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27/09/2013

LA TENTATION DE DENISE

 

Depuis le temps qu’elle le savait.

Elle n’avait jamais su résister aux tentations et même à LA tentation chère à Oscar Wilde, et ce depuis son enfance, pour le meilleur quelquefois, pour le pire plus souvent, mais on ne se refait pas et on laisse les choses se faire et se défaire de façons rédhibitoires. Elle nous racontait toutes ses aventures (mes aventures aventureuses disait-elle) sans vergogne, sans pudeur, sans sans quoi. Tout ou presque y était passé, avec les hommes, les femmes, les amis, les ennemis, les connus ou inconnus, dans toutes les circonstances comme avec Constance (son plus bel exemple qu’elle gardait secret tout en le racontant à tout le monde car elle n’y voyait aucun mal à ses yeux qu’elle avait rieurs). La phrase qui avait tout provoqué remontait à sa période catéchisme quand elle avait entendu par le curé qui était beau comme un dieu qui n’était pas le sien : « ne pas succomber à la tentation et délivrez-nous du mal » tu parles pour le mâle avec tous ses copains qui faisaient à la sortie de la sacristie, déjà pour les qualités de ses manipulations savantes à la Irina Palm. Plus tard, ce fut la bouffe, la grande et la petite, surtout la grande, tout compris, d’abord le salé, le pré-salé, le tout-salé, le sur-salé, le laisser-salé, puis le sucré tout le sucré sauf les fraises que natures, casser du sucre, faire sa sucrée, ensuite les fringues, les fripes, les nippes, les affutiaux et  autres souquenilles, tout le saint-frusquin, que des frusques et des frasques, rien que de la belle sape de classe … Les tentations sont devenues de plus en plus fortes avec force tentatives restées infructueuses, se faire toujours alpaguer par des charmes trompeurs qu’on appelle blandices, irrésistibles à un tel point qu’il lui fallut consulter un spécialiste en spécialités tentaculaires autrement dit un charlatan qui ne résista pas à la tentation de lui proposer cinq séances inutiles à deux cents euros chacune, elle ne résista pas à l’attrait de lui balancer une bonne beigne dans la tronche agrémentée d’un sévère coup de pied rapide au cul qu’il avait opulent avant et au pus lent après.  Bien sûr, il y a eu d’autres tentations, des désirs avoués, des appels inavoués, quelques aiguillons désavoués dont on ne va pas ici faire la liste. Non. Par contre, dire le bouleversement de Denise lorsqu’elle prit connaissance dans une librairie d’un livre intitulé « La tentation de Venise » écrit par un homme politique, un ancien sinistre au crâne d’œuf et à la suffisance hautaine reconnue. Elle crut d’abord que c’était une faute de frappe que l’éditeur n’avait pas vue, pour elle la tentation était la sienne, celle de Denise, connard, de personne d’autre, compris ?. Curieuse, elle se renseigna et apprit que cette expression avait une signification particulière : « la tentation de se consacrer à autre chose, de changer de vie », tu parles !. Denise connaissait les autres tentations célèbres à commencer par celle de Saint-Antoine racontée par Flaubert, celle de Faust par Goethe, mais tout ça n’expliquait pas pourquoi Venise et pas Tombouctou ou Champ-du-bout, why not Fenise ou même Menise et Penise pendant qu’on y était et puis toutes ces tentations-là à Venise ou ailleurs étaient de la roupie de sansonite, du pipi de matou, du bluff, du bidon, de la frime à côté de celles de Denise qui s’exclama un jour, furieuse et enjouée tout à la fois : « ça ne m’empêchera pas d’aller y faire un tour en gondole à cette Venise, histoire de se gondoler, ah mais ».


©  Jacques Chesnel

 

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20/09/2013

CHRONIQUE CD

 

GREGORY PRIVAT / TALES OF CYPARIS

GREGORY PRIVAT (comp, arr, p, Fender Rhodes, Wurlitzer), MANU CODJIA (g), JIRI SLAVIK (b), ARNAUD DOLMEN (ka), SONNY TROUPÉ (dm, ka), ADRIANO TENORIO (DD perc)… invités GUSTAV KARLSTRÖM (voc), JOBY BERNABÉ (voc), QUATUOR A CORDES.

