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23/01/2014

L'ARRÊT PUBLIC

  

C'est un pays où on aimait beaucoup aller pour nos vacances... avant le coup d'état il y a tois ans... quand c'était encore un pays libre, une république alors que maintenant... Muriel a dit alors on n'y va plus ?, Jérôme a répondu si, ce ne sont pas ces connards qui vont nous en empêcher quand même... 

Le coup d'état avait surpris tout le monde et lorsque la Maréchale prit le pouvoir après un référendum truqué favorable à l'extrême-droite avec l'appui de l'armée, du parti conservateur et des syndicats, ce fut un vrai coup de tonnerre, d'autant qu'avec son compagnon comme premier ministre (ancien officier de marine) et toute la clique de vieux réacs revanchards, on savait à quoi s'attendre et ça n'a pas tardé, le pays s'était refermé sur lui-même après avoir mis les barbelés aux frontières, rétabli sa vieille monnaie dévaluée, mené une campagne de privatisation des services publics et des grandes entreprises, supprimé les libertés individuelles, installé la torture et restauré la peine de mort ; tel était la situation après ce soit-disant aggiornamento (!) mené de main de fer par cette blondasse haineuse, vindicative et vengeresse. Il y avait eu un peu de résistance, quelques émeutes réprimées dans le sang et tout était redevenu calme et bouclé. Le pays fut immédiatement mis au ban de l'Europe démocratique. Au bout de quelques mois, la situation intérieure s'étant dégradée notamment plus de tourisme, une de ses ressources prinicpales, la Maréchale (autoproclamée) dû se rendre à l'évidence : il fallait lâcher un peu de lest comme l'avait fait à leur époque ses chers modèles Salazar, Franco et Musso. 

Donc, ayant pris leur décision d'y aller malgré tout, Muriel et Jérôme commencèrent leurs démarches pour un séjour de 15 jours et durent surmonter des difficultés et problèmes à l'ambassde et au consulat après enquêtes minutieuses à leurs sujets (paperasses, queues et attentes interminables, interrogatoires...) et obtinrent enfin leurs visas au bout de deux mois. Partis !.A la frontière, rebelote, questions, papiers, fouilles... et nous voilà sur la route des vacances youpiiii... Premier constat, les routes privatisées ne sont pas entretenues, cabines de péage tous les vingts kilomètres sous le regard des soldats surarmés vigilants, peu de stations-service, rationnement de carburant... 

Jérôme, un œil dans le rétroviseur dit à Muriel ne te retourne pas on est suivi sur la route par une grosse voiture noire et sans doute par l'hélicoptère dont on entend le boucan infernal, on a encore plus de deux cents kilomètres putain c'est pas possible avec ces nids de poules...

Quelques pauses pipi sur des aires payantes quasiment désertes, toilettes abandonnées répugnantes... et la fin du cauchemar routier en vue, enfin la destination finale. On ne s'y reconnaissait plus, tout avait changé, peu de monde dans les rues, des magasins fermés rideaux de fer baissés, peu d'éclairage urbain, pas de panneaux de signalisation, le GPS ne fonctionnait plus, toutes les places de stationnement payantes et réservées avec arceaux de sécurité levés, après avoir déambulé pendant une demi-heure, on trouve un endroit pour s'arrêter et le vigile nous fait comprendre d'abord pas signes, puis vous pas stationner ici seulement « arrêt public », quoi ? oui arrêt public gratuit, Muriel rigole, la république, gratos ici ?, le vigile ayant enfin compris ou presque ne rigole pas du tout et devient menaçant, il gueule vous arrrrêter ici mais pas stationne... du vrai Kafka, en pire. Et Muriel de demander benoîtement, heu vous savez où on peut trouver un parking par là parce que... Le geste du gardien fut très explicite... Muriel ajoutant : et très républicain !. 

