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17/12/2015

CUITE

 


Il y avait longtemps que nous voulions visiter l’Ecosse ; les souvenirs de collègues de bureau, les pubs à la télé, les annonces de voyagistes, les promos et tout le tintouin… aussi lorsque l’occasion se présenta, la disponibilité de l’amour de ma vie pendant presque un mois et la mienne pareille la décision fut vite prise à l’unanimité en route donc pour l’Ecosse…

Pas par avion non, traverser le channel sur un ferry-boite, contempler la campagne anglaise en ce beau mois de juin avant les invasions touristiques et nous voilà bientôt à Edinburgh visite de la ville puis Glasgow pareil très chouette on allait pas s’éterniser on avait envie de faire un grand tour et détours à l’ouest dans les îles et les Highlands avec l’idée bien précise de visiter les hauts lieux du whisky ma boisson favorite dont j’avouai ma méconnaissance sur la fabrication les grandes caractéristiques et les marques réputées. Ce fut d’abord Islay qu’on prononce aïe-lou en commençant par Lagavulin, Laprohaig et Bowmore puis Ila et traversée direction les îles Jura (ses 6000 cerfs dit-on) et Mull. Le soir, ça tanguait sérieux dans le paddock je commençai à avoir une petite idée sur le malt le sol tourbeux et l’importance de l’eau de l’air marin ah ouille l’Ardbeg et sa trentaine de versions proposées au Lochside Hotel fallait tenir le coup y avait encore du chemin… puis le loch Ness sans Nessie aux abonnés absents pour nous et le Lomond cette merveille avec son Queen Elisabeth Forest Park et nous voilà remontés jusqu’à Inverness l’achat d’un pull pour l’amour de ma vie qu’aurait bien dévalisé toute la boutique de Sir Alexander Mackensie qui me confia prendre bientôt sa retraite ah bon où ça mais en Périgord noir my dear pour la gastronomie on a promis de se revoir là-bas… maintenant à l’attaque des Highlands et surtout la région du Speyside entre Inverness et Aberdeen et sa rivière la Spey où on trouve quelques malts mythiques dont la plupart débutent par glen (vallée) on décida de poser un peu nos pénates et notre choix se porta sur Tomintoul ya des choix comme ça  pourquoi aussi le Golden Arms Hotel plutôt que celui de l’autre côté de la place ?. Situé dans la région des rivières Livet et Avon, le village est connu des touristes britanniques servant de camp de base pour les randonneurs et le alpinistes amateurs de ces belles montagnes granitiques fournissant une eau douce qui, souvent, coule sur des landes de bruyère. Débarquement à Tomintoul. Reconnaissance du lieu sympathique et cosy valises posées petit roupillon et un tour d’approche immédiatement avant le repas du soir à 19 heures clignotement de néon sur boutique Glenlivet Depot Whisky on était en plein dedans l’amour de ma vie me chuchotant à l’oreille déconne pas sois raisonnable ben tiens good evening I am french euh le type très sympa voici ce que nous avons et le Glenlivet oh c’est tout près d’ici et very good alors je vous dis pas tous ces « glen » une trentaine avec des noms connus comme le Glenfiddich ou le Glen Grant vous goûter ? un peu je vous fais confiance et j’ai pris quatre bouteilles dont le Glenlivet 21 ans d’âge sur sa recommandation. L’amour de ma vie : pour mon frère je vais pas mettre ce prix là je sais même pas s’il aime le ouiski euh vous avez du Jauni Walquaire oh sorry madame pour le whisky ordinaire c’est à l’épicerie qui est tenue par ma femme et vlan ! vous pouvez passer par cette porte et allons-y pour une bouteille de cette merde…

