Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

27/08/2013

L’OUVERTURE

  

Jérôme avait une santé qu’on dit de fer. Souvent mal fichu, disait-il mais jamais vraiment malade assurait-il. Aussi quand, à ce que rapporte Muriel, il sentit un petit chatouillement insolite dans le bas du ventre côté droit, la trouille s’empara de lui aussitôt et il galopa presto chez son médecin de famille qu’il n’avait pas consulté depuis ses oreillons à quinze ans alors qu’il en avait trente de plus bien sonnés maintenant. Le docteur Mancel prit son air le plus débonnaire et lui annonça après consultation : « bon, eh bien mon garçon, il faut ouvrir ». On évoque souvent le ciel qui vous tombe sur la tête, mais là, présentement, c’était bien le ciel et surtout l’enfer qui se répandaient brutalement sur la tronche de notre héros. Quoi, répondit Jérôme, ouvrir, taillader et fouailler dans la bidoche pour un simple chatouillis du genre guili-guili qui me fait marrer. Il n’en est pas question, ce n’est pas prévu au programme et d’ailleurs… Docteur Mancel : « Et en plus c’est urgent, je te prends rendez-vous avec mon confrère chirurgien, un as dans son genre, un spécialiste de première classe… hé, tu vas pas nous faire un malaise oh, mon gars ! ». Revenu à lui après quelques minutes de panique, Jérôme demanda des explications au praticien qui d’un ton patenôtre lui déclara que ce pouvait être les prémices d’une simple appendicite ou les signes avant-coureur d’une enfin heu peut-être enfin éventuellement heu une tumeur pas très maligne, enfin faut vérifier, donc, je pense : une seule solution, il faut ouvrir.

Il était trois heures du matin, Jérôme s’éveilla aux côtés de Muriel qui dormait à ses côtés avec ce léger ronflement avec bulles qu’il trouvait délicieux et si énervant. Après radios, scanner, IRM et tout le tintouin qui n’avaient rien montré de particulier, l’opération avait été une réussite, rien qu’une banale appendicite même pas mal au sortir de la rachis anesthésie pratiquée par un mec au sourire satisfait,  hospitalisation courte, infirmières sexy et rigolotes « on vous a quand même mis un drain par précaution mais rien de grave, c’est pour éviter les complications, vous n’avez pas trop de fièvre, la tension est correcte, vous nous appelez pour votre petit pipi, la sonnette est là à côté du gougoute-à-goutte », le chirurgien était passé après l’opé : « pansement tous les jours jusqu’à cicatrisation », Jérôme avait hurlé quoi six catrisations pour ce p’tit bobo, le chirurgien et son assistante avaient bien ri hihihi ainsi que le petit vieux sur l’autre lit qui en fait une quinte de toux hurk hurk hurk et qui s’étouffe touffe touffe. Quoi qu’il en soit, avouez que le bon docteur Mancel avait pris la bonne décision et maintenant c’était reparti mon quiqui pour un tour.

Instinctivement, il passa sa main droite sur le pansement rien que pour s’assurer et se rassurer, surprise : que dalle, aucune trace par contre un léger chatouillis ou gratouillis, voire même le début d’une douleur qui oui semble s’intensifier à qui se fier eh oh là ça commence à faire vraiment mal manquerait plus que ça saigne… « Faudrait voir à ne pas abuser du raki et fumer trop de pétards à la colombienne le soir, mon gars, disait le docteur Mancel, cela peut provoquer de mauvais rêves ».

Jérôme se tourne et retourne dans son lit, il a du mal à se rendormir, ce serait peut-être urgent d’aller consulter quand même, on ne sait jamais et Muriel qui marmonne dans son sommeil… ouvrir ouvrir ouvriiii… c’est ouvert… vers vers....


© Jacques Chesnel

19:14 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (2)

20/08/2013

UN CHANGEMENT

 

 

Le grand type avait changé, incontestablement, et pourtant il semblait toujours le même, il ME semblait toujours pareil, comme la première fois que je l’avais vu dans ce jardin d’enfant où il retournait souvent, où cette fois il n’y avait pas encore d’enfants, pas de cris, personne. Il marchait d’un pas irrégulier, à l’amble comme certains chevaux, il déambulait seul dans sa bulle sans but précis apparemment, à l’aveugle. Je l’ai suivi un moment avant qu’il se dirige subitement vers un des nombreux arbres de ce lieu et qu’il s’arrête devant un gros chêne dont il prit le tronc à bras le corps dans un geste théâtral, qu’il étreignit soudain comme le corps d’une femme, avec vigueur mais aussi précaution, posant sa tête sur l’écorce dans une attitude de soumission à son contact. Jérôme avait entendu à la radio le jardinier en chef du château de Versailles dire qu’il fallait parler aux plantes et aux arbres et là il était vraiment surpris de voir le grand type le faire devant lui. Il n’osait s’approcher, il voyait de loin ses lèvres remuer, il en était sûr, il parlait à l’arbre ; que pouvait-il, que voulait-il lui dire ?.

