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27/03/2010

CONVERSATION 20

 

- bouououh, j'ai eu chaud ce matin

- dites vite, vous me faites peur

- j'ai piqué une de ces suées, je n'avais plus un poil ni un pli de sec ni le reste aussi

- là, j'ai carrément les jetons

- ya d'quoi, j'avais perdu mes clés

- mais moi ça m'arrive tous les jours et je panique pas pour autant

- eh ben, vous avez de la chance parce que moi je suis ordonnatrice sévère et le moindre grain de sable ça me

- ya pourtant pas de sable dans vos clés

- nan, mais les enfants et mon mari sont tellement bordéliques, tenez par exemple, au moment de partir tiens plus de clés, si c'était encore le portable avec celui qui reste allumé on appelle tuitetuitetuite on le retrouve tout de suite sous un coussin ou sous le canapé ou mais les clés

- faudrait mettre une sonnerie à vos trousseaux, comme ça...

- tiens c'est une idée à creuser

- vous voulez pas dire à approfondir plutôt

- avec ce qu'ils inventent maint'nant, j'ai même vu des bébés robots à la télé qui pleurent et font pipi qu'il faut les changer

- moi j'ai vu une ferme avec des animaux robots, avec une vraie fermière pour la traite de vrai lait

- avec des pis robots en plastic ?

- bientôt on aura pus besoin de clés, on arrive devant la porte on pense: ouverture, clic, et c'est parti on pense: fermeture, clac, pareil

- peut y avoir un hic, non ? et si on pense à aut'chose ou qu'on pense à rien comme ça m'arrive souvent

- vous attendez dehors ou dedans que ça vous revienne, on appelle ça l'intelligence artificielle

- franchement je ne vois pas ce que l'artifice vient faire là, d'autant que si quelqu'un est con comme

- heu, ça l'empêche pas de penser mais il peut se gourer et là ya pas de dépanneur pour le clic-clac

- ce qui prouve que c'est pas encore au point

- moi, à part les clés et le portable, ce qui m'inquiète aussi c'est le gaz quand on part en vacances ou la lumière dans la salle de bains

- au premier carrefour, je dis toujours à Roger, t'as pensé au gaz ?  et toi t'as éteindu la lampe du lavabo qui me fait ?

- avec l'intelligence des artifices, ça peut marcher dans un rayon fixé par l'inventeur mais pas plus d'un kilomètre à la ronde

- ouf, on est sauvés, le premier carrefour est à six cents mètres, c'est un rond-point avant régionale moquette discount

- alors là, attention, ils aiment pas les complications, ça fait tourner tous les logiciels en bourrique, ya des limites à pas franchir, c'est pas encore la panne assez universelle, ya encore du boulot, ils en sont aux prêts de miss sur des souris

- des souris ? artificielles ?

- c'est encore à l'état de laboratoire avec de vraies bestioles

- des vraies ? mais alors et les droits de l'homme ?... n'empêche, je trouve qu'on joue avec le feu et qu'on sait pas comment ça va continuer longtemps comme ça

- j'pense à mon père qu'était mécano à la SNCF et qui disait qu'on arrête pas le progrès sur les machines à vapeur d'avant-guerre... il en reviendrait pas

- surtout si il aurait oublié ses clés, son portable fermé sous le canapé,  le gaz et la lumière avant le rond-point  je vous dis pas la suite, le mien il avait une peur folles des souris

- heureusement qui sont plus là, ils repartiraient aussitôt

- vive le progrès quand même... tiens, je m'demande bien où j'ai pu fourrer mes clés que je les trouve plus que ah ben merde je

- dites, manquerait plus qu'ça.


©  Jacques Chesnel



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22/03/2010

PROUST OU PAS

(à Jean Derval)

