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13/04/2012

LA VILLE

 

Ça l’obnubilait : tous les matins, depuis plus d’une semaine, il se réveillait en prononçant ce mot dans un souffle : Mourmansk !

 

Il savait par ses frères, plus tard par ses copines, ses maîtresses et ses épouses, qu’il sortait toujours de son sommeil agité ou paisible avec la prononciation d’un mot, qu’il se soit couché tôt ou tard ou pas du tout, toujours un mot dès l’ouverture des yeux ; le premier « tine » lorsqu’il réclamait sa tétine, le second « key » pour réclamer son Mickey en peluche, plus tard Paulette son premier toujours premier amour toujours pour pas longtemps parfois, beaucoup de prénoms féminins furent ainsi prononcés, tiens un jour Pierre, les frères se posèrent des questions est-ce qu’il ? non, c’était celui d’un sacripant qui l’avait beaucoup bousculé dans l’escalier à l’école, vinrent les coureurs cyclistes Speicher étant le favori de l’éveil pendant un temps, les suivants rois de la grimpette Bahamontes et Copi, les actrices ah Maria combien de fois Maria, pour Montez, Casares, Schell  dans « Gervaise », Schneider celle du « Dernier tango à Paris » et aussi Jeanne Moreau la Jeanne dans tous es films, en sport les tenniswomen, le joli visage d’Ana Ivanovic et Maria (encore) Sharapova autant pour ses p’tits cris que pour ses petites jupettes dévoilant de délicieuses rondeurs, puis le automobiles la Rosengart de ses grands-parents, la Panhard prononcée soit pan-hard soit panard, sa petite Spitfire et la façon de susurrer la dernière syllabe  comme une caresse… on passe sur les monts, les rivières, les fleuves et lacs, le Titicaca petit caca à quatre ans, le monstre du Loch Ness qu’il appelait Arghh sans doute suite à la peur qu’il avait ressentie lors de la visite à huit ans, mais si Papa j’te promets je l’ai vu il est énorme et tout noir…

… beaucoup plus tard, et d’une certaine façon plus compréhensible, les noms des villes, on y arrive, les villes visitées, revisitées, fouillées, disséquées, archivées, qui contribuèrent certainement à sa formation puis à sa renommée d’architecte mondialement reconnu, que de noms prononcés après tant de voyages. Sa dernière épouse Paulette encore une nous avoua que plus tard, dans la dernière période de sa vie, les désignations/nominations de certaines villes de la péninsule ibérique revenaient avec plus d’insistance, elle ne compta pas le nombre de fois le réveil avec Salamanca, Grenada, Cordoba, Coimbra, Evora, Braga…

Dès lors qu’il ne put voyager, il dévorait tous les livres sur les villes, celle connues, les autres aussi qu’il aurait tant aimé admirer, celles du Moyen-Orient, de l’Inde, du Japon… et Brasilia pour Niemeyer, Chandigarh pour Le Corbu, le facteur Cheval et son rêve de pierre, plus récemment…

 

Au cours de la nuit, il s’était levé, sa femme ne sut dire pourquoi ; il paraissait agité, marmonnant sans cesse. Au matin, il resta au lit plus longtemps alors qu’il était  toujours debout de bonne heure ; il était mort dans son sommeil sans avoir prononcé de mot ; dans sa main droite,  il tenait une feuille de papier froissé, une publicité pour un séjour à Mourmansk.

 

©  Jacques Chesnel

01:15 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (2)

Commentaires

J'aime beaucoup cette histoire très mystérieuse où tout n'est pas dit. Pourquoi Mourmansk ? désir de découverte ou souvenir ? Tout près du cercle polaire et des mers gelées si on oublie la centrale nucléaire....
La fin m'évoque celle de Citizen Kane... Rosebud...

Écrit par : christiane | 15/04/2012

Mourmansk: peut-être est-ce dans cette ville qu'il avait connu Marie... Ou Jessica... Va savoir!

Écrit par : paniss | 23/04/2012

Les commentaires sont fermés.