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13/12/2012

DÉBUT DE DÉBÂCLE

 

Il ne disait rien mais n’en pensait pas moins. Elle parlait sans arrêt sans penser à rien. Ils étaient donc faits l’un pour l’autre, ce qui paraissait tout naturel. Ils s’étaient tout dit ou presque mais il y avait tellement de non-dits, alors c’est elle maintenant qui ne disait rien mais pensait quand même alors qu’il s’était tu depuis longtemps et pensait toujours comme d’habitude ; on n’était pas sorti de l’auberge ni d’ailleurs. Cela paraissait compliqué ; il aurait fallu élaguer, essarter, faire un impossible tri, mettre les choses désagréables de côté, en sursis, en veilleuse, pour mieux les ressortir dans des habits neufs ou raccommodés. Et il y en avait de ces petites choses anodines qui laissent des traces ; tenez, par exemple c’était quand Jérôme était en ligne avec les enfants en vacances à New York que Muriel s’écriait que ce salaud n’avait pas remis de papier toilette dans le distributeur vide et que donc Jérôôôôme merdeu… ou bien Muriel laissait ses collants de la semaine en tas sur la descente de lit et Jérôme dans le coltard s’emberlificotait toujours dedans en se levant et de se casser la figure plaf ! nom de dieu… ou bien, une autre fois, au théâtre pendant le spectacle de Lucchini, le portable de Jérôme sonne furieusement et c’est Muriel qui se fait fusiller du regard par l’assistance et engueuler par l’insupportable Fabrice déconcerté pour une fois… en pleine discussion sur la littérature avec des amis Muriel confond Céline l’écrivain génial également ordure avec Dion la brailleuse canadienne  et quand Jérôme s’emmêle les pinceaux à propos de l’écrivain Paul Léautaud qu’il confond avec l’acteur Philippe Léotard, fallait voir leur yeux exorbités et furibards… La question se posait à tous deux : comment repartir à zéro quand on est à moins dix au-dessous de mille et qu’on ne connait plus l’échelle des valeurs, pourquoi tout aussi bien vouloir remettre tout en question alors qu’on avait épuisé toutes les réponses possibles et même les impossibles les plus souvent réitérées… Séparément ou en couple, ils étaient allés consulter les mêmes psys qui avaient tous avoué humblement que cela dépassait leurs compétences pourtant reconnues internationalement et recommandé soit un isolement volontaire dans couvent et monastère soit une série prolongée de douches froides ce qui les avait hérissés au point d’en venir aux mains avec un de ces connards qui avait averti l’hôpital le plus proche pour la camisole de force… Dans un cas comme le leur, les amis disparaissaient à vue d’œil, les enfants repoussaient indéfiniment leur retour, les grands-parents, désemparés, s’étaient réfugiés,  dans les prières, un comble alors qu’ils étaient athées pratiquants…

Ils essayèrent les thérapies de groupe que Muriel trouva prétexte à une grande partouze papattes en l’air et Jérôme à de la branlette intellectuelle façon Julien Lepers, puis les rebouteux de l’âme dont les rituels et simagrées les firent se gondoler, la lecture des grands penseurs bien-pensants qu’ils trouvèrent pompeux et prétentieux loin des réalités quotidiennes, le refuge dans les églises de toutes sortes dont ils sortirent en courant épouvantés en entendant leurs jargons dégoulinants de bêtises… bref, ils étaient, croyaient-ils, irrémédiablement perdus… quand, c’est tout bête quand on y pense, quelqu’un de leurs rares amis conservés leur conseilla d’aller voir du côté de plus gentiment tordu qu’eux-mêmes pour une cure de désintoxication par le rire : les films de Woody Allen ; ils allèrent voir tous les films et achetèrent tous les DVD… et depuis Muriel et Jérôme ont retrouvé le goût de vivre… comme moi, comme lui, comme vous.

© Jacques Chesnel

 

19:29 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (1)

Commentaires

il va falloir recommander à la Sécu de mettre les films de W. Allen dans la nomenclature: ça coutera moins cher que les médicaments....

Écrit par : paniss | 25/12/2012

Les commentaires sont fermés.