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27/01/2016

LE FIANCÉ (enfin presque)

 

On le savait : Bogart détestait la neige, il l’avait dit au cours d’une interview à la radio ; sauf une fois, en pleine tempête son automobile bloquée par des congères, il s’en était servi pour mettre dans son whisky qu’il avait trouvé meilleur que d’habitude.

Aujourd’hui dans ce petit village des Alpes, dans cet hôtel cosy, avec Frankie en sourdine chantant Fly Me To The Moon accompagné par l’orchestre de Count Basie à la radio bon dieu quelle cuite avec le Frankie ce jour là, la neige il s’en foutait pas mal de la voir tomber par la fenêtre. Le tournage du film se passait bien, Mank était sympa avec lui, Ava campait une comtesse aux pieds nus sensationnelle, la petite bonne était fort gironde et le bar suffisamment garni de bonnes marques, demain il repartirait pour Rome voir les rushes et faire quelques raccords. Faudra penser à téléphoner à Lauren pour lui raconter des tas de trucs et cette histoire d’un type retrouvé dans la cour de l’hôtel et la neige rouge de tout son sang ; c’était comme dans ces films à la con qu’on voulait lui faire tourner que de pareilles choses arrivaient. Tiens, comment allait-on dénicher le coupable ? Fly Me ToThe Moon c’était at the Sands je crois…

La soubrette entra et se pencha pour tirer la couverture du lit et Bogart vit un éclair de chair blanche au-dessus des bas de coton noir. Voilà, Monsieur Bogart, votre lit est prêt, vous savez ça fait  drôle de vous voir pour de vrai quand je vais le dire à Adrien mon fiancé enfin presque mais qu’est-ce qu’il est jaloux faut pas qu’un homme me regarde de trop près le monsieur qu’est mort hier il était vachement beau vous le connaissiez un acteur français Jean-Pierre euh quèque chose…tout cela dans son anglais approximatif. Bogart lui connaissait le enfin presque fiancé celui qui avait découvert le cadavre au petit matin pas l’air commode en effet le type le genre brute borné et tout.

Il se servit une bonne rasade Fly Me To… rajusta son nœud papillon et sa passa furtivement la main dans les cheveux et maintenant face à lui le décolleté de comment vous appelez-vous honey Jeanne pour  vous servir Monsieur Bogart j’arrive pas à y croire vous savez j’ai vu presque tous vos films même celui où il y a une histoire de statue d’oiseau qu’on comprend pas grand chose oh il est gentil Adrien il vous ressemble un peu enfin j’veux dire mais jaloux j’vous dis pas faut pas me regarder comme faisait l’autre vedette le français qu’est mort. Bogart jette sa cigarette s’approche de la Jeanne Fly Me To et lui roule à patin à faire fondre la neige et la fille qui glousse oh oh Monsieur Bog…

Par la porte maintenant ouverte il voit pendant ce long baiser le fiancé enfin presque le regarder avec mille tonnes de haine dans les yeux et plus bas ce long couteau sorti de sa poche et qui saute dans sa mains hop hop il se souvient alors du type mort le french saigné à mort comme un lapin la fille se met à hurler non Adrien non non pas comme l’autre non ce serait vraiment trop con de mourir ici loin de Lauren des enfants et de cette façon là pense Bogart en tâtant du côté où il est certain d’avoir le révolver qui ne le quitte jamais il défouraille vite pense putain on se croirait dans une série B et pourtant le fiancé enfin presque n’a pas l’air de faire semblant cette lame qui brille et avance vers lui. Pendant qu’il appuyait sur la gâchette Bogart se dit que décidément il n’aimait pas du tout la neige d’ailleurs il se souvenait d’ailleurs l’avoir dit un jour à la radio pendant une interview et Frankie ne chante plus Fly Me To The Moon … c’était bien at the Sands, me semble-t-il…

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21/01/2016

COMMOTION

 

 

 

Il est mort l’un des tous premiers jours de la guerre, dans une embuscade, tué sur le coup. Elle a appris la nouvelle environ deux mois après s’inquiétant de ne pas avoir reçu sa première lettre, qu’il n’a pas eu le temps d’écrire.

Puis quelques mois de chagrin sont passés. Un jour, en faisant du rangement, en grand, elle a trouvé dans le grenier de leur vieille maison une petite cassette cachée contenant un paquet de lettres. Intriguée elle les a ouvertes une à une : c’était des lettres, des lettres d’amour de son mari Raymond à un inconnu d’elle, un certain Alphonse ; il y en avait une quarantaine, la première datant de huit mois avant leur mariage, la dernière trois jours avant son départ sous les drapeaux. Elle manqua s’évanouir en lisant le contenu de la première et devint de plus en plus malade d’incrédulité en lisant les autres : Raymond avait eu une liaison torride avec un homme ; sidérée, hébétée, elle tomba dans l’escalier. Commotion.

