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16/11/2012

L’OISEAU SUPÉRIEUR

                                                     

Longtemps je me suis levé de très bonne heure, dès le lever du jour pour répondre à ma passion apparue dès mon enfance pas si tendre, le chant des oiseaux. Pas si tendre parce que mes parents ne comprenaient pas cet engouement, c’était pour eux inexplicable, personne dans la famille n’ayant affiché un tel enthousiaste pour quelque chose d’aussi inutile, ils considéraient cela comme une lubie enfantine alors que cela perdurait depuis maintenant plusieurs années, Jérôme quand vas-tu te décider à grandir et devenir sérieux. Les voisins ne se privaient pas pour critiquer, Madame Ricard on a encore vu et entendu vot’ gamin dans le cerisier en train de siffler avec les merles ce matin à six heures, il est intenable, même le curé en remettait une couche, il ferait mieux d’apprendre son catéchisme. Bien sûr, j’avais des lacunes, comment tout savoir sur près de dix mille espèces mais j’étais incollable sur un grand nombre, sur leurs caractéristiques principales,  leurs plumages, alimentation, maladies, longévité et comportements mais ce que je préférais et continue d’admirer ce sont leurs chants, tenez par exemple celui de l’oiseau-lyre d’Australie, du roitelet à triple bandeau, de l’avocette élégante, du troglodyte mignon mais encore et surtout celui des merles de mon village dont certains à qui j’avais appris quelques trilles, ce qui provoquait l’hilarité de nos voisins qui faisaient toc-toc en se frappant le front à mon égard et pourtant…

Je continuais de m’esbaudir sur ces petits volatiles et leurs gentils gazouillis quand par le plus grand des hasards, j’entendis un soir à la radio un morceau intitulé Ornithology joué par un certain CHARLIE PARKER et là je suis littéralement tombé sur le cul, je n’en revenais pas en n’en suis toujours pas revenu. Pour la première fois j’entendais un oiseau qui n’en était pas un mais un saxophoniste alto ; j’étais sidéré par son discours vertigineux autant que par sa sonorité si éloquente, par ses aventures à la limite de l’inouï, ses cascades virevoltantes, ses syncopes et accentuations ; je retrouvais dans son chant toutes les beautés entendues dans les discours de mes si chers bestioles, cela allait changer complètement mon existence surtout quand j’appris que le surnom qu’on lui donnait était BIRD, le plus grand inventeur de la musique instantanée, maîtrisant toutes les tonalités, tous les doigtés même les plus acrobatiques, traduisant en temps réel un exposé complexe et cohérent.

Alors je sus communiquer ma passion à tous les habitants du village et en qualité de maire et en accord avec le conseil municipal nous décidâmes de rebaptiser notre territoire « Birdland », de commémorer les dates de sa naissance et de sa mort (fête et deuil municipal), de créer un festival entièrement parkérien qui connut et connait toujours un succès dépassant nos espérances, les rues portèrent les titres de ses compositions, Confirmation Street, Donna Lee Road, Now’s the Time Boulevard, l’école de musique fut dévouée exclusivement à l’enseignement de son art, Clint Eastwood et Julio Cortázar furent nommer citoyens d’honneur, Clint pour son film Bird avec Forest Whitaker qui reçut le prix d’interprétation au Festival de Cannes en 1988 et Julio pour sa nouvelle L’homme à l’affût.

Mais il y a une chose dont je suis le plus fier : avoir réussi à faire siffler à tous les merles du pays, un vrai chœur que nous protégeons, les compositions les plus connues du génial saxophoniste. Ainsi quand vous viendrez un jour prochain à Birdland, vous serez accueilli par Leap Frog, Scrapple from the Apple ou Billie’s Bounce, il vous suffira pour cela de siffler les premières notes, celle que vous connaissez toutes et tous, et vous serez étonnés et emballés par la suite. A bientôt.

©  Jacques Chesnel

 

13:04 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (6)

Commentaires

Passer d'un oiseau à l'autre, quelle prouesse, Jacques!