© Jacques Chesnel

12:05 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (1)

17/01/2014

L’INTRUS

 

Cette année-là le petit nouveau de la bande des joyeux convives de l’été nous bassina pendant des heures interminables avec son auteur favori dont il semblait connaître l’œuvre mieux que l’auteur lui-même sans doute : le grand Will, non pas Shakespeare, l’autre William, Faulkner, le grand Bill… enfin si on peut dire grand quand on mesure un mètre soixante et encore… Le petit nouveau, beau brin de garçon bronzé genre James Dean tendance Chet Baker celui des années 50, souriant-avenant-prévenant avait tout pour plaire aux dames et messieurs pas pour les mêmes raisons quoique… Sitôt débarqué donc, le voilà avec son héros qu’il nous présente sur toutes les coutures et son œuvre par ci et sa vie par là, apparemment grand connaisseur avec forces détails et anecdotes que même les plus amateurs et il y en avait deux ou trois hochèrent et opinèrent du chef et du reste… on n’échappa pas au bruit et à la fureur qui semblait avoir ses préférences surtout pour une dénommée Caddy , aux turpitudes de la pauvre Temple et de son bourreau l’infâme Popeye qu’on en avait les yeux qui sortaient de la tête, les péripéties du voyage d’une morte, la crue d’un fleuve, les colères d’un colonel, des histoires de familles, les Sartoris, Snopes et autres McCaslin, la cousine Rosa, l’avocat Benbow… de paysans, des meurtres, des larrons, des larcins, tout ce qui se passe dans le comté imaginaire de Yoknapatawpha… et de nous conter ma foi fort bien par le menu tout le contenu des livres qu’il disait avoir lu et relu au moins trois fois dans l’ordre dans la collection de la Pléiade quel boulot mais quelle plaisir de la redécouverte affirmait-il tout sourire, tenez dans… c’était parti… 

Nous nous connaissions tous ou presque depuis quelques années et se retrouver chez nos chers amis était un moment délicieux pour un séjour plus ou moins long qui ne l’était pas moins… c’était la première fois que Beaubrin comme nous l’appelâmes venait à ici et sa présence bien que nous ne soyons pas tous des vieillards loin de là apportait un petit coup de jeune qui ne laissait personne insensible surtout du côté des dames…

Alors là on en appris sur le William, ses amours (ah ! Meta Carpenter) et ses cuites, son amour du cheval et du Jack Daniels ou l’inverse, ses rapports avec les Noirs, puis sur Hollywood et son petit monde de producteurs plutôt moches genre derniers nababs, de secrétaires affolantes et incapables sauf de… bon… tout cela raconté de fort belle façon devant un auditoire captivé au début et il nous casse les couilles trois jours après et on s’en fout de son pochtron libidineux et du reste dirent quelques énervés alors que d’autres un peu moins nombreux semblaient toujours aussi fascinés… lui souriait toujours…

 

Dites jeune homme, racontez-nous alors votre approche de l’écrivain, est-ce l’histoire ou sa façon de la raconter qui vous subjugue le plus, et cette complexité de lecture, la démesure, la notion de temporalité, le, la… et (ultime question)  vous devez bien avoir un livre favori, réponse de Beaubrin : bien sûr, L’intrus… et aussitôt d’embrayer sur l’histoire, sur le personnage principal, le Noir Lucas Beauchamp, le lynchage… vous savez le titre original est « Intruder in the dust, L’intrus dans la poussière » ajouta-t-il en grattant ses pieds comme démonstration…

 Au bout du quatrième jour, après son départ aussi inattendu que son arrivée, un invité, un pilier de la bande, un de ceux qu’on retrouvait toujours avec plaisir tous les ans demanda à notre divine hôtesse :

mais dis nous c’est qui ce mec ?... ben je crois que c’est le fils d’une amie de ma meilleure amie, tu sais la blonde ricaneuse et dragueuse, il a débarqué un beau matin au p’tit dèj comme dans Théorème, a dit bonjour simplement, s’est assis à table avec nous, s’est servi un café, on lui a seulement demandé son prénom dont personne ne s’est souvenu, Guillaume je crois, il connaissait parfaitement ceux de chacun d’entre nous, il a ri nous aussi … on ne s’est pas posé de question, il était venu à pied sans bagage sans rien, il a aussitôt commencé à parler de son écrivain de prédilection avec tellement de conviction, de chaleur qu’on en restait bouche bée devant tant de passion… il était si sympa, non ? hein ?...et tant pis si personne ne semblait savoir qui il était d’où il venait…

au fait, tu le connaissais, toi ?...

qui ça ? FAULKNER... ?

