explications fin exceptionnelle du ramadan allez mettre vos habits de fête et sortez les instruments pour honorer nos visiteurs je halète un peu je suis trempé de sueur j’ai dû me tromper de chemin pour cette foutue boulangerie quel con suis-je il faudrait les hommes apportent deux balafons et des instruments de percussion les femmes arrivent une à une avec les robes multicolores les enfants nous entourent sourient et font des grimaces aux appareils photo et au caméscope l’amour de ma vie n’en croit pas ses yeux moi non plus un concert improvisé commence les femmes chantent et se mettent à danser à tournoyer  un adolescent noir casquette et jean troué me demande ça va monsieur dites ça va oui mais où est la rue à tournoyer et nous battons des mains et tapons des pieds la tête d’un enfant surgit entre les balafons les rythmes changent l’amour de ma vie me regarde de son si beau sourire les femmes me regardent elle regarde les hommes les petits qui se trémoussent aussi le temps est comme suspendu dans le soleil déclinant entre les arbres et les cases nous sommes heureux dans cet autre monde nouveau pour nous on les remercie on s’étreint un tout petit gamin vient vers l’amour de ma vie et lui tend les bras elle a des larmes de bonheur plein les yeux je crois que je suis dans la bonne rue maintenant tout près de cette foutue boulangerie dans l’auto nous rions en nous tenant par la main comme depuis toujours  Ali pouvez-vous arrêter nous voulons boire tenez Ali merci je ne bois pas c’est le ramadan il faut que j’attende encore oh Ali excusez-nous ya pas de mal et j’aperçois l’enseigne baguépi rétrodor machin là tout près bonsoir je voudrais une baguette tradition bien cuite désolé monsieur il ne nous reste plus de pain  avec ces vacances et notre collègue qui est fermé pour le soir à l’hôtel dans notre chambre climatisée qui ronronne nous regardons le film de cette journée et alors l’ascenseur la voisine du septième son chihuahua la rue la boulangerie le pain et le reste qu’est-ce qu’on s’en fout mais alors là totalement.

 

©  Jacques Chesnel 

21:29 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (1)

15/07/2014

CARAVANES

 

 (à René Urtreger)

 

Apparemment tout le monde est d’accord : c’est le plus grand festival de jazz en Europe ; les revues, les journaux, le public, tout le monde est d’accord… unanimité, pour une fois. Le lieu, sublime ; la période, beaux jours et nuits somptueuses ; le temps, parfait ; l’organisation, irréprochable ; la programmation, top niveau, rien que du très bon, parfois du génial, jamais ou presque jamais du mauvais, le top, je vous dis et depuis toujours.

Il y a quelques chose qui m’avait choqué quand même la première fois que j’y vins il y a longtemps : les caravanes, plutôt des espèces de baraques, de baraquements d’après-guerre pour accueillir les musicos y compris les vedettes et à côté les toilettes du même tonneau j’oserais dire… bon, on n’avait pas lésiné sur les plantes vertes, sur le tapis rouge à l’entrée de chacune pour faire comme à Cannes, sur l’éclairage multicolore, mais bon c’était des caravanes, des baraques pas des loges et ça en faisait office et les musiciens devaient s’en contenter car alors à l’intérieur alors là le confort suprême voire le luxe pour les vedettes. Des fauteuils, un canapé, une table basse garnie de boissons et de fruits frais, des bouteilles et un frigo, dans chaque, la classe quoi.

 Cette année là j’avais eu un badge par un copain du coin qu’avait des accointances avec marqué dessus backstage, j’avais le droit de me trimbaler dans cette sorte de village derrière la grande scène et je vous dirai que j’en profitais un max… le nombre de musiciens de vedettes oulah j’en avais les yeux qui rodaient tout partout et j’en perdais pas une miette je vous ferai dire… un jour que j’avais sympathisé avec un guitariste de renom dont je ne me rappelle plus le nom mais bon, il m’invita à entrer dans la loge réservée à son groupe ; il en défilait du monde avec des rires énormes des tapes dans le dos des embrassades amicales et je fis des connaissances je baragouinais un peu on se comprenait on se marrait tout le temps même quand on comprenait pas…

Le dernier jour il y avait du monde rien que des grosses vedettes dis donc des pointures comme on dit ; avec mon guitariste on est entré dans la plus grande putain quelle ambiance tout le monde parlait en même temps et c’était des souvenirs des histoires hé mec tu te souviens de Ron Jefferson à Antibes vous êtes swing ?, de Grappelli racontant ses aventures avec des matelots à Amsterdam, du tromboniste qu’on a balancé tout habillé dans une piscine attends attends François Guin oui c’est lui tu te souviens et de Cat Anderson faisant le bœuf avec Keith Jarrett et Christian Escoudé avec Bill Evans, non ?, si j’te dis à Cimiez en 78 et Jacques Thollot à Nîmes avant Weather Report hein et Nina Simone chantant au clair de la lulune qu’on l’a sifflée et et et…

Dans un coin un homme en costume noir avec chemisette blanche, un sourire jusqu’aux oreilles, un air d’éternelle jeunesse…quelqu’un s’approche de lui, et toi qui a joué avec Miles et Lester qu’est-ce que tu nous racontes, René ?...

