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23/08/2011

L’IMPOSTURE D’UN POSTIER

 

Ma chère cousine Julie,

Cela fait déjà quelques semaines que je devais t’écrire en réponse à ta dernière lettre, aussi je m’y mets aujourd’hui car j’ai un peu de temps devant moi. J’espère que tu vas mieux après tes problèmes qui me semblent être autant de corps que de cœur à te lire entre les lignes. Nous avons toutes nos petits problèmes et c’est à nous de s’en dépatouiller. Alors pour te remonter le moral si faire se peut, je vais te narrer ma dernière aventure qui diffère vraiment de toutes les précédentes qui me valurent tant et tant de déconvenues à cause des cons venus.  Oh, si cela pouvait te faire un peu sourire j’en serais ravie car je sais que tu aimes les bonnes histoires qui me tombent sur le paletot trop souvent. Alors voilà, au bal annuel des pompiers j’ai rencontré je te le donne en mille : un postier, un employé de la poste chez les pimpons pimpons, faut quand même le faire et bien oui. Je le trouvais assez mignon, tu connais mon genre d’homme, il dansait à la perfection surtout le cha-cha-cha et le slow qui sont mes danses préférées, au tango il m’a serré un peu et dès que j’ai senti ses intentions, enfin tu me comprends, je me suis laissée aller et vogue la galère et la galéjade. Attends, je vais boire une tasse de thé et je reviens, oups, voilà.

 Après je te dis pas la suite que tu devines aisément en raison de mon tempérament et de mon appétit et c’est alors que vint le temps des confidences habituelles, sur le passé, le présent et l’avenir. Tu sais que la poste ce n’est plus les PTT de dans le temps, c’est devenu que pour les lettres, les colis et la banque avec en plus les RTT qu’il ne faut pas confondre avec les PTT ; tu sais aussi qu’avec l’internet, les courriels et les entreprises de livraison privées genre BHL ou DHL on s’écrit sur papier de moins en moins, on s’envoie des mails et on commande sur les sites directement ; donc il y a une crise du courrier et moins de facteurs, si bien que beaucoup de gens principalement les p’tits vieux ils attendent désespérément devant leur boîtes à lettres vides, à part la pub à la con, le passage du préposé. Jérôme, oui il s’appelle Jérôme, a commencé par facteur comme tout le monde puis après les départs à la retraite non remplacés a été muté aux guichets où il a commencé à s’emmerder puis à déprimer car il regrettait ses tournées, les contacts avec les gens et les mêmes petits vieux qui lui parlaient ou lui offraient un p’tit café. Il ruminait dans son coin et cherchait une solution pour sortir de cette impasse quand lui vint subitement cette idée : il allait écrire et envoyer des lettres à tous ces gens pour leur apporter un peu de plaisir et de réconfort. Rentré chez lui après avoir acheté des dizaines de rames de papier et des enveloppes en nombre, il commença la rédaction de centaines de lettres par semaine si bien que la direction s’affola car cela posait un problème pour la distribution, il fallait un facteur supplémentaire, et donc il se proposa pour distribuer ses propres missives. Il écrivait entre les poses, aussitôt rentré chez lui, tous les jours y compris le dimanche, parfois tard dans la nuit, il était devenu comme fou ; racontant toutes les pensées, cogitations, réflexions, opinions, lettres de secours, de recours, de consolation, de consolidation, jusqu’à des lettres d’amour quand il voyait une jeune fille chagrinée ou un cas désespéré, il s’adressa même une carte postale « souvenir de La Baule ensoleillé avec grosses bises » pour avoir le plaisir de se la distribuer, il devenait prisonnier de son idée farfelue, il pensait devenir dingue quand je l’ai rencontré et qu’on s’est connus plus qu’intimement mais ce qu’il était heureux, ma chère cousine, du bien qu’il savait faire, tiens cette lettre à une dame Rageout, maman d’un type travaillant dans les champs pétrolifères en Afrique et qui la laissait tomber sans nouvelles, tiens lis :

 « chère Madame Rageout, je vous écris pour vous dire que votre fils Adrien va bien qu’il pense souvent à vous malgré son labeur qui lui prend trop de temps, alors il me charge de vous rassurer sur sa santé, il vous remercie pour les paquets de spéculos qu’il adore, il vous embrasse très fort avec une caresse à Pupuce votre petite chienne, signé votre Jérôme  »

c’est pour te donner un exemple parmi d’autres tout aussi chaleureux, quand il lui a remis la lettre en mains propres la vieille dame a pleuré en lui donnant un billet de vingt euros qu’il a refusé poliment… et les lettres d’amour, sages ou enfiévrées, pudiques ou olé olé, que je me demandais où il allait chercher tout ça tandis que pour moi il était plutôt réservé alors que tu me connais faut pas m’en promettre. Quand j’ai vu et lu le retour des lettres de certaines filles car il avait mis son adresse je me suis foutue en boule et j’ai craqué adieu le Jérôme cinglé. Il paraît que cela a duré un certain temps comme disait Fernand Raynaud avec son canon qui refroidit car à la direction de son agence on avait constaté une importante disparition inhabituelle de timbres ou d’envois en nombre inconsidérés. Quand il a reçu sa lettre de licenciement, il a cru à une blague, il a porté plainte avec le soutien de centaines de personnes, on attend le jugement et tout le monde dit qu’il va gagner que c’est un héros, un imposteur peut-être mais un héros sûrement, un petit zéro de rien du tout pour moi.

A part ça, j’ai trouvé un nouvel amoureux et j’espère que tu as gardé le tien qui est si mignon que si tu n’en veux plus tu pourras toujours me faire signe, hein ?

En attendant de tes toujours bonnes nouvelles, chère cousine, je t’embrasse bien affectueusement,

Mireille Bizet

 

©  Jacques Chesnel

16:03 Publié dans Mes textes | Lien permanent | Commentaires (0)

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