On commençait à avoir une petite faim, le restaurant déjà presque plein beaucoup de poisson au menu avec une bouteille de blanc please la serviette autour du cou j’attaque et ma fourchette s’arrête à mi-chemin je dis oh putain quoi ? ne te retourne pas mais quoi ? et je lui lâche c’est Papa qui vient de rentrer dans la salle et qui s’approche ne te retourne pas… mais ton père est mort depuis 15 ans d’un accident de voiture voyons… et Papa s’assoit à la table d’à côté avec une dame qui n’est pas Maman et je reste avec ma fourchette l’amour de ma vie le regarde et fait oh en mettant la main devant sa bouche et Papa la regarde il sourit l’air étonné et moi aussi je souris l’air estomaqué et Papa lui aussi alors je lui marmonne en baragouinant vous ressemblez tellement à mon père que j’ai eu un choc c’est comme si vous étiez lui Papa continue de sourire oh really yes et je sors une vieille photo de mon portefeuille et Papa dit mais c’est moi là… le même visage un peu rougeaud, la même coupe de cheveux bien dégagés sur les oreilles, le même air bonasse, affable, habillé pareil c’est-à-dire n’importe comment c’est Papa qui se lève et me serre vigoureusement la main et embrasse l’amour de ma vie toute raide j’y crois pas ; Papa nous fait un signe venez à notre table et nous nous installons et bavardons pendant tout le repas avec force gestes expressions enfin bref on se comprend je lui dis pour Papa pour Maman plus tard on lui montre d’autres photos celles des enfants oh lovely children apportez donc une autre bouteille et vous moi gallois de Cardiff plus travailler dans charbon bon dieu comme mon père I am retired venir ici pour pêche très bonne et vous moi banque rencontré mon épouse banque aussi et voyage en Ecosse ahahah. Au moment de payer Papa devint plus rouge que d’habitude mais j’insistais et il me dit bon maintenant j’invite vous au lounge bar l’amour de ma vie moi je suis crevée je monte à demain et Papa et moi entrons dans une pièce enfumée et bruyante une dame au piano désaccordé dont les dents ressemblent aux touches blanches et l’assemblée chante chacun avec un verre à la main et Papa qui s’appelait Dylan le mien s’appelait Robert me tend un verre plein d’un liquide ambré se met à chanter très faux comme les autres et moi aussi en yaourt mais avec conviction cela dura des heures et des verres et des verres et quand il fallut monter l’escalier heureusement que Papa Dylan et moi on se tenait enlacés et titubants chut chut chute…

Le lendemain matin, nous nous retrouvâmes à la même table lui frais comme un gardon moi gueule de bois carabinée hello you sleep well not at all nous nous quittâmes à la fin du petit déjeuner avec échange de photos d’adresses et embrassades…

Je lui dis combien j’avais été heureux de prendre une telle cuite avec mon père… quinze ans après sa mort.

 

18:34 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (1)

10/12/2015

ESTAFETTE

 

Il fallait quelqu’un pour porter rapidement la dépêche, le commandant avait dit c’est urgent, très urgent, je compte sur vous, ça devait vraiment être si urgent et important car au lieu de me tutoyer et de me regarder avec son mépris habituel il m’avait vouvoyé avec un certain sourire inhabituel. J’ai donc enfourché ma moto amochée mais encore vaillante et je suis parti aussitôt sur mon destrier pétaradant alors qu’au loin sifflaient les obus de plus belle si on peut dire ça comme ça.

J’avais reçu deux lettres cette semaine, une de mes parents, de Maman qui insistait une fois de plus pour que je fasse très attention car elle avait eu des nouvelles de copains à moi qui étaient morts durant le dernier assaut, fais attention mon Jérôme on attend ton retour on aura besoin de toi à la ferme, avec en plus un mot de Papa qui me rappelait que son père à lui avait été ordonnance d’un général lors de la première guerre, la dernière disait-il, qu’il fallait que je sois fier et courageux ; une de Monique, ma promise, avec des traces de rouge à lèvres partout sur la feuille devenue presque illisible mais je pouvais lire qu’elle m’aimait que c’était dur d’attendre si longtemps la prochaine permission, j’avais mis sa lettre sur mon cœur et je la relisais tous les soirs avant de trouver le sommeil. J’avais entendu dire que la fin de cette guerre, la nouvelle dernière, était proche à cause de toutes ces batailles qu’on avait gagnées et que l’ennemi, le dernier, allait bientôt capituler, enfin, et pourtant ça continuait de siffler bon dieu ça se rapprochait et moi, dans ma précipitation, qui avait oublié mon casque. Avant de partir en trombe Lucas et Émile, mes deux meilleurs copains de chambrée m’avaient dit en rigolant oh ! est-ce ta fête aujourd’hui l’estafette ?, on est le trente septembre mon vieux, j’avais souris, ce sera notre fête à tous bientôt vous verrez dis-je en enfourchant la bécane, je suis le héraut qui va porter les bonnes nouvelles à l’état-major à l’arrière de ces putains de tranchées, bordel et vrouououm.