Écrit par : Nicole Giroud | 18/11/2012

Un jour,il y a déjà longtemps, au festival de jazz de Moers, en Allemagne, j'ai eu l'occasion de dire à Anthony Braxton toute l'admiration que je lui vouais à l'époque. Je lui parlais d'un album intitulé "Conference of the birds", avec Dave Holland et Barry Altschul, si je me souviens bien, et je lui ai dit qu'en sortant un matin très tôt de ma chambre d'étudiant ou de post-étudiant à Bruxelles, j'ai entendu le chant des merles, et j'ai directement pensé à cet album. Là, il m'a fait un beau sourire, et m'a dit: c'est incroyable, car pour créer cet album, je me suis inspiré du chant des merles... Merci pour votre texte, qui m'a replongé un instant dans un festival qui fut important pour moi à l'époque, et m'a rappelé cette rencontre... Et ce jour fut même immortalisé pour moi d'une manière particulière, car sur le verso de l'album solo enregistré le même jour à Moers, il y a une photo de la foule des auditeurs, et... j'y suis... en compagnie d'un Tunisien rencontré à l'occasion de ce concert de Braxton, ce Tunisien qui s'appelle Hamadi, et qui est un des personnages de la fin de mon roman, Les tambours de Louis, auquel vous avez eu la gentillesse de consacrer une chronique... la boucle est bouclée... vive les drôles d'oiseaux que nous sommes! Continuons à chanter chacun à notre manière, car autour de nous, ça chante de moins en moins!

Écrit par : Lucien Putz | 20/11/2012

Cher Lucien Putz,
votre commentaire me fait plaisir extrême, non seulement en ce qui concerne l'Oiseau mais aussi pour vos souvenirs qui corroborent aux miens (vu/entendu "Conference of the Birds à Juan avec Sam Rivers)... cela fait du bien de savoir que dans ce petit monde du Jazz il y a des esprits frères (que je préfère aux âmes sœurs) comme le vôtre... tous dans le même chant/champ des possibles jazzistiques... avez-vous quelque chose sur le feu ?, ce serait dommage d'en rester aux tambours...
avec mon amitié... pour chanter de plus en plus fort contre la crétinerie qui s'accentue avec la pénible farce qui vient de ses jouer hier !

Écrit par : Jacques Chesnel | 20/11/2012

Merci pour le commentaire; rien sur le feu, non, mais un pamphlet,un long cri de colère qui vient de paraître, destiné aux élus de tous poils et de toutes tendances, impuissants, complaisants ou complices face aux vautours de la finance(pardon pour les vrais vautours). Le titre: "Lettre ouverte aux femmes et hommes politiques; Petit rappel(à l'ordre)élémentaire avant action; Texte en dents de scie et à couteaux tirés" paru aux Éditions du Cerisier. http://editions-du-cerisier.be/spip.php?rubrique20

Écrit par : Lucien Putz | 21/11/2012

hello Jacques
cela n'a pas grand chose à voir avec le jazz (que vous connaissez si bien), mais je vous invite à écouter Jacques Perrin qui sait si bien parler des oiseaux:

http://www.franceculture.fr/emission-pas-la-peine-de-crier-camera-de-haut-vol-2012-11-21

Écrit par : paniss | 22/11/2012

Jacques, ton oiseau me parle.
Un jour, j'ai moi-même engagé un quatre-quatre sur "Round Midnight" avec un ménate devant l'église d'Eze Village. Jusqu'à ce que le curé sorte furibond et me prie de laisser son oiseau tranquille ! La religion est vraiment une institution de merde.
Dans la catégorie "Bird of Paradise" ( Charlie Parker ), je pense aussi au monologue de Claude Nougaro "Plume d'Ange", où l'on parle d'ornithologie comparée entre Charlie Parker et Olivier Messiaen, cet autre oiseleur patenté. Et encore au merveilleux petit livre écrit et dessiné par le batteur des Rolling Stones Charlie Watts "Ode to a high flying bird", introuvable maintenant je suppose.

Écrit par : Michel Delorme | 23/11/2012

Les commentaires sont fermés.