 On s’était moqué du Prince de Galles, le Charles Windsor aux grands oreilles quand il avait déclaré à la presse qu’il entretenait des relations particulières avec ses plantes en devisant souvent avec elles, qu’il attendait et entendait leurs réponses ; c’était aussi la théorie du psychologue expérimental allemand Gustav Theodor Fechner et de quelques autres personnes qu’on trouvait, comment dit-on, un peu bizarres, fêlées du ciboulot, non ?

Mais la question que se posait Jérôme de plus en plus curieux était ce changement qu’il ne savait expliquer. Le grand type lui semblait toujours identique à celui qu’il avait connu penché dans ce même jardin, en position oblique et pourtant… J’ai eu l’impression un moment que le chêne répondait aux embrassements du grand type, comme un frémissement/frissonnement dans les feuilles ou était-ce simplement un léger coup de vent, que le tronc s’épanouissait grâce à son enlacement, que se dégageait quelque chose d’indéfinissable dans cet accouplement insolite. Y avait-il un rapport avec le yoga dont il était professeur, un lien ésotérique entre cette pratique issue de la philosophie indienne, cette méditation/médiation entre le corps et l’esprit, ici entre l’humain et le végétal, était-ce cela ce changement que percevait intuitivement Jérôme ou n’était-ce qu’une simple illusion, une vue de l’esprit comme on dit trop rapidement, trop simplement.

Cela dura quelques minutes. Le grand type se détacha comme à regret du tronc, m’aperçut, vint lentement vers moi, me regarda longuement et sans un mot me prit dans ses bras me transmettant ainsi directement une énergie tellurique venant de la grande nuit des temps que l’arbre lui avait insufflé.

C’est au moment où les enfants entrèrent dans ce jardin en criant que soudain Jérôme se mit à pleurer… tandis que le grand type s’éloignait rapidement.


© Jacques Chesnel

 

11:15 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (2)

14/08/2013

JOUR D’ENNUI

 

 

Il y a des jours comme celui-là où je m’ennuie à mourir et je me demande si la mort ce n’est pas le maximum de l’ennui sauf qu’aujourd’hui je serais plutôt du côté des allez au pif soixante pour cent voire un chouia plus, ya encore de la marge, n’empêche. Et le pire, il me semble qu’il n’y a aucune raison apparente, d’ailleurs c’est toujours apparent voilà le problème, tout baigne donc, Muriel est revenue plus belle que jamais à croire que ses escapades lointaines mais bon, pas de factures, aucune dette, les parents vont bien, seul le cousin Charles, mon infortuné parrain fortuné, a des problèmes avec sa vésicule biliaire ou autre chose de plus grave dont personne ne parle mais lui fait comme si et je trouve qu’il a raison, la Volvo ronronne aussi fort que notre matou  qui va moins vite et le soleil fait comme dans la chanson d’hier, il brille brille brille, ce qui fait que je ne m’ennuie pas, je m’emmerde, j’ai beau essayer tous les trucs connus ou inconnus, j’ai coupé du bois déjà coupé , repeins la porte du garage qui n’en avait pas besoin, j’ai lu un tas de bouquins dont L’ennui de Moravia qui n’est pas si ennuyeux que ça, je me suis promené avec Anna Karina en criant comme elle que je ne savais pas quoi faire moyennant quoi je me suis engueulé avec Bébel, j’ai pissé dans un violon, regardé mon pouce plutôt que la lune, baillé à m’en décrocher les corneilles, branlé trois fois de suite dans les chiottes sans prendre aucun plaisir, trituré des plans sur la commère, paradé devant le taureau du voisin espérant que mais rien, pensé à la mort de Louis 16 qu’est clamsé couic le jour de mon anniversaire ce con, crié Jérôme 120 fois de suite à m’égosiller l’égo, j’ai traversé la rame sans la Manche, prié tous les saints seins dessins et  desseins à travers et à tort Totor, j’ai écouté tous mes CD (15) de signé Furax (là j’ai ri, faut quand même pas pousser), imaginé que je devenais transsexuelle, que je lisais Le Figaro (là j’ai pris un coup de sang) et La Croix (je roulais une pelle à François une fois seulement car), j’ai pété plus haut que la sous-ventrière de location, rameuté et affolé le village en criant Vive Poutou, Besancenot au poteau, Branlon-Lagarde à Matignon, sauté à pieds joints dans la fosse nasale à purin du fermier voisin qui vote FN, fait la course avec une tortue qu’est arrivée avant moi, monté au clocher pour me faire une sueur froide, taillé la haie qui n’existe plus depuis toujours, relu le blog de Popol Eden pour m’exciter un peu avec les annotations oh ! merci Popol, démoli le caisson de décompression, sauté de la marche avec entrain, rembobiné toutes les bobines débobinées et débibonées (sacré boulot), attaqué l’Everest sur la couverture endommagée de Géo, arrosé les plantes arrosées la veille (Jérôôôôme !!!), battu tous les sentiers du conformisme des cons (énorme boulot), refait l’histoire en sens inverse, essayé de sortir de mes gonds avec des gants, fait un bouclier de mon cor sans corps à corps,  pouffé sur tous le poufs de la maison …

