Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

26/02/2010

LE PARI DE JEANNE ou LES DÉSEMPARÉS -1

(Roman - feuilleton)


1/ Jeanne


Jeanne sortit en claquant la porte, brutalement. Désemparée, désorientée, elle ne savait plus quoi penser, elle ne comprenait pas, elle ne comprenait plus. Elle avait quitté son mari pour Louis, elle avait tout quitté, ses enfants l'avaient accepté et maintenant... sur le palier, elle s'arrêta pour allumer une cigarette, le briquet ne fonctionnait pas, elle jeta la cigarette avec l'appareil, tant pis. Elle eut un rire nerveux, court, au début des marches qu'elle faillit louper, il ne manquerait plus que ça ! Puis elle sentit comme une envie de rire prolongé malgré la situation - oh pardon dit-elle bousculant un vieil homme qui montait lentement - il n'y a pas de mal, madame, répondit-il.

Fallait-il en faire un drame ? Allait-elle revenir comme les autres fois et puis les nouvelles lubies de Louis, ce ne pouvait être que des lubies non ?, maintenant cet embrouillamini  dans sa tête depuis qu'on lui avait annoncé sa maladie heu vous savez on n'était pas sûr... il y avait encore des examens maintenant on a de nouveaux remèdes de nouvelles pistes des progrès réalisés que... nous avons plusieurs cas similaires... et ses retrouvailles avec un copain d'enfance devenu prêtre un curé de banlieue à problèmes d'un genre un peu allumé, ces longues discussions inutiles ces croyances-là, il y a longtemps qu'elle n'y pensait plus et même du tout...

L'air de la rue lui fit du bien. Elle pila au coup de klaxon - ohé la p'tite dame faut faire gaffe quand on traverse et les clous c'est pas fait pour les chiens !  Alors elle lui décocha son plus beau sourire; le type haussa les épaules.

Cela fait cliché de série B, pensa-t-elle, mais je boirais bien un verre, au bar, le serveur ressemblait à Vincent Lindon qu'elle avait bien aimé dans Jecrois que je l'aime alors qu' à l'instant même elle n'était plus sûr du tout pour Louis. Vincent Lindon la regarda lui sourit et demanda - ça va ? Et elle vomit son martini sur le comptoir splaaaatch ! tandis que son portable vibrait dans son sac.

Dehors on entendait une sirène de police qui s'approchait à cause de la manif des sans-papiers. En sortant elle n'entendait rien dans le bigophone à cause du bruit. Elle vit que l'appel venait d'Héloïse la petite dernière qui étudiait pour un master en néonatologie, un texto : rappelle-moi . Un type passa avec une pancarte des papiers pour tous en braillant dans son autre oreille tous nos camarades travailleurs...

Désemparée, oui, tout d'un coup elle ne savait plus où aller. Elle avait des taches de martini sur son chemisier et mal au talon gauche. Elle boitait. Un peu emportée par la foule, comme dans la chanson, elle scanda : - il faut que je me reprenne... il faut que je me reprenne il faut que...

Lui revint la voix de Louis, celle de leur dernière engueulade... à propos de quoi ? ... tais-toi... cet air buté qu'elle ne lui connaissait pas et sa main levée comme s'il allait la frapper...

Jeanne n'allait pas en rester là, c'était mal la connaître. Depuis l'adolescence, elle était de tous les combats notamment pour la cause féminine, ayant lu tout ou presque de l'œuvre de Simone de Beauvoir, admirant Gisèle Halimi et son verbe toujours enflammé, participant activement aux défilés, approuvant le mouvement ni putes ni soumises mais sans engagement total toutefois par une appréhension sans doute injustifiée.

Il lui fallait prendre une décision rapide, quasi immédiate, cela ne pouvait plus durer : changer, se transformer, muter, devenir méconnaissable oui parfaitement mé-con-nais-sa-bleu de l'intérieur comme de l'extérieur dans sa tête dans son apparence physique, se fondre dans l'altérité, devenir une autre Jeanne tout en réalisant que cela lui paraissait inconcevable, improbable, impossible :

UNE AUTRE JEANNE pensait-elle oui mais... il faudrait prévenir Alain au cabinet avec tout le programme en retard pour annuler le voyage à Madrid et son agitation tant pis pour ce nouveau congrès d'orthodontie elle n'aurait pas la force de discuter de débattre se battre aussi contre les vieux schnocks libidineux pas assez concentrée elle se voyait déjà non elle avait du mal à imaginer UNE AUTRE JEANNE et pourtant...