1/ Four Chords  2/ Ritournelle  3/ Phinéas  4/ Barnum Circus  5/ Cyparis intro  6/  Cyparis  7/ Lari-A  8/ Precious Song  9/ Wake Up  10/ Ti Sonson 11/ Carbetian Rhapsody  12/ Far From SD  13/ An Bel Lanmen  14 /Four Chords

Enregistré en juin 2013   Plus Loin Music PL4561 (abeille musique)

Ii était une fois une légende , une belle histoire, celle de Cyparis « un nègre de la plus pure espèce, le grand brûlé miraculé Cyparis transfuge de l’enfer rescapé de laves et de cendres unique survivant d’un déluge volcanique dans une île coloniale appelée Martinique » (paroles de (et exprimées) par le poète Joby Bernabé dans 3/ Phinéas). Il était une fois un pianiste et compositeur originaire de la même île, Gregory Privat, pour proposer une illustration musicale et poétique de cette histoire. 

Nous avions déjà salué le talent de ce pianiste pour son premier album Ki Koté dans lequel il perpétuait tout en la renouvelant la biguine jazz mêlée à d’autres influences dont la musique cubaine et le jazz post-bop. Nous avions apprécié, et goûtons encore plus ici, un toucher pianistique d’une grand sensibilité, un phrasé aérien, une aisance et une générosité qui sans avoir recours à la démonstration sont les caractéristiques d’un pianiste d’un incontestable talent. Le déroulement de l’histoire se fait en plusieurs moments de grâce (violence et tendresse alternées) allant du trio au quartet avec guitare (et quel guitariste, Manu Codjia) en passant par l’adjonction d’un quatuor à cordes de conception classique et les voix graves et éloquentes de Gustav Karltröm et Joby Bernabé. Il réussit, à partir d’une histoire d’une poignante tristesse à faire une homélie d’un rare pouvoir émotionnel.

Incontestablement, l’une des plus belles surprises de cette rentrée discographique.

Jacques Chesnel

 

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18/09/2013

LES CLENCHEURS

 

On en apprend tous les jours, air connu. Ainsi, il y aurait une nouvelle forme de cambriolage avec une nouvelle race de malfaiteurs appelés les « clencheurs ». Ces cambrioleurs d’un genre différent opèrent ainsi : en zone rurale à chaque pavillon individuel ou en zone urbaine après s’être introduit dans un immeuble, ils vont à toutes les portes, frappent doucement d’abord, appuient sur la poignée de la porte d’un logement et si celle-ci n’est pas verrouillée commettent leurs larcins, vols opportunistes donc sans effraction, souvent quand les occupants sont en train de regarder la télé ou bien tondre la pelouse ou autre joyeuseté. C’est ce que racontait Jérôme à Muriel avant d’aller se coucher et de vérifier si tout était dans l’ordre comme d’habitude. T’as bien fé-mé le vé-ou, brailla Muriel tout en se colgatisant furieusement les dents ; voui répondit Jérôme en se grattant le derrière d’un air rassuré. On en avait parlé dans tous les journaux et un grand vent d’inquiétude s’était abattu sur les esprits, notamment les personnes âgées comme les parents de Muriel complètement paniqués. Cela avait déclenché des réactions diverses allant jusqu’à envisager de ressortit les fusils ou de constituer des milices ou brigades de surveillance.

Le lendemain matin au réveil, Jérôme lança un je vais acheter le journal pour voir et s’aperçut que contrairement à ce qu’il croyait le verrou n’était pas mis, bordel de merde on avait dormi dans l’insécurité totale et aucun clencheur, ah les cons, n’en avait profité. Il ne dit rien à Muriel car cela aurait déclenché une belle dispute de trop car en ce moment… Au bureau, c’était la conversation principale autour de la machine à cacafé, on allait voir ce qu’on allait voir on a n’allait se faire marcher sur les arpions impunément, c’était la révolte, pire une rébellion, une mutinerie, non sire une révolution, aux armes citoyens. Dans les propos entendus, Jérôme fut plus que choqué lorsque le mot tzigane revint le plus souvent, tous ces roms, ces étrangers voleurs de poules dont les hordes envahissent par milliers notre belle France. Il pensa aussitôt à Django Reinhardt dont il venait de se payer l’intégrale en CD suite à l’histoire de sa vie racontée par Charles Delaunay ; il se demandait si ces excités n’auraient pas foutu le feu à sa roulotte une deuxième fois ?. Révulsé, il enclencha la surmultipliée, leur fit un doigt d’honneur et d’horreur gros comme la statue de la Liberté ce qui lui valut des réponses avec force majeurs frappés sur leurs têtes de nœud toc toc toc. En rentrant, Jérôme dut sonner plusieurs fois car la Mumu avait bien enclenché au triple tour d’écrou le gros verrou, il se remit pour la cent millième fois la séance de Django à la guitare électrique en compagnie de Martial Solal en 1952 et décida sur le champ que dorénavant, pour narguer tous ces trous du cul, il ne mettrait par ce putain de verrou, on verra bien. Aux dernières nouvelles, les clencheurs ne sont toujours pas venus rendre une petite visite à nos amis.

