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26/02/2010

LE PARI DE JEANNE ou LES DÉSEMPARÉS -1

(Roman - feuilleton)


1/ Jeanne


Jeanne sortit en claquant la porte, brutalement. Désemparée, désorientée, elle ne savait plus quoi penser, elle ne comprenait pas, elle ne comprenait plus. Elle avait quitté son mari pour Louis, elle avait tout quitté, ses enfants l'avaient accepté et maintenant... sur le palier, elle s'arrêta pour allumer une cigarette, le briquet ne fonctionnait pas, elle jeta la cigarette avec l'appareil, tant pis. Elle eut un rire nerveux, court, au début des marches qu'elle faillit louper, il ne manquerait plus que ça ! Puis elle sentit comme une envie de rire prolongé malgré la situation - oh pardon dit-elle bousculant un vieil homme qui montait lentement - il n'y a pas de mal, madame, répondit-il.

Fallait-il en faire un drame ? Allait-elle revenir comme les autres fois et puis les nouvelles lubies de Louis, ce ne pouvait être que des lubies non ?, maintenant cet embrouillamini  dans sa tête depuis qu'on lui avait annoncé sa maladie heu vous savez on n'était pas sûr... il y avait encore des examens maintenant on a de nouveaux remèdes de nouvelles pistes des progrès réalisés que... nous avons plusieurs cas similaires... et ses retrouvailles avec un copain d'enfance devenu prêtre un curé de banlieue à problèmes d'un genre un peu allumé, ces longues discussions inutiles ces croyances-là, il y a longtemps qu'elle n'y pensait plus et même du tout...

L'air de la rue lui fit du bien. Elle pila au coup de klaxon - ohé la p'tite dame faut faire gaffe quand on traverse et les clous c'est pas fait pour les chiens !  Alors elle lui décocha son plus beau sourire; le type haussa les épaules.

Cela fait cliché de série B, pensa-t-elle, mais je boirais bien un verre, au bar, le serveur ressemblait à Vincent Lindon qu'elle avait bien aimé dans Jecrois que je l'aime alors qu' à l'instant même elle n'était plus sûr du tout pour Louis. Vincent Lindon la regarda lui sourit et demanda - ça va ? Et elle vomit son martini sur le comptoir splaaaatch ! tandis que son portable vibrait dans son sac.

Dehors on entendait une sirène de police qui s'approchait à cause de la manif des sans-papiers. En sortant elle n'entendait rien dans le bigophone à cause du bruit. Elle vit que l'appel venait d'Héloïse la petite dernière qui étudiait pour un master en néonatologie, un texto : rappelle-moi . Un type passa avec une pancarte des papiers pour tous en braillant dans son autre oreille tous nos camarades travailleurs...

Désemparée, oui, tout d'un coup elle ne savait plus où aller. Elle avait des taches de martini sur son chemisier et mal au talon gauche. Elle boitait. Un peu emportée par la foule, comme dans la chanson, elle scanda : - il faut que je me reprenne... il faut que je me reprenne il faut que...

Lui revint la voix de Louis, celle de leur dernière engueulade... à propos de quoi ? ... tais-toi... cet air buté qu'elle ne lui connaissait pas et sa main levée comme s'il allait la frapper...

Jeanne n'allait pas en rester là, c'était mal la connaître. Depuis l'adolescence, elle était de tous les combats notamment pour la cause féminine, ayant lu tout ou presque de l'œuvre de Simone de Beauvoir, admirant Gisèle Halimi et son verbe toujours enflammé, participant activement aux défilés, approuvant le mouvement ni putes ni soumises mais sans engagement total toutefois par une appréhension sans doute injustifiée.

Il lui fallait prendre une décision rapide, quasi immédiate, cela ne pouvait plus durer : changer, se transformer, muter, devenir méconnaissable oui parfaitement mé-con-nais-sa-bleu de l'intérieur comme de l'extérieur dans sa tête dans son apparence physique, se fondre dans l'altérité, devenir une autre Jeanne tout en réalisant que cela lui paraissait inconcevable, improbable, impossible :

UNE AUTRE JEANNE pensait-elle oui mais... il faudrait prévenir Alain au cabinet avec tout le programme en retard pour annuler le voyage à Madrid et son agitation tant pis pour ce nouveau congrès d'orthodontie elle n'aurait pas la force de discuter de débattre se battre aussi contre les vieux schnocks libidineux pas assez concentrée elle se voyait déjà non elle avait du mal à imaginer UNE AUTRE JEANNE et pourtant...