 

© Jacques Chesnel

10/01/2014

L'ATTRACTION AVANT

 

On ne sait jamais quand cela arrive, quand cela vous arrive, le plus souvent à l'improviste et alors il faut vite faire fonctionner la boîte à rangements dans le cerveau pour pas que ça vous échappe, mais quand vous vient ces quelques mots comme aujourd'hui : l'attraction avant ? que peut-il se passer, qu'en penser...

Bon il y a bien quelques semaines que je m'étais égaré dans une manifestation concernant des vieilles bagnoles ressorties du garage où des vieux pépés lustrent et peaufinent les carosseries à s'en luxer les abattis, à caresser des formes avantageuses en aérodynamique qu'ils semblent préférer à celles de leurs mémés et font tourner le moteur avec réglages précis et précieux chaque jour un peu plus tous les jours en vue de la prochaine sortie du dimanche, du prochain concours pour frimer du genre regardez c'est moi qui possède la plus belle, la mieux conservée, toujours en état de marche vroum vroum et je vous raconte pas la fierté avec les mirettes en merlan frit et la bouche en cucul de poule pour vous en mettre plein la vue ; donc, nous y voilà une attraction, d'accord mais avant ?. Je me suis fait une de ces prises de tête, une monumentale, j'ai cogité sans arrêt buffet ou presque, je me suis trituré ce qui me reste de méninges après ma méningite à avoir la caboche jouant à la chaudière kalamazoo, à se cogner la tronche contre les murs (aïe) plutôt que l'avoir au carré ou mieux dans les étoiles, pauvre Gégé…

 

…en 1936, Papa qui avait eu de l'avancement à la compagnie des eaux et qui rêvait tous les soirs à la nouvelle Citroën, cette fameuse 7CV, la première traction avant construite en grande série à partir de 1934, s'était débrouillé avec un copain garagiste pour en acheter une d'occasion, une véritable affaire après un décès, au grand dam de Maman, Roger c'est de la folie, on va croire que t'as gagné à la loterie nationale, mais oui ma bonne Marthe j'ai gagné oh pas le gros lot mais assez pour je ne t'avais rien dit pour te faire une surprise et voilà comment mon frère Lucien et moi on paradait dans notre "trésor à roulettes" qui faisait des envieux comme les copains du Front Populaire qui traitaient Papa de richard et de vendu au grand patronat et aux deux cents familles ce qui était faux puisqu'il avait adhéré au Parti Communiste l'année précédente au re-grand dam de Maman qu'est-ce qu'on va dire dans la famille avec Pépé Auguste qui n'aimait pas les bolcheviques et préférait les Panhard… les premiers jours on a fait de courtes balades parce que il y avait des grèves et des fêtes tout le temps partout, des manifestations et des contres avec parfois de la bagarre avec les ligues nationalistes mais nous on suivait les drapeaux rouges  on entendait crier vive Léon Blum comme à la première Fête de la Jeunesse où on avait défilé avec le petit Lucien qui chantait plus fort l'Internationale mais encore plus faux et s'égosillait vive Boum vive Boum … les copains de Papa le charriait toujours en l'appelant l'amerloque mais ils étaient contents quand ils allaient à la pêche dans la traction avant qu'était devenue l'attraction du quartier… bientôt, Papa allait prendre ses premiers congés payés pour aller passer une journée à Trouville puis à la campagne pour aider des cousins à faire les foins, dans la voiture on avait expérimenté les fameux "coups de raquette" à l'arrière quand la route était mauvaise, on avait emmené Mémé Albertine qui avait une des ces frousses parce que c'était la première fois qu'elle montait dans une auto moderne vous roulez trop vite Roger disait-elle en se tenant à la poignée de la portière attention a pas ouvrir Mémé, on ne se moque pas Gégé me dit Maman tu verras plus tard mais je ne serais jamais vieux Maman qui pour l'occasion avait mis une rose dans le petit porte-fleur sur le côté du pare-brise, on était heureux ça allait durer toute la vie… ça a duré jusqu'à la guerre, jusqu'à l'exode quand on est reparti chez les cousins, cette fois on ne chantait plus et on se foutait pas mal des "coups de raquette" à l'arrière de la traction avant, on avait entendu les chevrotements du "sauveur de la patrie" à la radio et Papa avait dit attention méfiance avec ce gars-là il ne nous aime pas à cause du Front Popu… puis avec ses copains il était entré plus tard dans la résistance avec les F.T.P. dans le maquis du Vercors sans pouvoir emmener la voiture faute de carburant ; pendant l'occupation la voiture était restée immobilisée, cachée dans une grange chez les cousins pendant quatre ans enfin presque car on a appris qu'en juin 44, quelques jours après le débarquement, des collabos du coin bien renseignés et armés jusqu'aux dents avaient réquisitionné notre voiture qui, après quelques tentatives laborieuses de démarrage pétaradant, put finalement embarquer ces salopards on ne sait où en espérant qu'ils n'iraient pas très loin…

