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19/01/2012

VUE À LA TÉLÉ


 Depuis qu’elle était partie faire les courses et n’était pas revenue, Jim la voyait partout sauf chez lui où elle lui manquait ;

dans la rue commerçante, devant lui avec sa chevelure noire aux reflets aile de corbeau, derrière lui quand il se retournait rapidement croyant avoir reconnu son pas légèrement claudicant, dans le métro justement dans ce wagon qui démarrait sur l’autre ligne, au rayon bio du magasin où elle avait ses habitudes alimentaires qui confinaient à l’obsession on voit plus vot’ petite dame si gentille elle est pas malade au moins, au cinéma au quatrième rang devant lui en train bouffer du pop-corn, dans le reflet de la vitre d’un magasin de sous- vêtements, au travers de la porte-fenêtre du playboy de l’immeuble d’en face quand elle se relève d’entre les jambes de ce crétin repu et satisfait… mais depuis quelque temps il sort moins et regarde de plus en plus souvent la télé, il la voit partout dans le monde alors qu’il sait qu’elle est nulle part et partout, il en est sûr, enfin presque. Le début, avec le sport et la retransmission de matchs de foot, toujours au troisième rang des tribunes VIP, le top 14 de rugby avec ce grand con de Chabal qui lui tient la main dans les vestiaires du Racing, à l’arrivée des étapes du Tour de France devant la cabine à pipi pour le dopage à croire que c’est elle qui tient la bite de tous ces pédaleurs chargés à mort, au tennis derrière la chaise de l’arbitre sur sa tour de contrôle et s’extasiant sur Gaël Monfils qu’elle prenait pour le nôtre, aux Jeux Olympiques faisant des grands signes à Usain Bolt qui lui  brandit un doigt d’honneur en souriant, sur un ring de boxe étreignant sauvagement le vainqueur du combat huilé de sueur, sur un tatamis se faisant faire une clé de sol puis de ré, de mi, toute la gamme, pendant une compète de hand-ball la main dans le filet à défaut de panier, sur les hippodromes en train de se faire monter dans toutes les courses par un crack-jockey, sur le circuit du Grand prix de Monte-Carlo où à l’arrivée au milieu de bimbos surexcitées elle débite des obscénités à l’oreille de Fernando Alonso qui effaré lui répondait no puedo no puedo en roulant ses gros yeux, courant comme une folle après Wayne Rooney sur la pelouse de Wembley en plein match du Manchester United contre Arsenal, dans les arènes de Séville aux côtés du torero El Juli avec la queue du toro dans la main… puis plus tard au théâtre dans les loges, à l’orchestre ou à la poulaille, dans les coulisses roucoulant avec la vedette d’une pièce de boulevard nulle à chier grave avec Bernard Menez, Henri Guibet ou Thierry Lhermitte (avec son air bite), rien que de pointures mâââles, au music-hall pour les récitals de Frédérique François ou de Serge Lama, de Gérard Lenorman ou Didier Barbelivien, rien que de pauvres merdes sur le retour d’un jour, les émissions dites de variétés de plus en plus nulles avec les agités du bocal Nagui-danse-de-saint-guy et Dechavanne la vanne ou Sabatier-Colgate, certains films ou séries plus que débiles… et puis pendant un certain temps qu’il ne calcule pas, la voilà disparue, totalement, bien qu’il changeât compulsivement de chaînes françaises et étrangères à en faire péter la zapette.

 

 Jim n’en pouvait plus, il ne pouvait se satisfaire des images, il lui fallait agir ; il demanda et obtint de sa boîte un mois de congés ; décida de partir enfin à sa recherche autrement que devant le poste de télé. Il commença par l’Espagne puis l’Italie, remonta vers l’Allemagne, les Pays-Bas puis le Royaume-Uni, il enquêtait, questionnait, sortait des photos récentes comme un vrai détective de cinéma en quête de l’héroïne du film. Au bout de tous ses jours de pérégrinations, il rentra fourbu et fauché, le soir il alluma la télé, elle était toujours là bien présente et souriante, nulle part et partout à la fois et même un peu plus. Le lendemain matin il alla faire ses courses au magasin bio ah vous revoilà c’est pas trop tôt  ya vot’ dame qui vous cherche partout elle se demande bien où vous êtes passé, elle est si inquiète que ça fait pitié, elle se d’mande même si vous étiez pas mort depuis tout ce temps où vous étiez à courir comme un lapin qu’a des ratés, elle en a fait de ces pays pour vous r’trouver… quand on a une jolie dame comme la vôtre faut pas cavaler tout l’temps comme ça pendant qui yen a tant qui restent chez eux plantés comme des cons à regarder la télé pas comme vous. Il se dépêcha de rentrer chez lui en courant ; elle n’était toujours pas là. Jim se mit à démolir son écran plat avec un marteau, lentement, en hurlant très fort, si fort...

…qu’il ne l’entendit pas lorsqu’elle entra dans la maison en tenant amoureusement par la main Jules, son meilleur copain.

 

©  Jacques Chesnel

18:01 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (1)

Commentaires

pauvre Jim: plus de poste de télé! heureusement elle est revenue et à trois, ils n'auront plus besoin de se chercher: il y en aura toujours un ou une pour savoir où sont les deux autres!!!

Écrit par : paniss | 21/01/2012

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