D'un coup une pensée pour son père célèbre avocat des causes perdues d'avance souvent gagnées mais toujours vaillant malgré son âge avec ses on ne se refait pas ma fille on ne se refait pas eh bien papa on allait voir ça de plus près... un instant bref elle se demanda si Louis voulait vraiment la frapper ce n'était pas de lui cette main levée celle d'un AUTRE Louis ?. Maintenant, le souffle coupé, il lui fallait s'asseoir, entrer dans ce jardin public, trouver un banc, vite. Elle transpirait et sentait des auréoles de sueur envahir ses aisselles, quelle horreur. Jeanne put enfin se poser pour se reposer. Il était temps.

Assise, elle essaie de lutter contre ce tourbillon de pensées qui l'envahissent, elle tente de contrôler les battements de son cœur, de respirer comme le lui a enseigné sa prof de yoga, avec le ventre Jeanne avec le ventre, elle se débat contre une sorte de déshérence physique et morale, de flottement, d'affolement, avec le ventre Jeanne le diaphragme , elle semble se détendre et sourit enfin lorsqu'un moineau s'approche si près d'elle si près et lui lance un petit cri tchip tchip qu'elle prend pour un signe inconnu, d'autres pensées s'agglutinent, se bousculent, s'entremêlent alors qu'elle veut les effacer toutes, et revient alors cette obsession lancinante, sa volonté de changer tout changer comment changer...

Un vagabond passe non loin, grand Apollon noir en guenilles, la regarde et lui fait chuuuutt avec un doigt sur les lèvres, voit-il son désarroi, est-il si visible sur son visage, elle lui répond en faisant le même geste, cela lui fait du bien chuuuutt. Alors qu'elle veut faire en elle le vide, total, les idées, pensées et souvenirs se précipitent toujours en trombes et avalanches, comment s'en défaire, il ne suffit pas de le vouloir, trouver une solution, LA solution, surtout pas changer de sexe, non mais alors quelle idée conne. Souvent - dans quelques circonstances particulières, par exemple lors de ces soirées entre amis où l'hypocrisie bat son plein - cette éventualité de disparaître pour réapparaître autre d'un seul coup, d'une pichenette, en remuant le nez comme ma sorcière bien-aimée lui avait parue facile allez hop avant que Franck, puis Louis plus tard, l'entourent d'un bras protecteur ça va ma chérie, tu veux boire quelque chose... elle avait également lu des ouvrages, études, théories plus ou moins floues ou fumeuses, d'autres plus sérieuses ou ésotériques, des expériences, des témoignages, elle ne cherchait pas un mode d'emploi mais plutôt des pistes, les pièges à éviter...

Jeanne avait déjà lu ou entendu parler de la théorie de la personnalité et changement de la personnalité, elle avait essayé de lire "le paradigme du refoulement", "le paradigme du contenu", "le processus expérientiel", travaux d'un éminent chercheur connu dans le monde entier,  professeur dans une université américaine...

... et n'avait rien, mais rien du tout compris, elle était retournée mille fois sur le site web correspondant, tout cela ne semblait pas la concerner, le plus simple lui semblait être un coup de baguette magique d'un prestidigitateur et hop ! voici mesdames et messieurs la nouvelle Jeanne comme à Pigalle les affiches : la Nouvelle Eve. La nouvelle Jeanne, l'autre Jeanne. Apollon repasse mais ne sourit plus car il voit un rictus sur le visage de cette jeune femme, il s'approche, non ce n'est rien laissez moi je vous en prie ; la douleur est revenue subrepticement, insidieuse, diffuse d'abord, puis plus précise avant de s'effacer lentement, Jeanne halète, Apollon surveille de loin, aux aguets au cas où... non fait-elle de la tête, elle se lève pour aller où ? ; le portable vibre dans son sac, Héloïse ?, Jérôme ?, Louis ?, Papa ?.


... (à suivre)



17:13 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (1)

19/02/2010

CONVERSATION 9

- eh ben ça alors dites-moi donc

- c'est-à-dire

- je n'en reviens pas

- d'où ?

- quoi ?

- ben, d'où vous revenez

- ah ! je reviens de nulle part sauf de chez moi, ce n'est qu'une façon de parler

- bon, alors

- mais hein, attention, j'ai dérouillé

- dévérouillé ?

- non dérouillé, j'ai été pris dans une rafle et confondu

- contondu ?

