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14/01/2013

JÉRÔME N’EST PAS RENTRÉ

                                 

-       Je vais rentrer l’auto au garage

Muriel  finissant de débarrasser la table répondit OK tout en haussant les épaules, bizarre pour une fois qu’est-ce qui lui prend ? on est  en hiver mais bon. Le repas s’était mal terminé, une fois de plus, l’engueulade avait monté d’un cran, à qui criait le plus fort. C’est Jean-Luc Godard qui avait mis le feu à la poudre qui ne demandait qu’à prendre rapidement, après que nos deux tourtereaux susceptibles eurent visionné Pierrot le fou sur une chaîne du câble. Jérôme trouvait que le film avait pris plein de rides, que Belmondo cabotinait trop mais qu’Anna Karina était toujours aussi craquante. Muriel affirmait que Bébel était parfait dans son rôle mais que la Karina minaudait trop. Quant au scénario et aux dialogues, l’un trouvait que c’était n’importe quoi avec des trucs ringards comme ce je m’appelle Ferdinand à répétition ainsi que les reproductions de tableaux tandis que l’autre pensait que cela faisait « style » pour l’époque, comme un pied-de-nez au cinéma de grand-papa, les désaccords étaient profonds, le verbe de plus en plus haut jusqu’à ce que Jérôme se lève en jetant sa serviette sur la table et dise tu ne comprends vraiment rien à rien ma pauv’ fille et encore moins au cinéma, il est vrai que tu préfères le football ; c’était ce qu’il ne fallait surtout pas dire, cette allusion à l’aventure de Muriel avec un joueur de foot minable ; elle sauta sur l’occasion pour lui rappeler son flirt poussé avec Laura lors d’une fête chez des amis où elle les avait trouvés en train de se peloter dans la salle de bains à moitié à poil et complètement en action les mains et le reste tout partout tu peux toujours causer connard, mais de quoi tu parles là Muriel on avait à peine commencé et on allait en rester là quand tu, ouais t’avais tout de même entrepris de lui mettre ton p’tit instrument tout flasque hein ?, mais moi je ne me suis pas barré pendant un mois avec une andouille qui tapote dans un ballon quand même, oui mais lui au moins il aimait bien Pierrot le fou et il est pas tout le temps à critiquer tout et n’importe quoi et à reluquer sa bagnole toutes les cinq minutes tandis que toi et merde…

Jérôme ne revient pas

Il était parti rentrer l’auto au garage disait-il, la toute nouvelle tire de luxe dont il était si fier d’avoir en plus profité des 8000 euros d’avantages client sans rien comprendre à ce que cela voulait dire mais la bagnole hybride était vraiment chouette et puisqu’on avait un garage alors autant en profiter. Il mit le moteur en marche et alluma la radio, sur France-Inter c’était Le Masque et la Plume émission consacrée au cinéma et les critiques encensaient justement la  diffusion de Pierrot le fou, il se retint de foutre un coup de poing sur le tableau de bord, ça n’allait pas recommencer y en avait marre de ce trouduc  de Pierrot à la fin, tiens je vais faire un tour pour le rodage.

Jérôme ne revient pas

Restée seule un peu sonnée, Muriel se servit un nouveau verre de beaujolais et repensa à Robert, son fouteux qui comprenait que dalle au cinoche et ne parlait que de clubs comme le PSG et de joueurs comme Zlatan ; elle en avait soupé de ces sempiternelles histoires de rivalités et des comportements de Ribery, Messi, Rooney, Drogba et autres Cristiano Ronaldo tous ces noms qui lui ressortaient par les oreilles et alors il a ajusté son tir, l’autre lui a fait un tacle, il a encore loupé sa passe… mais par contre, il était d’une gentillesse émouvante et déconcertante, jamais un mot plus haut et fort que l’autre, il aimait tout ce Muriel aimait, ah son emballement à la pièce Le retour de Harold Pinter qu’il prononçait Paintère, il détestait tout ce qu’elle détestait, oh son aversion pour Despléchin qu’elle trouvait surestimé par la bande de Téléramoche, lui aussi, en un mot un seul : il était TROP gentil, d’une gentillesse qui devenait insupportable, tu ne peux pas me lacher un peu, dis…

Jérôme ne revient toujours pas

Dans cette folie de voiture, Jérôme avait un sentiment de puissance et de plénitude comme jamais auparavant, tout était parfait, c’était même à de demander s’il fallait conduire soi-même, s’il ne fallait pas mieux laisser faire la machine pendant qu’il pensant à Muriel et à la nouvelle dispute, la combien de ce mois, toujours la même susceptibilité, toujours vouloir avoir raison, le dernier mot, tous les torts pour moi, le compteur affiche 140 dans la nuit noire,  quelle tenue de route ma poule, tout est automatique et l’autre là le Robert pot de colle, faudrait pas qu’il me cherche, maintenant à la radio Chet Baker chante Everyday we say goodbye I die a little, et je vois bien la Muriel qui ricane toujours dans son coin, le nombre de fois qu’on s’est dit adieu et je ne suis pas toujours mort nom de dieu de bordel de merde, et je reviens ou bien c’est elle et c’est reparti pour oui pour un non pour un rien pour un flirt avec toi, il savait bien qu’il allait rentrer, qu’il fallait revenir et que tout se passerait comme toujours, tiens ! Tony Bennett fredonne I’m lucky to be me dans le poste, moi aussi je suis content d’être Moi et de rentrer bientôt pour prendre Muriel dans mes bras et qui pleurera comme d’habituuudeu ô Jérôme et moi qui, que se passe-t-il ya du verglas  maintenant putain ou quoi mais…

Le téléphone sonne, Muriel décroche :

- allo, Mademoiselle Branlon-Lagarde, bonsoir, ici le lieutenant de gendarmerie de votre secteur, je voulais vous dire que enfin, nous avons trouvé votre heu ami oh ça n’a pas l’air trop grave mais faudrait que vous alliez à….

Jérôme n’est pas encore rentré

© Jacques Chesnel

23:41 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (2)

Commentaires

cette façon bien à vous - et bien élégante - de mettre du jazz dans un texte sans avoir l'air d'y toucher....

Écrit par : paniss | 18/01/2013

vous ne pouvez pas savoir, paniss, combien votre commentaire me comble... merci très grand

Écrit par : Jacques Chesnel | 18/01/2013

Les commentaires sont fermés.