Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

25/03/2016

L’AFFRONT HIER

 

Elle avait toujours voulu connaître la signification exacte des mots, aussi lorsque celui-ci se présenta subitement hier elle plongea aussitôt dans le dictionnaire de l’année. Tocard. Bon, vu. Son visage s’était subitement empourpré car elle ne s’était pas imaginé que cela puisse être considéré comme une injure. Après consultation des synonymes et un petit frisson imprévu accompagné d’une chatouille sur le nez, Muriel choisit tartignolle, ringard et vilain en se demandant pourquoi et surtout à quelle occasion elle avait rencontré ce mot là. Ce n’était pas la première fois qu’elle avait un trou de mémoire, une absence de repères, Jérôme, inquiet, lui en avait fait la remarque, c’est grave docteur ?, avait-elle ironisé avec son petit rictus si caractéristique mais qu’il trouvait adorable. J’ai tendance aujourd’hui à considérer cet adjectif comme un affront, renchérit-elle, un affront pour celui ou celle à qui il était destiné et à moi qui ne peut me souvenir à quelle occasion. Tocard, tocard toi-même. Etait-ce destiné à Jérôme quand il n’a pas freiné à temps devant la vieille dame sur le passage piétons, il s’en est fallu d’un cheveu, tocard ; à moi destiné  quand je m’y suis reprise à trois fois pour réaliser un piteux créneau avec cette putain de bagnole et sa direction mal assistée, tocard, au jeune homme à l’air efféminé qui se pavanait face à une jeune mal voyante un peu paumée qui lui demandait son chemin, tocard, à cette grosse dame devant moi au cinéma qui glousse à la moindre réplique du dialogue de ce film à la con, tocard de grosse mémé, au mec à l’air suffisant et méprisant sur un blog qui éreinte ceux qui ne sont pas de son avis, tocard, au boucher d’en face qui affiche « véritable mouton de pré-salé du Mans » dans sa vitrine, à cette poupée bimbo qui se croit maligne d’aguicher les p’tits vieux qui ne bandent plus ailleurs que dans leurs cerveaux rabougris, tocard et tocards, à celui qui joue au chef pour se donner l’importance qu’il n’a pas, tocard, à cet acteur réputé qui en fait des tonnes pour conserver son aura, tocard, aux ministres intègres désintégrés à côté de la plaque qui parlent fort pour ne rien dire tout bas, tocards, à tous ceux et celles qui pètent plus haut que leurs culs, véritable affront hier qui donne envie aujourd’hui de fermer les frontières du ciboulot pour éradiquer la connerie ambiante, tocards.

 

14:24 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (0)

18/03/2016

LA COURSE

 

 

Il se réveilla en sursaut vers cinq heures à côté de Muriel furieuse, il était trempé de sueur, il avait

couru toute la nuit, à fond la caisse. Ce n'était pas la première fois mais le trajet, inconnu

jusque-là, n'avait jamais été aussi long, et éprouvant, un véritable calvaire. Il s'était perdu

plusieurs fois et cela l'avait troublé, il avait senti comme un piège inhabituel, un mauvais sort.

Heureusement, il y avait eu les rencontres, habituelles ou fortuites, comme celle avec Rita

Hayworth et son mambo endiablé, le petit lapin bleu qui lui mordille toujours les chevilles au

même endroit, le sourire de Gandhi à la croisée d'un chemin, la main tendue du petit réfugié

moldave, le regard éperdu de la contractuelle puis l'apéro après l'opéra... mais aussi les frayeurs,

la perte brutale de la trace, le grondement du tsunami, le train fou qui ne s'arrête pas dans la

nuit, le mouton égorgé agonisant dans le fossé, une femme sanglotant dans une barque sur une

rivière sans eau, au-delà de cette limite ce ticket n'est plus valable, vous êtes prié de ne pas

retourner votre ombrelle tout de suite, l'amour est dans le pré-texte, le train déraillera comme

prévu à 16 heures 48, le chat de la voisine ne miaule plus à l'endroit, en voiture Simone c'est moi

qui conduit c'est toi qui klaksonnes, l'arrière-train de la bergère sifflera plus de trois fois, la

gabardine de John Garfield est trempée d'un côté seulement, monsieur est un nodocéphale

c'est-à-dire une belle tête de nœud, ya du whisky dans la boite à gants t'as qu'à taper dedans, les

canards ne sont plus si sauvages, c'est comment qu'on freine, l'arbre à sabots a ça de beau,

mademoiselle ya votre combinaison qui dépasse, il pleut il ne mouille pas mais la grenouille se