Le lendemain, les copains apprirent par le lieutenant que Jérôme parti en trombe avait été retrouvé à quelques centaines de mètres lors du dernier bombardement, avec deux éclats d’obus dans sa tête sans casque. On le décora d’une médaille à titre posthume : «Soldat de première classe d’origine antillaise Jérôme Midon, estafette en mission, mort au champ d’honneur ce 30 septembre 1918 ».

16:53 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (0)

03/12/2015

UNE ANNONCE



« On va avoir de la visite ».
C'est en pensant à cette phrase lue dans Orfeo, le roman de Richard Powers qu'elle avait beaucoup aimé, que Muriel annonça à Jérôme qu'elle était enceinte.
Bon, on peut remonter au début de leur histoire d'amour, de leur union, de leur mise en ménage, de leur désir d'enfant, de leurs interrogations et de leurs craintes. Ils avaient tout envisager, un ou plusieurs espacés dans le temps mais les incidences sur leur vie de couple et aussi sur leurs parcours professionnels avaient mis le problème en suspens jusqu'au moment où les couples amis se mirent à enfanter plus rapidement que prévu sur leurs propres plannings. Les copines aux ventres rebondis, les copains anxieux et rigolards à la fois devinrent des êtres scrutés dans leurs comportements lors de réunions et/ou repas au cours desquels Muriel et Jérôme faisaient une sorte d'apprentissage préventif. Sans parler des discussions avec les parents et grands-parents respectif, voire les fameux et incontournables «de notre temps », « si vous voulez notre avis », « croyez en notre expérience »,  « nous ce qu'on en dit vous savez »… les réunions familiales devinrent pénibles et donc s'espacèrent ; il avait aussi les collègues de travail côté Muriel, de jeunes femmes nouvelles mamans aux expériences diverses parfois curieuses sur les nouvelles techniques, sur l'allaitement, les soins, les livres aussi, les conseils dans les journaux et revues sans oublier les visites chez le médecin de famille référent, l'obstétricien, l'accouchement chez soi ou en clinique, le choix du pédiatre…
Mais on en n'était pas encore là, pas de signe visible de grossesse, par contre le doute, la crainte, la joie, l'espoir, tout cela mélangé façon cocktail… Plusieurs questions : le sexe de l'enfant à venir, la certitude ou la surprise, vaste débat, le mode d'accouchement conseillé par les copines aux avis différents, et ah ! on y arrive : le choix des prénoms, vaste programme, une conviction partagée : pas de ces nouvelles appellations à la con ni retour aux plus anciens genre Arthur, Émile, Simone ou Arlette, pas d'originalité à tout prix, pas de clins d'yeux aux ancêtres non plus, alors ??? on avait le temps d'y penser ; la seule assurance prise : pas baptême et tant pis pour les rares calotins et grenouilles de bénitier dans nos familles, ça couinerait un peu mais tant pis… Tout cela avait fait disparaître l'idée que nous avions eue au tout début de notre histoire, à savoir adopter plutôt qu'enfanter mais Muriel avait manifester rapidement l'envie sinon le besoin d'être maman, alors !
- Tu sais, je le sens déjà, il commence à remuer, tiens touche...

Et c'est alors qu'on sonna à la porte d'entrée ; « aurait-on déjà de la visite ? », s'écria Jérôme en éclatant de rire
- Bonjour, c'est le facteur, j'ai un colis pour vous, un gros.

12:52 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (2)