 

©  Jacques Chesnel  (jazz divagations)

10:41 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (1)

07/07/2014

ERNEST

  J'ai rencontré Ernest en juillet 1957 à la Feria de Pamplona pour les fêtes de la San Fermin ; nous nous sommes trouvés par hasard côte à côte dans la rue principale du lâcher de taureaux à l'aube au moment des premiers cohetes ces pétards qui annoncent l'événement ; je fus d'abord impressionné par sa stature que je trouvais plus imposante que sur les photos et cette trogne ; il avait alors 58 ans une belle barbe blanche une bonne bedaine et déjà une bouteille à la main je ne me souviens pas de quoi. Les gens lui tapaient dans le dos hola Ernesto certains le hélant ho hombre ou l'appelant Roberto prénom du héros de son roman Pour qui sonne le glas sur la guerre d'Espagne. Au moment où tous ceux qui couraient devant les taureaux apparurent suivis par les animaux encadrés des cabestros Ernest s'agita et voulut grimper difficilement sur la barrière de protection, je le retins juste à temps avant qu'il saute me décochant une bourrade que je crus amicale.

 Elle l'était car l'après-midi sur la plaza pricinpale de Pamplona noire de monde à la terrasse des cafés il m'aperçut et me fit de grands signes de venir le rejoindre alors qu'il était en discussion avec des matadors célèbres à cette époque le grand Antonio Ordóñez les jeunes frères Gijón César et Curro ainsi que Antonio Barrero Morano plus connu sous le nom de Chamaco qui avait passé l'alternative l'année d'avant. Je n'étais pas peu fier de me trouver au milieu de ces vedettes qui me congratulaient comme l'ami du grand écrivain et qui me donnaient du Santiago à profusion en veux-tu en voilà hombre. Non loin de moi se trouvait également une jeune femme qui ressemblait fort à Maria l'héroïne du roman d'Ernest plus tard interprétée par Ingrid Bergman dans le film personnage dont j'étais tombé amoureux à la première lecture du livre puis de l'actrice dans le film.

Nous n'arrêtions pas de nous regarder l'air un peu génés dans ce tumulte de conversations multiples de musique de toutes les bandas des cris de la foule qui se dirigeait vers les arènes il était seize heures et nous nous regardions toujours jusqu'au moment de nous lever tous pour le début des corridas.

Je me souviens des taureaux de l'élevage de Victorino Martín de Chamaco le téméraire qui fut sensationnel, du triomphe d'Ordóñez deux oreilles et la queue j'étais une vedette dans la tribune d'honneur avec Ernest et les yeux de l'inconnue que la vie était belle… Je ne me souviens pas du tout de ma nuit suite à la corrida sinon le goût du vin qui coula abondament des pimientos qui brûlèrent délicieusement ma gorge de ma vaine recherche de la belle et…

Le lendemain, je retournais à l'encierro où un jeune anglais se fit prendre heureusement entre les cornes d'un mastodonte et qui s'effondra dans mes bras en me pissant dessus et dont je n'arrivais pas à me séparer Jack mon sauveur disait-il Jack Jack puis je retournais sur la plaza où Ernest toujours entouré semblait m'attendre hi Santiago como va camarada je te présente Luis Miguel Dominguin que tal ? la jeune femme arrivait et s'asseyait à une table proche j'oubliais Ernest Luis Chamaco tous les autres Pamplona je ne voyais que ses yeux qui semblaient me regarder me pénétrer me transpercer profondément je me représentais son corps ses seins ses cuisses et le triangle de soie blonde entre elles je me tortillais sur mon siège pour cacher mon érection je n'entendais plus rien je sentis un liquide chaud couler sur mon ventre entre mes jambes je ne savais plus où j'étais je crois bien que j'ai… oui… Au moment de partir vers les arènes, elle se leva vint vers moi et me dit à l'oreille ces mots dans un soupir : Thankyoufor makinglove with me… ah your dick… that was great !. A ce moment je ne sus quoi lui répondre, j'aurais dû lui dire que moi aussi je…

Les jours suivants elle n'était plus là, je ne la revis jamais. 

Quand je relis un livre d'Hemingway ce qui m'arrive souvent, je pense toujours à ce Santiago qui revoit encore cette belle inconnue et je me souviens de ses yeux de son regard de notre orgasme commun à distance… à Pamplona cette année-là avec les taureaux de Victorino Martín les faenas de Chamaco l'élégance de Luis Miguel… en compagnie d'Ernest de Roberto de Maria d'Ingrid de cette belle inconnue… qui ne m'ont jamais quitté depuis si longtemps. 