sèche au soleil, Groucho a perdu ses lunettes mais retrouvé sa moustache, quatre renardeaux

batifolent dans un jardin anglais, et j'entends siffler le train, les Femen perturbe la Marine et le

vieux grigou s'étale, Al Pacino ne fait pas son âge d'ailleurs il ne fait rien du tout, et je m'essouffle

de plus en plus, je ralentis la course, et merde je me pète un lacet, j'ai un début de crampe que je

ne sais pas comment tirer, je commence à haleter hahaleter hahaha, tiens j'ai faim d'un coup d'un

seul coup et je n'ai plus rien à boire, aïe mes pieds qui gonflent j'ai bien du mal à les lever, ouille,

ils pèsent de plus en plus lourd, surtout le gauche qui m'a toujours posé des problèmes après

l'avoir pris dans le tapis tandis que l'autre se mettait seul dans le plat, si seulement je pouvais

faire une pause, trouver un endroit pour une halte là, je ne sais pas ce qui me pousse-pousse

comme si j'avais le diable à mes trousses ou le feu au derrière, ya pas le feu au lac pourtant, je

n'ai pas de but à atteindre ni rien à attendre, je me démène et me malmène de plus en plus, je

commence à m'emberlificote, je m'embringue dans le mauvais sens unique sans espoir de retour

et de retournement, je m'éparpille, m'émiette, j'empiète, je sens qu'il faudrait que je m'accroche

à, que je me dégote un bout de quelque chose, il le faudrait, il le faut maintenant, vite voilà voilà

je l'ai enfin, je le tiens, j'empoigne, je m'agrippe, me cramponne, je ferre...

 

Oh, dis Jérôme, t'arrêtes de gigoter comme un dingue, y en a marre, tu viens d'accaparer toute la couette

 

16:15 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (0)

10/03/2016

LA MENDIANTE ET L'ABAT-JOUR

 

Cela faisait déjà quelque temps qu'il l'avait répérée, il ne savait rien d'elle qu'il voyait accroupie ou assise sur un petit banc très bas dans le parking du grand magasin, proche de la porte d'entrée, toute recroquevillée, avec en évidence un carton sur lequel était mal écrit mais sans faute : je suis sans travail avec deux enfants à élever, c'était tout, cela en disait long mais hélàs pas grand-chose aux yeux des chalands indifférents car sa sébille qu'elle tendait timidement était souvent vide ; à chaque fois, il glissait une pièce d'un euro et obtenait un merci dans un souffle avec un léger accent indifinissable, balkans ?.

Le soir, après un dîner léger dans sa cuisine minuscule, Jérome passait dans son salon/salle-à-manger pour regarder un film à la télé sur la centaine de chaînes grâce au câble ; depuis le départ de Muriel, il ne sortait plus se contentant d'un film par soir et après au lit avec un somnifère pour ne penser à rien. Dans l'immeuble d'en face, au sixième étage, le même que le sien, il y avait un abat-jour déjà allumé lorsqu'il se vautrait sur le canapé et de temps en temps il jetait un œil sur la fenêtre et l'abat-jour toujours allumé, un abat-jour assez volumineux d'aspect plutôt ancien qui lui rappelait celui d'une voisine chez qui il prenait des leçons de piano lorsqu'il avait quinze ou seize ans, un objet avec un gros nœud rose qui trônait sur une cheminée factice, il profitait d'ailleurs de ces leçons pour lorgner dans le décolleté de Madame Agathe, si généreux et si profond.

Ce jour là, il n'y avait pas beaucoup de monde, Jérôme lui demanda si ça va ? oui, répondit-elle en rougissant, vous ne pouvez pas entrer dans le hall ?, non, eux pas vouloir, une conversation s'amorça devant les clients à l'air étonné ou méprisant

- vous logez où ?

- chez une madame, une chambrrre

- les enfants vont à l'école

- oui un peu

Avec le doigt Jérôme lui montra son alliance qu'il portait encore

- vous ?

- oui marrri restè pays sans travail

- quel pays ?

- là-bas

- vous avez des papiers ?

- papiès… non

- attendez, moi aller voir direction

A la direction qui le fit poireauter car ce n'était pas pour acheter, on lui expliqua que vous comprenez si on en autorise un ils vont tous rappliquer et alors la clientèle je vous dis pas… et puis on ne sait pas d'où ils viennent, mais je suis un client, moi monsieur… et cela ne vous dérange pas de laisser une femme dans le froid les odeurs et les gaz d'échappement ? mais vous c'est pas pareil… évidemment.