Assise dans la cuisine, Léontine reprend peu à peu ses esprits, regarde plus intensément l’écriture et la signature qu’elle reconnait, aucun doute, c’est bien Raymond, son Raymond qui lui avait juré amour et fidélité avec jusque-là preuves à l’appui. Elle trouve également une photo dédicacée, celle d’un homme de type méditerranéen avec une impressionnante moustache. Au fur et à mesure qu’elle lit, elle retrouve des mots, des phrases, des expressions qu’elle avait entendu de sa bouche mais là tout ce discours s’adressait à quelqu’un d’autre, à un homme qu’elle ne connaissait pas, il ne faisait pas partie de la famille proche ou lointaine, pas du petit cercle d’amis, de voisins, elle ne connaissait aucun Alphonse. Léontine n’avait jamais douté de la fidélité de son mari, elle n’avait eu aucun doute malgré des retards expliqués par les horaires bousculés juste avant la déclaration de guerre. Une fois, elle avait été surprise de l’entendre grommeler un mot bizarre (un nom ?) lors d’une étreinte amoureuse plus frénétique que d’habitude.

Où s’étaient-ils rencontrés ? au café après le boulot ? à l’usine où Raymond travaillait. .Elle décida d’en savoir plus sur lui, donc de le rencontrer si possible, il y avait le nom de ce village tout près où il résidait sur l’en-tête de ses lettres.

Arrivée dans la commune, elle demanda l’adresse d’Alphonse Thiers, trouva la maisonnette aux volets clos, une voisine lui dit il n’y a plus personne sa femme est retournée chez parents avec le bébé après la mort accidentelle de son mari à l’usine de ferblanterie quelques jours après la déclaration de guerre : Alphonse était donc mort, lui aussi. Ils avaient travaillé tous les deux dans cette même usine.

Puis le temps a passé, Léontine ne s’est pas remariée, prit quelques amants dont des permissionnaires de passage car la guerre s’éternisait, bientôt quatre ans. Enfin le 11 novembre 1918, l’armistice fut signée. C’est ce jour-là que Léontine se jeta sur les rails à l’arrivée du train en gare du village. Dans son sac, on trouva une photo, celle d’un homme de type méditerranéen avec une grosse moustache : l’amant de son mari.

 

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12/01/2016

TICS

                                                    

Ça pour être maniaque des mots et des chiffres il l’était cette manière par exemple de compter les expressions employées à tout bout de champ tenez à la radio cette journée au cours de laquelle il avait compté pendant les interviews 42 fois « voilà » 28 fois « effectivement » et 11 fois « c’est la raison pour laquelle » dont 5 par une ministre toujours la même effectivement et ce sur tous les sujets ainsi cette actrice dont les « voilà » revenaient toutes les 10 secondes pour expliquer que voilà et c’est la raison pour laquelle Geoffroy se considérait comme un maniaque affligé peut-être d’un syndrome dont il ignorait le nom et voilà… comme il était né à 0 :00 heure pile pile le 20 – 02 de l’année 1991, il s’était pris au jeu des palindromes aussi ne se levait-il qu’à 7 :07 repas à 12 :21 et 20 :02 (banal) et ne consentait à s’endormir qu’à 22 :22 (le must !) ou éventuellement à 23 :32 à cause d’un bon livre (rare) se réveillait immanquablement à 02 :20 d’un cauchemar récurrent (ne pas se rendormir avant 03 :30 ou pire) il craignait les dérèglements qu’il jugeait comme des maladies avec le moindre d’entre eux la journée était foutue et c’est la raison pour laquelle il était pointilleux et on peut même dire effectivement maniaque voilà… aussi le jour où il tomba amoureux pour de bon il décida que ce serait Anna et personne d’autre à moins que vous ne trouviez autre chose de plus court et de moins usité oui je sais Eve mais bon l’accent gâchait un peu… il avait trouvé cette brunette sur un site de rencontres elle ne lui plaisait pas tellement mais rien que le prénom aaaaaah il se décidèrent donc en cette année 2020 (faute de mieux) pour le 21 :12 à 12 :21 il aurait préféré en été mais on ne fait pas toujours ce qu’on veut son radar métabolique ayant effectivement pris un coup de mou…pour la première entrevue physique ici n’étant pas possible c’est la raison pour laquelle ils allèrent donc à Laval (facile) au lieu de Noyon (tout autant) trop éloigné… Anna rentrée effectivement dans le jeu s’amusait fofolle de ces tics qu’elle jugeait un peu neuneu et eunuen (ça ne marche pas) premier accroc sans accord (là non plus) et voilà… le jour de leur union Julien et Anna eurent une pensée ému pour Georges Pérec et son grand palindrome composé effectivement de 5566 lettres (bigre) puis plus tard ils eurent une fille prénommée Ada en souvenir de Vladimir Nabokov et de son ardeur… sensibles à la perfection totale ils envisagèrent de mourir ensemble au plus tard le 22/11/2112 entourés de leurs 10 petits-enfants (là effectivement il y a une faute involontaire) fruits de l’union d’Ada et d’Eric Cire effectivement le bien nommé conservateur du musée Grévin et de Madame Tussaud réunis.