A chaque fois c'était pareil, inévitable, on ne pouvait pas s'en empêcher, tous les ans tous les étés au moment du café à l'ombre dans le jardin... qui allait commencer le premier lui ou moi on se regardait sourire en coin les femmes aux aguets qui va commencer bon les hommes pas question y en a marre tous les ans vos discussions à n'en plus finir c'est bon oui on a encore rien dit on se moque seulement de Raffarin tu sais le rocker à la tronche de guignol lyonnais arrête on a dit pas le physique quoi alors la pente est forte ohohoh le mec et il se prend au sérieux au fait alors tu t'y es mis les femmes alors là vraiment on vous laisse ce n'est pas possible y en vraiment assez quoi-qui on vous voit venir gros comme une montagne avec vos drôles de mines... je repose ma tasse et lui la sienne tu sais bien que je n'ai jamais pu aller plus loin que mettons dix pages au plus les femmes allaient partir on va à la plage bande de nases avec votre Marcel hé doucement ricane-t-on tu as tort il faut faire un effort ça paie il y a comme un envoûtement mais ça m'emmerde mon cher Jean-Jacques envoûtement ou pas ça m'emmerde Proust bon mais toi tu as lu Philip Roth ? non bon tu vois moi je le relis tous les trois ans comme Faulkner maintenant dans l'ordre puisque tout est publié moi aussi ducon je le relis pas dans l'ordre ça n'a pas d'importance je m'en fous je ne peux pas tu comprends JE NE PEUX PAS hé ne crie pas si fort les enfants siestent attends je vais refaire du café tu as du whisky oui du pur malt je ne sais pas attends il y a dans les jeunes filles comme un parfum j'aime pas son parfum na je reste seul avec un chaton qui fait des bonds dans la pelouse pas tondue j'ai du Jameson ça te va ce n'est pas pur malt mais bon... tu sais qu'on passe un film sur Albert Ayler ce soir à la fondation Maeght oh ! oui oui c'est dans le journal mais j'aime pas Albert Ayler on éclate de rire tous les deux ahahah elle est bonne celle-là tu me bassines avec ton Marcel par-ci Proust par-là et tu n'aimes pas l'Albert allez viens il y aura Michel et Arlette tu sais ceux de Bonneval on a trouvé quelqu'un pour garder les mômes une fille de l'est genre bimbo wooh je te dis pas je la connais je lui ai prêté A la recherche... et elle l'a pas trouvé quel con mais quel con tu fais et elle lis très bien le français elle connaît bien notre langue la tienne ah non je t'en prie pas toi Jean-Jacques je te promets si tu viens avec nous je te le jure sur moi et sur toi je le lirais jusqu'au bout ton Marcel peut-être mais moi j'aime toujours pas ton Albert...

Jean-Jacques vint avec nous. Le public trente ans après les fameuses nuits était toujours aussi partagé et les commentaires allaient bon train génial ou cinglé ou les deux. Le lendemain au rituel du café les femmes restèrent on avait promis on en parle pas tu sais tout compte fait hum Ayler il y a quelque chose de... enfin comme chez Marcel finalement non ?.

Jean-Jacques  souriait. Il  avait l'air heureux.

Moi aussi.


©  Jacques Chesnel  (jazz divagations)


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13/03/2010

LE PARI DE JEANNE OU LES DÉSEMPARÉS -2

LE PARI DE JEANNE OU LES DÉSEMPARÉS (suite)

2/ Louis

Il laissa retomber son bras comme un con, avait-elle cru qu'il pourrait la frapper ?. Pas son genre ; déjà à l'école évitant les bagarres dans la cour d'école, aux leçons de karaté dans sa jeunesse, on lui reprochait de ne pas se lancer, d'attaquer, de foncer, il s'était fait réformer au service militaire par horreur de la bataille, de la guerre provoquant le courroux de son père militaire de carrière, ire plus manifeste encore quand celui-ci avait appris que son fils bien-aimé qu'il voyait un jour haut gradé dans la marine n'aimait pas les filles. Louis restait derrière la porte hésitant à la poursuivre, premier incident/incendie grave suite à des accrochages des broutilles mais de plus en plus fréquent(e)s. Il était convaincu d'aimer vraiment cette femme la première l'unique depuis sa rupture avec Lionel après neuf ans de vie commune sans tapage sauf quelquefois pour les garçons. Les images de la première rencontre avec Jeanne dans ce bar-dancing où il allait pour draguer des mecs, c'était elle qui l'avait par son regard presque invité à danser ce slow à la mode  son sourire  ses yeux son silence cette façon de se livrer se délivrer dans ses bras sans se frotter comme les minets vicieux qui se croyaient irrésistibles (quoique certains) elle s'était écartée un peu lorsque son érection était devenue trop évidente elle avait simplement murmuré chut un doigt sur ses lèvres sans rouge chuttttt prolongé, troublés tous les deux lui encore plus car une femme pour la première fois j'aimerais vous revoir entendit-il dire d'une voix qui ressemblait à la sienne elle n'avait pas dit non juste l'esquisse exquise d'une moue dubitative.