Tous les soirs, le rituel était le même, allumer la télé, s'affaler sur le divan, regarder par la fenêtre et l'abat-jour toujours allumé. Jérôme aurrait bien demandé au gardien qui habitait dans cet appartement, un homme une femme une personne seule comme lui, il pensait à une femme dont le mari était parti et qui se retrouvait tous les soirs devant sa télé et sa centaine de chaînes, comme lui. Quand le film était fini, et après un coup d'oeil aux infos, il allait à sa fenêtre dans l'espoir d'en voir et d'en savoir plus ; rarement, l'abat-jour était éteint et il se posait tout un tas de questions sans réponse, heureusement le lendemain la lumière était revenue.

 Maintenant, Jérôme avait droit à un sourire en plus du merci, elle avait un petit haussement d'épaules lorsqu'il s'excusait de ne pas avoir de monnaie, elle lui disait bonjourrrr et au rèvoirrr ; il s'était inquiété de ne pas l'avoir vu deux mardis de suite, il fut soulagé de la revoir et devant son air interrogatif enfant malade hospitâââl avoua-t-elle, Jérôme lui sourit et doubla son obole, il ne voulait pas employer le mot aumône qui lui rappelait trop cette religion imposée qu'il avait rejetée il y a si longtemps ; il lui demanda si elle n'avait pas de problème avec la police, elle regard autour d'elle et fit non de la tête et dit moi courirrrr ce qui prouvait son angoisse, elle devait avoir entendu des propos désagréables. De retour de voyage, répondant à l'appel désespéré de Muriel en pleine confusion, il la revit, elle était toujours là avec ses yeux qui brillaient quand elle apercevait Jérôme qui se posait des questions, était-il vraiment tombé amoureux ?, et elle, n'y avait-il pas dans son regard ?.

 Depuis quelque temps, le problème des émigrés et des sans-papiers avait pris une ampleur qui inquiétait Jérôme, le ministère de l'immigration et de l'identité nationale dont il se demandait ce que cela pouvait signifier, les comportements et les propos racistes des ministres, la résurgence de la xénophobie, les tribunes dans les journaux et sur le net, les émissions et débats à la radio et à la télé, il avait pleuré et applaudi à la projection du film Welcome, rencontré des associations de défense des droits de ces paumés, participé à des discussions enflammées sur leur sort et notamment sur les exclusions, les rafles jusque dans les écoles, les expulsions vers un pays en guerre, les tracasseries administratives, signé des pétitions malheureusement restées sans réponse… mais pourquoi était-il à la fois révolté et incompréhensiblement heureux, peut-être parce que la mendiante était encore là, accroupie ou assise sur son petit banc et l'abat-jour toujours allumé…

 … jusqu'à ce matin-là quand il apprit que la police était venue la chercher et l'avait emmenée, jusqu'à ce soir-là où il constata que l'abat-jour n'était pas allumé et que les feux d'une ambulance clignotaient au bas de l'immeuble.

18:14 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (0)

03/03/2016

RENDEZ-VOUS AVEC UN AUTEUR

                         

Quand le patron m’appela et me dit Muriel c’est toi qui va faire l’interview, mon sang n’a fait qu’un tour car si je connais bien ou crois tout savoir sur tous les auteurs connus, je n’avais jamais entendu parler de celui-là, un type qui écrit exclusivement sur un blog, sur la toile !. Détrompe-toi, renchérit mon patron chéri, ce mec est lu par des milliers de lecteurs, ses fans se comptent par plusieurs centaines, il fait un vrai malheur depuis cinq ans ce qui fout la trouille aux éditeurs dont il se moque, voilà ma belle, à toi, j’ai pris rendez-vous c’est mercredi à quinze heures chez lui allée Madame de Sévigné, tu mets ta plus belle robe, la plus courte…

Je me suis précipitée sur internet et en effet et j’en suis restée toute ébahie, une pleine page wikipédia, un nombre d’entrées considérable, plus de deux cents textes publiés, des commentaires élogieux à la pelle, c’était tout simplement incroyable que je sois passée à travers, je pris des tas de notes pour ne pas paraître plus ballotte que je le suis malgré tous mes diplômes.

 15 heures pile, un petit immeuble entouré de verdure, le digicode, le nom Jacques Chesnel, je sonne, oui répond une voix grave, je m’annonce : Muriel Branlon-Lagarde de la revue « Beaux Textes », nous avons rendez-vous, c’est au deuxième porte à droite, cooinc, dans l’ascenseur j’ai le palpitant qui palpite, je rajuste un peu mon soutif pigeonnant qui me fait un décolleté plongeant, je tire une peu sur ma minijupe et sur mon string qui me triture les fesses.