Au jour d’aujourd’hui et aux dernières nouvelles d’eux, il n’y en a pas et c’est la raison pour laquelle voilà effectivement… la fin.

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07/01/2016

NOS EX… NO SEX



. Cela faisait longtemps qu’il ne pensait plus à elle jusqu’à ce que le hasard à qui il n’avait rien demandé se présente ce jour-là. Ce n’était pas dans ses habitudes de traîner dans ce quartier mais on passait ce film japonais « Vers l’autre rive » qu’il avait envie de voir… et dans la queue il la reconnut tout de suite malgré les années passées, combien d’années ?... Elle le vit et… marqua un temps d’arrêt très court, vint vers lui et dit ça alors si je m’attendais et lui posa une bise rapide en supplément de son éclatant sourire : Jérôme dit-elle, Emma répondit-il. Pas question de voir le film, ils se dirigèrent en riant en gloussant en s’étonnant en s’extasiant vers le bistrot le plus proche et s’assirent à une table en pouffant comme des gosses. Et là le temps d’un film ils se racontèrent leur histoire. Bon c’est pas tout ça dit Emma mais faut que je file Alain ou les enfants vont s’inquiéter ; et elle partit on lui demandant : on se revoit quand ?.


.. Il y avait longtemps qu’elle ne pensait plus à lui jusqu’à ce moment où le hasard dont elle attendait toujours quelque chose d’inespéré se présente ce jour-là. Elle avait décidé de tester ce nouveau magasin bio dont le copines disaient tant de bien c’est un peu plus cher mais tu verras la qualité c’est vraiment autre chose. Il y avait du monde ce mercredi et pas mal d’attente aux caisses, celle où elle attendait était bloquée par une vieille dame qui payait en espèces et ne trouvait pas sa monnaie, elle décida de changer car elle était toujours aussi impatiente quand non mais je rêve qu’est-ce que tu fais là Bertrand oh dis je le crois pas c’est bien toi dis ? ça fait combien de temps en années, huit dix ou plus allez on s’embrasse je t’ai reconnu tout de suite Muriel dit-il en rougissant un peu comme d’habitude se souvient-elle, on va boire un verre et parler du bon vieux temps ? Bertrand acquiesça et dit j’ai un peu de temps Elaine est chez sa mère j’en profite.

 
… Depuis que Muriel et Jérôme avaient retrouvé leurs anciens partenaires (amours anciennes ?) , il y avait comme un certain malaise dans leur couple, leurs regards se dérobaient, ils étaient devenus moins bavards, ils semblaient même s’éviter, s’endormaient le dos tourné contrairement à leur habitude d’enlacements au lit, ils n’avaient plus de contacts physiques, l’amour se trouvait comme entre parenthèses, le désir avait disparu, d’un coup. Muriel ne voulait pas faire l’amour avec Jérôme en pensant à Bertrand comme Jérôme ne souhaitais pas faire de galipettes en s’imaginant avec Emma. Une nuit, l’un ou l’une marmonna un prénom complètement inaudible tandis que l’une ou l’autre se retournait cent fois dans le lit en grommelant et essayant de transpercer le matelas. Qui parlerait de ce problème en premier ?.
Quelques jours après les retrouvailles avec le passé et les malaises qui s’ensuivirent, Muriel passa sa première échographie. Quand Jérôme, un peu fébrile, vit les premières images, il lui sembla que le petit fœtus rigolard lui faisait un signe : bon, maintenant c’est du sérieux, hein ?, on arrête les conneries.

12:20 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (0)