Louis s'assit et se prit la tête dans les mains ce qu'il ne faisait jamais et pensa à Eric le barman du bistrot du coin que tout le monde appelait Vincent Lindon et qu'il considérait comme un confident fiable déjà du temps de Lionel quand il se questionnait sur leur avenir. Se lever fut difficile, il n'avait plus de jambes, aucun ressort musculaire. Il se dirige vers le couloir, revient vers le fauteuil, elle était là Jeanne sur la plage à Royan dans son maillot de bain une pièce si belle à en pleurer, Jeanne là dans le funiculaire vers le Tibidabo à Barcelone hurlant dans les montagnes russes je vais vomiiiir Jeanne là à Honfleur devant les galeries de peintures toutes pareilles port et bateaux tous identiques

Jeanne au cinéma aimant tous les films de Woody Allen avec une préférence pour La rose pourpre du Caire Jeanne toujours cette fois dans le train de nuit pour Rome on va être sage Louis non ? tu as tout le temps envie Jeanne assise sur la chaise de la statue à côté de Fernando Pessoa à Lisbonne Jeanne encore écoutant religieusement Martial Solal dans un club Jeanne et les premières grimaces de douleur sur son visage qu'il connaissait par cœur... et le téléphone qui soudain sonne dans l'entrée Jeanne ?. Message publicitaire par robot, il cria merde in/utilement dans le récepteur qu'il envoya valdinguer rageusement. Il n'avait pas besoin de se demander s'il l'aimait OUI pas l'ombre de l'ombre d'un doute.

Dehors la pluie continuait de tomber. La manif' se terminait. Un type le bouscula hors du trottoir oh hé pardon. Il pensa téléphoner à Lionel mais quoi lui dire alors que  Eric oui peut-être il entra dans le rade bondé salut Vincent cela lui faisait plaisir de le voir avec son air placide son regard si rassurant dans l'atmosphère agitée et bruyante. Le barman l'accueillit par ce franc sourire spécial qu'il réservait pour les amis les habitués les connaissances les plus sympathiques. Comment va ? heu pas terrible dis-moi Jeanne, je l'ai vue tout à l'heure elle n'avait pas l'air bien il y a un problème ? oui enfin non elle a dit quelque chose ? Eric essuyait le comptoir machinalement non elle marmonnait bredouillait elle a bu un martini qu'elle a heu rendu aussitôt enfin son portable avait sonné, qui ? je ne sais pas... il lui fallait la retrouver, où allait-elle, était-elle capable de ? il croyait non il ne croyait pas que sait-on de ceux qu'on aime tout et rien à la fois depuis deux ans si près si loin.

Louis commanda une bière qu'il but à peine, regarda dehors comme s'il attendait le retour de Jeanne, chancelant, son corps se dérobant à son insu, il rejoignit une table vide et s'assit lourdement sur une chaise inhospitalière. Dans sa tête, les idées se bousculaient comme des petites auto-tamponneuses, suffoquant il ouvrit le col de sa chemise, il se leva et sortit repoussant au passage un groupe de jeunes en pleine discussion. Son cri, sorte de hululement, fit se retourner la queue de la manif en dispersion. Un jeune homme de détache et s'approche de lui, inquiet, prévenant, Jérôme, le fils de Jeanne. Il le reconnut tout de suite.


...(à suivre)...



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01/03/2010

PAUL, IGOR, CAT ET LE PHARAON

Ces années-là, le festival de Juan-les-Pins c'était vraiment formidable, Charles Mingus avec Eric Dolphy, le nouveau quintette de Miles Davis avec Wayne Shorter,  Herbie Hancock, Ron Carter et Tony Williams, les orchestres de Don Ellis et de Woody Herman, John Coltrane et A Love Supreme, Chris McGregor et les Blue Notes, les jam-sessions et autres bœufs au Pam-Pam, et les Français Jef Gilson, Bernard Lubat, Jean-Luc Ponty, Martial Solal, les Double-Six... toute une époque révolue, que de souvenirs...

Tenez, par exemple : 1966, Duke Ellington et son Orchestre avec Ella Fitzgerald, le quartet de Charles Lloyd avec Keith Jarrett, Cecil McBee et Jack DeJohnette pour la première fois en France. Le pianiste fit forte impression et fut vraiment LA révélation du festival.