 

… et aujourd'hui j'entends encore à la libération Lucien dire à Papa en pleurnichant, j'espère qu'ils ne sont pas allés très loin avec les coups de raquette à l'arrière et Papa de répondre oui je le souhaite mais tu sais elle est vraiment increvable cette attraction avant là, hein ? Gégé, me dit-il en ajoutant un clin d'œil…

- la preuve, Papa, j'en ai encore vu plusieurs cette semaine, tous ces pépés en train de tripoter leurs machines vroum vroum... avant que ça fasse teuf teuf et pfttt ptffff...

©  Jacques Chesnel

12:46 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (2)

04/01/2014

LA CHAMBRE, LA LOGE

  

Quand Martial ouvrit la porte de la chambre après avoir frappé si doucement que je n’avais rien entendu, je tenais la main de Melinda, je la retirai doucement elle la reprit la serra fort en murmurant non. Martial s’avançait gauchement avec son bouquet de fleurs, des arômes dont l’odeur se mélangea rapidement avec celle écoeurante de tout hôpital. Il s’approcha du lit et se pencha vers Melinda disant non dans un souffle, nos regards gênés se croisant, drôle d’ambiance.

Je, dit-il

Non, reprit Melinda, rien ne dis rien et pars vite

Je, dis-je

Non, toi tu restes

Mais

Tu restes, dit-elle, m’étreignant la main qui me fit mal, craquement des doigts, surpris de sa force.

L’odeur devenait vraiment insupportable, je ne veux pas de tes fleurs et sors, vite

Mais

La porte s’ouvre alors, une blouse blanche entre affairée, bonsoir il est l’heure on va prendre sa petite température maintenant, si ces messieurs veulent bien sortir un minute, elle lâcha ma main, Martial haussa les épaules, l’infirmière secoua le thermomètre, un peu de musique maintenant non ?, elle mit la radio sur FIP c’était Paul Desmond…


Quand Paul Desmond ouvrit la porte de la loge, son premier regard fut pour la table, bon c’était la bonne marque de whisky ouf. Le verre était en carton il aurait préféré qu’il soit en verre mais bon.

Derrière lui, une blonde enturbannée façon Beauvoir s’approcha et lui mit la main sur les yeux qui c’est hein Marina nan perdu Melinda petit voyou qui attendais-tu petit voyou mais toi bien sûr. Derrière elle, un balèze gominé du genre gangster années 30 hé Paul j’ai un nouveau contrat pour toi au Vanguard tu piges okay mec bonjour Marina nan moi c’est Melinda spèce de connard Desmond lui pris la main non pas toi, dégage mec dit-elle au gommeux. Il me gonfle, et en plus je peux pas saquer son odeur on dirait celle de l’hôpital ou des arômes

Tu restes, bouge pas

Holà vous deux, dit le gangster, vous jouez à quoi, hein ?

Aïe mes doigts heu tu serres trop fort

La porte s’ouvre c’est à vous Paul dans deux minutes, les gars du MJQ sont prêts


L’infirmière sortie, je suis rentré seul dans la chambre, Martial m’avait dit dans le couloir je n’en peux plus de la voir comme cela tu te rends compte, Melinda me souriait elle avait l’air heureuse elle avait éteint la radio, elle aimait bien Paul Desmond, alors après c'était pas la peine de continuer...

 

© Jacques Chesnel

15:44 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (4)