Jérôme est sûr que quelque part Django veille sur eux. « T’es sûr » lui demande souvent Muriel.

©  Jacques Chesnel

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10/09/2013

DÉRÈGLEMENT MOMENTANÉ

 

Après plusieurs rencontres avec le grand type, on en était toujours au même point. J’avais donc appris que ce personnage, Rodolphe, était le professeur de yoga et de tai chi de ma Muriel, mais étant de nature fouinard, j’aurais aimé en savoir davantage en avantages. Nous avions pris rendez-vous avec lui un soir dans un restaurant bio que nous fréquentions plus ou moins assidûment. Dès son entrée, son comportement apparut étrange à nos yeux et à ceux de l’assistance. Il pénétra dans le lieu, jeta un coup d’œil circulaire rempli d’inquiétude et ressortit aussitôt pour rentrer de nouveau précipitamment. Il nous vît ou sembla nous voir car il alla s’asseoir à une table vide non loin de la nôtre, puis se leva et vint à notre encontre un grand sourire pitoyable aux lèvres. Il ôta son chapeau avec un geste cérémonieux et baisa la main de Muriel plutôt stupéfaite et dit : « je suis en retard mais en avance sur le temps, n’est-ce pas ». Nous ricanâmes de concert et il s’assit en remettant son galurin à larges bords de traviole, on était bien avancé. « Je suis venu hier comme convenu mais vous n’étiez pas là alors j’en ai conclu à fortiori que voilà» affirma-t-il avec sérieux mais avec un pétillement dans ses yeux que Muriel trouva plus globuleux qu’à l’habitude pendant ses cours du soir. Il avait une voix de cibiche bien qu’il ne fumât point ou une voie de garage bien qu’il ne possédât pas de tire, me confia Muriel dans un souffle. On se demandait si c’était du lard de l’art ou du cochon alors qu’on en était au tofou à la basquaise et lui qui n’avait rien commandé de sérieux. Et pour Monsieur ce sera interrogea la petite serveuse bretonne si mignonne avec sa queue de cheval qui s’appelait Rose et qu’on appelait Bonbon. Rodolphe la regarda comme s’il voyait un extra-terrestre et répondit qu’il avait déjà mangé alors vous voyez mais que cela lui coupait l’appétit bien qu’il eût faim à cette heure tardive. Nos regards stupéfaits se croisèrent de nouveau avec une pointe d’anxiété, Muriel me balançant un coup de pied dans le tibia qui me fit hurler en silence avec fracas devant son air coucourroucé. L’assistance contemplait en faisant de grands signes impuissants comme ceux du télégraphe d’antan. Rodolphe se leva et entama la Madelon pendant qu’on apportait le vin recommandé par l’hôte, le pépé âgé d’à côté dit c’est une honte et s’évanouit aussitôt le nez dans le potage froid encore fumant. Le grand type déclara que cela lui rappelait la bataille de la Marne qu’il n’avait pas faite s’étant fait réformer à cause de son asthme guéri par les plaintes.

Quand arriva le gâteau qu’il avait désiré il dit, en le regardant bizarrement : « ce dessert là je suis en train de le manger demain » (*). Durant ce repas qui nous parut plus longuet que d’habitude, nous nous regardions toujours Muriel et moi avec un étonnement visible et néanmoins secret, Rodolphe avait l’air ailleurs, en d’autres sept lieux que celles des bottes, pour tout dire il y avait comme un malaise qui nous mettait mal à l’aise d’autant que le grand type était de plus en plus absent en face de nous, comme retiré de ce monde. On pensait même qu’il allait nous sortir un revolver et se mettre à tirer dans le tas là tout de suite ? faire surgir un couteau et suriner méchamment le populo présent ?… Cela aurait pu durer encore incertain temps quand il se leva brutalement en faisant tomber sa chaise et dit c’est vraiment insupportable je crois bien que et il sortit en saluant chaque personne avec grandiloquence. Les gens nous regardaient toujours avec insistance, leurs yeux nous traitant de monstres responsables de cette comédie.

Nous avons eu l’explication de cette histoire quelques jours plus tard quand nous apprîmes que le grand type avait pris connaissance de la disparition d’un être aimé et que depuis il était complètement désemparé, totalement déréglé, anéanti. Ce sont des choses qui arrivent à tout le monde, n’est-ce pas, chers éléphants roses.

Muriel et Jérôme n’en sont pas encore revenus.