… et quand j’en ai eu bien marre, je me suis mis à lire les Nouvelles de Julio Cortázar. Je peux vous assurer que là j’avais trouvé le bon remède à mon ennui subitement totalement disparu.

-       Jérôme, tu savais que Julio aurait eu cent ans l’année prochaine.

Muriel est au courant de tout, comme dans la famille Branlon-Lagarde. Comme quoi.


©  Jacques Chesnel

19:32 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (2)

10/08/2013

OBLIQUES

 

Le grand type restait penché, en avant, bizarrement, sans bouger, comme ces automates dans les jardins publics pour attirer les enfants et les curieux. Je l’observais, le vent faisait trembler un peu le bas du manteau de cette silhouette immobile, je m’approchais doucement et lui demandais si ça allait, s’il y avait un problème, il me regarda en souriant et me répondit : « je penche donc je suis ». Nous partîmes tous le deux d’un franc éclat de rire, libérateur pour moi qui avait eu un court instant une pincée d’inquiétude, un peu goguenard en ce qui le concerne. C’est un truc qui me réussit quand je me pose des questions, me dit-il, je n’ai rien trouvé de mieux, de plus rassurant en ce qui me concerne, j’évacue, je me libère dans cette position, la seule qui jusque-là me réussit. Je pense comme je fuis également, ajouta-t-il, pour me débarrasser rapidement de mes soucis, de mes problèmes de mes emmerdes. Je n’osais lui en demander plus quand il me dit essayez, vous verrez peut-être qu’à vous aussi. Il devait avoir dans les trente trente-cinq ans et ressemblait à Romain Duris dans L’écume des jours, le film de Michel Gondry que je venais de voir il y a peu, coïncidence, sa barbe était seulement un peu plus fournie, son sourire toutefois aussi ironique, ses yeux également malicieux. Il restait toujours penché pendant ce début de conversation et me répondait d’une voix grave détonant avec ce sourire ou ce rictus, je ne savais plus quoi en penser. Allez faites un effort penchez-vous là encore un peu voilà. J’avais le sentiment de devenir un peu idiot en obéissant à son injonction mais je me suis tout de même penché comme lui en regardant autour de moi pour voir si… Ce mec se fout de moi et comme un con voilà que j’obéis, Jérôme que t’arrive-t-il ?. Je dois vous dire, continua-t-il, que si les grands philosophes avaient pensé à se mettre plus souvent dans cette position au cours de leurs recherches et réflexions, je suis certain que la face du monde aurait changée ; et je m’imaginais alors Socrate, Aristote, Spinoza, Descartes, Bergson et Derrida (tiens pourquoi ceux-là, vous les voyez, vous ?) dans cette posture, cette attitude plutôt étrange en ce lieu, ce petit jardin public rempli des jeux et des cris de ces enfants qui semblaient ne rien voir de ces deux messieurs penchés, un peu ballots, pénétrés de l’esprit de tous ces grands penseurs à l’allure niaise et vraiment bizarre dans leurs penchants. Bon je sens que la plaisanterie ne va pas encore durer longtemps mais je ne me redressai toujours pas, lui non plus, quand Muriel à qui j’avais donné rendez-vous là s’approcha de nous et nous aborda en ces termes : « Eh bien les garçons qu’est-ce qui vous arrive ?, vous vous prenez pour la tour de Pise en double ? ». Chut, argumenta Romain Duris ne nous troublez pas, je vous prie, c’est en train de venir, n’est-ce pas Jérôme. Imaginez ma surprise, ainsi Muriel connaissait ce quidam qu’elle retrouvait en ma compagnie. « Je te présente Rodolphe, mon génial prof de yoga et de tai chi dont je t’avais parlé, dit-elle avec son sourire craquant, je constate avec étonnement que vous avez fait connaissance sans moi ». Nous quittâmes alors notre position oblique et une fois redressés, Rodolphe révéla comme une évidence : « Le principal, lors de cet exercice, est bien de ne pas tomber du côté où l’on se penche et où on se pense, n’est-ce pas Jérôme ». Autour de nous, les enfants criaient de plus en plus fort.

© Jacques Chesnel

12:10 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (2)