Notre cher Maurice Cullaz, ami de tous les musiciens et alors Président de l'Académie du Jazz avait réussi à trouver un lieu nommé Music Hall d'Eté situé derrière le Vieux Colombier afin d'organiser des jam-sessions après les concerts. La nouvelle fit le tour de Juan grâce à des petits cartons d'invitation que nous distribuions partout... et le moins qu'on puisse dire c'est qu'avec le bouche-à-oreilles en plus le succès fut immédiat, l'assistance nombreuse chaque soir... et particulièrement cette nuit au cours de laquelle Keith Jarrett se mit au piano accompagné par Jack DeJohnette à la batterie, oui vous avez bien lu, qui furent rejoint par le trompettiste Cat Anderson, le spécialiste du suraigu dans l'orchestre du Duke qui s'écriait à la fin du morceau : « j'ai joué free, j'ai joué free !!! ». C'est au cours de cette soirée mémorable que le saxophoniste Paul Gonsalves, l'auteur des 27 chorus sur Diminuendo and Crescendo in Blue au festival de Newport 1956, passablement excité, fonça littéralement sur moi en brandissant le fameux petit carton, le posa au verso sur la table et me demanda : « write me a number » en me tendant son stylo ; plus qu'étonné et pourquoi ne pas le dire ravi, j'écrivis le chiffre 7 en plein milieu ;en quelques secondes il fit ce dessin qu'il signa et me donna en disant :

« voici le portrait d'Igor Stravinski ! »

 

IMAGE STRAVINKY.png

 

Le lendemain, nous invitions, Michel Delorme et moi, dans nos décapotables rouges, un Cat Anderson, décidé à se payer du bon temps, au vernissage de Ben à la galerie Jacques Casanova à Antibes. Nous n'avions jamais vu auparavant un chat prenant un tel pied au cours d'un vernissage pendant lequel chaque personne étaient invitée dès l'entrée à dérouler un rouleau de papier hygiénique rose dans la rue « it's possible, I can do that ? really ? » demandait le musicien hilare tandis que le performer faisait de la dripping music, son assistant monté sur une échelle déversant de l'eau sur un parapluie que Ben tenait cérémonieusement... et que dans la rue il y avait un bordel monstre avec notre Cat mort de rire...

Deux ans plus tard, 1968. Michel Delorme l'infatigable, cherche désespérément un lieu pour bœuf suite à l'éphémère Music Hall d'Eté... Il rencontre par hasard une personne qui tient une boîte de nuit au nom prédestiné le Early Bird (cela ne s'invente pas !) et propose au patron prénommé Hector (cela ne s'invente pas non plus !) de lui faire venir du monde après ses strip-teaseuses et son comique à deux balles, à condition d'embaucher un trio piano-contrebasse-batterie comme élément de base... et hop convaincu pour un essai, l'Hector engage Siegfried Kessler au piano, le contrebassiste Jean-François Catoire et Christian Vander à la batterie ; résultat : cela ne désemplit pas après les concerts du Festival qui avait comme vedette cette année-là le saxophoniste ténor qui avait fait un véritable tabac : Pharoah Sanders...  Après sa prestation, l'inlassable Michel Delorme demande au Pharaon alors beau comme un dieu, de venir faire le bœuf et annonce l'occasion à tous les aficionados qui répercutent à tous les amateurs. La boîte est pleine à ras bord, Michel Roques s'est joint au trio et l'atmosphère est déjà caliente quand se pointe Pharoah cornaqué par M.D. Un frisson parcourt l'assistance au souvenir de sa prestation sur scène, le frisson tournant au cauchemar lorsque le musicien se lève au bout de vingt minutes et sort... pour aller à l'hôtel chercher son instrument et rejoindre les musiciens sur le thème The Holy One, enregistré sous le titre The Creator has a Master Plan. Ce fut du délire pendant près de deux heures, prestation digne des plus grands chases, Michel Roques tirant remarquablement son épingle du jeu. J'en ai encore la chemise trempée aujourd'hui quand j'y pense... alors qu'à ce moment inoubliable j'étais coincé entre deux créatures de rêve, les strip-teaseuses superbes et emballées, qui ne me faisaient pas rêver du tout tant j'étais emporté, ballotté, brinqueballé dans ce tourbillon, ouragan, maelstrom musical inespéré...

Il se passait tellement de choses au cours de ces années 60  à Antibes-Juan-les-Pins...

 

© Jacques Chesnel (Jazz divagations)

 

 

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