Et si c’était moi le type momentanément (ou complètement) déréglé ? J’en arrive parfois à me demander si…

(*) NDLA : référence/révérence à Julio Cortázar dans « L’homme à l’affût » (Les armes secrètes)

© Jacques Chesnel


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02/09/2013

CHRONIQUE CD

 

PING MACHINE / ENCORE Live au Petit Faucheux

L’orchestre : Bastien Ballaz (tb), Stephan Caracci (vib, perc), Guillaume Christophel (bs & bcl), Andrew Crocker (tp), Jean-Michel Couchet (ss,as), Fabien Bellefontaine (as,cl, fl),Florent Dupuit (ts, fl afl, piccolo), Quentin Ghomari (tp, fgl), Didier Havet (btb, tu), Paul Lay (fender rhodes & minimoog), Rafael Koerner (dm), Frédéric Maurin (g, minimoog, comp, dir), Fabien Norbert (tp, piccolo tp, fgl), Raphael Schwab (b), Julien Soro (ts & cl)

Les titres : ENCORE (4 parties, 32’), GRRR (13’), TRONA (3 parties, 25’)

Enregistrement live les 22 & 23/03/2013 au Petit Faucheux à Tours

CD Neuklang NCD4072 (distr. Codaex)

. Avant-propos :

Je me souviens toujours de cette réplique de Robert Le Vigan, jouant Michel Krauss le peintre halluciné dans « Le Quai des Brumes » film de Marcel Carné : « je peins malgré moi les choses derrière les choses ». Cette phrase m’est revenue en écoutant la musique de PING MACHINE (Des Trucs Pareils et Encore) et je la transpose ainsi : « Cet orchestre traduit la musique derrière la musique… dedans et au-delà ».

Après la forte secousse émotionnelle ressentie à l’écoute du précédent enregistrement Des trucs pareils (saisissement/ravissement), nous attendions la suite avec quelque impatience et curiosité, comment le grand sorcier des sons, Fred Maurin, et sa joyeuse bande d’allumés allaient-ils se renouveler avec cette impudence, cette témérité, voire ce toupet qui nous avait comblé ? ; réponse : le changement dans la continuité, la persistance dans l’évolution. Il y a dans cette organisation des sons une magie qui opère différemment dans chaque morceau tout en demeurant dans un ensemble tout à fait cohérent, homogène. En plus des influences avouées et affichées ( patchwork de Stravinski à Zappa en passant par Messiaen et Gil Evans) on note une forme opératique proche du Richard Strauss de Salomé et de Elektra, comme, notamment, dans la suite ENCORE : cette impression que la musique se cherche, que les sons furètent en longs cheminements avant de s’organiser et avant que n’arrive le premier embrasement suivi d’un solo furioso de Julien Soro au saxophone-ténor dans la première partie, la seconde étant plus méditative ponctuée de quelques hachures et de la vibrante et passionnante intervention du trompettiste Quentin Ghomari sous les coups de cravache de ce batteur qui porte et transporte l’orchestre, Rafael Koerner ; troisième partie dans laquelle tourbillons et cataclysme  s’opposent  (contrastes) au calme aérien et gracile du vibraphone avant que, au final, l’apothéose se manifeste dans un maelstrom de sonorités et figures rythmiques et subtilités harmoniques d’une grande richesse et qui s’achève en chuintements et bruissements raffinés.

Le petit miracle se poursuit (miracle, oui, car il y a dans cette musique une sorte de « merveille » au sens de : qui suscite l’admiration) comme l’a bien ressentie l’auditoire présent avec une courte pièce GRRR, sorte de mini-concerto pour un saxophone baryton (soliste : Guillaume Christophel) parfois grondant, souvent vociférant, toujours virulent environné des volutes rythmiques décalées, désarticulées, zébrées de l’orchestre.

TRONA : la musique d’un « apocalypse now » par un Bernard Herrmann d’aujourd’hui avec un solo de guitare de Fred Maurin à la fois sidérale et sidérant provoquant sidération, la sarabande tourmentée se poursuivant avec l’intervention de Jean-Michel Couchet au saxophone soprano avant que ne s’achève cet épisode méphistophélique dans un climat apaisé, une sérénité retrouvée grâce au solo de flûte dû à Florent Dupuit.

Conclusion :

PING MACHINE est ce qu’il y a de plus novateur, d’intrigant, d’emballant, de bandant par son écriture subtilement agencée ainsi que son éclatante créativité/fécondité dans le domaine du grand orchestre aujourd’hui… et on ne peut que s’en réjouir, grandement, en attendant la suite.


©  Jacques Chesnel  

17:37 Publié dans Musique | Lien permanent | Commentaires (1)