© Jacques Chesnel

16:27 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (0)

DANS LE SILENCE

 

  Depuis quelque jours, Jérôme se sentait bizarre, on peut dire ça comme ça, bizarre égal pas bien, pas trop mal mais pas trop bien. Il n'avait vu personne de la journée à part la boulangère qui faisait la gueule comme tous les jours, pas qu'à lui non à tout le monde tout le temps. Dans l'après-midi, il décida de regarder un match de foot à la télé ; déjà le foot, pourquoi ?, voir des égos boursouflés en maillots tartignolles courir après la baballe et s'étreindre comme des tarlouses pendant des heures après avoir péniblement marqué un but et expliquer ensuite que voilà et puis heu voilà on a fait le maximum voilà le coche est content et puis voilà, cela le faisait gerber mais bon allez savoir pourquoi, il y avait bien autre chose d'aussi nul à la téloche ce dimanche après-midi là mais bon… quand arriva la plus grande peur de sa vie ; il avait coupé le son pour ne pas entendre les hurlements de trente mille abrutis et dans l'immense silence de son petit salon, une voix sépulcrale qu'il ne connaissait pas retentit "ceconaencoreloupésapasse" c'était la sienne bordel la sienne qui avait dit ce con a encore loupé sa passe, putain cela faisait un bail qu'il n'avait entendu SA VOIX sa VRAIE voix.

Depuis le départ de Muriel partie rejoindre un footballeur de renom après trente années de brouilles et réconciliations, de rabibochages et de bisbilles, de câlineries et d'insultes, se supporter, se chamailler, puis franchement se détester, il vivait seul supportant mal parfois cette solitude recherchée, pas de rapport avec ses cons de voisins, les amis partis avec ceux de Muriel, le petit chat mort le canari aussi. Donc, boulot, pas de métro, dodo, branlette hebdo et abdos pour l'hygiène et le fun, les courses le samedi matin puis la télé avec Heineken tout le ouikainde devant l'écran noir de ses nuits blanches et le cinoche une fois par mois les films de karaté et de cul. Sur le conseil d'un pote lointain qui l'avait conseillé sur sa santé au moment de l'approche de la cinquantaine, il avait passé un chèque-hold-up complet à l'hosto chéro pas remboursé alors que les affaires et les contrats se faisaient de plus en plus rares avec la crise qui n'en finissait pas surtout pour lui ; résultat des courses : non, rien, rien de rien, monsieur le patient impatient, vous avez tout bon, le cœur, les poumons, les reins, le foie, les yeux, les oreilles, le nez, la quéquette, TOUT BON, super cline, reparti pour un tour sur les chapeaux de roues, et ce con a encore loupé sa passe. Le foot c'était mieux avant, du temps de Kopa, Fontaine, Platini, Giresse et Laurent Blanc ses favoris, non seulement ils réussissaient toujours leurs passes mais ils savaient parler après les matchs pas pour dire des conneries heu hé ben voilà et puis le coche c'était quand même un entraîneur ah ! Michel Hidalgo et les équipes, Reims et St-Etienne. Quand on sonna à la porte, il ne bougea pas comme d'habitude, le téléphone c'est pas fait pour les chiens mais pour prévenir ; quand on frappa fort il pensa à un erreur, quand on tapa plus doucement il se leva pour regarder par le judas optique, il ne vit rien mais entendit qu'on grattait timidement. Il ouvrit, c'était Muriel presque à genoux et toute en pleurs avec sa petite mallette.

- Que veux-tu après tout ce temps, demanda-t-il

- Laisse-moi entrer tu veux, hoqueta-t-elle

- Si c'est pour s'engueuler, alors non

- Je t'espliquerai

Elle entra, il était perplexe.

- Voilà, j'ai quitté Robert

- Que veux-tu que ça me foute

- Je me suis aperçue que c'est un vrai connard

- Si tu le dis… moi, je le savais rien qu'à le regarder jouer

Elle s'assit devant la télé en tentant de sécher ces larmes que Jérôme trouva de crocodile.

- Tu regardes le foot toi maintenant, je croyais que

- Pas vraiment, principalement quand ya Robert

- Il ne joue plus à l'Inter de Milan, ils l'ont viré

- Je sais, c'était à prévoir vu ses résultats

- Et puis…

Jérôme s'assoit à côté d'elle sur le canapé, elle ne pleure presque plus, ils regardent un match tous les deux, la deuxième mi-temps, il remet le son, fort, dans le stade tout le monde est debout et hurle après un joueur, le brocarde, le conspue, le vilipende, le dénigre… Robert

- Ce con, il a encore loupé sa passe, dit alors une voix sépulcrale qui n'était pas la sienne.

 

© Jacques Chesnel

16:24 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (2)