- oh vous perdez de la feuille ou quoi... oui confondu avec un mec reherché pour meurtre... peut-être un terroriste... enfin...

- je n'en reviens pas

- vous l'avez déjà dit plus haut

- oui mais là c'est grave

- pire

- pire que grave ?

- ya pas de mot, si un seul, l'enfer

- vous m'inquiétez, l'enfer étant les autres, ils étaient plusieurs

- dans la rafle oui mais c'est moi qui a trinqué

- ah bon ils vous ont fait boire

- si on veut mais la tête dans le lavabo

- non, comme dans les films ?

- pire que les films

- ben oui puisque c'était pas du cinéma

- on a le droit de le faire encore

- le droit ils le prennent, ils on tous les droits

- je vous l'ai dit, ils m'on pris pour un autre

- qui ?

- un mec recherché pour meurtre en portrait-robot

- on met des robots partout maintenant

- moi c'est la moustache

- des moustaches aux robots, vous rigolez

- eh bien non, je n'ai pas ri, pas du tout

- vous n'avez qu'a vous la couper

- comme vous y allez

- un coup de rasoir et hop un berbe ou deux

- sauf que je l'ai depuis je ne m'en souviens plus

- oui ya eu un film là-dessus

- je l'ai pas vu... moi le cinéma

- c'est pas pire que dans la vie réelle

- pourquoi réelle ?

- ben maintenant avec le virtuel

- en tout cas les cognes ils étaient bien réels parce que

- il y en qui vous foute à poil des fois que

- et qui vous fouille tout partout

- moi j'ai avoué tout de suite alors

- vous avez dit que vous n'avez rien à voir

- de toute façon ils n'écoutent pas alors

- alors rien... en garde à vue illico

- mais

- ya pas de mais dans une rafle

- vous avez appelé un avocat ?

- non la manif était interdite

- la manif peut-être pas le baveux

- allez dire ça aux flics

- et maintenant les gosses

- quoi les gosses

- allez hop à 12 ans au gnouf

- oh

- même qu'on détecte leur avenir dès 3 ans à la maternelle

- vous rigolez

- moi non, c'est sérieux

- alors on prend un môme, si il se bat avec un autre

- fiché violent...gamin à suivre, comportement suspect

- et celui qui se marre tout le temps

- comique, peut devenir critique... fiché... voyez  Bedos

- le cossard

- improductif donc nuisible... fiché

- timide

- fiché... peut devenir influençable

- rien de particulier

- pas normal... suspect, lui aussi fiché

- ça alors, je n'en reviens pas

- vous l'avez déjà dit

- puis les fous maintenant

- pourquoi maintenant, y en avait pas avant

- ils sont tous dans la rue

- vous parlez des manifestants

- non des fous

- ah! des fous qui manifestent pour pouvoir manifester

- on n'est plus chez nous

- chez eux on les enferme

- ben il manquerait plus que ça

- tenez hier on me demande l'heure

- et alors

- j'ai tout de suite vu qu'il était fou

- oui ?

- il m'a dit parce que ça change tout le temps, air connu

- ben... il a pas raison ?

- oui, encore un qui devait être agité à la maternelle

- il a de la chance d'en être sorti parce que d'après monseigneur Lefèvre, hop au gnouf

- ah ! les curés maintenant

- ma femme me dit que les psys...

- oh ceux là c'est les pires qu'on dit

- elle a été en voir un, à peine arrivé il lui demande de s'allonger

- c'est pas vrai

- si, et que ce sera 200 euros la séance

- alors

- elle a porté plainte pour incitation à la débauche... et on l'a prise pour une folle, alors enfermée du genre vol au-dessus d'un nid

- quand même

- bon je vous quitte c'est l'heure de la visite... l'hopital ferme à cinq heures

- comment qu'elle était vot' femme à la garderie d'enfants ?

- une vraie sainte comme pas deux

- ah! vous voyez !


