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26/05/2015

CHAUFFEURS

 

Ce petit restaurant est vraiment sympa ; normal me direz-vous puisque routier, donc… Il ne désemplit pas de l'année du matin pour le jus jusqu'au soir pour le dernier verre, oui vraiment sympa, on ne peut vraiment pas dire ce qu'il a de plus que les autres mais il l'a, tout le monde est d'accord, Julien le premier qui n'a jamais hésité à faire le détour et une halte pour retrouver des collègues et refaire le monde qui en a bien besoin, n'est-ce pas ? 

Tous les camions ou presque, très gros ou moins, portent le sigle TIR c'est dire s'il font du chemin et traversent l'Europe de l'Ouest dans tous les sens, on se connaît, se reconnaît (les Déménageurs Bretons, les Norbert Dentressangle, les Juan Alvarez de Valencia, les Calberson, DHL, Dimotrans et autres transporteurs de logistics, meubles et diverses cargaisons mystérieuses qui nous interrogent parfois…l'apparition de nouvelles immatriculations internationales, les AL, BG, CS…) avec un appel de phares et un signe de la main quand on se croise, on salue les nouveaux qu'on chambre un peu, une sorte de bizutage cordial pas comme ces connards d'étudiants des grandes écoles, on ne cherche pas à biturer ni humilier non, on chambre un peu c'est tout c'est pas grave…

En dehors de notre confrérie de la chauffe, autres habitués ou non, les clients de passage font bon ménage avec nous à quelques exceptions près sans jamais de gros problèmes oh on se regarde parfois, on toise on se toise, on côtoie des jeunes cadres dit dynamiques, des VRP affairés ou abattus, des retraités en goguette, des étudiants en balade avec sacs à dos, des cars entiers de voyageurs fatigués ou d'écoliers turbulents, parfois rarement des artistes en tournée, des cyclistes, randonneurs seuls ou en groupe, sportifs avant match les plus musicaux étant ceux du rugby, les plus braillards ceux du foot, des étrangers perdus ou affamés, des bobos qui s'encanaillent, des putes avec ou sans les macs, des paumés inquiets, des inquiets paumés, des amoureux béats, des fugueurs affairés, des rigolos ou gueules à l'envers, bref tout un monde qui se réunit pour la bonne bouffe, l'atmosphère conviviale, le patron qu'on tutoie, la serveuse dont on défait le nœud du tablier et qui rigole. Il y a toujours un coin où on se réunit entre nous pour les derniers potins, propositions d'embauche ou les échanges de photos ou calendriers, les filles du Pirelli ou les rugbymen ou plus hard pour les vicelards qui rencardent sur les lieux de plaisir sur les parkings d'autoroute…


Julien, physionomiste, a le chic pour repérer les futurs copains. Il se trompe rarement, le physique peut-être mais surtout une attitude, un geste, une phrase. Enthousiaste souvent, déçu parfois, il a une foule de potes qu'il aime rencontrer au gré des trajets, tenez, Lulu avec ses innombrables fiancées, Bernard qui parle de ses mioches qu'il adore et ne voit que rarement, Edouard qui imite Balladur à pleurer de rire, une jeune femme belle et triste, Estelle qui est venue au camion parce que son mari taxi l'a abandonnée, Mouloud qui rêve de conduire au Japon et apprend la langue, Roger qui dit toujours tu vois alors qu'il perd la vue et s'interroge sur son avenir, Debureau qu'on appelle Baptiste parce qu'il fait parfaitement le même bien qu'il se prénomme Auguste, un p'tit jeune Sam dont les bras lui font souvent mal parce que son camion vieux modèle n'a pas de direction assistée, un quinqua qui veut arrêter mais a trop de pensions alimentaires à payer et dont on se moque alors Galabru encore une nouvelle ?, un beau garçon aux cheveux longs, toujours solitaire, que Julien ne voit pas assez souvent et dont il ne sait pas grand-chose, il cause peu, donne l'impression de toujours s'ennuyer, sent le parfum bon marché, lit des revues musicales de rock ou des romans américains, ne fume pas et ne boit que du coca ou des jus de fruits. 

Cet été Julien a revu le jeune gars dans ce routier on the road again     entre Nevers et Moulins tiens te revoilà toi comment va le boulot ça fait une paie dis donc je ne t'ai jamais demandé t'es chauffeur chez qui toi maintenant oh je change souvent ça dépend des tournées ah bon ben oui tout de suite je fais celle d'Eddy pour les premières parties on donne un concert demain… avec Eddy Machin ?... ben oui quoi, mon boulot c'est chauffeur de salle... hé, t'entends ça Maurice !.

 

Jacques Chesnel 

16:51 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (1)

Commentaires

J'aurais pensé que le jeune gars de la fin, celui à cheveux longs, s'appelait Marcel.

Écrit par : Dominique Hasselmann | 30/05/2015

Les commentaires sont fermés.