La porte est ouverte entrez dit-il, je bute sur le paillasson et manque de me ramasser et c’est ainsi que je me retrouve dans ses bras !, il sent Eau Sauvage de chez Dior à plein nez, il est grand, porte beau pour ses heu quatre-vingt ans bien tassés voire plus avec ses longs cheveux blancs qui lui tombent sur le épaules qu’il a larges enfin surtout la veste, on dirait Paul Newman tenant le rôle de Buffalo Bill dans un film, droit, bronzé, amène, un sourire un peu carnassier à la Trintignant aïe. Je dois être toute rouge et avoir l’air carrément gourdasse, vous vous appelez comment déjà Muriel, veuillez- vous assoir  là Muriel, je plonge dans un fauteuil comme celui d’Emmanuelle dans le film, ça commence bien, mon string  part en vrille et soudain j’ai des ballonnements et des gaz, vite faut que je me libère, je vous écoute mademoiselle, je pète, ouf.

Alors bon c’est à moi mais je ne sais pas encore où j’en suis, le vieux matou a l’air de vouloir m’intimider mais j’en ai vu d’autres heu quels sont vos maîtres enfin les écrivains qui comptent pour vous, vous pouvez m’appeler Jacques, puis quoi encore, un peu pompeux il me balance tout de gogo : une sorte de symbiose entre James Joyce et Frédéric Dard, Chateaubriand et Jean Echenoz (là je frémis c’est mon écrivain favori), Albert Cohen et Virginie Despentes, pas du tout Proust et d’Ormesson que je déteste, il se fout de ma gueule c’est évident, voulez-vous boire quelque chose, un thé au jasmin ou une camomille et d’où vous vient votre curieux patronyme ma chère Mumu, il commence à me gonfler ce Chesnel-là, et vous écrivez depuis longtemps comme tout le monde ? demande-je en touillant dans mon breuvage sans saveur, oh j’avais commencé bien avant que j’eusse terminé dans le futur, tenez par exemple dans « Corrida à la Samaritaine » j’ai mis trois ans pour trois lignes, vous rendez compte ahahah une ligne par an et je devins célèbre puis-je vous inviter à dîner à la bonne franquette (à la bonne franche quéquette oui vieux sacripant) j’ai un sauté de veau au frigo et un p’tit Lambrusco de derrière les fagots à moins que vous ne préfériez un verre de bordeaux avec des rillettes hihihi, je ne réponds pas, vous avez, dis-je, un phrasé un peu déconcertant pour des novices et cette absence de ponctuations qu’on vous reproche souvent, mes lecteurs ou plutôt mes lectrices raffolent de ces partis-pris flagrants ça les émoustille surtout les intellectuels et telles les érudits et dites (et Rudy aussi, mon petit copain) les jeunes lesbiennes et les vieux pédés allez savoir pourquoi, à propos vous savez j’ai connu intimement et manuellement une Branlon au collège en terminale à Belfort en 46, une parente à vous ? je crois que je vais le gifler et défaire sa mise en plis d’autant qu’il louche de plus en plus  furieusement sur mes gambettes découvertes à la Zizi Jeanmaire donc je re-tiraille en vain sur ma jupette et je me relance : ainsi internet pour vous c’est une fin ou un moyen plus direct de communiquer ?, je ne communique point Mumu, je m’exprime et jette en pâââture mes pensées et autres divagations sans prétention et ça marche mieux que le tandem Lévy-Musso ou l’affreux Bègue BD alors hein je fonce Alphonse comme disait mon grand-père, dites, j’ai aussi connu de très près une Lagarde, non pas la Christine trouduc-machin-chose, rassurez-vous, non une vraiment belle, à Douarnenez en 52, une parente à vous ?... le téléphone sonne, un petit chien affreux fonce sur moi et aboie furieusement, allo oui elle est là… c’est pour vous, votre directeur chéri qu’il dit, ok patron j’arrive, j’éteins mon magnéto, au revoir Monsieur, c’est quoi au juste votre nom bizarrement composé ? me dit-il en me raccompagnant une main un peu trop appuyée sur mon épaule, vous savez, j’ai connu une...

Le clébard bâtard me mordille la cheville en sortant. Chesnel lui donne une gentille tape, allez couché Marcelproust, t’es qu’un vilain toutou, faire ça à cette gentille demoiselle !.

16:15 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (0)