©  Jacques Chesnel  (Conversations)







18:53 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (0)

12/02/2010

CONVERSATION 8

- je ne sais pas encore pourquoi mais je sens bien le cinq dans la première, la distance, la corde et surtout la monte

- oui pour être en forme ce jockey l'est

- la passe de trois hier... avec une jolie cote

- fallait quand même oser

- qui ne risque rien

- bien sûr sinon c'est pas la peine de jouer

- et assurer ses arrières sinon

- pas tout mettre sur le même cheval

- c'est ce que disait Jules Berry à mon père avant guerre à Deauville

- ah ! il a connu Jules Berry, un sacré flambeur à ce qu'il paraît

- oh juste un copain de turf comme on en rencontre tous les jours...

c'était en 36 ou 37, il venait de terminer Le crime de Monsieur Lange, il dépensait tout ses ronds aux courtines mais sympa avec plein de mauvais tuyaux... puis s'il gagnait, hop ! au casino... perdu ! mon père aussi jouait mais à la boule seulement toujours le 7 pendant que ma maman dansait le lambeth walk à la mode et moi qui découvrait un orchestre de jazz joué par des nègres comme on disait à l'époque à la terrasse d'un bar le Chatham à Trouville de l'autre côté de la place

- les jockeys montent à cheval

- ma mère parlait mode et chapeau avec sa compagne l'actrice Suzy Prim qui veillait sur l'acteur car le fric lui démangeait les doigts de ses mains qui voletaient comme des oies dans ses films

- je crois que je vais mettre vingt euros sur ce cinq

- un fils de Montjeu... pourquoi pas

- avec Olivier Peslier sur le dos et sur seize cents mètre en ligne droite à huit contre un c'est jouable

- et le terrain est souple

- il y en a qui volent littéralement sur du lourd

- ben faut vraiment connaître les origines tenez mon père

- partis

- merde j'ai pas eu le temps de jouer ils ont fermé le guichet devant moi... il y avait la queue

- ce spiqueur m'énerve il parle trop vite

- à l'entrée de la ligne droite la casque orange et grise du numéro onze mène toujours devant le cinq qui se rapproche le long de la corde à deux cents mètres du poteau le cinq est sollicité par son jockey mais se fait coiffer d'une tête sur le poteau par le neuf extrait comme un flèche du peloton à la cote de

- houla à vingt et un ça faire mal en trio... le cinq est combien ?

- ma spécialité c'est plutôt le trot

- pas moi et puis empêcher les bourrins de galoper j'avoue que

- on les empêche pas on les conditionne

- peut-être mais ce n'est pas une allure naturelle... pour aller le plus vite possible un cheval galope non ?... vous avez quelquefois vu John Wayne trotter dans les westerns hein !

- dans ces films ya toujours des ternes qui vont à l'ouest

- ah ! monsieur plaisante... tiens un changement de monte dans la troisième... question de poids ou...

- et les obstacles ?

- alors là c'est autre chose... quand on montre l'obstacle au cheval et qu'on lui fait comprendre qu'il va falloir courir et le sauter puis gagner la course, qu'il redresse ses oreilles c'est marrant

- vous croyez vraiment qu'il comprend vraiment

- pardi !

- moi si je veux pas sauter je saute pas

- lui est conditionné pour pas vous

- les chevaux entrent en piste

- je vais jouer le changement de monte

- vous croyez que ça veut dire quelque chose

- non mais je joue toujours les changements de monte... tenez dimanche dernier à Chantilly j'ai touché le pactole

- et le nombre de fois que vous n'avez pas touché

- je compte plus... et puis on a tous nos petites manies

- moi je joue toujours les pouliches grises... un copain disait les gris c'est tout bon ou tout mauvais

- ya un gris dans cette course... un poulain

- aucune chance il est barré par Raffarinade en progrès

- oui mais c'est quand même un Aga Khan, une sacrée écurie

- Karim, oui j'ai connu celle du grand-père puis celle d'Ali qui avait épousé Rita Hayworth la dame de Shanghai du film d'Orson Welles... je me souviens d'elle à Deauville en 1950... quelle beauté... sa chevelure rousse...la reine du champ de courses... il y avait aussi à cette époque Madame Léon Volterra, son jockey Jean Deforge qui assurait sa monte,  Roger Poincelet dit le Professeur pour Marcel Boussac casque orange toque grise, l'australien W.R. Johnstone qu'on appelait le Crocodile, l'élégant Yves Saint-Martin et l'entraîneur François Mathet, Lester Piggott, Cash Asmussen, Freddy Head qui entraîne maintenant, le petit poids Ramel que j'aimais bien dans le handicap... un autre monde, les grandes dynasties de propriétaires les Rothschild Wildenstein la baronne Empain qui était vraiment mignonne la princesse de Faucigny-Lucinge qui l'était moins et le richissime américain Strassburger qui possédait une villa magnifique... maintenant il y a beaucoup de chevaux en multi-propriété... il y avait la pelouse le populo pique-nique saucisson et gros rouge, le pesage les aristos homard et champagne...on y jouait des centimes ou des fortunes, maintenant tout est mélangé, c'est pas plus mal, tout le monde joue souvent sans savoir grand-chose sur les origines des chevaux les distances l'état du terrain la corde... même les femmes avec les dates de naissance des gamins... alors... j'ai fait le plein d'histoires depuis le temps...