D'un coup une pensée pour son père célèbre avocat des causes perdues d'avance souvent gagnées mais toujours vaillant malgré son âge avec ses on ne se refait pas ma fille on ne se refait pas eh bien papa on allait voir ça de plus près... un instant bref elle se demanda si Louis voulait vraiment la frapper ce n'était pas de lui cette main levée celle d'un AUTRE Louis ?. Maintenant, le souffle coupé, il lui fallait s'asseoir, entrer dans ce jardin public, trouver un banc, vite. Elle transpirait et sentait des auréoles de sueur envahir ses aisselles, quelle horreur. Jeanne put enfin se poser pour se reposer. Il était temps.

Assise, elle essaie de lutter contre ce tourbillon de pensées qui l'envahissent, elle tente de contrôler les battements de son cœur, de respirer comme le lui a enseigné sa prof de yoga, avec le ventre Jeanne avec le ventre, elle se débat contre une sorte de déshérence physique et morale, de flottement, d'affolement, avec le ventre Jeanne le diaphragme , elle semble se détendre et sourit enfin lorsqu'un moineau s'approche si près d'elle si près et lui lance un petit cri tchip tchip qu'elle prend pour un signe inconnu, d'autres pensées s'agglutinent, se bousculent, s'entremêlent alors qu'elle veut les effacer toutes, et revient alors cette obsession lancinante, sa volonté de changer tout changer comment changer...

Un vagabond passe non loin, grand Apollon noir en guenilles, la regarde et lui fait chuuuutt avec un doigt sur les lèvres, voit-il son désarroi, est-il si visible sur son visage, elle lui répond en faisant le même geste, cela lui fait du bien chuuuutt. Alors qu'elle veut faire en elle le vide, total, les idées, pensées et souvenirs se précipitent toujours en trombes et avalanches, comment s'en défaire, il ne suffit pas de le vouloir, trouver une solution, LA solution, surtout pas changer de sexe, non mais alors quelle idée conne. Souvent - dans quelques circonstances particulières, par exemple lors de ces soirées entre amis où l'hypocrisie bat son plein - cette éventualité de disparaître pour réapparaître autre d'un seul coup, d'une pichenette, en remuant le nez comme ma sorcière bien-aimée lui avait parue facile allez hop avant que Franck, puis Louis plus tard, l'entourent d'un bras protecteur ça va ma chérie, tu veux boire quelque chose... elle avait également lu des ouvrages, études, théories plus ou moins floues ou fumeuses, d'autres plus sérieuses ou ésotériques, des expériences, des témoignages, elle ne cherchait pas un mode d'emploi mais plutôt des pistes, les pièges à éviter...

Jeanne avait déjà lu ou entendu parler de la théorie de la personnalité et changement de la personnalité, elle avait essayé de lire "le paradigme du refoulement", "le paradigme du contenu", "le processus expérientiel", travaux d'un éminent chercheur connu dans le monde entier,  professeur dans une université américaine...

... et n'avait rien, mais rien du tout compris, elle était retournée mille fois sur le site web correspondant, tout cela ne semblait pas la concerner, le plus simple lui semblait être un coup de baguette magique d'un prestidigitateur et hop ! voici mesdames et messieurs la nouvelle Jeanne comme à Pigalle les affiches : la Nouvelle Eve. La nouvelle Jeanne, l'autre Jeanne. Apollon repasse mais ne sourit plus car il voit un rictus sur le visage de cette jeune femme, il s'approche, non ce n'est rien laissez moi je vous en prie ; la douleur est revenue subrepticement, insidieuse, diffuse d'abord, puis plus précise avant de s'effacer lentement, Jeanne halète, Apollon surveille de loin, aux aguets au cas où... non fait-elle de la tête, elle se lève pour aller où ? ; le portable vibre dans son sac, Héloïse ?, Jérôme ?, Louis ?, Papa ?.


... (à suivre)



17:13 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (1)

Commentaires

Waw, sympathique billet, je vous remercie pour l'astuce et je suis complètement d'accord. Permettez-moi d'insister, oui votre billet est bien bon, je reviendrai régulièrement lire votre blog. Vivement la suite !

Écrit par : e cigarette 510 | 27/04/2010

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