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18/03/2016

LA COURSE

 

 

Il se réveilla en sursaut vers cinq heures à côté de Muriel furieuse, il était trempé de sueur, il avait

couru toute la nuit, à fond la caisse. Ce n'était pas la première fois mais le trajet, inconnu

jusque-là, n'avait jamais été aussi long, et éprouvant, un véritable calvaire. Il s'était perdu

plusieurs fois et cela l'avait troublé, il avait senti comme un piège inhabituel, un mauvais sort.

Heureusement, il y avait eu les rencontres, habituelles ou fortuites, comme celle avec Rita

Hayworth et son mambo endiablé, le petit lapin bleu qui lui mordille toujours les chevilles au

même endroit, le sourire de Gandhi à la croisée d'un chemin, la main tendue du petit réfugié

moldave, le regard éperdu de la contractuelle puis l'apéro après l'opéra... mais aussi les frayeurs,

la perte brutale de la trace, le grondement du tsunami, le train fou qui ne s'arrête pas dans la

nuit, le mouton égorgé agonisant dans le fossé, une femme sanglotant dans une barque sur une

rivière sans eau, au-delà de cette limite ce ticket n'est plus valable, vous êtes prié de ne pas

retourner votre ombrelle tout de suite, l'amour est dans le pré-texte, le train déraillera comme

prévu à 16 heures 48, le chat de la voisine ne miaule plus à l'endroit, en voiture Simone c'est moi

qui conduit c'est toi qui klaksonnes, l'arrière-train de la bergère sifflera plus de trois fois, la

gabardine de John Garfield est trempée d'un côté seulement, monsieur est un nodocéphale

c'est-à-dire une belle tête de nœud, ya du whisky dans la boite à gants t'as qu'à taper dedans, les

canards ne sont plus si sauvages, c'est comment qu'on freine, l'arbre à sabots a ça de beau,

mademoiselle ya votre combinaison qui dépasse, il pleut il ne mouille pas mais la grenouille se

sèche au soleil, Groucho a perdu ses lunettes mais retrouvé sa moustache, quatre renardeaux

batifolent dans un jardin anglais, et j'entends siffler le train, les Femen perturbe la Marine et le

vieux grigou s'étale, Al Pacino ne fait pas son âge d'ailleurs il ne fait rien du tout, et je m'essouffle

de plus en plus, je ralentis la course, et merde je me pète un lacet, j'ai un début de crampe que je

ne sais pas comment tirer, je commence à haleter hahaleter hahaha, tiens j'ai faim d'un coup d'un

seul coup et je n'ai plus rien à boire, aïe mes pieds qui gonflent j'ai bien du mal à les lever, ouille,

ils pèsent de plus en plus lourd, surtout le gauche qui m'a toujours posé des problèmes après

l'avoir pris dans le tapis tandis que l'autre se mettait seul dans le plat, si seulement je pouvais

faire une pause, trouver un endroit pour une halte là, je ne sais pas ce qui me pousse-pousse

comme si j'avais le diable à mes trousses ou le feu au derrière, ya pas le feu au lac pourtant, je

n'ai pas de but à atteindre ni rien à attendre, je me démène et me malmène de plus en plus, je

commence à m'emberlificote, je m'embringue dans le mauvais sens unique sans espoir de retour

et de retournement, je m'éparpille, m'émiette, j'empiète, je sens qu'il faudrait que je m'accroche

à, que je me dégote un bout de quelque chose, il le faudrait, il le faut maintenant, vite voilà voilà

je l'ai enfin, je le tiens, j'empoigne, je m'agrippe, me cramponne, je ferre...

 

Oh, dis Jérôme, t'arrêtes de gigoter comme un dingue, y en a marre, tu viens d'accaparer toute la couette

 

16:15 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (0)

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