- vous êtes une vraie encyclopédie heu vivante

- nan, juste un amateur éclairé et âgé qui perd souvent mais... vous jouez quoi vous là ?

- un couplé, Raffarinade et Tortilla, je trouve que ça va bien ensemble, non ? et puis...

- les chevaux sont partis le huit a pris le commandement Tortilla ferme la marche tandis que le jockey de  Raffarinade sollicite déjà le poulain dans la forte pente de la ligne d'en face et... photo à l'arrivée une encolure  entre l'as et le deux...

- bon c'est pas encore pour cette fois, je suis quatrième et cinquième je me suis fait enfermé à l'entrée de la ligne droite

- attendez la dernière pour vous refaire

- quand ça veut pas...

- vous connaissez l'histoire du gars qui joue le sept et dit qu'il a gagné parce que son cheval est arrivé septième

- je crois bien que c'est du Coluche

- ce genre de blague les turfistes aiment pas trop

- ah !... et vous  vous avez vu le film des Marx Brothers... Un jour aux courses ?

- oui aussi... alors là, ils aiment.


©  Jacques Chesnel  (conversations)


14:02 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (1)

08/02/2010

SIX PERSONNES ÂGÉES EN QUÊTE DE HAUTEUR

 

THÉÂTRE


SIX PERSONNES ÂGÉES EN QUÊTE DE HAUTEUR

(in memoriam Luigi Pirandello, Six personnages en quête d'auteur)


Saynète à lire, en deux actes


Lieu : maison de retraite en région inconnue, de nos jours


Personnages : trois femmes : Renée, 92 ans, la doyenne

Danièlle, 84 ans

Simone, 78 ans

trois hommes : Claude, 81 ans

Serge, 79 ans

Gaston, 89 ans


Afin de mieux "se représenter" physiquement les personnages, une comparaison est faite avec des acteurs de cinéma des années 50 dits de second rôles ; ainsi Renée ressemble à Gabrielle Fontan, Danièlle à Suzanne Dehelly, Simone à Pauline Carton, Claude à Alerme, Serge à Noël Roquevert et Gaston à Jean Tissier.


Acte 1


Les  personnages sont à table dans la salle à manger et attendent qu'on leur apporte le repas.


. Serge - il paraît qu'aujourd'hui il y a du sauté de veau aux carottes

. Gaston - c'est pas ça qui va nous apporter de vitamines

. Renée - oh ! mon cher, vous êtes bien assez excité comme ça si vous voyez ce que je veux dire ah ah ah


rires sauf Gaston

 

. Gaston - je préfère mon excitation comme vous dites à votre somnolence perpétuelle comme vous êtes vous

. Simone - allons allons, ne recommencez pas à vous chamailler, c'est insupportable surtout à table

.  Gaston - on ne se chamaille pas car moi ce que j'en dis à table ou ailleurs c'est pour alimenter la conserv heu la conversation

. Renée - en plus des vitamines, ce qu'il nous faut maintenant  et vite c'est quelque chose de fort pour nous soutenir pour continuer à vivre et encore longtemps, on va pas décaniller comme ça, dites

. Serge - il y a un truc pour tout ça dans le veau AVEC les carottes, quand on était pétiot, on nous disait que ça nous aidait à grandir

. Claude (sortant de somnolence) - ya intérêt pasque moi à la toise hier pendant l'examen médical la doctore Raisse a trouvé que j'ai rapetissé (rires, toux)

. Danielle - ah! celle-là c'est la meilleure, vous ra-pe-tis-sez, vous mesurez combien maint'nant qu'on le dirait pas

. Claude (fanfaronnant) - devinez, ma chère... ah! voici le plat de résistance qui sent bon... avant ou après ? avant, un mètre quatre-vingt cinq, maintenant quatre-vingt deux, j'ai perdu trois centimètres que je ne sais pas où ils sont passés

. Renée - mon mari Henri avait perdu cinq centimètres en deux ans et n'avait pas pu les récupérer malgré tous ses efforts en salle de gym sous contrôle, vous avec vos trois vous avez encore de la marge

. Simone - est-ce que c'est pareil pour les femmes ?, déjà qu'avec nos problèmes enfin je veux dire la ménopause, l'osthéoporose, l'arthrose jusqu'au pot aux roses machin-chose, on est pas gâtées

. Renée - remarquez, tant qu'on n'est pas gâteuses... de toutes façons, on se tasse, le principal étant qu'on ne la boive pas et il y a de la marge

. Claude (laissant tomber sa serviette) - au moins sur le rapetissement on peut espérer l'égalité des sexes, ya pas de raison vu nos problèmes masculins

. Serge - oh! perdre de la hauteur ce n'est pas rien, regardez, pourquoi les hauts talons pour femme et les talonnettes pour homme, moindres remèdes

. Danielle - on dit aussi raccourcissement ou ratatinement, quoi qu'il en soit voilà bien une réduction, une diminution

. Claude - hé ! je ne me sens pas diminué, j'ai toute ma tête

. Danielle - bien sûr, sauf qu'elle passe plus facilement sous la porte

. Simone - je vois que le débat prend de la hauteur

. Serge - moquez-vous, ma chère, avec votre petite taille parfois vous paraissez si lointaine que

. Gaston - faudrait pas confondre, je rapetisse d'accord, je ne rétrécie pas, c'est seulement la taille, un phénomène lié à l'âge dit-on

. Danielle - bah ya tellement d'autres phénomènes, j'ai toujours bonne vue mais je perds un peu côté oreilles, les sons deviennent plus sourds

. Claude / Alerme - alors faut vous parler plus fort, plus fort comme ça (il hurle)

. Danielle - je vous ai pas demandé de crier, je ne suis pas sourde, pas encore, alors que vous avec vos centimètres qui se débinent, mon p'tit monsieur vous...

. Simone - la vieillesse est un naufrage, disait le grand Charles, donc le principal ce sont les bouées de sauvetage qu'il faut récupérer vite fait, non ?

. Serge - pour en revenir à notre problème, il y a paraît-il des  solutions, l'étirement et l'élongation vertébrale, à pratiquer sous conditions, tenez par exemple, vous mettez une barre sous le chambranle d'une porte et vous vous pendez par les bras

. Claude - et alors

. Serge - vous attendez, quand vous en avez marre, vous lâchez, on dit que ça marche, ça provoque la colonne vertébrale, enfin moi ce que j'en dis, je n'ai pas essayé, je n'arrive pas à attraper la barre

. Danielle - même en montant sur un p'tit banc comme pour se pendre et hop !

. Gaston - il paraît que ça fait de drôles de bruits incontrôlés, on baille, on rote, on pète, on s'étire se détire et on s'allonge on rallonge, alors demain j'essaie, prendre un peu de hauteur ça ne peut pas faire de mal vu que

. Simone - vous allez pas vous pendre quand mêêême, à votre âge, à moins que pour avoir une rérection, non ?

. Gaston - nan, pas de danger, j'attends bientôt une crémaillère alors vous pensez

. Renée (se réveillant) - c'est l'heure du café ?


Fin de l'acte un

 

Acte deux


Deux jours plus tard, dans le salon à l'heure du thé, à la porte une barre horizontale a été posée

Tous les pensionnaires sont réunis

 

. Gaston - c'est aujourd'hui le grand jour, Claude a fait une plaisanterie dont il est coutumier : c'est le jour de Raymond

. Renée - hein ? qui ?

. Serge (avec une main en écouteur sur son oreille droite) - il a dit c'est le jour de Raymond, pour la barreueueu, Raymond, RAYMOND Barre, ahahah !

. Danielle (sourire en coin) - ya pas que Raymond pour la barre, ya aussi Sally, la Sally Mara de l'autre Raymond, le grand Queneau, mais là c'est autre chose de plus cochon parce que dans le livre il y va pas de main morte

. Gaston - bon c'est pas tout ça, quelqu'un peut m'aider à attraper cette putain d'barre qu'elle me paraît trop haute que je croyais

.  Simone - ah faudrait savoir parce qu'en plus il faut vous soulever et avec votre poids que vous pensez plume, allez un petit effort mon cher... et hop les garçons suspendez donc ce petit monsieur


Noël Roquevert et Jean Tissier prennent Alerme qui tend les bras et attrape la barre et

 

. tous le monde d'une seule voix -  quand vous vous sentirez avoir grandi et pris un peu de hauteur, on viendra vous chercher, bon courage, hein ?.

Tous quittent la pièce en riant sauf Gaston qui braille - ohé !

 

Rideau

 

FIN

 

©  Jacques Chesnel  (Miscellanées)

 

19:34 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (0)